Depuis le 27 octobre, les mécaniciens de Tesla à Stockholm maintiennent la grève malgré le froid et la neige. Cela entraînera la participation solidaire d’au moins neuf autres syndicats impliqués dans la fabrication de la majorité des voitures électriques en Suède.
La classe ouvrière mondiale tannée d’être exploitée
Les dernières années sont rudes pour les travailleurs et travailleuses du monde entier. La période inflationniste est toujours en cours avec la hausse des prix dans le secteur de l’alimentation et de l’énergie. La crise du logement s’accentue avec l’explosion des loyers. Le marché immobilier est pratiquement inaccessible à la jeune génération. Non pas seulement à cause de la hausse des prix, mais aussi à cause de la hausse des taux d’intérêt des prêts hypothécaires, résultats des politiques anti-inflationnistes des banques centrales des différents pays.
Tout cela est exacerbé par les conflits mondiaux et la polarisation qui caractérise la nouvelle guerre froide entre les impérialistes occidentaux et ses rivaux russes, chinois et iraniens. Dans ce contexte, chaque fois que des renouvellements de conventions collectives font surface, que de nouvelles négociations se tiennent, tant au privé qu’au public, les travailleurs et travailleuses exigent de plus en plus d’être payé·es décemment. La décence au niveau des salaires, ça veut dire minimalement une augmentation proportionnelle au coût de la vie.
Le modèle social suédois
En Suède, les ententes sur les conditions de travail entre les compagnies et les employé·es sont centrales pour l’établissement de salaires décents. Comme il n’y a pas de loi sur le salaire minimum au pays, c’est dans ces ententes que les salaires sont établis pour chaque secteur d’emploi. En 2019, avec un taux de syndicalisation de 65,2%, la Suède se classait comme le 3e pays le plus syndicalisé au monde derrière le Danemark (67%) et l’Islande (90,7%).
Aujourd’hui, environ 90% des travailleuses et travailleurs de Suède ont une sécurité d’emploi assurée par une convention collective. Ce modèle social existe depuis 1938. Cette situation établit un certain rapport de force en faveur des travailleurs et travailleuses. Les relations de travail découlant des règlements relativement cléments entre la partie patronale et les employé·es engendrent rarement des grèves.
Tesla monte sur ses grands chevaux-vapeur
Le dernier grand conflit de travail en Suède remonte en 1995 avec Toys “R” Us. La multinationale a fini par plier après une grève de trois mois. À cette époque, le conflit de travail a entraîné une grève de solidarité de plusieurs travailleurs et travailleuses non affecté·es.
Presque 30 ans plus tard, le conflit de travail chez Tesla concerne les mécanos de garage qui ont demandé de signer la nouvelle convention collective. Mais Elon Musk, grand patron de Tesla, ne veut établir aucun accord avec les travailleurs et travailleuses. Il veut garder la mainmise sur les conditions de travail, sans aucune restriction.
C’est d’ailleurs le modus operandi anti-syndical qu’il entretient partout dans le monde. Ce que Musk n’a pas pas envisagé, c’est l’opposition massive de la classe ouvrière suédoise, qui soutient fortement leur modèle social et les syndicats dans leur pays.
Contre-offensive scandinave
Ce qui a commencé par un conflit entre les 120 mécanos et la multinationale s’est transformé en un mouvement de solidarité de plusieurs centaines de travailleurs et travailleuses, directement ou indirectement relié·es à Tesla. Avec l’appui de leur syndicat IF Metall, les 500 mécanos de la compagnie ont rejoint le mouvement, ainsi que les électriciens et électriciennes qui s’occupent des bornes de recharge, les peintres pour les voitures et les concierges des salles d’exposition des voitures qui ne nettoient plus les lieux.
S’ajoutent à ça les débardeurs qui ont arrêté de décharger les voitures Tesla aux différents ports du pays, les éboueurs qui ne ramassent plus les poubelles devant les centres Tesla, les taxis de Stockhom qui n’achètent plus la marque Tesla pour renflouer leur flotte et même le syndicat des musiciens ont arrêté en partie la diffusion sur les systèmes médias des voitures Tesla!
Même la poste suédoise y a mis du sien en ne livrant plus les plaques d’immatriculation, bloquant ainsi la mise en route de nouvelles voitures. C’est probablement une des actions qui a mis le plus en rogne le grand boss Elon Musk. Il a intenté une requête en justice pour forcer les travailleurs et travailleuses de la poste à livrer leurs plaques. Sa demande de poursuite a été rejetée au début du mois de décembre par le tribunal suédois, réduisant la vente de voitures au neutre.
