Le budget de Montréal 2023 : avancer dans la mauvaise direction

Le budget 2023 de la ville de Montréal signifie bien plus qu’une «hausse de taxes en dessous de l’inflation». C’est la continuation d’une approche qui ne réglera pas les problèmes les plus criants à Montréal : la sécurité, l’accès au logement, la protection de l’environnement et l’offre de services municipaux.

Lorsque le monde politique est incapable d’apporter des solutions concrètes aux problèmes concrets, les gens se désillusionnent. Plusieurs peuvent alors développer le potentiel d’entrer en lutte. Quelle influence aura ce budget dans les luttes de la prochaine période?

Des hausses de taxes qui bénéficient aux proprios

La ville de Montréal va augmenter son budget de 300 millions $, pour un total de 6,76 milliards $. On parle d’une hausse des dépenses de 4,7%. Toutefois, cette hausse ne rattrape pas celle des dépenses engendrées par l’inflation. L’offre et la qualité des services municipaux vont forcément s’en ressentir. 

L’administration de Valérie Plante a annoncé une hausse de taxes foncières de 4,1% pour les propriétaires résidentiels en 2023. Or, la valeur des propriétés résidentielles a déjà augmenté de 35,5% l’an dernier. La hausse de la ville s’appliquera donc sur cette réévaluation foncière déjà en hausse. 

Pour les locataires, incluant les membres de coopératives, la hausse de taxes foncières sera difficile à avaler. Elle s’inscrit dans un contexte déjà alarmant de gentrification des quartiers montréalais. On peut s’attendre à des augmentations de loyer substantielles cette année. 

Pour les grands propriétaires privés, les investisseurs et les spéculateurs, cette hausse de taxes est l’occasion de se plaindre de son «fardeau financier». De 2005 à 2020, le rendement annuel des propriétaires d’immeubles locatifs a été de 24%. Cela représente des rendements trois fois plus élevés que ce que la firme Raymond Chabot Grant Thornton considère comme raisonnable. 

Le plus scandalisant, c’est que cette hausse de taxes permettra à certains propriétaires de faire plus d’argent. Dans un premier temps, la facture sera refilée aux locataires sous forme d’une hausse de loyer. Ensuite, les propriétaires qui verront la valeur de leur propriété monter pourront la vendre à profit. De plus, les dividendes utilisés par les entreprises pour payer leurs actionnaires dans ce genre de transactions immobilières ne sont pas imposables. Bref, les proprios vont continuer de faire de l’argent comme de l’eau. 

La ville, elle, ne ramassera que des miettes. Son propre territoire lui file entre les doigts au profit du privé. Les promoteurs immobiliers n’ont aucune intention de participer à assurer un accès à du logement décent. La ville de Montréal est elle-même incapable d’assurer ce droit à travers ses propres services. 

Dans la maison de Montréal, le salon brûle

À travers l’Office Municipal de l’Habitation de Montréal (OMHM), la ville contribue à offrir 20 000 logements abordables. De ce nombre, la plupart sont des Habitations à loyer modique (HLM). Or, les trois quarts des HLM sont en mauvais ou très mauvais état. L’an dernier, ce taux était de 66%. Près de 340 HLM étaient inhabitables. Le déficit d’entretien pour simplement maintenir en état le parc immobilier actuel est de 955 millions $. Pendant ce temps, la liste d’attente de l’OMHM pour avoir accès à un HLM s’établit à 24 000 ménages. 

Pourquoi tant de demandeurs? En 2021, un loyer moyen coûtait 932$ à Montréal. Selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), le coût du loyer ne devrait pas excéder 30% du revenu d’un ménage. Pour y arriver, une personne seule doit avoir un revenu brut de 3 107 $ par mois. Au salaire minimum, cela représente 230 heures travaillées par mois ou 58 par semaine.

En 2018, on comptait 3 000 personnes itinérantes à Montréal. En 2020, au pic de la pandémie, c’était 6 400 personnes. Les statistiques seront révisées en 2023. Pour l’instant, les personnes intervenantes parlent d’une augmentation de l’achalandage dans les refuges. Pourtant, le budget de la ville consacré aux initiatives en soutien aux personnes en situation d’itinérance serait amputé de 17% en 2023 (de 5,9 millions $ à 4,9 millions $).

Bien que les personnes autochtones représentent seulement 1% de la population, elles constituent 12% des personnes itinérantes. Dans l’ironie la plus triste, plusieurs personnes autochtones viennent à Montréal pour quitter une situation de crise du logement dans leur communauté d’origine. La ville a mis certaines ressources à leur disposition. Mais l’ombudsman de Montréal, Nadine Mailloux, décrit la gestion municipale comme «saisonnière, et temporaire». 

La vraie priorité de l’administration Plante: la police

La plus grande part du budget de la ville ira au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Cette dernière recevra un investissement de 784 millions $ (18,4 % du budget total). Il s’agit d’un ajout de 63,2 millions $ par rapport à l’an passé, soit la plus importante augmentation budgétaire de son histoire. 

