Une hausse des droits de scolarité discriminatoire

Cet automne, le gouvernement Legault a annoncé une augmentation drastique des droits de scolarité universitaire pour les étudiants et étudiantes anglophones hors Québec. Pour la CAQ, cette décision discriminatoire vise à «protéger le français». Mais tout en faisant porter un fardeau financier supplémentaire sur le dos des étudiants et étudiantes, cette mesure ne changera rien au sous-financement des universités francophones.

Afin de redorer son blason nationaliste, la CAQ a décidé en octobre de s’acharner sur les gens hors Québec voulant étudier en anglais dans la belle province. Leur droits de scolarité passeront de 9 000$ à 12 000$/an dès l’automne 2024. Les personnes provenant du reste du Canada, mais qui veulent étudier en français, seront exemptées de la hausse. De plus, la CAQ souhaite imposer un tarif plancher de 20 000$/an aux étudiants et étudiantes de l’étranger, sauf pour ceux et celles de France et de Belgique.

Plutôt que d’annoncer de réels investissements en éducation publique, en francisation et en intégration, Québec tente de refiler la facture à une partie de la population étudiante. Mais les milliards tombent toujours du ciel lorsqu’il s’agit de financer les multinationales de la filière batterie ou les projets militaires. 

Refiler la facture aux étudiants et étudiantes

Le financement provenant des individus a plus que doublé dans les universités québécoises depuis les années 1990. De plus, au tournant des années 2000, le ministre de l’Éducation péquiste d’alors, François Legault, a établi un financement universitaire public dépendant du nombre de personnes étudiant à temps plein. Depuis, les universités se font la guerre pour attirer le plus de personnes possible.

Les gouvernements négocient toujours pour payer le moins possible les employé⋅es du système d’éducation public. Mieux encore, ils profitent d’une bonne occasion pour faire payer davantage la population étudiante la moins défendue, celle qui provient de l’extérieur du Québec, idéalement anglophone. 

Depuis que les libéraux ont déréglementé les droits de scolarité des étudiantes et étudiants internationaux, en 2018, cette tactique de division est des plus commodes pour les nationalistes de la CAQ. Québec prétend vouloir réinvestir l’argent récupéré avec sa hausse – estimé à 100 millions $ – dans le réseau universitaire francophone. Pourtant, ce dernier est continuellement sous-financé depuis des décennies. On ne peut pas en dire autant des universités anglophones privées comme McGill ou Concordia.

Une histoire de big money

Il est difficile d’avoir de la compassion pour les universités d’élite anglophones privées. Grâce aux dons privés, elles sont les plus riches d’entre toutes. Elles récoltent  aussi la plus grande partie du financement public.

De manière générale, les universités privées (McGill, ULaval, UdeM) reçoivent plus d’argent public par personne étudiante que les universités d’État (réseau de l’Université du Québec, UQ).

Mais l’an dernier, McGill et Concordia ont reçu une attention particulière du gouvernement provincial. La CAQ leur permet de récolter 60% des investissements du Plan québécois des infrastructures 2023-2033, à la différence des universités francophones (au nombre de 16) qui devront composer avec le 40% restant. À qui profite ce modèle de financement?

Le modèle des universités marchandes sert d’abord et avant tout les intérêts des élites qui les gouvernent. Par exemple, l’ancienne rectrice de McGill, Suzanne Fortier, s’est vue octroyer un traitement imposable de plus de 860 000$ en 2021. En 2010, l’Université McGill a augmenté les droits de scolarité pour son MBA à 30 000$/an. Dans le monde élitiste de la gestion, payer plus cher pour une telle formation est une marque de prestige. Tant pis si ça anéantit son accès pour l’écrasante majorité des gens! 

On aperçoit maintenant l’hypocrisie des nationalistes de la CAQ. D’un côté, Legault va continuer de financer grassement les universités privées anglophones. De l’autre, il va refiler une partie de la facture aux étudiants et étudiantes pour se la jouer «cool» auprès de son électorat francophone nationaliste.

Les directions universitaires anglophones réagissent

Les universités anglophones du Québec se sont inquiétées des répercussions de la hausse sur leur nombre d’inscriptions, donc sur leurs revenus. Et elles ont eu raison. Au début de 2024, une baisse de 27% a été observée à l’Université Concordia pour les inscriptions d’étudiants et d’étudiantes d’autres provinces canadiennes par rapport à l’an dernier. Elle a été de 22% pour l’Université McGill.

Durant l’automne, les directions universitaires ont fait du lobbying sur le gouvernement québécois. Ce dernier a finalement revu à la baisse les nouveaux droits de scolarité des étudiantes et étudiants des autres provinces canadiennes, d’abord prévus à 17 000$/an plutôt que 12 000$/an. L’université Bishop’s a été exemptée de la hausse, puisqu’elle se trouve à l’extérieur de Montréal.

