Un monde socialiste est possible

Qu’est-ce que le socialisme et comment pouvons-nous le gagner ?

Introduction

Des inégalités record, une dette écrasante, une pandémie dévastatrice, des emplois précaires et dangereux, des discriminations et des abus, des catastrophes environnementales et météorologiques, la montée en flèche du coût de la vie : cet aperçu brutal du statu quo, de la souffrance humaine et de la destruction du climat sous le capitalisme, suffit à plonger n’importe quel individu dans un désespoir accablant. La dernière décennie a clairement montré que le capitalisme est en crise pour tous, à l’exception d’une poignée d’individus. 

En octobre 2021, la richesse des 745 milliardaires américains — soit les 0,0002 % les plus riches du pays — a augmenté de plus de 70 %, passant de 2 100 milliards de dollars à un total stupéfiant de plus de 5 000 milliards de dollars, au cours de la pandémie de COVID-19. Le fait que 2 750 personnes possèdent autant de richesses que plus de la moitié de la planète, soit 3,9 milliards de personnes, témoigne de la criminalité de ce système. Aucun «auto-soin personnel» ne peut venir à bout de la privation matérielle insensée et de la dévastation auxquelles sont confrontés des milliards de personnes, ni de l’anxiété et de l’aliénation profondes qui en résultent et qui pèsent sur notre relation au travail, sans parler de nos relations à la maison et au sein de nos communautés.

Mais cela ne signifie pas que l’état actuel de la société est sans espoir. Les événements récents et l’histoire prouvent que c’est loin d’être le cas. Une meilleure compréhension des causes matérielles à l’origine des processus économiques, politiques et sociaux de la dernière décennie — ainsi que des derniers siècles de capitalisme — révèle comment nous pouvons concrètement lutter. Des millions de travailleurs, de travailleuses et de jeunes ont refusé de se résigner à cette situation et ont lutté contre la corruption, la cupidité et la destruction du climat. En tant que socialistes scientifiques, nous pensons qu’une plus grande organisation et unité de ces forces derrière un programme socialiste clair est non seulement possible, mais absolument nécessaire pour faire avancer la société. 

En réponse aux multiples récessions, aux brutalités policières racistes, au sexisme rampant, aux changements climatiques et aux conditions de travail dégradées, les travailleurs, les travailleuses et les jeunes ont marqué les années 2010 de leur empreinte: Occupy Wall Street, Black Lives Matter (BLM), le mouvement #MeToo, Fridays for Future (la grève étudiante pour le climat), Red for Ed (la campagne pour un meilleur financement de l’éducation) et la réémergence des luttes ouvrières de masse. La croissance des mouvements sociaux et syndicaux démontre que des millions de jeunes et membres de la classe ouvrière en voie de radicalisation sont prêts à tester de nouvelles méthodes de lutte contre leurs oppresseurs et la classe capitaliste. Davantage de personnes s’identifient comme « anticapitalistes » et, de plus en plus, comme socialistes. Selon un sondage réalisé en 2021 par Axios et Momentive, 54 % des personnes adultes âgées de 18 à 34 ans ont déclaré avoir une opinion négative du capitalisme, tandis que 51 % d’entre elles soutiennent le socialisme. Bernie Sanders et son appel à une révolution politique contre la classe des milliardaires ont influencé les opinions politiques de millions de personnes au cours d’une période incroyablement turbulente. Des organisations socialistes démocratiques comme Democratic Socialists of America (DSA) et Socialist Alternative (organisation sœur d’Alternative socialiste aux É.-U.) se sont développées en conséquence.

La réémergence du socialisme en tant qu’identifiant politique populaire suscite des questions et des débats importants sur ce qu’est réellement le socialisme. Comment peut-il fonctionner et comment s’attaque-t-il aux inégalités, à l’oppression et aux changements climatiques? Que faut-il pour y parvenir et renverser le capitalisme? Pouvons-nous y parvenir en réformant le système actuel, ou devons-nous nous en détacher complètement pour que la classe ouvrière puisse s’affirmer? Le socialisme a-t-il «échoué» en Union soviétique, en Chine et dans l’ensemble des pays en développement? Toutes ces questions méritent d’être étudiées et discutées. À l’heure actuelle, l’une des tâches les plus importantes des marxistes est d’y répondre patiemment et en profondeur, et de rallier davantage de personnes à la lutte pour le socialisme.