Les raisons mises de l’avant par l’administration Plante sont le supposé état de guerre civile dans lequel les fusillades de rues auraient entraîné la ville. Pourtant, la moitié des 19 homicides commis à Montréal en 2021 ont impliqué une arme à feu. De ce nombre, une fraction est attribuable aux tirs de gangs de rue. L’augmentation de fusillades des gangs de rue n’est pas le résultat d’un manque de ressources policières. En 10 ans, le budget du SPVM est passé de 429 millions à 724 millions $, une augmentation de 69%.

Un autre argument mis de l’avant pour hausser les dépenses policières consiste à embaucher des centaines de nouveaux agents afin de réduire les heures supplémentaires. Ces dernières sont passées de 7 à 12 millions $ en 2021. Si ces heures touchent notamment le contrôle des fusillades, elles concernent aussi le démantèlement des camps de sans-abris, l’intimidation policière lors de mouvements sociaux et la judiciarisation des personnes dans le besoin. 

Historiquement, le financement du SPVM ne fait qu’augmenter. Mais s’il se maintient pour les 10 prochaines années, cela représente un montant de 7,84 milliards $. Du côté des investissements municipaux pour la construction de logements sociaux et abordables, l’administration Plante parle de 600 millions $ sur 10 ans. En plus d’être insuffisant pour les besoins, cet argent représente 7% des dépenses policières. Le logement est légèrement plus subventionné que les pistes cyclables (500 millions $ sur 10 ans). Qui à l’hôtel de ville agit sérieusement pour régler la crise du logement?

Le problème n’est pas légal

La Charte montréalaise des droits et responsabilités engage déjà la ville à «prendre des mesures adéquates […] pour que soit fourni aux personnes itinérantes […] un gîte provisoire et sécuritaire». Elle appelle aussi à «considérer, dans la mise en œuvre des mesures relatives au logement, les besoins des populations vulnérables, notamment ceux des personnes et des familles à faible revenu et à revenu modeste». 

L’encadrement légal provincial, comme la Loi sur les cités et les villes (LCV), permet déjà aux municipalités d’exproprier et d’acheter des bâtiments pour les transformer en logements publics. Les personnes qui étaient là lors de la construction du stade olympique ou la construction des grandes autoroutes savent que la ville peut prendre ce qu’elle veut, quand elle le veut.

Le problème d’accès au logement n’est pas relié à un manque d’engagement ou de pouvoir légal. C’est un problème politique. Les belles promesses de Projet Montréal quant à la construction de logements abordables et sociaux ne sont que des fumisteries. 

En finir avec le statu quo

En janvier 2021, un refuge pour personnes itinérantes était à pleine capacité. Raphaël André, une personne innue, se réfugie dans une toilette chimique et meurt de froid durant la nuit. S’en suit une forte couverture médiatique, du lobbying de la sénatrice fédérale autochtone Michèle Audette, des manifestations à Montréal et un engagement de soutien financier de la communauté mohawk de Kahnawake.

Pour remédier à la situation, l’administration Plante s’est retroussé les manches. Elle a pris son courage à deux mains et fait bâtir des «haltes chaleur». Une halte chaleur est un abri style Tempo avec des lumières oranges d’abribus et un ensemble de chaises de jardin en plastique. Depuis, la directrice du Foyer pour femmes autochtones de Montréal, Nakuset, ainsi que plusieurs travailleurs et travailleuses de rue ont dû convaincre la mairesse de maintenir les haltes chaleurs ouvertes cette année et les prochaines. Car l’hiver, ça revient une fois l’an. 

De son côté, le quartier Milton Parc est occupé par plusieurs personnes itinérantes depuis des années. Ces personnes ont besoin de logements et de ressources. La ville s’est mise à la recherche de terrains récemment. Elle a trouvé deux terrains vacants. Mais puisque la ville n’a pas pu s’entendre avec les propriétaires, les terrains resteront vacants et les services absents. La ville a toutefois fait installer des clôtures et des projecteurs autour des endroits fréquentés par les personnes itinérantes. Ces clôtures ne risquent pas de se faire démanteler au printemps. 

Prendre l’argent au bon endroit

Le vrai problème, c’est que le budget de la ville dépend à 63% des taxes foncières. La gentrification engendre une hausse de la valeur des terrains et des immeubles. Elle est objectivement dans l’intérêt financier de la ville de Montréal. Plus la valeur marchande des immeubles et terrains augmente, plus le budget de la ville grandit. C’est pourquoi la ville va toujours chercher à satisfaire les caprices des promoteurs immobiliers et des investisseurs qui construisent des micro-condos en hauteur. Même si cela signifie laisser s’effondrer ses propres services de logements et de protection des locataires. 