McGill et Concordia intentent désormais une poursuite contre le gouvernement du Québec pour mesure «discriminatoire» ayant porté atteinte à leur réputation. La Charte canadienne des droits et libertés est invoquée pour décrédibiliser l’action du gouvernement. Libres à ces institutions d’aller en Cour. Ultimement, rien n’empêchera le gouvernement Legault d’aller de l’avant, comme il l’avait fait avec la loi 21, en invoquant la clause dérogatoire afin de se mettre hors d’atteinte des tribunaux pour cinq ans.

Dans tous les cas, les actions entreprises par ces universités privées sont purement effectuées dans une logique de profitabilité lésée. En d’autres termes, c’est une question de baisse de revenus et non pas d’un meilleur accès aux études supérieures.

Réaction des partis politiques d’opposition

Les partis politiques à l’Assemblée nationale ont aussi réagi à la mesure du gouvernement. Pascal Bérubé, du Parti québécois, a salué l’aspect revanchard du geste tout en reconnaissant son inefficacité contre le «déclin» du français. De son côté, le Parti libéral du Québec s’est posé comme défenseur des universités anglophones. Sa députée, Marwah Rizqy, a même fait un point de presse avec les porte-parole des associations étudiantes contre la hausse, doublant ainsi Québec solidaire (QS) sur sa gauche. 

À QS, la hausse est dénoncée. Mais le parti reconnaît du même souffle qu’elle s’attaque à un enjeu réel. Dans un communiqué de presse, QS propose plutôt de financer les universités selon le poids démographique des communautés linguistiques qu’elles ciblent ou encore de créer un «comité d’experts afin de mieux réglementer les frais de scolarité des étudiants hors-Québec».

Pour un parti dirigé par l’ancien porte-parole du Printemps 2012, Gabriel Nadeau-Dubois, on aurait pu s’attendre à plus de combativité. Les syndicalistes et les ex-leaders étudiants à la tête de QS savent bien que seule la lutte paie. Mais jusqu’ici, le parti semble n’avoir aucune intention de faire campagne et d’organiser une mobilisation dans les universités contre la hausse et pour la gratuité scolaire.

Un accès moindre aux études universitaires

En plus de cibler inutilement les anglophones hors Québec, l’augmentation annoncée par le gouvernement poussera de nombreuses personnes à stopper leurs études, faute de moyens. En cette période de forte inflation et de crise du logement, cette hausse doit absolument être combattue et annulée.

Plus encore, ce combat permet de remettre à l’ordre du jour la bataille pour la gratuité scolaire à tous les niveaux, pour toutes les personnes qui étudient, peu importe leur langue ou leur provenance. Cette augmentation est une brèche de plus dans notre droit à l’éducation. La CAQ s’en sert pour évaluer la combativité du mouvement étudiant en prévision d’augmentations ou de coupures qui toucheraient toute la population étudiante.  

En chassant les partis capitalistes du pouvoir, un gouvernement socialiste porté par un mouvement social puissant pourrait créer un réseau universitaire francophone et anglophone public, accessible et gratuit en éliminant les subventions aux établissements privés et les faisant passer dans le réseau universitaire d’État. 

Pour que la mobilisation étudiante et syndicale continue!

Les associations étudiantes des universités McGill et Concordia ont déjà organisé plusieurs actions, manifestations et grèves contre la hausse. La direction de la seule association étudiante universitaire nationale, l’Union étudiante du Québec, se mobilise sur le sujet. Mais plusieurs autres grandes associations étudiantes francophones tardent à emboîter le pas.

Les associations étudiantes ont comme raison d’être la défense des intérêts de toutes les personnes qui étudient. Elles ont le devoir de se positionner clairement contre cette hausse à travers des assemblées générales démocratiques visant à élargir la lutte. 

Les syndicats en enseignement ont aussi un rôle crucial à jouer pour dénoncer et combattre toute augmentation des droits de scolarité. Certains syndicats d’employé⋅es non académiques de McGill – tel MUNACA et MUNASA – ont appuyé les actions étudiantes. La FNEEQ, qui représente 80% des chargé⋅es de cours universitaires au Québec, a aussi dénoncé la hausse en octobre dernier.

Solidarité interuniversitaire et interlinguistique

Mais le rôle premier revient aux associations étudiantes d’organiser et de mobiliser leurs membres dans la solidarité contre cette hausse discriminatoire. Cela nécessite des séances d’informations, des tournées de classes et des assemblées générales dans le but d’échanger et de choisir démocratiquement les stratégies et les méthodes d’action les plus efficaces. Le seul langage que connaissent les rectorats et les gouvernements est celui du rapport de force, comme en 2012.

Pour gagner, les associations ont besoin de se coordonner dans la lutte, peu importe leur appartenance universitaire ou linguistique. L’accessibilité à l’éducation concerne tout le monde, peu importe d’où l’on vient. C’est un droit fondamental pour lequel nous avons raison de nous battre.

Une vaste mobilisation combative des étudiants, des étudiantes et des syndiqué⋅es de l’éducation aura certainement plus d’effet que les mémoires, les déclarations ou les recours en justice des directions universitaires.


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