Le mouvement socialiste a de profondes traditions issues des théories scientifiques, économiques et politiques de Karl Marx et Friedrich Engels. Tout au long des 19e et 20e siècles, la théorie marxiste et la lutte des classes ont permis aux travailleurs, aux travailleuses et aux personnes opprimées de remporter de nombreuses victoires. La plus marquante a été la Révolution russe. Bien entendu, les mouvements ont également connu des revers. Les leçons tirées de cette histoire nous renseignent sur le type de politique et d’organisation dont nous avons besoin pour nous attaquer au capitalisme et conquérir le socialisme au 21e siècle. 

Le capitalisme nous tue

Au cours de ses quelques 500 ans d’existence, le capitalisme a ouvert la voie à des percées technologiques qui ont transformé la société à maintes reprises. Les chemins de fer, les véhicules automobiles et les avions ont révolutionné les transports et le commerce. Les découvertes et les inventions, du moteur à combustion interne à la production d’électricité, ont propulsé les économies agraires vers l’industrialisation. Depuis lors, l’informatique de plus en plus complexe, la robotique et la technologie des fusées ont permis l’automatisation et les voyages dans l’espace. Du téléphone et de la radio aux réseaux satellitaires et à l’internet, les progrès de la communication ont permis de relier des milliards de personnes à l’information, aux produits, aux services ainsi que les uns aux autres dans le monde entier. Ces exploits de l’ingéniosité humaine ont augmenté de façon exponentielle au cours de l’ère capitaliste.

Par exemple, les ingénieurs ont construit les premiers ordinateurs électroniques capables de stocker des informations au début des années 1940. En 1949, le magazine Popular Mechanics prédisait que «les ordinateurs du futur pourraient n’avoir que 1 000 tubes et ne peser qu’une tonne et demie». Aujourd’hui, un téléphone intelligent ordinaire est des millions de fois plus rapide que les ordinateurs de la mission Apollo de la NASA dans les années 1960, de la taille d’une voiture! Même une calculatrice TI-84 est 350 fois plus rapide et dispose de 32 fois plus de mémoire vive que les ordinateurs qui ont envoyé des hommes sur la lune! 

Les nouvelles technologies ont manifestement le pouvoir de façonner de manière spectaculaire la société de l’époque. Elle reflète également la société dont elle est issue: l’évolution de ses priorités et de ses besoins matériels, la façon dont elle est organisée et, en conséquence de cette organisation, sa capacité de production croissante. L’explosion des progrès technologiques réalisés sous le capitalisme en est le reflet. L’augmentation de la concentration de la population active vivante dans les villes et à proximité, ainsi que l’accès élargi aux ressources et aux biens spécialisés grâce au développement du commerce, a permis aux populations de produire davantage depuis les 18e et 19e siècles. Cela s’est traduit par des processus de travail socialisés plus efficaces dans les usines, des outils plus précis et, à terme, l’automatisation. En conséquence, le produit intérieur brut (PIB) mondial, qui mesure la valeur marchande des biens et services produits, est plus de 20 fois supérieur à ce qu’il était il y a un siècle. Comparez ce chiffre à la croissance de la population mondiale, qui a été multipliée par un peu plus de quatre! En d’autres termes, la main-d’œuvre d’aujourd’hui est beaucoup plus productive.

