La fumisterie du logement «abordable» à Montréal

L’échec du programme phare de logement abordable à Montréal, le 20-20-20, fait le tour du Canada. La crise du logement dans la métropole rend la vie inabordable pour les locataires, alimente l’itinérance et la consommation de drogues toxiques. Confier la gestion de nos villes au privé et à la police ne peut pas résoudre ces crises.

Les dernières décennies de capitalisme triomphant ont amené les promoteurs et les spéculateurs immobiliers du monde entier à reconfigurer nos villes pour réaliser un maximum de profit. Les différents paliers de gouvernements ont depuis abandonné le rôle de promotion et de construction de logements publics. Les différents partis municipaux ont vendu nos villes au plus offrant. Ils se contentent de récolter les taxes municipales découlant des projets immobiliers privés.

Cette situation a provoqué une envolée sans précédent des loyers et des prix de l’immobilier. Des drames humains toujours plus graves s’accumulent avec l’impossibilité de se loger décemment. Face à l’ampleur de la crise d’abordabilité des loyers, Projet Montréal prétend avoir amélioré la situation avec son programme «20-20-20».

Qu’est-ce que le 20-20-20?

En 2021, l’administration de Valérie Plante adopte un règlement visant à favoriser la création de logements abordables et sociaux par des promoteurs immobiliers privés. Le Règlement pour une métropole mixte stipule que chaque nouveau projet résidentiel doit intégrer 20% de logements sociaux, 20% de logements abordables et 20% de logements familiaux (d’où le 20-20-20). L’objectif consiste à offrir sur le marché des logements «convenables» pour tout le monde.

Pour y arriver, la Ville subventionne la construction des logements dits «sociaux». Ces derniers doivent ensuite être développés par des coopératives, des organismes à but non lucratif (OBNL) ou l’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM). Dans le cas des logements «abordables», le principe des subventions est de «dédommager» les propriétaires pour la perte financière que représente un loyer sous le prix du marché. De leur côté, les logements «familiaux» sont simplement des logements à trois chambres fermées ou plus.

Pendant deux ans, la Ville s’est croisé les doigts pour que les promoteurs s’empêchent volontairement de faire un maximum de profit.

La «confiance» dans le privé mène au fiasco

À l’heure du premier bilan, presque tous les promoteurs immobiliers ont évité d’inclure des logements sociaux dans leurs projets. Sur 150 projets, seuls cinq en incluent. Les promoteurs préfèrent payer une amende afin de s’affranchir des «obligations» du 20-20-20.

Malgré les discours «progressistes» de la mairesse Valérie Plante, son projet est exposé pour ce qu’il est: un buffet pour les promoteurs immobiliers. Mais, ce n’est pas la malice ou la naïveté qui a orienté l’action de son parti Projet Montréal. Ce qui les pousse à dérouler le tapis rouge au privé ne relève pas de la morale ou du complot. 

Projet Montréal et les différents acteurs de l’immobilier privé (incluant ceux de «l’économie sociale» comme les coopératives d’habitation, les fiducies et autres OBNL) s’entendent sur une certaine vision du développement urbain dans le cadre du marché capitaliste. D’une part, la Ville accepte des mégas projets de tours luxueuses afin de percevoir un maximum de taxes municipales, sans s’encombrer des tâches de promotion, de construction et de gestion immobilière. 

D’autre part, elle finance certaines initiatives de logements abordables pour éviter de perdre totalement la face. L’administration Plante a bien fait l’acquisition d’une poignée de terrains et de logements, comme ceux du Manoir Lafontaine. Mais la ville joue essentiellement un rôle d’intermédiaire et de bailleur de fonds entre des propriétaires privés et des organismes privés de promotion et de gestion immobilière.

Le privé, seul horizon des «progressistes»

Peu importe les discours bienveillants, les différents partis politiques ne tiennent qu’à réformer le capitalisme. Ils en arrivent toujours aux mêmes solutions: financer les initiatives des compagnies privées – petites et grandes – en refilant la facture à la classe travailleuse.

En mars dernier, Projet Montréal a mis en place un projet pilote pour accélérer les grands projets immobiliers «respectueux» de l’environnement et des communautés. Sur la «cellule facilitatrice» du projet pilote siège un ancien président du groupe immobilier COGIR ainsi que celui du Groupe Broccolini. Et cela, toujours en échange de quelques logements abordables, sociaux et familiaux. Aucune chance de voir ces logements apparaître, pas plus que les dizaines de milliers d’autres déjà promis depuis six ans.

