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Pas de pitié pour le PDG assassiné, mais ça ne nous sauvera pas

Pas de pitié pour le PDG assassiné, mais les assassinats ne nous sauveront pas. Il faut mettre fin au système de soins de santé à but lucratif.

Le 4 décembre au petit matin, dans le centre-ville de Manhattan, un homme armé et masqué a abattu Brian Thompson, 50 ans. Brian Thompson était le PDG d’UnitedHealthCare, la plus grande compagnie d’assurance maladie privée des États-Unis. Son meurtrier l’attendait alors qu’il quittait son hôtel pour une réunion d’actionnaires. Cinq jours plus tard, le 9 décembre, après une vaste chasse à l’homme, le meurtrier présumé a été capturé et identifié comme étant Luigi Mangione, 26 ans.

L’industrie de l’assurance maladie est une industrie parasitaire. Son seul but est de faire gagner des milliards de dollars aux riches en obligeant les travailleuses et les travailleurs à payer des sommes énormes pour des assurances qui refusent ensuite de couvrir une grande partie des soins médicaux réels. Les bénéfices annuels d’UnitedHealthCare (UHC) ont grimpé de près de 400% parce que l’entreprise rejetterait désormais près d’une demande médicale sur trois.

Thompson, en tant que PDG d’UHC, était un meurtrier de masse. Il a personnellement profité de la mort et de la souffrance de malades, de personnes mourantes ainsi que de la dette écrasante infligée à ces personnes et à leurs familles. Mais comme le capitalisme valorise le profit par-dessus tout, Thompson n’était qu’un monstre dans une maison pleine d’horreurs. Une autre sale gueule sans âme l’a déjà remplacé pour «perpétuer son héritage» en tant que nouveau PDG d’UHC.

Des millions de personnes se sentent désespérées de ne voir aucun moyen clair pour mettre fin aux souffrances que nous infligent les riches et les puissants. L’effusion de soutien à Mangione sur les réseaux sociaux montre que des millions d’entre nous rêvent d’un monde sans PDG. Mais nous ne pouvons pas faire de ce monde une réalité par des actes de violence individuels. Nous avons besoin d’une révolution de la classe ouvrière pour mettre fin aux soins de santé à but lucratif et construire une société qui ne fonctionne pas sur la base du profit, un point c’est tout. Destituer un PDG ne mettra pas fin à nos souffrances. Nous devons abattre tout son système.

Les soins de santé à but lucratif fonctionnent grâce au meurtre

Il n’est pas surprenant qu’UHC ait été pris pour cible. L’ensemble du secteur de l’assurance maladie est pourri et l’UHC est le pire des pires. La compagnie a un long historique de refus de soins médicaux nécessaires. Elle est évaluée à 561 milliards de dollars et a réalisé un bénéfice de 22 milliards de dollars en 2023. Brian Thompson a touché une indemnité de 10 millions de dollars cette année-là et a été poursuivi pour délit d’initié. Pendant que Thompson dirigeait UHC, la valorisation a presque doublé. La compagnie est une pionnière dans les nouvelles façons de refuser des demandes d’indemnisation grâce à l’intelligence artificielle. Elle est aussi passée maître dans l’art de faire perdre leur temps aux bénéficiaires et au corps professionnel de la santé en plus de détruire des vies pour le profit.

Cet événement a donné lieu à un flot incessant d’histoires d’horreur concernant l’assurance maladie de patientes, de patients et de médecins. Une femme de 20 ans est morte d’une infection des sinus après que sa demande d’assurance maladie a été perdue dans les formalités administratives. Cela a retardé son traitement jusqu’à ce qu’elle se rende aux urgences. Une patiente paralysée victime d’un AVC a vu sa rééducation interrompue après seulement 20 jours. Une amie de l’auteur s’est retrouvée avec une facture de 11 207,95$ pour un vaccin contre la rage après que son assurance ait soudainement été interrompue après qu’elle ait quitté son programme universitaire. C’est dans ce contexte que l’annonce officielle de la mort de Thompson par UHC sur Facebook a suscité plus de 90 000 réactions de rire et bien moins de réactions de toute autre nature.

L’industrie de l’assurance maladie fonctionne sur ce que Friedrich Engels appelait le «meurtre social». Le meurtre de millions de personnes non pas par la violence pure et simple, mais par le résultat de politiques capitalistes, en l’occurrence le déni, pour des raisons de profits, des soins de santé dont les gens ont besoin. Tous les profits de l’assurance maladie proviennent du fait que les primes sont plus élevées que ce qui est remboursé pour les soins de santé. Le but de toute assurance est simplement de répartir des coûts imprévisibles sur une population. Tous les profits collectés proviennent des prestations parasitaires payées par les personnes assurées.

Notre société capitaliste est bâtie autour de la maximisation du profit. Ainsi, chaque décision en matière de santé dans ce pays est d’abord prise par un médecin, puis remise en question par une compagnie d’assurance bureaucratique et avide de profit, sans expertise médicale ni connaissance du patient, dont l’incitation directe est de refuser autant de soins que possible. Chaque minute passée sur ces «débats» par les prestataires de soins, les travailleuses et les travailleurs du secteur des assurances ou les patientes et patients frustrés est un gaspillage contre-productif. L’industrie de l’assurance maladie dans son ensemble ne devrait pas exister. Tous ceux et celles qui y travaillent devraient être réemployé·es dans un emploi socialement utile, comme celui de fournir des soins de santé. Un programme gouvernemental à but non lucratif devrait assurer tout le monde avec un minimum de complexité et à faible coût.