Malheureusement, le niveau de vie d’une grande partie de la classe ouvrière, même s’il s’est amélioré pour certains groupes, n’a pas suivi cette hausse de la productivité. Les salaires n’ont pas augmenté à un rythme comparable. En fait, aux États-Unis, la productivité a augmenté 3,5 fois plus que les salaires horaires et les avantages sociaux entre 1979 et 2020. Au cours de la même période, la rémunération des PDG a augmenté de plus de 1322 %, soit 351 fois le salaire moyen d’un travailleur. On peut comparer cela à la rémunération des PDG en 1965, qui était alors 21 fois supérieure à celle des travailleurs ordinaires. Ce qui reste bien supérieur à ce qui est nécessaire pour vivre très confortablement!

Pendant ce temps, les services publics, la recherche et le développement ainsi que les filets de sécurité sociale sont gravement sous-financés. Malgré toutes les technologies incroyables développées par le capitalisme, ce système ne fourni pas suffisamment de nourriture à plus de 700 millions de personnes souffrant de malnutrition, ni d’eau potable et d’installations sanitaires à plus de 2 milliards de personnes. Il n’a pas réussi à contenir le coronavirus avant qu’il n’infecte plus de 280 millions de personnes et n’en tue 5,4 millions à la fin de l’année 2021, deux ans après l’identification des premiers cas. Et cela, pendant que la pandémie continue d’exacerber tous les autres problèmes auxquels sont confrontés des milliards de travailleurs, de travailleuses et de personnes pauvres. 

En effet, la force motrice du capitalisme n’est pas le bien-être et le progrès de l’humanité. Mais la maximisation des profits d’une petite minorité qui contrôle les richesses et les actifs du monde. Historiquement, le capitalisme a énormément développé les forces productives de notre société : nos moyens de transport, la technologie, la communication, la science et les usines dans lesquelles de nouveaux biens sont fabriqués. Mais les caractéristiques qui définissent le capitalisme — la propriété privée et l’État-nation — ont entravé la poursuite du développement de notre économie et de notre société. Lorsqu’il s’agit d’appliquer et d’allouer ce capital accumulé, cela ne se fait pas selon un plan fondé sur la coopération et le bénéfice mutuel. Qu’il s’agisse de développer ou de distribuer des équipements de protection individuelle (ÉPI) ou des vaccins en cas de pandémie, de construire des infrastructures plus écologiques pour minimiser les catastrophes climatiques ou de fournir de la nourriture ou des médicaments vitaux, la plupart des décisions se résument à savoir si elles augmenteront la richesse de l’élite la plus riche du monde. 

Le journaliste américain William Greider ouvre son livre One World Ready or Not: The Manic Logic of Global Capitalism (Un seul monde, prêt ou non: la logique maniaque du capitalisme mondial) en décrivant le capitalisme moderne: 

Une nouvelle machine merveilleuse, forte et souple, une machine qui récolte en même temps qu’elle détruit… Imaginez maintenant qu’il y ait des mains habiles à bord, mais que personne ne soit au volant. En fait, cette machine n’a ni roue ni gouverneur interne pour contrôler la vitesse et la direction. Elle est soutenue par son propre mouvement vers l’avant, guidée principalement par ses propres appétits.

Sous le capitalisme, ce sont les forces aveugles et les tâtonnements du profit qui sont aux commandes. 

Malgré des demi-mesures fragmentaires visant à apporter un soulagement sélectif et temporaire, l’incapacité du capitalisme à résoudre les problèmes de pauvreté, de faim, de maladie ou de crise climatique n’est pas due à un manque de ressources ou d’idées. Il s’agit d’échecs délibérés d’un système qui a depuis longtemps dépassé son utilité progressiste et qui est en train de nous tuer littéralement.

