La part d’Airbnb dans la crise du logement

La crise du logement actuelle et le comportement rapace d’Airbnb sont les aboutissements logiques du fonctionnement de notre système capitaliste. Il faut comprendre d’où vient cette situation et qui l’entretient afin d’entrevoir comment changer les choses radicalement.

Fondée en 2008, la compagnie de location à court terme Airbnb ne respecte pas les lois québécoises depuis au moins 2017. Durant les dernières années, les chiffres pour le prouver ont été accessibles et clairs pour n’importe qui voulant agir. Il aura fallu des morts et des blessé⋅es pour finalement embarrasser le petit monde politique. 

La rassurante ministre du Tourisme

Depuis son élection, la ministre caquiste du Tourisme, Caroline Proulx, s’assure que Airbnb évolue dans l’environnement le moins contraignant possible. Forcé à légiférer sur la location à court terme après plusieurs scandales, le gouvernement a fait adopter une loi sur l’hébergement touristique en 2020.

La loi oblige les propriétaires à s’inscrire auprès de la Corporation de l’industrie touristique du Québec (CITQ) s’ils veulent mettre en location leur logement pour une courte durée. L’année d’après, Radio-Canada a révélé que les Airbnb illégaux sont toujours légion. La ministre Proulx nous a rassurés: «dans l’ensemble, les résultats démontrent que les changements apportés fonctionnent».

Trois ans plus tard, en 2023, une étude du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ) a donné le bilan suivant de la démesure d’Airbnb: 79% de toutes les annonces québécoises publiées sur le site de la compagnie ne sont pas certifiées, donc illégales. Jusqu’ici, Airbnb a favorisé le retrait de près de 30 000 logements du marché locatif québécois. La présence même d’Airbnb est un des facteurs principaux dans la crise du logement.

Le dévoilement de l’étude du RCLALQ tombe au moment même où l’incendie d’un Airbnb du Vieux-Montréal fauche la vie de sept personnes. En réaction, la ministre a rencontré la compagnie. Une fois de plus, elle s’est faite rassurante. «Je suis satisfaite de la décision d’Airbnb de se conformer à notre législation comme je l’ai exigé hier lors de notre rencontre », déclare-t-elle. Faudrait-il les féliciter de respecter la loi?

Ou plutôt se réjouir qu’en 2019, les locations à court terme ont généré 224,4 millions $ à leurs hôtes pour Montréal seulement? Selon le Groupe de recherche en politiques et gouvernance urbaines de l’Université McGill, ces gains ont chuté à 77,8 millions $ durant la pandémie. Mais ils seraient en hausse selon les projections. Loin de vouloir se distancier du modèle d’Airbnb, le gouvernement Legault a, l’an dernier, prêté 30 millions $ à Sonders, une entreprise controversée de location à court terme principalement présente sur Airbnb.

Voilà la réalité inconfortable de la situation actuelle; le succès économique d’Airbnb est plus important que le respect de nos lois et de notre sécurité. La question à se poser devient alors, pourquoi?

Airbnb, la pointe l’iceberg

Airbnb vient de retirer toutes les annonces illégales de son site. La compagnie a aussi donné au gouvernement québécois accès à toutes ses annonces. Est-ce que l’enregistrement auprès de la CITQ garantira des locations de courte durée en bonne et due forme, de manière à prévenir les incendies comme ceux du Vieux-Montréal? Non. 

En ce moment, l’enregistrement n’implique aucune contrainte d’inspection ou de plan d’entretien. Il n’a d’ailleurs pas besoin d’être affiché publiquement. Avant même d’avoir accès aux données d’Airbnb, Revenu Québec disposait déjà de l’information nécessaire pour sévir massivement et outiller les villes pour le faire.

