L’indépendance : une lutte ouvrière à mener jusqu’au bout

Depuis les années 1960, l’indépendance du Québec s’est imposée comme une stratégie de lutte centrale pour contrer l’oppression et l’exploitation subie par la classe ouvrière québécoise. Même si le nationalisme est désormais mobilisé par la droite xénophobe, la libération du Québec demeure pertinente pour contrer l’impérialisme, les catastrophes climatiques et plus généralement l’agenda des capitalistes d’ici et d’ailleurs.

Les nations, comme les mouvements nationaux, sont des phénomènes matériels et concrets. Le capitalisme s’est développé sous la forme de relations entre des États-nations en concurrence. Il en découle forcément des situations de domination et d’oppression nationale. 

Fidèle aux positions des bolcheviks, Alternative socialiste se positionne pour le droit des nations et des peuples à disposer d’eux-mêmes, partout dans le monde. La lutte pour ce droit démocratique peut aller jusqu’à une séparation qui vise l’indépendance politique. C’est notre position par exemple sur la Catalogne, l’Écosse, le Québec et les peuples autochtones.

Leçons de la Révolution russe

Suite à la Révolution russe de 1917, la création de l’URSS a transformé le vaste territoire eurasien. De nombreux peuples et nations y habitent alors. Ils présentent une multitude de langues, de cultures, de mœurs, d’intérêts nationaux, de religions et de politiques internes.

Les débats des bolcheviks sur les questions nationales font ressortir les problèmes liés à aux politiques uniques et centralisées, menées par un gouvernement majoritairement russe. Lénine est alors très flexible dans son approche. Il est conscient du travail patient à réaliser pour faire la transition vers une fédération dans laquelle tous les peuples adhèrent librement au socialisme. C’est seulement cette voie qui mènera au communisme intégral. 

Cette transition socialiste implique de respecter coûte que coûte le droit à l’autodétermination des peuples et des nations. Lénine y croit fermement. Pour lui, même si les peuples concernés n’ont pas adhéré totalement aux idées du socialisme, il est primordial que leur souveraineté et leur autonomie soient absolument respectées sans condition. Cette approche de respect des droits démocratiques nationaux est la base la plus solide pour la construction d’un véritable internationalisme prolétarien.

Mais son approche soulève beaucoup de débats et d’opposition, peut-être les plus importants à cette époque. Il existe une vision diamétralement opposée à l’approche du droit à l’autodétermination proposée par Lénine et Trotsky, celle mise de l’avant par Staline et sa bande. Ce dernier prône une centralisation des pouvoirs entre les mains d’une bureaucratie gouvernementale nationaliste russe. 

L’approche nationaliste chauvine

Le modus operandi de Staline sur la question nationale est celui d’un nationalisme russe chauvin qui place les intérêts des Russes au-dessus de tous les autres peuples et nations. On se rend compte qu’actuellement, les grandes nations du monde capitaliste qui s’opposent à l’autodétermination des peuples procèdent exactement de la même façon. 

On voit clairement comment le Canada subjugue le Québec et les multiples peuples autochtones à travers sa politique de «sécurité nationale». Les services secrets, l’armée et la GRC interviennent très rapidement lorsque des mouvements revendiquent la souveraineté d’un territoire contre l’exploitation capitaliste encouragée par l’État. 

Le Canada a très peu d’égard aux cultures et langues des peuples qui existaient sur son territoire avant que la fédération canadienne ne s’y établisse. Des guerres, des génocides, une répression, une assimilation systémique et systématique puis un contrôle économique se sont toujours effectués contre la volonté de la majorité des habitants et habitantes du continent. On se rend bien compte que ce ne sont pas les intérêts des peuples qui sont au centre des décisions politiques. Ce sont ceux d’une petite clique de capitalistes bourgeois qui s’arrogent le droit de dominer le territoire et ses ressources par la conquête, la colonisation et l’impérialisme.

L’invasion de l’Ukraine démasque les impérialismes

Il est très ironique de constater l’hypocrisie des nations qui, dans le conflit armé entre les forces russes et ukrainiennes, se portent à la rescousse de la «démocratie». Alors que chaque gouvernement impliqué prétend vouloir libérer une population asservie, aucun d’entre eux n’a de politiques qui reconnaissent l’autodétermination des peuples qui vivent dans leur propre pays. Quelle immense farce que cette guerre. Les populations ukrainiennes et russes souffrent et meurent pour les intérêts impérialistes d’un Vladimir Poutine et de sa contrepartie militaire organisée par l’OTAN.