Selon un rapport des Nations unies de 2018, 2,8 millions de travailleurs et travailleuses meurent chaque année, dont plusieurs centaines aux États-Unis chaque jour, en raison de conditions de travail dangereuses. Des millions d’autres sont victimes de violences verbales, physiques, psychologiques et sexuelles sur leur lieu de travail. Des histoires d’horreur émergent des centres de distribution d’Amazon, où les travailleurs et travailleuses s’effondrent régulièrement d’épuisement et se voient refuser des pauses pour aller aux toilettes. Dans un cas scandaleux, du personnel a été contraint de trier et de livrer des colis pendant des tornades meurtrières dans l’Illinois. Des ateliers de misère brutaux, qui ne paient que quelques cents de l’heure et font travailler des enfants, fabriquent des produits pour Adidas, Nike, H&M, GAP et d’autres grandes enseignes de l’habillement. L’Organisation internationale du travail estime que les maladies professionnelles et les cancers, qui pourraient être évités grâce à des protocoles de sécurité stricts, touchent 160 millions de personnes chaque année. La pandémie de coronavirus a continué à montrer à quel point la vie des personnes qui travaillent importait peu à leurs patrons, les «travailleurs essentiels» étant contraints de travailler sans mesures sanitaires adéquates, sans équipement de protection, sans indemnité de maladie ou de risque. 

Sans parler des changements climatiques et des ravages écologiques causés par le capitalisme. Nous atteignons ou dépassons des points de basculement climatiques qui garantissent des conséquences dramatiques pour la planète, ses habitants et ses habitantes. L’élévation du niveau des mers, les sécheresses de longue durée et la famine menacent de provoquer le déplacement de centaines de millions de personnes. Nous avons déjà constaté une augmentation de 83% des catastrophes météorologiques mondiales au cours des 20 dernières années, entraînant la mort de 1,2 million de personnes ainsi que la dévastation d’habitations et d’infrastructures publiques. Au cours des 40 dernières années, les populations moyennes d’animaux sauvages ont chuté de 60%. 

La transformation de la forêt amazonienne en savane, la fonte de la calotte glaciaire de l’Antarctique occidental et l’effondrement du Gulf Stream ne sont pas des évolutions naturelles. Cent entreprises géantes comme Shell, Exxon et BP ont été responsables de 71% des émissions industrielles de carbone au cours des trois dernières décennies, tandis que 33 banques mondiales ont investi 1 900 milliards de dollars dans les combustibles fossiles depuis la signature des accords de Paris en 2015. Malgré l’urgence existentielle, le capitalisme continue de privilégier le profit à court terme au détriment de la planète. Il retarde chaque année une transition rapide vers les énergies renouvelables, pourtant indispensable. Depuis 1995 et jusqu’au dernier sommet de la Conference of the Parties (Conférence des Parties; COP 26), les principaux pays pollueurs — la Chine, la Russie, l’Inde et les États-Unis – n’ont pas réussi à prendre des engagements significatifs pour éliminer progressivement le charbon ou réduire les émissions de méthane, car la concurrence impérialiste l’a emporté sur la coopération mondiale. 

Le révolutionnaire marxiste russe Vladimir Lénine a décrit l’impérialisme comme le stade monopoliste du capitalisme : la richesse est concentrée entre les mains de quelques entreprises géantes et de capitalistes super-riches qui s’associent et sont contrôlés par quelques très grandes banques capables de manipuler l’économie. Dans sa soif de retours sur investissements de plus en plus rentables, le capital financier doit dépasser les frontières nationales et jeter son dévolu sur les marchés, les ressources et la main-d’œuvre à l’étranger. Pour les territoires qui ne sont pas encore sous la coupe des capitalistes, cela signifie une colonisation forcée. Dans le cas de rivalités entre superpuissances, cela peut se traduire par un réseau complexe d’accords commerciaux ou de sanctions économiques. Mais lorsque cela ne produit pas les résultats escomptés pour les différentes sections de la classe dirigeante, cela s’est traduit par des guerres sanglantes. Dans tous ces scénarios, les classes populaires et opprimées sont forcées de payer par leurs moyens de subsistance ou leur vie. «Quelle autre solution aux contradictions du capitalisme, demande Lénine, que celle de la force?» La guerre, sous toutes ses formes économiques et physiquement violentes, est une caractéristique inévitable du capitalisme.