L’itinérance devient un problème là où elle fait baisser la valeur des immeubles. Suite aux plaintes des yuppies, la ville tasse les pauvres. La population manifeste pour que la ville agisse dans l’intérêt de la majorité? Envoyons des dizaines de policiers à temps double pour intimider les protestataires. 

L’administration Plante parle d’ailleurs de modifier ses finances afin de diversifier ses sources de revenus. Bien! Mais devinez sur quelles épaules la facture va venir se poser. La ville taxera les stationnements et les voitures. Elle demandera sans rapport de force préalable plus d’argent à Québec et à Ottawa. Elle taxera les touristes.

L’administration Plante risque-t-elle de taxer ou d’exproprier les grands propriétaires, les spéculateurs ou les proprios véreux qui laissent leurs immeubles insalubres? Non. Va-t-on réattribuer une part des gargantuesques dépenses policières pour loger des gens, ce qui ferait baisser la pauvreté et la criminalité par ricochet? Non plus.

Les vrais besoins

On sait très bien ce dont on a besoin. Une quantité phénoménale d’études et de rapports soulignent les besoins criants en logement et les solutions réelles à envisager. Mais voilà le piège de notre société: on confond l’existence de ces connaissances avec le potentiel de les appliquer réellement.

On sait qu’on a besoin de logements publics réellement abordables, de refuges, de services. On le sait depuis des décennies. Mais on doit commencer à comprendre que les élites politiques «progressistes» et «inclusives» comme Valérie Plante et son équipe n’ont aucune intention de s’attaquer à la racine des problèmes sociaux: le système capitaliste inéquitable qui les engendre. Il est urgent de réapprendre les méthodes de lutte collectives utilisées par des gens comme vous et moi qui ont produit des victoires concrètes, en particulier dans le secteur du logement. 

Le potentiel est là

En Autriche durant les années 1920, la polarisation politique était à un tel niveau que l’armement de la classe ouvrière était à l’ordre du jour. Pour empêcher qu’elle ne prenne le pouvoir et se débarrasse du capitalisme, le Parti social-démocrate a été obligé de construire massivement des logements et des services publics pour la classe ouvrière. Aujourd’hui, jusqu’à 60% des habitants et habitantes de Vienne vivent dans des logements abordables.

Dans les années 1930 en Alberta, un parti communiste municipal a remporté les élections en pleine Grande dépression. Cette administration a utilisé son droit de taxation pour taxer les pratiques des riches, comme celle d’avoir des chiens pure race. Sans attendre le soutien provincial ou fédéral (qui n’allait jamais venir), la ville a augmenté unilatéralement le salaire des chômeurs employés de la ville de 60%. 

Plus récemment à Seattle, une seule conseillère municipale socialiste – Kshama Sawant – a été capable de mobiliser la population et de faire adopter la taxe Amazon pour financer du logement abordable. De la même manière, elle a contraint en 2014 le conseil municipal d’exiger un salaire minimum de 15$/h dans la ville. Deux ans plus tard, elle a contré les plans de construction d’un mégabunker policier. Cette année, Seattle a été la première ville sanctuaire aux États-Unis pour les personnes voulant se faire avorter.

L’approche socialiste

On parle ici de Kshama Sawant et de l’action de notre organisation sœur, Socialist Alternative. Ce que Kshama a fait consiste à lier un programme de revendications politiques aux mouvements qui vivent parmi la population. Elle utilise ses interventions publiques pour construire ces mouvements et les faire avancer. Lorsqu’elle fait une proposition de loi, c’est l’expression de la volonté d’un mouvement de la base. Plus le mouvement mobilise des masses de gens, plus le rapport de force s’établit face au conseil municipal hostile à Kshama. C’est de cette manière qu’une seule conseillère peut arracher des réformes en faveur de la classe ouvrière.

À Montréal, nous n’avons pas d’élue comme elle. La gauche fait l’erreur de ne pas s’organiser politiquement autour d’un vrai programme de lutte. Une partie des activistes de gauche juge l’action parlementaire inutile et l’ignore. Une autre partie se résigne à voter pour le «moins pire». Dans les deux cas, ces personnes jouent complètement le jeu des capitalistes. La majorité de la classe ouvrière, elle, ne vote pratiquement plus au niveau municipal. 

D’une part, il est essentiel d’agir dans les quartiers pour bâtir les luttes. D’autre part, il est crucial de leur donner une expression politique ouverte. Les gens élus devraient être au service des gens en lutte. Pour que les bottines suivent les babines, ces personnes devraient être révocables en tout temps.

Il est donc essentiel d’ouvrir un espace de débat et d’organisation politique pour défendre les intérêts de la majorité de la population, des locataires, des travailleurs et des travailleuses. Alternative socialiste a testé cette approche dans Verdun durant les dernières élections municipales. Mais pour avoir une envergure montréalaise, un mouvement socialiste plus large est nécessaire. Contactez-nous si vous voulez aider à le construire. 


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