Faire tomber tout le système

Ce statu quo est défendu par le Parti démocrate et le Parti républicain. Barack En 2008, Obama a fait campagne pour la présidence sur la question de l’assurance maladie publique. Après sa victoire, les démocrates ont contrôlé les deux chambres du Congrès pendant les deux premières années de son mandat. Mais Obama a refusé de mettre en œuvre le système de santé à payeur unique qu’il avait promis. Cela aurait décimé l’industrie de l’assurance qui finance les campagnes politiques des deux côtés de l’échiquier politique. Ce qui a été adopté à la place, c’est une maigre réforme connue sous le nom d’Obamacare. Lorsque Trump a ensuite menacé d’abroger l’Obamacare, les travailleuses et les travailleurs ont envahi les assemblées publiques à travers le pays pour exiger que la loi soit maintenue. Aucun des deux partis ne sera jamais prêt à s’attaquer aux profits des grandes compagnies d’assurance.

En raison de ce cercle vicieux de corruption et d’escroquerie, les États-Unis dépensent bien plus que n’importe quel autre pays pour les soins de santé, tout en obtenant des résultats bien pires que ceux des autres pays riches. En étouffant toute véritable alternative de gauche et en prétendant que tout va bien, les deux partis politiques de l’establishment sont tout aussi responsables de cette situation que les compagnies d’assurance maladie pour lesquelles ils travaillent.

Cet assassinat reflète la colère justifiée de millions de travailleuses et de travailleurs. Mais il reflète aussi la désorganisation généralisée et le pessimisme quant à la capacité des mouvements de masse à obtenir des changements. Les assassinats ne peuvent pas résoudre nos problèmes. Ils donnent à l’État capitaliste la justification d’accroître la surveillance et la répression. Le capitalisme peut toujours remplacer ses serviteurs. La violence politique individuelle encourage davantage les gens à attendre que quelqu’un d’autre vienne les sauver qu’elle ne les encourage à jouer un rôle actif dans la lutte collective.

Lorsque Bernie Sanders était candidat à la présidence, il a appelé à une assurance maladie universelle sous la bannière du Medicare For All. Cela a mobilisé des millions de personnes pour faire campagne en sa faveur. Cela a montré combien de personnes passeraient à l’action si elles voyaient une alternative politique viable. Malheureusement, il a refusé de rompre avec le Parti démocrate qui l’a immédiatement poignardé dans le dos au service de ses donateurs, comme ceux de l’industrie de l’assurance maladie. Et cela, même si la mise au rencard de Sanders a entraîné la défaite du Parti démocrate face à Donald Trump en 2016. En l’absence d’une campagne de masse pour une assurance maladie universelle, il n’est pas surprenant que certaines personnes se tournent vers des solutions désespérées comme la violence individuelle.

Nous avons besoin d’actions de masse et d’organisation collective, mais sur une base beaucoup plus radicale que les campagnes du Parti démocrate de Bernie Sanders. Pour arrêter tous les PDG avides, nous devons mettre fin au capitalisme. Dès maintenant, nous avons besoin d’un parti audacieux de la classe ouvrière, indépendant et opposé à tous les partis capitalistes. Un parti qui utilise les grèves et les actions de masse pour remporter des victoires comme la couverture universelle gratuite des soins de santé. Ce sont ces méthodes qui ont éradiqué les industries parasitaires et même renversé des empires corrompus dans le passé.

Un tel parti pourrait recruter des milliers voire des millions de jeunes en colère et les gagner à une approche plus efficace et moins autodestructrice que les assassinats. Nous nous devons à nous-mêmes et à nos collègues de construire un mouvement socialiste digne du désir ardent de changement ressenti par les jeunes et la classe ouvrière à travers l’Amérique.

L’austérité dans les cégeps n’est pas une fatalité

Le gouvernement de la CAQ a annoncé, en plein été, des compressions budgétaires majeures dans le réseau collégial. Les impacts se font déjà sentir. Comment combattre cette nouvelle vague d’austérité, alors que les syndicats du secteur public ne peuvent plus exercer de moyens de pression sérieux?

À la mi-juillet, le gouvernement Legault a décidé de couper plus de 400 millions $ dans l’enveloppe destinée au maintien des bâtiments collégiaux pour 2024-2025. Il s’agit d’une baisse de 22% par rapport à l’an dernier. Or, le réseau collégial du Québec a vu ses besoins financiers en entretien des immeubles doubler en trois ans, pour atteindre 700 millions $.

Le 31 juillet, les membres de la direction des cégeps – pour la plupart en vacances – ont reçu une lettre de la ministre de l’Enseignement supérieur, Pascale Déry, dans laquelle elle leur impose un plafonnement des dépenses destinées à la réfection de leurs bâtiments et à l’achat de matériel. Plusieurs cégeps voient ainsi leur budget fondre de moitié au moment de la rentrée d’automne, alors que les dépenses ont déjà été approuvées par les conseils d’administration.

À cette période de l’année, les budgets sont déjà faits et les grands travaux, déjà entamés. L’été est le meilleur moment pour effectuer des travaux majeurs. Pour plusieurs établissements, les dépenses maximales sont déjà atteintes à la rentrée scolaire. Avec la nouvelle directive, de nombreux projets majeurs seront suspendus.

Cette annonce survient quelques mois à peine après le renouvellement des conventions collectives dans le secteur public. Dans les corridors de cégep, on entend certains employés dire avec lassitude: «On dirait que le gouvernement nous fait payer le Front commun et notre maigre augmentation de salaire».