Les politiciennes et politiciens corporatistes mentent lorsqu’ils disent qu’il n’y a pas d’argent pour annuler la dette des étudiants et étudiantes, accorder des soins de santé pour tout le monde ou adopter un Green New Deal (Nouveau pacte vert), alors que chaque année, le budget militaire américain augmente de plusieurs milliards pour protéger les intérêts des États-Unis à l’étranger. Mais les populations étrangères ne sont pas les seules victimes de la violence d’État lorsque les classes dirigeantes nationales s’affrontent pour dominer le capital mondial. Aux États-Unis, des centaines de personnes sont tuées chaque année par la police, dont un nombre disproportionné de personnes de couleur, à faible revenu ou handicapées. Même au Canada, la police est employée pour protéger les intérêts des propriétaires et des entreprises, en assurant un contrôle excessif et en expulsant les locataires des zones mûres pour un développement immobilier profitable, sans aucun contrôle réel de la communauté sur la sécurité publique ou aucune justice pour la classe ouvrière. Pendant ce temps, des millions de personnes sont coincées en Amérique du Nord dans un complexe industriel carcéral aliénant qui produit une main-d’œuvre bon marché et prive les personnes détenues de leurs droits, renforçant ainsi les préjugés sociétaux à l’encontre des personnes noires, autochtones, Latinos et pauvres. 

Il n’y a rien à récupérer de ce système qui a perdu son utilité en tant que force progressiste pour la société il y a des siècles. Il y a plus de cent ans, au milieu de la brutale Première Guerre mondiale, la révolutionnaire Rosa Luxemburg a rappelé les paroles du théoricien marxiste Friedrich Engels le siècle précédent: «La société bourgeoise est placée devant un dilemme: ou bien passage au socialisme ou rechute dans la barbarie». Elle poursuit : «Jetons un coup d’oeil autour de nous en ce moment même, et nous comprendrons ce que signifie une rechute de la société bourgeoise dans la barbarie». On pourrait facilement dire la même chose de la société d’aujourd’hui, qui a continué sur cette voie très destructrice. Mais le chemin vers une alternative reste devant nous. L’avenir de la civilisation et de l’humanité dépend encore aujourd’hui, comme à l’époque, de la classe ouvrière qui doit prendre les choses en main.

Qu’est-ce que le socialisme?

Bien sûr, il n’est pas suffisant d’être anticapitaliste. Pour rallier davantage de personnes à la lutte contre ce système désastreusement oppressif, nous devons également nous battre pour quelque chose. Après la récession de 2008 et le mouvement Occupy, Bernie Sanders a mobilisé en 2016 l’indignation du public face à la corruption des élites politiques et à la cupidité des entreprises. Il a appelé à une «révolution politique» contre Wall Street et le 1%. Depuis lors, lui et d’autres «socialistes démocratiques» ont popularisé les demandes d’un salaire minimum de 15$/h, d’un système de santé public universel (single-payer), de la taxation des riches, de l’annulation de la dette étudiante et d’un Green New Deal (Nouveau pacte vert). De telles réformes sont des éléments clés de tout programme socialiste aujourd’hui. Se battre pour elles permettra non seulement d’améliorer considérablement la vie des gens, mais aussi de construire des mouvements plus forts afin de remettre en cause le système dans son ensemble, en renforçant notre expérience et notre capacité de lutte.

On croit donc souvent que les socialistes veulent simplement mieux répartir les richesses. Sanders et d’autres personnalités de gauche, comme Bhaskar Sunkara de Jacobin, proposent des réformes profondes dans le cadre d’un marché réglementé. Une telle vision s’inspire des États-providence d’Europe du Nord et de l’ère du New Deal, qui a donné lieu à des réformes en faveur des travailleurs et travailleuses aux États-Unis. Il s’agirait certainement d’une nette amélioration pour des millions de personnes, mais pour des raisons que cet article expliquera plus en détail par la suite, cette vision n’est pas à la hauteur de ce qui peut être réellement réalisé. Elle est même utopique.