Ce conflit inter impérialiste est l’expression violente d’un redécoupement du monde en faveur des grandes puissances contre les droits nationaux. Le droit à l’autodétermination des peuples du territoire ukrainien est complètement oublié par les forces capitalistes qui s’affrontent actuellement. Ce n’est pas la quantité d’armes ou la supériorité technologique qui mettra un terme à cette guerre et libérera l’Ukraine de l’occupant russe. C’est plutôt la résistance autonome de la classe ouvrière ukrainienne et russe contre les politiques guerrières et anti-ouvrières de Poutine et Zelensky. On peut en apercevoir le potentiel à travers les mutineries dans l’armée russe et la défense autonome de certaines villes d’Ukraine.

Le droit des nations à disposer d’elles-mêmes est irréalisable sous le capitalisme. Il est irréalisable à travers l’action des pays de l’OTAN, et encore moins sous l’occupation russe. L’autonomie qu’on accorde sur des questions secondaires ou qu’on accepte de concéder provisoirement, sous des conditions ou de circonstances particulières, ne sont qu’une illusion de liberté. Dès qu’elle dépasse le cadre des intérêts de l’élite dominante, cette autonomie est remise en question et abolie du revers de la main. Les élites prennent le soin de bien diviser la classe ouvrière pour éviter la révolte, ou sinon, utilisent la force des armes. 

Contrairement aux personnes qui ne veulent pas voir une lutte de classe dans les questions nationales, la classe dominante n’est pas gênée de voir les choses comme telles. Elle est prête à suspendre les libertés, à faire la guerre et à tuer les indésirables qui se dressent devant le chemin de «l’unité nationale». L’occupation et la mise en tutelle de la Catalogne par les autorités de Madrid lors du référendum de 2017 en donnent un autre exemple.

La violence de la bourgeoisie

L’exemple de l’Ukraine et de la Catalogne montre que la libération nationale est une forme de lutte de classe. Si on considère la lutte de classe comme une guerre entre la classe bourgeoise et la classe ouvrière, il faut admettre que cette guerre ne se fait pas sans une certaine forme de violence. Du côté de la classe ouvrière, cette violence n’est pas désirée. Mais elle est inévitable dans le processus de conquête du pouvoir et de ce qui est nécessaire pour le retirer des mains de la bourgeoisie.

La réappropriation de ce qui nous appartient – notre droit à une vie décente, à un territoire et au contrôle de notre travail collectif – est considérée par la classe bourgeoise comme un vol de sa propriété. La propriété du territoire et des moyens de production revient de «droit» à la bourgeoisie par les privilèges que le système capitaliste lui accorde. C’est sa raison d’être. Jamais elle n’y renoncera. Il faut être prêts et prêtes à mener les batailles contre la répression qui bloque le chemin de la transition socialiste vers l’indépendance. 

Obstacles idéologiques

Il y a aussi des obstacles idéologiques qui se dressent devant nous. Ces obstacles sont des abstractions érigées en codes moraux par les ennemis de la classe ouvrière. Ces codes sont devenus très ancrés dans les mœurs des travailleurs et des travailleuses du monde entier. 

L’institution du droit bourgeois est un bon exemple. La bourgeoisie a mis au point un système légal afin de maintenir son pouvoir de manière «légitime». Mais elle n’hésite pas à violer la loi lorsqu’il s’agit de défendre ses intérêts. Pourquoi devrait-on respecter le cadre de ce système truqué, mis précisément au point pour contrôler l’action de la classe ouvrière? L’accession à l’indépendance du Québec est tout simplement impossible de manière légale dans le cadre canadien. Elle est tout aussi impossible pour la Catalogne ou l’Écosse.

Le respect de la légalité 

Les personnes et les groupes sociaux qui défendent les codes moraux bourgeois et ses lois ne sont pas tous de méchants capitalistes. C’est le cas des gens qui se présentent à nous comme des représentants et des représentantes de la classe ouvrière, mais qui plient à la moindre occasion face aux menaces des gouvernements et des patrons. 