Cégeps délabrés

En mars dernier, des syndicats ont décrié l’état vétuste de la majorité des établissements collégiaux du Québec. Près de 65% des bâtiments du réseau sont considérés en mauvais état par le gouvernement. Des cégeps, comme celui de Saint-Laurent, ont fermé des pavillons par mesure de sécurité. D’autres établissements ont installé des «classes modulaires», c’est-à-dire des roulottes, pour compenser le manque d’espace.

De plus, de nombreux aménagements physiques sont déjà mésadaptés aux personnes à mobilité réduite. Les coupures affectent l’achat de matériel spécialisé pour les étudiants et les étudiantes avec un handicap ainsi que l’ensemble des services offerts qui vont au-delà de la pédagogie. Une technicienne en travail social nous a signalé le non-sens des demandes du gouvernement: «On a créé une politique en santé mentale à la demande du ministère, mais le même gouvernement est en train de nous enlever les moyens de la mettre en place! C’est complètement absurde!»

Inscriptions en hausse

S’additionne aux problèmes de financement des bâtiments collégiaux la plus forte hausse annuelle des inscriptions dans les cégeps du Québec (+5,3%) en 25 ans, selon la Fédération des cégeps. C’est surtout en région que les hausses sont les plus importantes: +10% dans les cégeps de Lanaudière, +7,1% dans ceux des Laurentides et +8,7% dans ceux de Chaudière-Appalaches. La présence d’étudiantes et d’étudiants étrangers en région explique principalement cette hausse.

À lui seul, ce groupe étudiant a augmenté de +14,4% en un an. La présidente-directrice générale de la Fédération des cégeps, Marie Montpetit, a précisé au Devoir que son organisation a recruté des personnes immigrantes pour combler la «pénurie de main-d’œuvre», surtout pour les programmes en santé.

Par exemple, le Québec a recruté près de 1 000 infirmières en Afrique, notamment au Cameroun, au Maroc et en Côte-d’Ivoire, depuis les deux dernières années. Ce programme de recrutement a coûté 65 millions $.

Toutes ces nouvelles inscriptions exigent plus de locaux, plus d’équipement ainsi que davantage de personnel de soutien, professionnel et enseignant. Mais voilà que la CAQ coupe elle-même dans les investissements nécessaires à la formation collégiale, incluant pour les étudiantes et étudiants de l’étranger si «vitaux» à ses plans économiques.

Privatisation rampante 

Pendant ce temps, le gouvernement débloque 54 millions $ sur trois ans à Alloprof pour le développement d’une nouvelle plateforme dédiée à l’apprentissage du français pour les élèves du primaire et du secondaire. Cette plateforme est utile à la fois pour les études et pour les parents qui accompagnent leurs enfants dans leurs devoirs. Mais le corps enseignant contractuel qui travaille pour cet organisme à but non lucratif privé n’est généralement ni syndiqué ni couvert par les conventions collectives de la fonction publique québécoise.

Investir de l’argent public pour des organismes éducatifs privés est une façon de privatiser le secteur de l’éducation petit à petit.

Les coupures dans les services n’entraînent pas la coupure des besoins pour autant. C’est ce qu’une technicienne en documentation d’un cégep de Montréal a rapporté: «D’habitude on commande des livres obligatoires pour les étudiants, que ce soit en littérature ou des livres de références en sciences pures. Ça pénalise directement les étudiants qui devront s’acheter les livres maintenant.»

Annulation de formations

À la mi-septembre, Québec a annulé plusieurs attestations d’études collégiales (AEC), dont cinq au Cégep du Vieux Montréal, qui ne s’inscrivaient pas dans les priorités de son Opération main-d’œuvre. On parle des formations en communication et études sourdes, en métiers d’art du patrimoine bâti, en gestion immobilière, en assurances, en médiation culturelle et en transformation des aliments.

Les personnes inscrites ont été avisées à la dernière minute. Cette annonce a un impact direct sur leur cheminement professionnel, sur les secteurs liés et sur les enseignants et les enseignantes qui se retrouvent sans cours à donner cette année.

Le gouvernement a tenté de réallouer ces ressources vers les programmes couverts par son Opération main-d’œuvre, dont l’objectif consiste à répondre aux pénuries dans des secteurs comme la santé et l’éducation.

Si le gouvernement souhaite réellement que les études collégiales contribuent à la formation de la main-d’œuvre de demain, il n’aura pas le choix d’investir! C’est aussi vrai pour des mises à jour des programmes, comme celui de sciences pures dont la refonte mise davantage sur les biotechnologies. Une technicienne en travaux pratiques raconte: «On a des outils désuets et on n’a même pas les moyens d’acheter le matériel nécessaire pour appliquer la refonte du programme!»

Les autorités ne parlent pas d’austérité ou de coupures en éducation, mais de «réévaluation des services». Difficile de voir comment la désuétude des infrastructures ou le manque de matériel adapté aux programmes peuvent favoriser la formation de cette «main-d’œuvre». Les coupures risquent plutôt d’en pousser plusieurs hors du réseau collégial, vers le privé ou vers le marché du travail.

De l’argent, il y en a… pour les multinationales

On voit ici toute l’hypocrisie de la gestion capitaliste du réseau de l’éducation. D’un côté, le gouvernement pleure le manque d’infirmières et de personnel enseignant, mais coupe dans leur formation, dans les dépenses d’établissement collégiaux et signe des conventions collective qui garantisse l’appauvrissement des employé་es du secteur public.

