Les Cowboys Fringants : mon éveil politique

Les Cowboys Fringants en spectacle. Photo: Martin Chamberland

Le décès du chanteur des Cowboys Fringants, Karl Tremblay, résonne partout. Sur la glace du Centre Bell, à l’Assemblée nationale, dans les radios étudiantes et partout dans la francophonie. Sa voix est non seulement celle de toute une génération, mais celle de la réalité des travailleurs et travailleuses. 

Des hommages fusent dans les radios commerciales, les CPE, les écoles et sur les réseaux sociaux. Des milliers de personnes – des grands-parents, des petits-enfants et des personnes entre les deux – se sont retrouvées dans plus d’une vingtaine de villes québécoises pour des veillées aux chandelles à la mémoire du cowboy fringant.

À voir les réactions de toute part, c’est un peu comme si Karl avait pris une paire de cutters et qu’il avait brisé le cordon de nos cœurs.

Son départ a l’effet d’une brèche: une craque par laquelle apparaissent nos histoires de vie, individuelles et collectives. On y voit ce qui nous habite: des amitiés naissantes, des rassemblements, des amours, des manifestations. Parce que la voix de Karl Tremblay, qu’on l’aime ou pas, est en filigrane de nos joies et de nos souffrances depuis 25 ans.

Semeurs de mon militantisme

Je n’ai pas échappé à cette vague de nostalgie. Depuis mercredi soir, je suis replongée dans mes 15 ans. Alors que ce groupe semait en moi une graine de militante.

On est en 2002. Quelque part entre le Sommet des Amériques à Québec, l’attentat du 11 septembre 2001 et le début de la guerre en Irak.

Dans mon quartier de banlieue, je me sens impuissante. J’ai envie de comprendre ce qui se passe, envie de me révolter et aussi, j’ai envie de rire, de rêver et d’aimer. Quand ma sœur me prête son exemplaire de Break syndical, elle sait qu’il tombe à point. Déjà, la pochette cartonnée, je trouve ça révolutionnaire!

Comblée, je ris aux larmes avec Goldie et Willie Jos Hachey. Je danse follement sur le reel des aristocrates et je rêve qu’un jour, moi aussi je sois invitée à m’coller ent’sour des couvertes. Mais surtout, je m’enrage quand je comprends que pour le gars de la compagnie, l’argent pousse dans les arbres. Au propre comme au figuré. Je commence alors à comprendre le monde dans lequel je me trouve. Et à ce moment-là, Bernard Landry et Jean Charest font semblant, autant l’un que l’autre, de s’en faire pour les pauvres gens. Mais on le sait qu’ils sont au service des fortunés et de leur business.

Ma prise de conscience sociale, mondiale, environnementale prend un sens dans la communauté de fans. Entre les shows, on se retrouve sur le tchat des Cowboys ou sur le Forum de leur site. On échange, on se donne rendez-vous pour les prochains shows. On réfléchit à l’indépendance du Québec. Les plus crinqué⋅es d’entre nous s’inventent des quiz musicaux.

Les Cowboys chantent pour toute une génération, pour le monde ordinaire, et je fais partie de cette force-là.

Je traverse mon secondaire et tente d’en faire autant avec mon cégep en continuant de m’accrocher à leurs chansons et à crier mon indignation. La peur qu’il ne reste Plus rien se met à me hanter. Qu’est-ce qu’on peut faire pour éviter cette catastrophe? Qu’est-ce qu’on peut faire pour que les enfants du tiers monde arrêtent de mourir parce qu’ils n’ont pas accès à l’eau? Comment faire pour sortir de notre statut de colon anglicisé ? Comment on va d’l’avant, nos gens?!

Des réponses dans la lutte

Durant le printemps 2012, le mouvement étudiant déborde d’énergie et de créativité. On a besoin de chanter notre indignation, notre frustration, de canaliser notre colère et notre force de frappe. Au fond de moi, j’attends un nouvel album des Cowboys. «Y vont nous motiver!» Silence radio.