Ces personnes, qui siègent souvent dans les directions des grands syndicats et des partis politiques, mettent souvent plus d’énergie à décourager les actions militantes de leurs propres membres qu’à établir un réel rapport de force avec la partie adverse. On voit ces personnes passer du bon temps entouré de ceux et celles censés être leurs ennemis de classe, jugés être leurs «vis-à-vis». Cet aplaventrisme conscient et calculé nous est imposé pour contrer notre volonté de changer l’ordre établi, pour se plier aux règles du jeu établies par la classe dominante.

Pensons aux multiples occasions ratées du Parti québécois – et maintenant de Québec solidaire – de s’attaquer frontalement aux politiques qui détruisent la vie des travailleurs et des travailleuses. Sous le couvert de présenter une alternative «responsable»,  «modérée» et «démocratique», ces partis refusent de s’attaquer directement aux politiques fédéralistes pour ne pas contrevenir à la loi. 

Il est aussi commun de voir dans les instances des grandes centrales syndicales cette même stratégie d’éteignoir. Le respect des règles et des limites coûte que coûte, la négociation de «bonne foi» au sommet, les manifestations pacifiques dans une ambiance familiale et festive. Pourquoi pas des ballounes et des confettis pour fêter notre soumission collective? Il ne suffit pas de négocier dans un cadre légal. On doit arracher les privilèges des capitalistes et imposer le respect de nos droits collectifs. C’est une guerre sérieuse qui vise à reprendre ce qu’ils nous volent tous les jours de notre vie depuis des siècles!

Savoir d’où on vient pour savoir où on va

Bien avant que le Québec ne devienne le Québec, la victoire militaire des colonialistes anglais sur les colonialistes français marque un tournant historique en terre d’Amérique de 1760. Au fil des décennies, ce conflit se transforme en une lutte de classe opposant, d’une part, les paysans et les notables majoritairement canadiens-français et, d’autre part, la bourgeoisie naissante anglaise et les élites politiques au service de l’impérialisme britannique. Il ne faut pas oublier que la lutte des années 1830 pour un gouvernement autonome de l’Empire britannique est aussi portée par des Canadiens et Canadiennes d’origine anglaise et irlandaise ainsi que par des autochtones. Les Rébellions patriotes ont des échos retentissants dans le Haut-Canada, aujourd’hui l’Ontario. 

Bien qu’une majorité de la population adhère probablement à ce changement politique, les masses ne sont pas assez organisées pour opérer un renversement politique. Le mouvement des Patriotes des années 1837 et 1839 est essentiellement porté par un groupe de notables organisés en paramilitaires, aidés d’une frange de paysans radicalisés, qui se révoltent courageusement contre une puissante armée qualifiée. Et cette armée, faut-il le rappeler, est sous le commandement d’un establishment politique qui domine la vie au Bas-Canada à tous les points de vue: économique, politique, juridique et bien sûr militaire. 

Les rébellions se soldent par une défaite écrasante qui tue politiquement et économiquement la population canadienne-française pendant plus d’un siècle. Le clergé catholique joue un rôle réactionnaire du début à la fin. Il excommunie les Patriotes pour avoir osé se soulever contre l’oppresseur. 

Le capitalisme oppresseur crée une classe ouvrière opprimée

L’industrialisation se développe alors partout dans le monde capitaliste et crée une classe ouvrière. La deuxième moitié du 19e siècle voit émerger les premiers combats des organisations syndicales en Amérique. La lutte se dessine entre une nouvelle classe ouvrière et une nouvelle oligarchie capitaliste à la tête de grandes entreprises. Ces dernières exploitent les ressources de la planète à outrance ainsi que la force des travailleurs et travailleuses dans des conditions extrêmes. 

Les Canadiennes et Canadiens français recommencent à se révolter dans les années 1960, suite au capitalisme sauvage de l’époque de Maurice Duplessis. Sous le couvert d’un ultranationalisme religieux et identitaire, le gouvernement conservateur collabore en fait avec le capitalisme canadien et américain pour exploiter les ressources naturelles et la classe ouvrière canadienne-française au maximum, avec la complicité de l’Église catholique.