De l’autre côté, le gouvernement octroie des milliards $ à des multinationales étrangères afin qu’elles exploitent à rabais les mines du Québec et les employé་es de la filière batterie (par exemple ceux et celles des usines d’anodes, de cathodes, de batteries et de véhicules électriques). Le gouvernement espère de potentielles retombées économiques positives dans un contexte de concurrence mondiale qui rend les marchés très volatils. On l’observe avec le ralentissement des activités de Northvolt au Québec.

Ce qui est certain à l’heure actuelle, c’est la pollution, les problèmes de santé et la baisse de la qualité de l’éducation au Québec.

Pour une riposte dans la rue et dans les urnes

La lutte pour une éducation publique gratuite, accessible et de qualité, de l’enfance à l’âge adulte, impose une lutte sérieuse non seulement contre cette vague d’austérité, mais contre toute la vision caquiste de la société.

Les espérances quant aux possibilités de voir les partis d’austérité capitaliste prendre d’eux-mêmes des décisions dans l’intérêt de la classe des travailleuses et des travailleurs sont vouées à l’échec. L’espoir de voir la CAQ opter pour un virage massif pour le système public est déphasé d’avec la réalité de ses six années de règne.

Toutefois, un grand mouvement contre l’austérité en éducation, mais aussi en santé et dans les services publics en général, qui regrouperait syndicats, associations étudiantes et groupes politiques seraient en mesure de faire reculer le gouvernement en utilisant les stratégies qui font mal à son économie.

On le voit avec les grèves dans les chemins de fer ou les ports: les gouvernements et les capitalistes sont terrorisés par leurs effets et répriment les actions syndicales immédiatement.

Plusieurs grands syndicats déploient actuellement des campagnes de relations publiques visant à faire pression sur le gouvernement en faveur du secteur public. La gravité de la situation nécessite d’aller beaucoup plus loin, ne serait-ce que pour «ralentir» les coupures.

Il est temps de créer des solidarités parmi toutes les couches de la classe travailleuse, dans le privé comme dans le public, et d’utiliser la force gréviste des uns et des autres pour empêcher les plans de nos ennemis communs, le patronat et ses gouvernements.

Les décisions se prennent dans une sphère où le mouvement syndical est absent: celui de la politique parlementaire. Il est temps de réaliser que sans des candidatures politiques issues des luttes populaires, les gouvernements auront toujours le gros bout du bâton pour dicter nos conditions d’études et de travail. Organisons-nous autant pour des actions directes que pour déloger les capitalistes du pouvoir politique!

Protestataires pour le désinvestissement

Pourquoi «désinvestir» et comment gagner?

Dans le cadre de l’un des développements les plus audacieux du mouvement contre l’assaut israélien sur Gaza, des dizaines de milliers d’étudiants, d’étudiantes, de professeurs, de travailleuses et de de travailleurs ont occupé des campus universitaires dans tout le pays. Uni⋅es non seulement par leur opposition à la violence, les campements ont exigé que les universités rompent leurs liens financiers avec Israël, plus précisément que leurs fonds de dotation «désinvestissent» des entreprises qui font des affaires en Israël. Cette demande a été présentée de différentes manières par différentes parties du mouvement. 

Socialist Alternative demande l’arrêt de toute aide militaire américaine à Israël ainsi que le désinvestissement des fonds placés dans les institutions publiques et privées liées à l’occupation brutale des terres palestiniennes.

Ces demandes s’inspirent en partie des luttes passées pour le désinvestissement des combustibles fossiles, de celle contre le régime d’apartheid sud-africain ou de celle contre le complexe militaro-industriel pendant la guerre du Viêt Nam. Ce printemps, certains campements universitaires ont obtenu des concessions limitées de la part de l’administration de campus. Mais pourquoi le mouvement se concentre-t-il sur le désinvestissement des universités, et à quoi ressemble réellement le «désinvestissement» d’une université?

Les fonds de dotation universitaires ne rendent pas de comptes et sont inégaux

Derrière leurs tours d’ivoire, les universités sont de grandes entreprises. Outre les sommes exorbitantes qu’elles prélèvent des étudiantes et étudiants à titre des droits d’inscription, les universités disposent également d’énormes trésors financiers appelés «fonds de dotation». La valeur totale des dotations des universités américaines s’élève à plus de 839 milliards $, soit à peu près le budget prévu en 2024 pour l’ensemble de l’armée américaine. Ces montagnes d’argent sont censées compléter le budget de l’établissement et protéger l’enseignement supérieur contre les exigences du marché. Mais la réalité est tout autre.

Tout d’abord, les dotations de nombreuses universités privées proviennent de la fortune des marchands d’esclaves, des propriétaires de plantations, des voleurs et des profiteurs de guerre des débuts de l’histoire américaine. Les universités publiques ne sont guère mieux loties. Les deux universités les plus riches étant situées au Texas et tirant l’essentiel de leur fortune de l’exploitation du pétrole et du gaz. Les écoles n’ont jamais été et ne seront jamais exemptes de l’influence tordue de la cupidité capitaliste. En outre, il existe une incroyable disparité de richesse entre les écoles les plus riches et les plus pauvres. Les dix écoles les plus riches (dont huit sont privées) détiennent plus de 35% de l’ensemble des dotations des universités américaines. Les écoles les mieux dotées sont en fait des sociétés de gestion de portefeuilles d’actions auxquelles sont rattachées des salles de classe.