C’est alors dans l’expérience de la lutte que certaines de mes questions sont répondues. Le mouvement étudiant, avec la présence de la classe des travailleurs et des travailleuses dans les rues, met assez de pression, tous les jours et tous les soirs, pour contraindre le gouvernement libéral à déclencher des élections. Alors que de tous bords tous côtés on nous scande le mot «changement», le reste des paroles d’En attendant me reviennent: c’est sûrement que du vent. C’pas la première fois qu’on nous pogne, le programme d’un gouvernement c’comme une promesse d’ivrogne.

Alors on vote pour qui? Les leaders de la FECQ et de la FEUQ se présentent pour le Parti québécois et la CLASSE scande: «Nos rêves sont plus grands que les urnes.» Je n’ai pas envie de m’abstenir – encore moins après la lutte qu’on mène depuis des mois! Je refuse de voter pour un parti qui défend davantage le Québec Inc. que les étudiants et les étudiantes. Québec solidaire est alors le seul parti qui a la gratuité scolaire dans son programme. Mais on dirait que ça passe dans le beurre.

Face à l’absence d’alternative claire, je suis revenue sur les bancs d’école en septembre 2012, bredouille. Frustrée qu’on ait élu un parti aux airs progressistes, mais à l’historique tout aussi néolibéral. Démolie qu’on ait tenté d’assassiner celle qui allait être la première Première ministre.

En refusant que mon indignation ne serve que mes rêves, j’ai cherché à la transposer dans un projet concret, constructif.

Comme le chante Karl Tremblay, j’ai aussi envie de crier :

Non à l’exploitation!
Non au néolibéralisme!
Non à l’impérialisme!
Non aux privatisations!

Contrairement à ce qu’il y a d’écrit dans Lettre à Lévesque, dire non à tout ça, c’est dire non au système capitaliste. Parce que l’impérialisme et la mondialisation permettent l’exploitation – nécessaire à l’augmentation du profit. Parce que les privatisations sont le moyen le plus efficace pour les capitalistes de s’enrichir à même notre travail et nos ressources.

La société de consommation que dépeignent les Cowboys Fringants est non viable. Elle ne peut pas rimer, comme espérée dans Lettre à Lévesque, avec écologie, justice et économie.

Nos luttes, en hommage à Karl Tremblay

En 2015, je rejoins Alternative socialiste parce que je refuse d’attendre le vrai changement. Je veux y participer activement! Je veux dire oui à un projet concret. Celui d’une société qui prend en compte les besoins et les capacités de la planète et des personnes qui y habitent.

Les Cowboys nous ont accompagnés – et continueront de le faire – dans nos étapes de vie, nos premiers et nombreux amours, nos amitiés, nos fins de session et nos doutes. Ils ont raconté la misère des travailleurs et des travailleuses, la réalité de la crise du logement et la déchéance du capitalisme. Leurs paroles et leur force rassembleuse peuvent nous aider à aller plus loin dans nos luttes. À l’aube des journées de grève des employé⋅es des services publics, ravivons cette énergie festive et combative!

Non aux appartements frettes en hiver!
Pour des logements publics, réellement abordables, sécuritaires et écoénergétiques!
Exproprions les immeubles et les terrains des grands propriétaires! 

Non à l’exploitation de nos forêts pour leur profit!
Pour la nationalisation démocratique des secteurs clés de l’économie!
Pour l’autodétermination des peuples et des nations!
Pour une république du Québec indépendante et socialiste!

Non aux poches vides à l’approche de l’hiver!
Pour l’indexation automatique des salaires à coût de la vie!
Pour un salaire minimum de 20$/h!

Pour en finir avec le calvaire pour Loulou Lapierre!
Pour des investissements massifs dans les services sociaux et les soins de santé!
Pour une semaine de travail de 32h, sans diminution de salaire!

Pour que les rêves de Ti-cul se réalisent!
Pour la gratuité scolaire, du CPE à l’université!

La CAQ et tous les bouffons qui nous gouvernent doivent partir!
Pour la construction d’un parti qui défend les intérêts de la classe des travailleurs et travailleuses!

 

 

 


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