Cette année sera un moment charnière à l’Université McGill, en proie à des mouvements de syndicalisation et de protestation sans précédent.
Est-ce que tous les profs pourront se syndiquer et arracher des pouvoirs des mains d’une administration centralisatrice? Est-ce que le nouvel élan de syndicalisation pourra empêcher l’Université de couper dans son budget en enseignement? Est-ce qu’une solidarité plus grande pourra forcer le gouvernement provincial à financer l’éducation en fonction des besoins réels? Revenons un peu en arrière pour comprendre la situation actuelle.
La centralisation bureaucratique du pouvoir à McGill
Depuis les années 1990, l’administration de l’Université McGill centralise les pouvoirs. Autrefois, les départements et facultés avaient une grande autonomie pour gérer leurs horaires de cours, facilitant la conciliation travail-famille. Les recueils de textes des cours étaient aussi gérés de façon décentralisée. Cela permettait une meilleure adaptabilité aux besoins des différentes facultés. Les processus d’organisation et de remboursement de voyages d’affaires étaient plus simples et plus rapides.
Aujourd’hui, l’administration centrale a pris le contrôle de nombreuses tâches administratives, avec des résultats souvent jugés inefficaces par les employé-es. Cette centralisation a contribué à la bureaucratisation de McGill, où l’administration prend de plus en plus de distance par rapport aux employé-es, modifiant ainsi la relation de travail entre les profs et l’employeur.
Une gestion autoritaire de la pandémie
La gestion de la pandémie de COVID-19 a augmenté les tensions entre les profs et l’administration. En août 2020, l’Université a forcé le retour en classe de profs ayant des proches vulnérables, sans tenir compte de leur situation particulière. L’administration a rejeté les propositions de plusieurs départements, comme ceux d’immunologie et de droit, voulant garantir un retour en classe plus sécuritaire en exigeant, par exemple, la vaccination ou des tests réguliers.
Plus récemment, cette rigidité administrative s’est manifestée lors du mouvement étudiant pro-palestinien débuté en octobre 2023. Un an plus tard, McGill a engagé des processus disciplinaires contre plusieurs leaders étudiants afin d’étouffer les critiques concernant ses investissements dans des entreprises liées à l’occupation des territoires palestiniens. L’Université a aussi maintenu des dépenses faramineuses pour deux firmes de sécurité privées plutôt que d’investir dans l’enseignement et la recherche. On parle de contrats qui frisent la somme d’un demi million de dollars.
La réponse des profs: la syndicalisation!
En 2021, les profs en droit demandent au Tribunal administratif du travail (TAT) de certifier le premier syndicat de profs à McGill, l’AMPD (Association mcgillienne de professeur.e.s de droit). L’Université conteste sa reconnaissance et refuse de négocier de bonne foi.
En avril 2024, les profs en droit initient une grève pour la reconnaissance de leur syndicat. Les profs se battent aussi contre leur appauvrissement, alors que les salaires de l’administration augmentent de façon vertigineuse, et pour une meilleure démocratie au sein de l’Université. Cette grève devait retarder la correction des examens finaux, empêchant les étudiants et les étudiantes de recevoir leurs notes. Cependant, l’administration a contourné ce levier de pression en négociant avec les associations du Barreau. Ces dernières ont accepté de faire passer les étudiants et les étudiantes au barreau, malgré des relevés de notes incomplets.
Les grévistes ont donc suspendu leur mouvement et attendu des dates de négociation prévues en août 2024, auxquelles McGill a mis fin dès que les questions du pouvoir (telle la sélection du doyen) ont été amenées à la table par l’AMPD. C’est pourquoi la grève a repris dès la fin août.
Des tactiques antisyndicales à la Walmart
L’administration a tout tenté pour empêcher et retarder sa reconnaissance du syndicat et la négociation d’une convention collective. Sa contestation devant le TAT et sa demande d’arbitrage ont eu pour but d’embourber le processus dans des procédures légales interminables et coûteuses.
McGill a d’ailleurs fait appel aux services de la firme antisyndicaliste Borden, Ladner et Gervais pour contester la certification du syndicat. Cette firme est connue pour sa victoire en Cour suprême contre les employé⋅es de Walmart ayant voulu se syndiquer. Elle finance aussi une bourse d’études pour étudiants et étudiantes de première année en droit à McGill. Cette même firme protège les intérêts d’énormes compagnies telles la Baie d’Hudson, le Chemin de fer Canadien Pacifique, Alcan, Bell Canada, General Electric et DuPont. Plusieurs sont connues pour leur exploitation éhontée de nos ressources naturelles, et des employé⋅es qui travaillent chez elles.
De plus, l’Université a envoyé des courriels anti-syndicaux illégaux à des employé⋅es. Elle a aussi joué un double jeu en tentant de convaincre l’arbitre que la session serait annulée si la grève continuait, tout en faisant croire le contraire aux étudiants et aux étudiantes.