Est-ce que le retrait des annonces illégales règle le problème de l’hôtellerie illégale? Non. Le retrait de ces annonces du site de Airbnb a été suivi par leur réapparition sur d’autres plateformes (Kijiji, Craigslist, Facebook). Ces autres compagnies ne donneront pas leurs données au gouvernement. Afin de contourner la loi, certaines de ces annonces ont changé de forme. Il ne s’agit plus de location de courte durée (moins de 31 jours), mais de longue durée. Elles n’ont ainsi plus besoin d’être enregistrées auprès de la CITQ ni de mener à la signature d’un bail.

Depuis le 25 mars 2023, la loi 67 empêche les municipalités d’interdire la location à court terme d’une résidence principale sur l’ensemble du territoire québécois. «Les municipalités peuvent toutefois, sous réserve d’un processus référendaire adapté et prévu par la Loi sur l’hébergement touristique, interdire ou limiter l’offre d’hébergement touristique dans une résidence principale dans certaines zones de leur territoire.»

Certains arrondissements montréalais ont eu le courage de bannir l’offre «commerciale» de locations à courte durée. Mercier-Hochelaga-Maisonneuve et Verdun interdisent toute location de type Airbnb dans les résidences secondaires. Ces interdictions sont un pas dans la bonne direction. Mais est-ce qu’interdire complètement Airbnb réglerait la crise du logement actuelle? Non.

Le logement comme marchandise

L’argent facile que représente l’hôtellerie illégale – et plus largement le phénomène de marchandisation des logements à travers lequel Airbnb a fleuri – séduit tous les puissants. De grandes firmes d’investissement internationales viennent exploiter nos logements comme une marchandise. Pour les villes, cela représente une manière de moderniser le parc locatif, car ces compagnies rénovent. Mais c’est surtout une manne financière. 

L’exploitation et la spéculation immobilière font augmenter les prix des propriétés et des terrains. La demande grandissante pour des logements amène les propriétaires avides d’argent à monter les loyers. Le gain de valeur des propriétés et des terrains se traduit en taxes foncières plus élevées pour les municipalités. Étant donné qu’environ 50% des revenus de la ville de Montréal proviennent des taxes foncières, gageons que son élite politique a un intérêt à voir surchauffer le marché immobilier!

Dans l’arrondissement Le Plateau-Mont-Royal à Montréal, des spécialistes estiment qu’une seule maison peut rapporter 251 115 $ par année. D’après la Chaire de recherche du Canada en gouvernance urbaine, dans certains quartiers, il ne faudrait pas plus que cinq jours de location par mois pour rentrer dans son argent. 

Quartiers centraux et roulement de locataires

Un investisseur immobilier détenant environ 100 logements, Mickaël Micmacher, explique comment il rentabilise son investissement: «J’ai acheté un triplex avec trois chambres au rez-de-chaussée. J’en ai rajouté plusieurs, au rez-de-chaussée et au sous-sol. Il est important aussi d’aménager des salles d’eau et des salles de bains. Je loue seulement à des étudiantes et tout se passe bien. Vous pouvez louer une chambre de 600 $ à 800 $ par mois, selon le secteur.»

Les investissements immobiliers les plus rentables à Montréal sont réalisés dans les endroits où il y a un haut taux de roulement de locataires, car les propriétaires peuvent augmenter le loyer de manière régulière. Ce sont les appartements des quartiers centraux. Ces appartements sont offerts aux touristes, aux étudiants, aux étudiantes ainsi qu’à d’autres types de travailleuses et de travailleurs précaires. Une étude récente montre que les quartiers centraux de Montréal présentent la plus forte concentration de groupes financiers propriétaires

L’industrie touristique n’a pas encore retrouvé la stabilité d’avant la pandémie de COVID-19. Mais, les gens voyagent de plus en plus. La demande pour l’hôtellerie de courte durée va continuer. Surtout que les compagnies utilisent Airbnb de plus en plus pour organiser leurs voyages d’affaires. Ces dernières sauvent en moyenne 50% de leurs dépenses d’hôtellerie en utilisant Airbnb.