Le développement de l’immense terrain de l’ancien hippodrome de Montréal est un exemple consternant de ce type d’illusion. La ville est propriétaire du terrain depuis 2017. Elle promet d’y faire construire plus de 12 500 logements, dont une «part importante» sera des logements sociaux et communautaires, abordables et familiaux. C’est seulement cette année qu’un organisme à but non lucratif a fait l’acquisition d’un premier lot pour y construire de 200 à 250 unités. Jusqu’ici, personne ne veut acheter le 2e lot.

Quand construire ne paie plus (assez)

Pourquoi? Parce qu’avec la hausse des taux d’intérêt, l’explosion du coût des matériaux et la pénurie de main-d’œuvre sur les chantiers, les promoteurs immobiliers n’entrevoient plus les profits désirés. Résultat: l’industrie de la construction au Québec est au point mort, en pleine crise du logement. Montréal est passée de 3 000 chantiers en mai dernier à 800 cette année, une baisse historique. 

Les constructeurs se plaignent maintenant des coûts et font chanter les gouvernements. Le fédéral et trois provinces canadiennes exemptent désormais de la TPS toutes nouvelles constructions d’immeubles locatifs. La CAQ évalue l’idée. Le Programme d’habitation abordable Québec promet déjà des subventions publiques aux promoteurs privés pour la création de logements abordables. 

Selon l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), la construction d’environ 100 000 habitations par année au Québec est nécessaire pour combler le déficit d’unités actuel. Qui va les construire si le privé n’y trouve pas son compte? Les gens doivent se loger maintenant. Pas le temps d’attendre le retour de leurs taux de profits.

Projet Montréal, un parti pour les propriétaires

Cette approche du «tout-au-privé» n’est pas surprenante lorsqu’un apprend que les élu⋅es qui décident du logement à Montréal sont aussi des propriétaires. Le cas de Maeva Vilain, conseillère d’arrondissement du Plateau-Mont-Royal pour Projet Montréal, est l’un des pires. 

Elle et son mari possèdent cinq immeubles résidentiels à Montréal (30 logements) totalisant une valeur de six millions de dollars. En plus d’être l’élue avec le plus grand nombre d’immeubles, elle est aussi la plus véreuse avec une douzaine d’évictions, des hausses de loyer abusives et une reprise de logement à son actif. Cela ne l’a pas empêché de siéger à la Commission sur l’habitation jusqu’en 2022.

Valérie Plante et son parti se sont pourtant fait élire deux fois sur la base de promesses en matière d’accès au logement. Le règne de Projet Montréal a plutôt été celui du déferlement de l’hôtellerie illégale des Airbnbs, des flips immobiliers, des rénovictions frauduleuses, de l’itinérance et de la crise des drogues toxiques. Afin de masquer son propre échec, la mairesse déplore encore et toujours le manque d’argent en provenance du gouvernement provincial ou fédéral. Ce sous-financement est réel, mais n’explique pas tout. Après six ans au pouvoir, le bilan de Projet Montréal en termes d’accès au logement ne pouvait être que désastreux. 

Hausse de l’itinérance et des surdoses

Selon une étude récente, les expulsions de logement sont la première cause d’itinérance au Québec. Le décompte des personnes itinérantes a presque doublé entre 2018 et 2022. À Montréal, les expulsions et les évictions frauduleuses ont doublé depuis 2021. Des campements de fortune sont érigés dans tous les quartiers de la ville, en particulier dans les quartiers en cours d’embourgeoisement.

La crise du logement alimente l’itinérance. L’itinérance entraîne souvent la dépendance aux drogues dures comme le fentanyl ou d’autres drogues de rue toxiques (crystal meth, crack). À Montréal, le nombre d’interventions d’urgence pour cause de surdose à quintuplé depuis 2010, touchant le nombre de 49 par mois. La projection de personnes qui vont mourir de drogues toxiques est estimée à 172 pour l’année 2022-2023

Les personnes intoxiquées se retrouvent précisément dans les quartiers gentrifiés, au pied même des nouveaux immeubles à condos. Les conséquences de la gentrification crèvent les yeux. Tout cela était prévisible pour quiconque avait la présence d’esprit de regarder évoluer ces crises depuis une vingtaine d’années, du Downtown Eastside de Vancouver, en passant par Toronto jusqu’au centre-ville de Montréal.

La ville a laissé plus de 1 500 personnes supplémentaires tomber dans l’itinérance depuis 2018. La situation pousse de plus en plus de commerçants et de résidents à se plaindre des sans-abris et des personnes utilisatrices de drogues dures qui se réfugient sur leur propriété. Comment l’administration Plante peut-elle parler d’inclusivité, alors que l’itinérance est l’une des pires formes d’exclusion sociale?

