Le Front commun intersyndical et Québec ont conclu une entente de principe le 28 décembre dernier. Elle sera soumise au vote des travailleuses et travailleurs concernés durant les prochaines semaines. Mais cette entente est-elle à la hauteur des sacrifices réalisés jusqu’à maintenant? Si le but était de rétablir notre pouvoir d’achat, la réponse est non.
À l’origine, la revendication salariale défendue par les 420 000 travailleuses et travailleurs représentés par le Front commun avait deux volets: une hausse de 9% sur trois ans (un rattrapage) couplée à une hausse annuelle calculée grâce à un mécanisme permanent de protection contre l’inflation (+100$/semaine ou l’indice de l’IPC1). Avec une inflation prévue à environ 3% pour les prochaines années, on parle d’une revendication de hausse totale d’environ 18% sur trois ans.
La proposition d’entente salariale actuelle ne garantit que 12,4% pour les trois premières années. La proposition s’établit à 17,4% sur cinq ans, accompagnée d’une clause de protection du pouvoir d’achat pouvant aller jusqu’à 1% pour les trois dernières années de la convention collective. Au total, la hausse ira jusqu’à 20,4% sur cinq.
Les travailleuses et travailleurs du secteur public s’étaient préparés à gagner plus qu’un appauvrissement, soit-il plus lent qu’avant. Est-ce que leurs attentes initiales étaient trop élevées?
Une offre qui ne couvre pas l’inflation
Plusieurs ont signalé à juste titre qu’il s’agit de la meilleure proposition d’entente dans le secteur public depuis des décennies. Or, si on veut comparer ces offres, encore faut-il comparer les contextes. Nous sommes au milieu de la pire crise du capitalisme depuis 100 ans. Les dettes, le prix de l’habitation, de l’essence ou de l’épicerie explosent, alors que des guerres et des catastrophes climatiques sans précédent alimentent l’inflation.
Avec l’inflation des trois dernières années (+12,2%), les employé⋅es du secteur public québécois ont vu leur pouvoir d’achat reculer à l’issue des négociations 2020-2023. Les bas-salarié⋅es ont eu des augmentations salariales de 10,4% sur la même période, tandis que celles de la vaste majorité des employé⋅es ont été négociées à environ 7%.
Les employé⋅es du secteur public ont donc commencé ces négociations avec un manque à gagner, en plus d’avoir besoin de rattraper l’inflation de 3,6% en 2023. Oui, 6% pour 2023 peut sembler important. Mais il l’est bien moins quand on réalise que pour plusieurs, l’inflation l’a déjà mangé! Une entente vraiment exceptionnelle devrait rattraper l’inflation des dernières années pour tout le monde. La revendication originelle de +100$/semaine ou d’ajustement à l’IPC l’aurait fait!
Une lente amélioration qui cache une détérioration
Selon l’Institut de la statistique du Québec, les employé⋅es de l’administration québécoise ont connu une lente amélioration de leur rémunération globale (salaire et avantages sociaux) de 10,1% depuis 40 ans. Elle affiche néanmoins un retard de 7,4% par rapport à l’ensemble des autres salarié⋅es du Québec.
Cet appauvrissement relatif témoigne de décennies d’attaques néolibérales péquistes, libérales puis caquistes dans l’organisation du travail des services publics. En plus de travailler à faire baisser les salaires, les néolibéraux ont saboté les services publics en réduisant l’accès, en abolissant des dizaines de milliers de postes, en intensifiant le travail, en sous-traitant et en privatisant.
Lors de la crise capitaliste des années 80, le gouvernement péquiste de René Lévesque a eu recours à l’austérité au Québec pour défendre les profits des entreprises. Les directions syndicales ont commencé à plier devant les injonctions et les lois spéciales décrétant les conditions de travail.
Le manque de stratégie et de vision politique les a poussées à signer des ententes coûte que coûte, même aux dépens de leurs membres. Cette approche, selon laquelle on apaise l’agresseur au lieu de le confronter, a enfermé le mouvement syndical dans un tourbillon de défaites qui se fait encore sentir aujourd’hui. Les directions syndicales ont ainsi délaissé la stratégie de construction d’un rapport de force économique basé sur la grève et l’action directe.
Mais dans un contexte d’impunité, avec des profits records pour les épiciers et des augmentations de 30% pour les député⋅es, les employé⋅es du secteur public réalisent la nécessité de recourir à la grève pour obtenir gain de cause. Les directions syndicales n’ont pu l’ignorer et doivent maintenant s’ajuster.
La grève a fait bouger Québec
Ce n’est pas un hasard si l’entente du 28 décembre est la meilleure depuis des décennies. Les 568 000 travailleuses et travailleurs du secteur public ont sacrifié plus de 2 millions de jours de grève durant le mois de novembre dernier.
La grève d’un mois du corps enseignant de la FAE a été déterminante pour établir un rapport de force avec Québec. Le sacrifice de ses membres a résonné dans la population et les médias. Selon un sondage de la FAE, la grande majorité des Québécois et Québécoises sont d’accord pour hausser le salaire des enseignantes et enseignants. Des réseaux d’entraide et plusieurs syndicats du privé ont offert un soutien financier et alimentaire à ces grévistes avant l’arrivée des Fêtes. Cette solidarité a miné la capacité de la CAQ a user de répression policière ou légale.
Jusqu’ici, le conflit de travail a été ponctué par trois vagues de grèves massives ainsi qu’une GGI enseignante. C’est du jamais vu en 50 ans en termes de personnes mobilisées et de jours de grève!