Ces riches universités gèrent leurs fonds de dotation en investissant dans l’immobilier et la bourse, cherchant à obtenir le meilleur retour sur investissement afin de pouvoir le consacrer à des centres de recherche prestigieux, à l’amélioration des infrastructures universitaires et (bien plus loin dans la liste) à l’octroi de bourses d’études. En outre, de nombreux établissements ne répertorient pas leurs investissements, ce qui signifie que la plupart des fonds de dotation sont de véritables boîtes noires, les corps étudiants et enseignants n’ayant aucun moyen de savoir d’où vient ou va leur argent.

De quoi avons-nous besoin pour obtenir le désinvestissement?

Une chose est extrêmement claire: les chanceliers et les conseils d’administration des universités ne divulgueront pas, ne désinvestiront pas et ne s’engageront même pas dans un dialogue sans une pression énergique. Les occupations et les campements sur les campus sont un bon début, mais ne suffisent pas à obtenir le désinvestissement. La plupart des victoires remportées jusqu’à présent en utilisant uniquement cette tactique ont été des «promesses de discuter du désinvestissement» et d’autres concessions aussi molles.

Pour obtenir un désinvestissement réel et concret, les mouvements étudiants doivent perturber le fonctionnement habituel des campus. Ils devront également travailler en étroite collaboration avec les travailleuses et les travailleurs universitaires, en particulier les étudiantes et les étudiants diplômés syndiqués ou organisés, afin d’arrêter l’enseignement sur le campus et de donner un poids réel à notre menace de ne pas relâcher nos efforts jusqu’à ce que les demandes du mouvement soient satisfaites. Ces efforts devront être coordonnés au niveau national, afin de rendre le mouvement plus résistant face à la répression policière. Une fois de plus, les travailleuses et les travailleurs des campus, par l’intermédiaire de leur syndicat national, peuvent jouer un rôle essentiel en reliant les différents efforts des campus à travers le pays.

Le désinvestissement doit également être ciblé pour être le plus efficace possible. Un désinvestissement général de «tout ce qui est israélien» peut alimenter des récits extrêmement faux sur l’antisémitisme et repousser les Israéliennes et les Israéliens de la classe ouvrière qui sont par ailleurs favorables à la fin de la guerre et de l’occupation. Un désinvestissement ciblé obligerait également les universités à se retirer des entreprises militaires américaines telles que Lockheed Martin et General Dynamics, qui soutiennent la guerre et en tirent profit. Un désinvestissement ciblé serait plus efficace et montrerait plus clairement aux travailleuses et aux travailleurs d’Israël que le désinvestissement est dirigé contre l’establishment israélien plutôt que contre eux et elles.

Nous devons aller plus loin que le désinvestissement

Le désinvestissement peut jouer un rôle important en ralliant les personnes qui étudient et qui travaillent sur les campus autour d’une revendication concrète pouvant être gagnée. Mais la réalité du désinvestissement est que, dans notre système capitaliste, pour chaque dollar universitaire retiré de la guerre et de l’occupation israéliennes, un autre dollar lucratif provenant d’ailleurs le remplacera. Il y a des limites réelles à ce que le désinvestissement peut accomplir.

Pour aller plus loin, les mouvements sur les campus devront s’associer à des luttes plus larges contre l’oppression et la guerre dans l’ensemble de la société. Plus important encore, les étudiantes et les étudiants peuvent jouer un rôle considérable dans les mouvements de la classe ouvrière qui luttent contre la guerre et l’exploitation inhérentes au capitalisme, que ce soit en Israël ou aux États-Unis.

Enfin, tout mouvement visant à mettre fin à la guerre et à l’exploitation devra être international. La force motrice centrale de la lutte pour la libération de Gaza, de la Cisjordanie et d’Israël sera l’action de masse des travailleuses et des travailleurs de la région, que ces personnes soient israéliennes ou palestiniennes. Un mouvement de la classe ouvrière au Moyen-Orient, dépassant les clivages religieux et nationaux et s’associant à un mouvement international, sera bien plus efficace pour faire avancer leur lutte que n’importe quelle action de désinvestissement venant de l’extérieur.

Des manifestants posent avec le drapeau du Bangladesh sur un canapé pillé dans la résidence de la Première ministre. Photo: REUTERS

Vague de grèves au Bangladesh après la chute du gouvernement

Le gouvernement capitaliste «intérimaire» prépare la répression.

La lutte de masse au Bangladesh est à un point décisif. Un mois après que le mouvement de masse a contraint la première ministre Sheikh Hasina à démissionner et à s’exiler, une confrontation se dessine entre une vague croissante de grèves ouvrières et le nouveau gouvernement. Le gouvernement «intérimaire» qui représente les propriétaires capitalistes d’entreprises multinationales prépare la répression.

«Le gouvernement intérimaire a annoncé des mesures sévères contre l’anarchie, alors qu’environ 200 usines ont suspendu leur production hier sur fond d’agitation ouvrière à Gazipur, Savar et Ashulia», a rapporté le Daily Star, le dimanche 8 septembre. Une réunion d’urgence des ministres, des chefs de police et des officiers de renseignement s’est tenue le même jour. «Des mesures sévères doivent être prises à l’encontre de certaines personnes afin de sauver les usines, les travailleurs et l’économie. Nous en avons discuté», a déclaré un conseiller du gouvernement aux médias.