La solution de Projet Montréal : la police

Face à ces problèmes, l’administration Plante préfère investir des montants historiques dans la police et les pistes cyclables, tout en coupant dans les services pour personnes itinérantes et le transport en commun. Les investissements dans la police n’ont jamais réglé les problèmes sociaux. Ils peuvent toutefois les balayer hors des quartiers gagnés à Projet Montréal.

Cette approche répressive était pourtant celle du rival de Valérie Plante, Denis Coderre, lors des dernières élections municipales. Drôle de legs pour un parti qui faisait de la mobilité et de l’accès au logement ses principaux enjeux. Mais est-ce vraiment surprenant venant d’un parti? Pas venant de deux partis capitalistes qui voient l’immobilier de la même manière.

Construire du logement public maintenant!

Seule la mise sur pied d’un vaste chantier de construction de logements 100% publics, écoénergétiques et réellement abordables peut régler la crise du logement. Cela nécessite des investissements massifs provenant de tous les paliers de gouvernement. Des milliers d’emplois verts, de qualité et syndiqués pourraient être créés.

Le redéploiement des Offices municipaux d’habitation, partout au Québec, est fondamental à ce projet. La liste des 24 000 ménages en attente d’un loyer à prix modique auprès de l’OMHM n’a pas baissé avec Projet Montréal. Des milliers d’unités d’habitations à loyer modique (HLM) sont inoccupées. Soit par manque d’entretien, soit par manque de personnel pour les louer.

De plus, les conditions de travail empirent à l’OMHM. Les actes racistes ou violents contre les employé⋅es sont en hausse. La prostitution, l’usage de drogues injectables et même des situations où des personnes itinérantes vivent dans les structures des bâtiments prennent de l’ampleur.

Plusieurs ne voient pas l’utilité des projets d’habitations publiques et parapubliques comme celles des OMH. Ces groupes et personnes misent plutôt sur les coopératives et les autres OBNL privées. Le modèle du «petit privé» a des avantages à court terme. Mais le taux de survie de ces organisations et leurs ressources très limitées les empêchent d’être une solution d’envergure capable de répondre aux problèmes actuels.

La vaste majorité des ressources octroyées à l’économie sociale provient des fonds publics. L’argent public dépensé pour du logement devrait l’être de manière efficace. Seul un grand réseau public de logement et d’aménagement du territoire permettra de loger les dizaines de milliers de familles dans le besoin, en plus de réaliser d’importantes économies d’échelle, une concentration de l’expertise et une création d’emplois décents. 

Bâtir notre rapport de force

Mais la mise sur pied d’un vaste chantier public et démocratique de réaménagement du territoire ne pourra pas se réaliser avec les gens qui siègent présentement dans les parlements. Ignorer leur pouvoir nous condamne à le subir. Les travailleurs, les travailleuses et les locataires ont besoin de construire leur propre force politique. Une force qui représente les intérêts des locataires et des gens ordinaires.

Les politiciennes et les politiciens actuels n’auront jamais le courage ou la volonté politique d’aller chercher les ressources et l’argent là où ils se trouvent. La main-d’œuvre et l’expertise en construction nécessaire pour régler la crise du logement existent déjà dans le secteur privé. Jamais les élites politiques ne parleront de mettre sous contrôle public et démocratique le secteur de la construction pour réaffecter les ressources là où ça compte. 

Les terrains et les immeubles vacants ou abandonnés sont légion à Montréal. Jamais les élites politiques n’exproprieront les grands propriétaires pour mettre leurs immeubles à disposition des personnes mal-logées. L’opulence des ultra-riches est visible partout à Montréal. Jamais les élites politiques ne parleront de réduire leur propre salaire ou de taxer les profits des banques, des Big Tech (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft), des grands épiciers ou des compagnies de distribution.

Construire la force politique des locataires et de la classe travailleuse passe par une résistance bien concrète contre les propriétaires et les élu⋅es qui les représentent. Frapper les grands propriétaires là où ça fait mal passe par le blocage de chantiers, l’occupation de tours et immeubles vides ou encore l’occupation du Tribunal administratif du logement. Les élites politiques doivent être tenues responsables de la situation actuelle et en répondre directement. 

Le mouvement syndical a un rôle central à jouer dans la lutte contre l’inflation en général et pour l’accès au logement en particulier. Les comités intersyndicaux régionaux peuvent développer un programme municipal de lutte visant la création d’un parti politique ouvrier et socialiste. Le mouvement syndical et communautaire a tenté de créer ce genre de force politique à la fin des années 1960 avec le Front d’action politique des salariés (FRAP), et au début des années 1970 avec le Regroupement Action-Montréal (RAM). Sans lutte organisée, aucun gain n’est possible! Rejoignez-nous pour la construire! 


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