La solidarité syndicale: un levier pour plus de pouvoir
Le syndicat des profs de droit a pu compter sur la solidarité syndicale locale, mais aussi à travers le pays. Il a reçu des dons pour financer ses activités. Les profs en droit ont réussi, grâce à leur grève victorieuse de l’automne 2024, à faire reconnaître leur syndicat par l’administration.
Entre-temps, leur lutte a inspiré les profs en éducation et en arts, qui ont formé leur propre syndicat peu de temps après celui de droit. La solidarité entre les trois syndicats a mené McGill à tous les reconnaître à l’automne 2024.
Par ailleurs, l’Université devra maintenant négocier avec une fédération de ces trois syndicats. L’objectif d’une fédération est de renforcer le rapport de force face à l’employeur en regroupant tous les profs syndiqué⋅es. Cela évite que chaque groupe de profs se retrouve isolé face à une administration de plus en plus agressive et autoritaire. C’est aussi pourquoi l’objectif à moyen terme des instigateurs du syndicat en droit est de syndiquer tous les profs et maîtres d’enseignement de l’Université McGill. D’ailleurs, les profs de l’École d’Éducation permanente de McGill ont déposé en début 2025 leur demande d’accréditation de syndicat à leur tour, et cette fois-ci McGill ne l’a pas contestée. Quelle sera la prochaine unité de l’Université à se syndiquer?
De son côté, l’APBM (Association des Professeur(e)s et Bibliothécaires de McGill) est en réflexion sur sa propre pertinence dans ce contexte de syndicalisation et de gestion bureaucratique. L’APBM n’est pas un syndicat, mais prétend représenter le corps enseignant et les bibliothécaires de façon «collégiale» face à l’administration.
La grève des auxiliaires et les coupures budgétaires
Le printemps 2024 a aussi été marqué par une grève des auxiliaires d’enseignement. Les auxiliaires ont notamment réclamé une forte augmentation salariale ainsi qu’un ratio d’heures de travail minimal par rapport au nombre d’étudiants et étudiantes. Ce ratio vise à établir un paie décente pour le travail requis par des cours à grand effectif. La première revendication a été gagnée, mais pas la seconde.
Depuis, l’administration exerce des pressions pour réduire les heures de travail dans les contrats des auxiliaires. Cela affecte la qualité de l’enseignement et annule l’effet de l’augmentation salariale. L’Université a aussi demandé à des départements comme ceux en sciences de se préparer à une réduction budgétaire en enseignement pouvant aller jusqu’à 30%. Pendant ce temps, les inscriptions ont bondi, allant de 15 à 20% dans certains cours de première année. Cela a déjà conduit à une surcharge de travail pour les profs et une réduction de la qualité de l’enseignement. Les coupures budgétaires souhaitées par l’administration ne peuvent qu’empirer la situation.
Comment gagner
Pour certaines personnes parmi les corps étudiant et professoral de McGill, il semble qu’il n’y a rien à faire contre l’administration. Mais, il n’y a pas de raison de baisser les bras maintenant. La syndicalisation est une étape clé vers l’obtention du rapport de force nécessaire pour faire respecter les droits des profs, des étudiantes, des étudiants ainsi que de toutes les personnes employées de soutien.
En contraste avec les autres campus universitaires québécois, il existe environ 15 syndicats à McGill, sans compter les associations étudiantes. La solidarité entre ces différents syndicats a déjà commencé, mais doit continuer de plus belle afin de forcer la main de l’Université.
Ultimement, c’est une solidarité plus large, avec la population et tous les autres syndicats, qui aura le pouvoir d’annuler les hausses de frais de scolarité pour les étudiants et les étudiantes anglophones hors Québec. Cette solidarité a aussi le pouvoir d’améliorer le financement de l’enseignement post-secondaire dans tout le Québec. Tout le monde est dans le même bateau: les cégeps sont aux prises avec des coupures budgétaires imposées par la CAQ et les écoles primaires et secondaires manquent cruellement de personnel enseignant et de ressources. C’est un mouvement de masse combatif qu’il faudra pour forcer le gouvernement à financer l’accès gratuit et universel à tout le système d’éducation du Québec.
Mais ne nous leurrons pas! Les gouvernements à la solde des capitalistes préfèrent couper dans les services publics, endetter la province en subventionnant des multinationales telles Northvolt ou même perdre leurs élections plutôt que de taxer les ultra riches ou nationaliser les écoles privées. C’est pourquoi Alternative socialiste se bat pour que les travailleurs et les travailleuses reprennent le contrôle de leur milieu de travail, mais aussi de leur société grâce à une organisation politique indépendante des forces de l’argent.
Alternative socialiste tient à remercier ses deux sources pour cet article: Víctor M. Muñiz-Fraticelli (professeur associé en droit et en sciences politiques à l’Université McGill, très impliqué dans le mouvement syndical de l’Université et sur l’exécutif de l’AMPD), ainsi qu’une personne membre du corps enseignant qui a souhaité conserver l’anonymat par peur de représailles.