Enfant minuscule devant une valise gigantesque

L’éducation à la merci du profit dans la couronne nord de Montréal

Des coûts de services de garde qui doublent, des décisions faites en catimini et des communautés sans aucun pouvoir sur leurs écoles: telle est la trinité à laquelle sont confrontés les 40 000 parents d’élèves du Centre de services scolaire des Mille-Îles (CSSMI). D’autres commissions scolaires risquent aussi de balancer leur budget sur le dos des parents. Organisons-nous dès maintenant pour les arrêter!

En décembre dernier, le CSSMI a annoncé une augmentation délirante des frais de supervision des élèves durant le dîner avec l’adoption de la Politique organisationnelle des services de garde (SEJ-18). L’augmentation de plus de 100% fera passer la facture de 460$ à plus de 1 000$ pour une famille de deux enfants. Pour ajouter l’insulte à l’injure, le Conseil d’administration (CA) du CSSMI a aussi pris l’initiative d’abolir le forfait familial.

Pour une famille de quatre enfants, c’est un poids financier additionnel de plus de 2 000$ que les parents sont forcés d’assumer. Cette augmentation vient s’ajouter à une longue liste de dépenses grandissantes déjà imposées aux parents pour que leurs enfants puissent bénéficier de l’éducation de base proposée par le système public. Que ce soit pour les fournitures scolaires, les activités parascolaires, ou le transport, l’école publique est de moins en moins gratuite.

Cette charge financière croissante pour les jeunes parents survient dans un contexte d’inflation jamais vue depuis 1983. Comment peut-on justifier une telle hausse des services du système d’éducation public?

Sous le couvert de leur mandat

Les membres des CA des centres de services scolaires (anciennement Commissions scolaires) sont chargés d’appliquer les mesures d’austérité du gouvernement, aussi appelées mesures de «saine» gestion. Faisant preuve d’une cruelle créativité, le CSSMI a décidé de plonger la main dans le porte-monnaie des familles. Pour ce faire, il a simplement transféré les activités de surveillance du dîner au service de garde. En changeant ainsi la nature du service, le CSSMI a contourné le soi-disant bouclier anti-inflation de Legault.

Le problème est que le service de garde est un service beaucoup plus complexe et cher que le simple service de surveillance. Les ramifications d’une telle mesure commencent tout juste à être mises au jour.

Réduction déguisée des heures de service

Le temps de service de garde est limité. Dorénavant, le temps de surveillance du dîner sera compté dans les cinq heures de service de garde régulier. Ainsi, le service de garde ferme désormais à 17h plutôt qu’à 18h. Cela pénalise les familles dont les parents travaillent au-delà de 17h. Est-ce que le CSSMI demandera aux patrons de ces parents de leur permettre de terminer le travail à 16h?

Ratio éducatrice/élève

Avec le service de surveillance du dîner d’avant, le ratio adulte/enfant pouvait être de 45.  Avec la nouvelle politique, les écoles devront le faire passer à un adulte pour 20 enfants. Bien que les membres du CA du CSSMI prétendent que cette mesure est motivée par une volonté d’implanter une meilleure supervision éducative, il s’agit plutôt d’une nécessité visant à se conformer au Règlement sur les services de garde en milieu scolaire. Ce dernier stipule que le nombre d’élèves par membre du personnel ne doit pas dépasser 20.

En assemblée du CSSMI en février, certains parents ont souligné que la supervision accrue d’éducatrices et d’éducateurs, bien que bénéfique, est superflue à l’heure du dîner qui est un moment de jeu libre et de socialisation spontanée entre enfants.

Les surveillantes et surveillants du dîner, souvent des parents ou des personnes retraitées sans formation particulière, devront être remplacés par des éducatrices et des éducateurs à la petite enfance qualifiés. Les Centres de la petite enfance du Québec ont déjà recours quotidiennement aux services d’agences de placement pour pallier leur manque de personnel. Uniquement pour les 16 municipalités desservies par la CSSMI (d’Oka à Terrebonne), on estime que 300 éducatrices et éducateurs qui devront être embauchés pour couvrir les nouveaux besoins créés par CSSMI. Le recours aux agences de placement privées sera inévitable. Non seulement le CSSMI coupe l’offre de service de garde d’une heure le soir, mais il utilise cette réforme pour faire passer de l’argent public dans les poches du privé.

Négligence et bris de service

Si les écoles ne parviennent pas à pourvoir tous les postes nécessaires, ce qui est fort probable, les parents feront face à une inévitable rupture de service. La direction sera contrainte de sélectionner les enfants en fonction de leur âge et de leur proximité, et de les renvoyer à la maison.

Dès l’âge de neuf ans, les enfants pourront être envoyés manger seuls chez eux. Les parents ne seront pas remboursés pour les services non rendus. Le service de dépannage, qui permettait à un enfant de rester sporadiquement à l’école, sera totalement supprimé. Sur la suggestion des membres du CA, les parents pourront débourser 50$ de plus pour que leurs enfants participent à la formation Prêts à rester seuls!, offerte par la Croix-Rouge.