La concentration de la richesse chez Airbnb

Dans une étude commandée par des élus montréalais et publiée en 2021 par le chercheur de l’Université McGill David Wachsmuth, de gros joueurs sont bien présents sur Airbnb. Ils s’accaparent la majorité des revenus. «Le premier 1 % des hôtes a gagné 39,3 % de tous les revenus l’an dernier et les 5 % les plus performants ont obtenu la majorité (57,9 %) de tous les revenus», écrit l’auteur.

D’après une étude publiée par Radio-Canada en 2019, 10% des hôtes montréalais d’Airbnb ont reçu 63% de toutes les évaluations associées aux annonces. Ces résultats montrent que les hôtes d’Airbnb, loin d’être ces petits propriétaires qui veulent arrondir leur fin de mois, sont en fait des entreprises multinationales qui contrôlent à grande échelle la location de courte durée. 

Le fait que la propriété tend à se concentrer entre quelques compagnies dans chaque secteur de l’industrie n’est pas nouveau. Déjà en 1916, les marxistes produisaient des analyses sur ce processus. La concentration de la propriété apporte des situations de monopole ou d’oligopole. Dans une situation où quelques gros joueurs contrôlent le marché (oligopole), ces derniers peuvent s’organiser pour fixer les prix ou déterminer la qualité du produit sur le marché.

La monopolisation d’un marché apporte avec elle une obligation d’exploitation maximale, aux dépens du produit ou du service offert. Par le passé au Québec, le développement immobilier se faisait avec un développeur immobilier (entrepreneur) et un créancier (banque). Apparues en 1993, les Fiducies de placement immobilier (FPI) sont des véhicules de placement immobiliers qui possèdent, exploitent, développent, gèrent, acquièrent ou financent des biens immobiliers. Les FPI combinent donc tous les rôles. Elles sont désormais les joueuses incontournables des marchés immobiliers internationaux.

Le taux de rendement de leur produit – par exemple le microcondo – est plus profitable que des placements en bourse. Ces hauts rendements poussent les FPI, les promoteurs et les autres spéculateurs immobiliers à prendre de l’expansion dans tous les quartiers de toutes les grandes villes du monde. Les vagues mondiales de gentrification des dernières années ont été engendrées par cette course folle à l’argent facile.

Les FPI possèdent des quantités titanesques de capital à investir. Avec cet argent, une FPI ou tout autre géant de la finance peut acquérir le monopole des immeubles ou les logements de quartiers entiers. Avec un tel monopole, ces entreprises peuvent contrôler le développement urbain.

Nos quartiers ne sont pas à vendre!

Cette pression financière est politiquement plus forte que n’importe quel discours bienveillant ou pétition de principe pour les locataires. Le pouvoir de l’argent prend nos villes en otage. Les élites politiques y sont assujetties.

À l’impossible, il faut mettre de l’avant le nécessaire. Devant cette force financière, nous devons mobiliser la force de notre nombre, de notre classe sociale, pour arracher nos villes des griffes du privé. 

Se loger de manière décente et sécuritaire – à court ou à long terme – ne devrait pas être un problème d’argent. Personne ne devrait être évincé de son logement par un propriétaire avide d’argent facile réalisé grâce à l’hôtellerie illégale. L’inaction des différents paliers de gouvernements les rend illégitimes à représenter les locataires du Québec. Organisons-nous dans la rue et aux parlements pour :

  • Interdire la location de courte durée pour tout type de résidence!
  • Fixer de fortes amendes à Airbnb pour toute option de location illégale!
  • Débusquer et exproprier les propriétaires avides qui s’adonnent à l’hôtellerie illégale!
  • Convertir leurs « résidences touristiques » en auberges et en logements publics réellement abordables!
  • Se débarrasser des partis politiques qui représentent les intérêts des propriétaires véreux, des promoteurs et des spéculateurs immobiliers! 

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