Les grèves s’étendent

La semaine dernière a été marquée par une forte recrudescence des manifestations de travailleurs et de travailleuses dans l’industrie dominante de l’habillement, où les femmes sont majoritaires, mais aussi dans les usines pharmaceutiques et les fabriques de chaussures. Les grèves se sont propagées d’une usine à l’autre par des marches, des blocages de routes et des manifestations de masse devant les bureaux des entreprises et des autorités. Le mouvement et les méthodes sont clairement inspirés par le mouvement aux caractéristiques révolutionnaires de cet été.

De nombreuses entreprises ont fermé leurs usines, sur les conseils de la police. Au cours de la fin de semaine, «la police, l’armée et les gardes-frontières ont été déployés» pour assurer la reprise de la production. La police tente également «d’identifier et d’arrêter les personnes à l’origine des troubles». Le gouvernement et les entreprises accusent des «étrangers» d’en être à l’origine. Mais le conseiller du gouvernement admet qu’«il était difficile de distinguer les travailleurs des étrangers».

Un autre site web, bdnews24.com, a titré Qu’est-ce qui motive la soudaine augmentation des protestations des travailleurs de l’industrie de l’habillement au Bangladesh?, commentant que «tout à coup, les travailleurs de l’habillement font des demandes que personne n’a jamais entendues auparavant».

«Le groupe Sharmin, l’une des plus grandes usines de confection d’Ashulia, emploie environ 20 000 travailleurs. Après deux jours consécutifs d’attaques contre les portes de l’usine, celle-ci a été déclarée fermée. Une liste de 20 revendications a été soumise aux autorités de l’usine, la plupart d’entre elles étant nouvelles pour l’industrie.»

Salaires, congé de maternité et nationalisation

Sur d’autres lieux de travail, des listes de 10 à 15 revendications ont été présentées. Ces listes comprennent:

  • des augmentations de salaire de 15 à 20%,
  • des augmentations de salaire pour les heures supplémentaires et les équipes de nuit,
  • des indemnités de déjeuner et de transport,
  • des traitements médicaux,
  • le transport si un travailleur ou une travailleuse est malade,
  • un congé et une rémunération de maternité,
  • un avancement de grade pour les employé⋅es permanents ou permanentes tous les deux ans,
  • des primes et des jours de congé pour l’Aïd el-Fitr
  • la fin du harcèlement et des punitions dans le milieu de travail (y compris le fait d’être inscrit ou inscrite sur une liste noire).

L’un des principaux problèmes à l’origine des grèves est le non-paiement des salaires dans de nombreuses usines. Ces conditions ne sont pas nouvelles. La surexploitation brutale des travailleuses et des travailleurs du Bangladesh existe depuis des années. Elle constitue en fait la base du «miracle économique» du capitalisme bangladais, ayant attiré les multinationales. C’est l’impact de la lutte de masse qui a enhardi les travailleuses, les travailleurs et les masses pauvres à refuser d’accepter ces injustices plus longtemps et à s’engager sur la voie de la lutte militante.

L’augmentation du coût de la vie est à l’origine d’une nouvelle revendication réclamant davantage de travailleurs masculins dans l’industrie de l’habillement. Dans de nombreuses familles, les travailleuses du textile sont les seules à disposer d’un revenu. Cette demande souligne la nécessité de disposer de deux revenus.

Pour protéger les emplois dans une période de fermetures d’usines et de réductions d’effectifs, la revendication de nationalisations a été soulevée. Il s’agit d’une revendication essentielle dans un pays qui compte autant d’entreprises multinationales et de sous-traitants. Elle devrait être liée à la création d’organisations de travailleuses et de travailleurs capables de jeter les bases d’un contrôle de l’industrie par ces derniers et dernières.

Dans certains cas, les entreprises ont fait des promesses qu’elles n’ont pas tenues lorsque le travail a repris. En général, les capitalistes attendent leur moment et menacent les protestataires. Comme le rapporte un média, «Mohammad Hatem, président de l’Association des fabricants et exportateurs de tricots du Bangladesh, a déclaré que certaines revendications étaient “illogiques” […] “S’ils viennent avec de simples revendications, nous pouvons en discuter à la table, mais ils descendent plutôt dans la rue”, a déclaré Hatem, blâmant les “groupes d’intérêt” qui veulent nuire à l’industrie, sans donner d’autres détails.»

L’escalade

Au cours de la semaine dernière, les grèves et les manifestations ont continué de s’intensifier. Les travailleuses et les travailleurs exigent des réponses immédiates à leurs revendications et refusent de reprendre le travail malgré les menaces et les fermetures d’usines. L’expérience d’autres luttes ouvrières et mouvements de masse montre que cela ne peut pas durer indéfiniment – de nouvelles étapes dans la lutte sont nécessaires.

Le mouvement de grève doit être organisé et coordonné démocratiquement. Il n’y a pas seulement un risque d’intervention de la police. Plus grave encore, il n’y a pas d’organisation et de direction adéquates pour la classe ouvrière. Les syndicats ne regroupent que 5% de la main-d’œuvre du pays et sont dans la plupart des cas contrôlés par les deux principaux partis politiques pro-capitalistes (la Ligue Awami de Hasina et le Parti nationaliste du Bangladesh). Ils disent ouvertement qu’ils «n’ont pas les ressources» pour organiser des réunions dans les usines et certains dirigeants syndicaux ont remis en question le mouvement actuel.