Un rapport de force qui a toujours son potentiel
À l’automne, les votes de grève allant jusqu’à la GGI ont frôlé l’unanimité. Les travailleurs et travailleuses du Front commun peuvent toujours jouer cette carte ultime pour avoir satisfaction.
La semaine dernière, les délégations syndicales intermédiaires de la CSN, de la CSQ, de la FTQ et de l’APTS ont fortement endossé l’entente conclue entre la direction du Front commun et Québec. Les négociations ne sont pas terminées pour autant! L’entente sera soumise au vote des membres durant les prochaines semaines.
Avec de l’enthousiasme et les bons arguments, il est possible de redémarrer la machine et de poursuivre la lancée de décembre. Même si le niveau de motivation est plus bas en ce moment.
Des éléments des ententes sectorielles sur les conditions de travail précises (primes, vacances, équité salariale) ont peut-être fait pencher la balance dans certaines délégations. Elles devront toutefois justifier devant leurs membres les raisons pour lesquelles elles recommandent l’entente.
Les négociations, une lutte politique contre la CAQ!
Ce conflit de travail – le plus large de l’histoire du Québec – ne revêt pas qu’une dimension économique. Ces négociations ont aussi une importance politique. Le gouvernement a adopté sous bâillon une réforme d’hypercentralisation du secteur de la santé (l’agence Santé Québec du PL15) le 9 décembre. Les demandes répétées du gouvernement concernant la «flexibilité» des horaires et des déplacements vont dans ce sens.
Une fenêtre d’opportunités de lutte contre cette réforme risque de se refermer avec la conclusion des ententes. De plus, si une entente de principe est acceptée par les membres du Front commun et de la FAE, les membres infirmières de la FIQ se retrouveront isolées. La pression sera extrême pour que leur syndicat signe une entente au plus vite.
En revanche, politiser les négociations et rétablir un rapport de force peut faire vaciller le gouvernement au moment où il est au plus bas dans les sondages. Une nouvelle mobilisation peut freiner son agenda d’attaques et sonner la classe capitaliste pour un moment.
Dans tous les cas, la bataille ne fait que commencer. La CAQ va tenter d’appliquer ses politiques de «flexibilité» après les négociations à travers sa nouvelle réforme. Les syndiqué⋅es du secteur public devront se remettre en action rapidement. Sauf que le recours à la grève sera illégal.
Dans l’immédiat, seule la détermination des employé⋅es du secteur public peut faire plier le gouvernement Legault. Le meilleur moyen d’y arriver est d’appliquer la menace du 20 décembre dernier, soit organiser la plus grande GGI intersyndicale de l’histoire du Québec!
Discuter pour rebâtir le rapport de force
Beaucoup de personnes seront tentées d’accepter l’entente après être déjà retournées au travail. La tenue rapide d’assemblées générales locales et l’organisation d’espaces démocratiques pour discuter du vote à venir sont cruciales pour exposer ouvertement les arguments pour et contre l’entente.
Favoriser les échanges et améliorer la circulation de l’information doit être une priorité syndicale pour harmoniser le niveau de compréhension des membres.
Se réapproprier la mobilisation
Aucun syndiqué n’a décidé du déclenchement, de la durée, du rythme ou de la fin de la grève. Mais les actions locales menées jusqu’ici montrent la voie à suivre. Plusieurs comités et assemblées de grève interprofessionnels et intersyndicaux ont discuté et organisé des actions de grève. Cette démocratie de la base serait renforcée par de nouveaux liens militants dans les communautés.
Avec des assemblées syndicales locales, on peut collectivement décider d’aller au-delà des actions symboliques et de frapper le gouvernement là où ça fait mal, en perturbant les secteurs économiques lucratifs par exemple. Des membres de la FAE ont montré l’exemple en bloquant l’entrée des ports de Montréal et Québec ainsi que de casinos pendant quelques heures.
Rester solidaires
Avec des assemblées intersyndicales locales, on peut tisser les liens nécessaires pour rapprocher les syndicats les uns les autres.
Si l’entente de principe est rejetée par les membres, il sera indispensable de coordonner le prochain mouvement de grève entre les secteurs, les professions et les syndicats. Cela nous offre la possibilité de mettre le gouvernement en échec. Mais un gouvernement qui vacille fera tout pour stopper un tel mouvement gréviste.
Il sera alors tout aussi important de créer des comités régionaux de mobilisation regroupant les syndicats, les associations étudiantes, les gens de la communauté et les gens mobilisés pour Gaza (par exemple). La participation active d’autres mouvements en lutte peut faire toute la différence. En 1982, par exemple, les étudiants et étudiantes du cégep du Vieux Montréal ont tenu les piquets de grève des syndiqué⋅es suite aux décrets du gouvernement Lévesque. Cette solidarité est nécessaire pour élargir la lutte au-delà de la perspective économique propre à l’action syndicale
Se préparer pour gagner
Vouloir gagner, c’est se préparer à contourner la loi ainsi qu’à défier les injonctions et les lois spéciales du gouvernement. Cette attitude sans concession a permis au mouvement syndical de réaliser les gains – encore insurpassés – des Front commun de 1972, 1976 et 1979.
Le gouvernement refuse d’améliorer le sort des travailleuses et travailleurs du secteur public parce que son rôle est de rediriger le fruit de leur travail dans les poches des multinationales. Faisons de cette grève un tremplin pour se débarrasser de la CAQ! Débarrassons-nous de son système de copinage et allons chercher, dans les poches de ses amis ultrariches, les milliards dont on a besoin pour financer les services publics!
1. Le taux d’inflation est calculé à l’aide de l’indice des prix à la consommation (IPC)