Tesla a donc envisagé de contourner la livraison de ses voitures en les acheminant par le Danemark et la Norvège. Loin de réussir son coup, les dockers des deux pays ont aussi rejoint le mouvement de solidarité en bloquant le transit. Le mouvement de solidarité a donc explosé au-delà des frontières de la Suède.
3F, le plus gros syndicat danois, a décrété la grève de solidarité au début du mois de décembre. Le plus gros syndicat du secteur privé en Norvège a emboîté le pas le jour suivant. Même les dockers de la Finlande ont rejoint le mouvement.
La Norvège et le Danemark ont un modèle social similaire à la Suède. Les travailleurs et travailleuses ne veulent pas abandonner leurs acquis et leur rapport de force actuel. Ces personnes sont conscientes que la moindre défaite aux mains de la multinationale pourrait ouvrir une boîte de Pandore. Cela donnerait libre cours à une série d’attaques d’autres compagnies qui n’attendent que le bon moment pour détruire les acquis du mouvement ouvrier.
Les contradictions du capitalisme jouent contre Tesla
Tesla n’a pas seulement déclenché l’ire de la classe ouvrière et les syndicats des pays scandinaves. Les actionnaires ont aussi réagi. Le conflit a des répercussions sur leur portefeuille et ils sont maintenant en mode panique. Les fonds de pension des travailleuses et travailleurs des trois pays concernés sont de gros actionnaires de Tesla, détenant plusieurs centaines de millions d’euros d’actions. On pense notamment à Folksam en Suède et PensionDanmark au Danemark qui menacent même de vendre leurs parts.
N’oublions surtout pas la banque norvégienne Norge Bank, dont deux divisions occupent la 6e et 7e place comme actionnaires de Tesla avec une participation totale autour de 13,5 milliards d’euros. Coup de théâtre, ce sont maintenant les actionnaires qui urgent Elon Musk à négocier et à accepter des ententes avant de faire dévaloriser leur investissement.
C’est pour être conséquent avec l’image d’un capitalisme «vert» que Tesla a fait rapatrier en Europe (notamment son usine en Allemagne) et aux États-Unis une partie de la production qui était dans des pays comme la Chine, d’où elle a longtemps profité – et profite encore – de leur main-d’œuvre bon marché.
Cependant, une autre contradiction pète au visage de Musk. Il pensait bien pouvoir maintenir son même modèle d’exploitation en se targuant d’être un bienfaiteur pour l’environnement. Il est maintenant confronté à des pays dont les acquis sociaux sont bien plus avancés et qui n’ont pas envie de plier aussi facilement face au géant de la voiture électrique.
Les répercussions possibles pour la classe ouvrière dans le monde
L’image de Tesla en prend un coup. Ce conflit va possiblement se transposer hors des pays scandinaves. La compagnie Gigafactory à Grünheide en Allemagne, construite en 2021 près de l’aéroport de Brandenburg à Berlin, est le premier site de production en Europe. Les employé⋅es pourraient s’inspirer du conflit suédois pour améliorer leurs conditions de travail lors de leur prochaine entente.
Les travailleurs et travailleuses de ce site ont déjà réussi à avoir une hausse de salaire de 4% avec la pression des syndicats allemands. D’ailleurs, le syndicat IG Metall, syndicat affilié à IF Metall en Suède, tente de syndiquer l’usine.
Que dire des États-Unis, qui pourraient emboîter le pas? Depuis 2021, l’industrie automobile a engrangé des profits faramineux. Il y a eu une offensive syndicale dans l’industrie automobile en 2023 avec la grève de United Auto Workers (UAW). Une grève générale a débuté le 15 septembre contre les trois plus grandes industries automobile du pays, soit General Motors, Ford et Stellantis, communément appelées le Big Three.
Cela a abouti à des augmentations de salaires après 6 semaines de grève. Les augmentations visées étaient de 46%. Mais dès qu’il y a eu retour à la table de négo, le syndicat a arrêté la grève, éteignant possiblement un meilleur rapport de force pour la suite des choses. Les travailleurs et travailleuses auront une augmentation immédiate de 11%, suivie d’une augmentation qui atteindrait un cumulatif de 30% d’ici la fin de la convention collective en 2028.