L’absence de leaders expérimenté⋅es ainsi que d’une véritable organisation crée un vide qui peut être comblé par d’autres forces et semer la confusion. Par exemple, des politiciens corrompus se battent pour conserver leur influence, notamment sur le marché lucratif du «jhoot», c’est-à-dire la vente de déchets de tissus de vêtements. Il existe également des organisations non gouvernementales (ONG), souvent financées par l’étranger, qui ont la fâcheuse habitude de s’opposer à la «politisation» et de faire dérailler les luttes vers le «compromis».

Le mouvement de masse initié par les manifestations étudiantes contre le système des quotas s’est transformé en peu de temps en une révolte contre le gouvernement autocratique et corrompu, culminant avec la participation de centaines de milliers de personnes à la «Longue Marche vers Dhaka» le 5 août. Face à l’échec de la répression – bien que des centaines de manifestants aient été tués, plus de 20 000 personnes blessés et 11 000 arrêtées – les militaires ont conseillé à Sheikh Hasina de démissionner et les généraux ont mis en place un nouveau gouvernement afin de garder le contrôle de la situation pour le compte de la classe capitaliste.

Le nouveau gouvernement

Le mouvement étudiant a donné lieu à des confrontations physiques avec la police ainsi qu’avec les fiers-à-bras de l’aile étudiante de la Ligue Awami de Hasina. Des manifestations de masse ont incendié des postes de police, protesté devant les domiciles des leaders de l’Awami, défié les couvre-feux et le verrouillage de l’Internet et des systèmes de transport. Ces luttes explosives et l’apparence de victoire, du moins avec la défaite de l’aile la plus ouvertement réactionnaire du système capitaliste, ont clairement inspiré les manifestations actuelles de travailleuses et de travailleurs.

Les manifestations de masse du mouvement étudiant ont également interrompu la production de l’industrie de l’habillement du pays. Elle représente 85% des exportations et se classe au deuxième rang des exportations mondiales de textile, derrière la Chine.

La tâche du nouveau gouvernement est donc de «rétablir le calme» (c’est-à-dire le contrôle), a conclu le International Crisis Group (CPI), un groupe de réflexion de l’establishment capitaliste mondial. «Le gouvernement intérimaire devra rapidement restaurer la confiance dans l’économie et, en particulier, remettre le secteur de l’habillement – qui représente 85% des recettes d’exportation du pays – sur les rails.»

Le conseil donné aux militaires, qui ont organisé le nouveau gouvernement en très peu de temps, est que «sans le soutien des étudiants, le gouvernement intérimaire n’aurait eu qu’une crédibilité limitée et aurait même pu être confronté à de nouvelles manifestations». Le CPI poursuit : «ils ont également besoin d’une certaine expérience, ils ont nommé le prix Nobel de la paix Muhammad Yunus, pionnier du microcrédit et figure chevronnée de la société civile, pour diriger le gouvernement intérimaire». La CPI a également préconisé l’abolition de la règle constitutionnelle prévoyant l’organisation de nouvelles élections dans un délai de 80 jours. En fait, deux semaines seulement après le début de son mandat, Yunus a déclaré qu’il ne serait lié à aucun calendrier électoral et a souligné qu’il devait d’abord mener à bien des «réformes vitales».

Les luttes qui ont mis fin au régime de Hasina ont sans aucun doute donné confiance aux travailleuses et travailleurs. Mais la contradiction fondamentale de la «Révolution de juillet» est qu’en dépit de nombreuses caractéristiques extrêmement progressistes et importantes en termes d’organisation et d’héroïsme, la lutte a abouti – du moins pour l’instant – à l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement souhaité par les capitalistes internationaux et nationaux. Il est là pour maintenir et restaurer l’ordre du système.

Tel qu’exigé par le mouvement, deux leaders étudiants ont rejoint le gouvernement. Ils l’ont fait en tant que ministres des postes, des télécommunications et de l’informatique ainsi que de la jeunesse et des sports. Cela a pour effet de donner au gouvernement une plus grande crédibilité auprès des masses. Parmi les autres ministres figurent un ancien général de brigade et un ancien gouverneur de la Banque du Bangladesh. Yunus dirige lui-même 27 ministères, dont ceux de la défense, de l’éducation, de l’alimentation, du textile et des femmes. Il ne s’agit pas d’un gouvernement de la Révolution de juillet, mais d’un gouvernement d’exploitation capitaliste continue. Le mouvement de masse ne doit pas se faire d’illusions. Elle doit lutter pour un gouvernement révolutionnaire basé sur la classe ouvrière et les masses pauvres.

La lutte de masse au Bangladesh a lancé un avertissement aux capitalistes et aux multinationales du monde entier. Elle est un signe des explosions sociales qui peuvent éclater dans toutes les parties du monde dans cette nouvelle ère de crise. Les racines de la révolte de masse sont communes à de nombreux autres pays:

  • forte inflation et hausse des prix,
  • emplois précaires,
  • longues heures de travail et chômage croissant,
  • gouvernement de plus en plus autoritaire.

L’impérialisme, par l’intermédiaire des multinationales, exploite depuis des décennies une classe ouvrière de plus en plus nombreuse au Bangladesh. Cependant, la forte croissance économique n’a en aucun cas profité aux travailleurs et aux travailleuses qui produisent les richesses. Le changement de gouvernement a donné un sentiment temporaire de liberté, mais n’a pas modifié les conditions fondamentales.

Une étape démocratique?