Les décennies suivant la Deuxième Guerre mondiale sont celles où les peuples se radicalisent partout sur la planète pour se prendre en main et changer la société. La lutte de classe qui se développe au Québec suit les mouvements de révolte qui se multiplient partout dans le monde. Le mouvement ouvrier québécois épouse le mouvement pour l’indépendance nationale vers la fin des années 1960. De ce mariage résultent les plus importantes luttes de classe de l’histoire du Québec moderne

Une oppression nationale toujours présente

Avec la «Révolution tranquille», les partis politiques nationalistes québécois s’emparent de l’État afin de créer une nouvelle élite économique et politique francophone. Ce sera le rôle historique du Parti libéral puis du Parti québécois (PQ). Mais l’apparition du Québec Inc. n’a pas éliminé l’oppression nationale et capitaliste pour autant. Certes, les boss chez Wal-Mart parlent maintenant en français. Mais la classe ouvrière québécoise est toujours sous l’emprise du capital étranger. Nos terres et nos logements sont vendus sur le marché international. Nos ressources sont pillées par des multinationales qui détruisent notre environnement avec l’approbation de Québec.

Le nationalisme est désormais utilisé par ces élites pour exclure, discriminer et nourrir la peur de l’autre. Le nationalisme identitaire xénophobe mis de l’avant par le PQ et la Coalition avenir Québec (CAQ) sert à diviser la classe ouvrière et à désarticuler sa lutte de libération nationale. 

La langue française pour nous unir

La langue, la culture et les médias peuvent être des outils de ralliement à cette lutte, plutôt que des moyens pour nourrir une guerre entre des groupes linguistiques. La langue française est la langue de la plus grande partie de la classe ouvrière québécoise. Elle n’est pas «le but» d’un projet de nouveau pays. Elle peut être utilisée pour rassembler autour d’un changement de société qui mettra en place un système basé sur les besoins et les moyens des travailleurs et travailleuses. 

Ce projet de société, il n’est pas uniquement intéressant pour les francophones. Un nouveau modèle de société basé sur l’égalité, l’équité, la démocratie et une économie planifiée appelle tous les Québécois et toutes les Québécoises, peu importe leur origine, leur langue maternelle, leur culture et bien au-delà.

L’indépendance est entre les mains de la classe ouvrière

Notre vision d’une société meilleure n’est pas propagée dans les médias, dans les grandes productions cinématographiques ou dans les religions. Le futur que nous voulons ne peut pas être réalisé par les partis capitalistes nationalistes ni par les conspirationnistes qui s’affichent comme anti-establishment.

Ce futur ne peut pas se réaliser grâce aux partis petits-bourgeois qui s’opposent au gouvernement sans s’opposer au système tout entier. Comme le disait le révolutionnaire irlandais James Connolly, le rôle de ces propagandistes est «de prêcher la révolution et le compromis dans la pratique et de ne faire ni l’un ni l’autre de manière consistante».

Le salut de la classe ouvrière est entre ses propres mains, pas dans celles d’un Messie ou d’un héros national qui porterait le flambeau pour les centaines de milliers de personnes. C’est bien ça que l’on voit tout au long de l’histoire du Québec. L’incrustation de l’idée du Messie salvateur et du grand jour où tout bascule soudainement pour nous. 

C’est du pur idéalisme, de l’attentisme que de mettre tous nos espoirs dans l’idée d’un sauveur unique, d’un jour où toutes les conditions seront favorables en même temps. C’est s’apitoyer sur notre sort en attendant que quelqu’un du monde des idées nous sorte de notre trou. Il faut se défaire et déconstruire ce mythe par l’éducation politique, par la compréhension de l’histoire de la lutte des classes et par l’organisation de luttes ici et maintenant.

S’organiser politiquement 

Toutes les conditions favorables ne sont jamais réunies du même coup. Rien n’arrive par la pensée, la prière ou l’espérance sans action. Les conditions gagnantes, comme on l’a souvent mentionné au Québec, c’est nous qui devons les créer par notre organisation militante. Notre programme socialiste et indépendantiste est une force politique essentielle pour faire avancer le mouvement de libération nationale et rassembler les différentes forces ouvrières. 

Pour arrêter un objet qui tombe sous la force gravitationnelle, l’espoir n’y peut absolument rien. Il faut contrer cette force par une force opposée capable de faire dévier la trajectoire de l’objet. Il en est de même dans le processus historique de la lutte de classe. Il faut appliquer un rapport de force pour arriver à changer la trajectoire de l’histoire.


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