L’UAW et son président Shawn Fain promettent de revenir à la fin de cette entente pour s’attaquer aussi aux compagnies automobiles non syndiquées. Il y a déjà une campagne pour faire signer le plus de cartes d’adhésion aux travailleurs et travailleuses et constituer un front plus fort, dans le but d’arracher des augmentations de salaires décentes pour plus de monde.
On parle notamment de compagnies comme BMW, Hyundai, Nissan, Toyota et… Tesla! Une victoire des travailleuses et travailleurs suédois contre Tesla donnerait des ailes à des revendications d’augmentations salariales aux États-Unis, qui commencent déjà à avoir le vent dans les voiles.
Éléments à retenir pour le Québec
Il y a des leçons que les travailleurs et travailleuses du Québec doivent intégrer dans leur façon d’affronter la lutte pour des meilleures conditions de travail. D’une part, la solidarité n’est pas quelque chose qui apparaît de façon spontanée si on n’a pas préalablement inculqué la nécessité d’un rapport de force et utilisé tous les outils à notre disposition pour le construire graduellement.
Lorsqu’on tente de rallier d’autres travailleurs et travailleuses, ce n’est pas simplement un Front commun, fomenté par des grosses centrales syndicales, qui s’avérera suffisant pour faire plier la partie adverse. La classe ouvrière peut devancer ou aller moins vite que les organisations syndicales. Ce sont les conditions matérielles et les forces en jeu qui vont dicter la nature du mouvement en lutte, son intensité, son déploiement dans le temps et sa détermination à en découdre avec ses ennemis de classe.
Pour avoir ce mouvement de masse qui se solidarise et se concrétise immédiatement, ça prend une constante formation et prise de conscience des travailleurs et travailleuses, avant, pendant et après les moyens de pression. Le rapport de force, c’est l’application stratégique de l’organisation et la solidarité de la classe ouvrière. Les syndicats ne sont que des outils d’organisation de la classe ouvrière. Sans volonté, sans solidarité, sans conscience de classe, sans culture de la lutte de classe, même le Front commun le plus large possible n’aura pas d’impact durable au final.
L’autre élément essentiel, c’est la «rigidité» avec laquelle il faut tenir tête à nos ennemis de classe. La rigidité, c’est par opposition à la volonté de la partie adverse d’être «flexible». Les patrons des multinationales ont les outils, l’argent, le pouvoir et la loi de leur côté. Il faut s’attendre à une sale guerre pour nous empêcher d’avoir les conditions que l’on mérite.
C’est exactement ce qu’Elon Musk fait présentement. C’est exactement ce que Legault et son gouvernement font aux travailleurs et travailleuses du secteur public. Qu’est-ce qu’Elon Musk et François Legault ont en commun dans leur discours? Ils demandent aux salarié·es plus de «flexibilité». Ils nous accordent des miettes de plus. En échange, on leur donne le droit de jouer avec nos conditions selon leurs prérogatives.
Leur «flexibilité», c’est l’ennemi de nos droits et de nos conditions de vie. C’est entretenir la tactique de la négociation dans un système où nous n’avons pas les mêmes outils ou les mêmes règles que les capitalistes. La négociation traditionnelle selon les règles de l’État et du patronat mène à l’échec des luttes syndicales. Construire le rapport de force d’abord hors de la table de négociation, c’est le seul objectif valable pour gagner la lutte et rester «rigide» face aux tentatives de détruire nos conditions de travail.
Solidaires et inflexibles
La Suède et les autres pays scandinaves sont des pays capitalistes où subsistent des grandes conquêtes du mouvement ouvrier et socialiste. Les bonzes des multinationales vont toujours tenter de tester le terrain et de les attaquer. Parce qu’il y a nécessité de combattre les attaques du capitalisme partout dans le monde, notre organisation internationale a une section sœur en Suède appelée Socialistiskt Alternativ (Alternative socialiste).
À tout moment, nous sommes confrontés à cette lutte constante, aux attaques incessantes des exploiteurs qui en veulent toujours plus et qui en donnent toujours moins. À l’image des travailleuses et travailleurs de Suède, prenons conscience que la seule et unique façon de contrevenir aux plans des capitalistes, c’est d’être solidaire entre nous et de faire preuve d’intransigeance envers eux.
«Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux», disait Étienne de La Boétie dans sa publication Discours de la servitude volontaire. Alors, si vous voulez combattre la servitude au système capitaliste, rejoignez-nous dans la lutte pour reprendre le contrôle de nos vies. Restons debout et inflexibles camarades!