À l’instar de nombreux mouvements de protestation dans d’autres pays, une question apparemment restreinte – celle des quotas d’emploi – s’est rapidement transformée en un mouvement contre le gouvernement et les forces de l’État. Les revendications initiales contre les quotas ont été plus ou moins mises en œuvre lorsque le tribunal (c’est-à-dire le gouvernement) a reculé à la mi-juillet. Mais à ce moment-là, les revendications étaient dirigées contre la répression massive exercée par le gouvernement et les forces de l’État à l’encontre de manifestations initialement pacifiques. La principale revendication à partir de la fin du mois de juillet a été la démission du gouvernement, la libération des leaders étudiants arrêtés et l’arrestation des officiers de police responsables. Lorsque le gouvernement a proposé des pourparlers, la dynamique était telle que les leaders étudiants ont refusé d’y participer.

Le mouvement a également montré comment les revendications peuvent être mises en œuvre par la base, sans attendre le gouvernement ou les tribunaux. Le mouvement a exigé l’interdiction de la branche étudiante du parti au pouvoir, la Ligue Chhatra, mais il l’avait déjà chassé de nombreux campus, les déclarant Chhatra free. Le mouvement ne s’est pas limité aux universités et aux collèges, mais a également défilé dans les villes et bloqué les autoroutes et les voies ferrées.

Les manifestations du mois de juillet au Bangladesh ont présenté de nombreuses caractéristiques communes avec les révoltes d’autres pays. Elles ont été menées par des jeunes, des étudiants et des étudiantes, avec de nombreuses jeunes femmes en première ligne. Ils ont été rejoints, d’abord par le corps enseignant, puis par des avocats et des avocates ainsi que des couches plus larges de travailleuses et de travailleurs. La répression de l’État est rapidement devenue la question la plus importante, éclipsant les autres.

Ce mouvement a ébranlé la classe dirigeante. Les orientations suivantes ont été données par le mouvement étudiant du 3 août, un ultimatum pour la démission du gouvernement:

  • non-paiement des impôts et des factures de services publics
  • fermeture de toutes les institutions (tribunaux, bureaux)
  • appel à l’arrêt de tout travail dans les ports, les transports collectifs et les usines.

Il a même appelé à l’arrêt des transferts de fonds provenant de l’étranger, une source importante de revenus.

Après la victoire contre le gouvernement, même les forces de police tant détestées se sont mises en grève du 6 au 11 août dans le but d’éviter les représailles et de rejeter l’entière responsabilité de leurs actions sur le gouvernement.

Le mouvement au Bangladesh présente certaines des caractéristiques d’une révolution politique: un mouvement de masse qui chasse un gouvernement autoritaire. Toutefois, comme l’ont montré tant d’autres luttes historiques, il ne peut s’agir que du début d’un processus révolutionnaire.

Lorsque le président Hosni Moubarak a été renversé en Égypte en 2011, l’ISA a souligné la victoire et la force des masses. Mais elle a également mis en garde contre la contre-révolution dans le contexte de l’absence d’une alternative politique révolutionnaire. L’impérialisme et l’establishment militaire, qui constituent au Bangladesh une partie essentielle de la classe capitaliste, prépareront inévitablement une contre-révolution. La question de savoir si cela réussira dépend du degré d’organisation de la classe ouvrière en tant que force la plus révolutionnaire de la société. Cela dépend aussi du fait qu’elle soit armée d’une stratégie de combat et d’une direction socialiste consciente. Au Bangladesh aujourd’hui, cette tâche commence par la reconnaissance du fait que les travailleuses, les travailleurs, les étudiantes et les étudiants ne doivent pas soutenir le gouvernement intérimaire du dirigeant capitaliste Yunus, soutenu par les États-Unis, ni lui accorder leur confiance.

La leçon la plus importante pour les luttes révolutionnaires peut être tirée de la Révolution russe de 1917. La révolution de février a renversé le tsar détesté, créant un espoir massif de changement et de démocratie. Cet état d’esprit a même touché les leaders bolcheviks, dont Staline, qui a d’abord apporté un soutien «critique» au nouveau gouvernement provisoire. Aujourd’hui encore, les staliniens prônent une théorie étapiste, qui commencerait par une soi-disant «étape démocratique» préalable à une prétendue lutte pour le socialisme par la suite. Lénine, cependant, a souligné les limites de la révolution de février et la nécessité pour la classe ouvrière de construire son propre parti révolutionnaire et de prendre le pouvoir par l’intermédiaire de ses propres comités, les soviets, afin d’obtenir la paix, la terre et le pain. Le gouvernement provisoire, fondé sur le capitalisme et l’État tsariste, ne changerait pas fondamentalement la société et deviendrait plutôt, comme l’a prévenu Lénine, le «centre d’organisation» de la contre-révolution.

Aujourd’hui au Bangladesh, les travailleuses et les travailleurs devraient exiger la création d’une véritable assemblée constituante du peuple pour remplacer le Parlement national (la Chambre des nations), corrompue et dominée par l’élite. Une telle assemblée devrait avoir le pouvoir de prendre le contrôle des plus grandes entreprises dans le cadre d’une propriété publique démocratique ainsi que de mettre en œuvre des réformes sociales de grande envergure telles:

  • l’augmentation des salaires et des pensions,
  • la protection des emplois et des soins de santé.

Cela ne peut être gagné que si la classe ouvrière, soutenue par les étudiants, les étudiantes et les autres secteurs de la population, s’organise pour forcer la convocation d’un nouveau pouvoir de la base, à travers la création de comités d’usine de travailleurs et de travailleuses, de véritables syndicats de masse et d’un parti politique de la classe ouvrière.

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