Or, le Conseil canadien de la sécurité recommande de ne pas laisser un enfant de moins de 10 ans seul ni un enfant de moins de 12 ans en surveiller un autre. Cette nouvelle situation ouvrira la porte à une offre de service de garde privé, hors du réseau scolaire, et à fort prix.

Le CSSMI peut bien vanter les mérites d’un encadrement pédagogique plus strict pendant l’heure du dîner, s’il a les moyens d’embaucher le personnel requis. Mais quel avantage y a-t-il à avoir des éducatrices et des éducateurs formés et un ratio adulte/enfant réduit si un enfant se retrouve à devoir manger seul, sans ami·e·s, dans une maison vide? La logique du CSSMI est gravement déficiente.

Le CA opère dans l’ombre

Plusieurs parents actifs au sein des conseils d’établissement ont fait face à de nombreuses zones d’ombre lors des séances des CA ayant mené à l’adoption de la Politique organisationnelle des services de garde (SEJ-18).

De janvier à mars, le CSSMI a tout fait pour éviter de répondre aux questions des parents, distribuant au compte-goutte les documents nécessaires à une pleine compréhension des enjeux et réclamés par les parents. Il a fallu qu’un parent intervienne personnellement auprès du service de garde pour obtenir la feuille des coûts. À chaque conseil, de nouvelles dispositions de la loi étaient intégrées au projet sans explication. Les parents, chaque fois pris au dépourvu et critiquant les mesures, se sont rendu compte qu’ils étaient en fait hors du processus décisionnel.

Les parents ont exprimé à plusieurs reprises leurs inquiétudes et protestations face aux nouvelles politiques déconnectées de la réalité du terrain. En refusant de présenter une vision globale, un plan de recrutement et une estimation des coûts réels, le CSSMI a failli à son devoir de transparence envers les parents. Cependant, sans vrai pouvoir démocratique, les parents n’auraient pu stopper le processus même si ces informations avaient été disponibles.

Ce n’est pas un problème isolé

Le modèle hermétique des CA à la tête des centres de service scolaire n’est pas défaillant. Il fonctionne exactement comme prévu. Sans la contrainte d’une commission scolaire élue, la CAQ savait qu’elle aurait le champ libre pour accélérer le processus de privatisation de nos services publics. Les banquiers et gens d’affaires qui peuplent la CAQ représentent les intérêts d’une classe sociale, mais pas la nôtre.

Ce pour quoi les parents doivent se battre

Pour éviter le pire, un gel immédiat des frais de services de garde est nécessaire. L’annulation de la politique SEJ-18 l’est tout autant. Des parents et des syndicats du personnel scolaire s’organisent déjà pour commencer cette bataille.

Mais cela ne sera pas suffisant pour contrer l’offensive économique de la CAQ contre notre classe. Donnez-leur quelques mois de plus, et les gestionnaires auront tôt fait de trouver les chiffres qui appuient leur politique d’abolition de la surveillance du dîner. Il faut aller plus loin et prendre le contrôle démocratique de nos institutions scolaires. Les Commissions scolaires n’étaient pas parfaites, mais au moins elles étaient redevables. Voilà pourquoi il est essentiel que les gens qui ont le plus à cœur une gestion humaine et durable de nos écoles soient en première ligne des décisions; les parents, tout le personnel scolaire et leurs syndicats.

Notre système d’éducation est la pierre angulaire de notre société. Pour donner à ce système les ressources nécessaires, il faudra lutter pour établir une taxation scolaire progressive afin que les ultra-riches redonnent ce qui nous appartient collectivement. Parents, employé·es et syndicats doivent s’unir pour protéger notre système d’éducation contre la volonté d’une poignée de gestionnaires. Osons offrir à nos enfants le meilleur de ce qu’un système public accessible, de qualité et réellement gratuit peut offrir – une lutte à la fois.

Comment en sommes-nous arrivés là?

2018: Sous prétexte de «remettre de l’argent dans les poches des Québécois et Québécoises», le gouvernement Legault impose un taux unique de taxation scolaire. Ce dernier bénéficie aux plus nantis, privant ainsi le système d’éducation de 800 millions $ par année.

2020: Les Commissions scolaires, instances démocratiquement élues, sont remplacées par des Centres de services scolaires dirigés par un Conseil d’administration.

2023: Le 1er janvier marque l’entrée en vigueur du bouclier anti-inflation mis en place par le gouvernement du Québec. Cette loi limite à 3% l’indexation annuelle de plusieurs tarifs gouvernementaux, et prévoit inclure ceux des services de garde. Le CSSMI change la fonction même du service de surveillance du dîner pour contourner cette loi.


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