En bref, les marxistes ne seraient pas d’accord avec cette définition trop simpliste du «socialisme». En proposant une redistribution des richesses par le biais d’un secteur public élargi dans le cadre d’une société capitaliste, elle se contredit elle-même. Laisser intactes les forces du marché de la propriété privée, même avec davantage de coopératives de travailleurs, ne permettrait pas de créer une société véritablement égalitaire à long terme, mais serait condamné à répéter les processus de monopolisation. La concurrence pour les parts de marché et les profits se poursuivra, car ce «socialisme de marché» tendrait à ressembler au capitalisme de marché.

Cette situation ne résout pas de manière décisive le conflit principal entre les classes dirigeantes et les classes opprimées. Au contraire, il suppose qu’elles peuvent coexister en harmonie. Mais le capitalisme repose par définition sur l’exploitation des travailleurs et travailleuses, en extrayant la «plus-value» (le profit) réalisée par un travail qui a permis de produire un bien ou un service. Bien que certaines personnes puissent affirmer que «le capitalisme a fabriqué votre iPhone», la réalité est que ce sont des travailleurs et travailleuses qui ont produit cet appareil. Ces personnes continueraient à le faire sous le socialisme. La différence est qu’elles seraient mieux payées tout en travaillant moins d’heures, dans des conditions plus sûres, en utilisant des matériaux extraits de manière durable sous la direction des populations locales. Tout cela serait possible parce que les superprofits seraient éliminés, les travailleurs et travailleuses déterminant collectivement ce qu’il convient de faire avec les richesses produites.

Pour les marxistes, le socialisme est donc un système fondamentalement différent qui doit rompre totalement avec l’ordre capitaliste mondial existant. Nous avons besoin non seulement d’une «révolution politique», mais aussi d’une révolution sociale, avec une économie entièrement contrôlée par les travailleurs et travailleuses. Ce n’est que dans ce scénario qu’une véritable redistribution des richesses est possible.

À quoi ressemblerait donc une société socialiste et que faut-il pour qu’elle fonctionne réellement? Ceux et celles qui luttent aujourd’hui pour le socialisme ne peuvent pas dessiner l’avenir avec une telle précision, mais plus d’un siècle d’études théoriques et d’expériences historiques ont confirmé plusieurs aspects fondamentaux:

  • un gouvernement dirigé par la classe ouvrière, avec un suffrage universel et direct ainsi que des personnes représentantes révocables;
  • une économie centralisée planifiée démocratiquement, rendue possible par la propriété publique démocratique des industries clés et des banques;
  • la garantie de logements sociaux de qualité, de soins de santé, de transports et d’éducation pour tout le monde, ainsi que le partage du travail pour garantir des services sociaux solides;
  • un internationalisme coopératif respectant le droit des nations à l’autodétermination.

Une véritable démocratie pour des milliards de personnes — pas pour les milliardaires

Pour fonctionner, une économie socialiste devrait être planifiée démocratiquement. Contrairement à ce qui a été présenté par des décennies de propagande capitaliste, un véritable gouvernement socialiste ne serait pas dictatorial. Au contraire, le socialisme étendrait et approfondirait la démocratie bien au-delà de la version limitée que le capitalisme peut accorder, c’est-à-dire une démocratie pour les riches. Dans le cas des États-Unis, la démocratie se résume à l’élection de personnes représentantes tous les deux ou quatre ans. Comme l’a fait remarquer Lénine en 1918, «les élections faites dans ces conditions, la bourgeoisie, cela va de soi, se plaît à les qualifier de “libres”, “égales”, “démocratiques” et “universelles”, puisque ce mots servent à cacher la vérité, à cacher le fait que, la propriété des moyens de production et le pouvoir politique étant assurés aux exploiteurs. il ne saurait être question de liberté véritable, de véritable égalité pour les exploités, c’est-à-dire pour l’immense majorité de la population».

Pourtant, même une telle « démocratie » est manifestement antidémocratique : la suppression d’électeurs et d’électrices a toujours été intégrée à système politique des États-Unis, qui a toujours privilégié les riches. Malgré les avancées obtenues par les mouvements de défense des droits civiques et des droits des femmes au cours du 20e siècle, le droit de vote reste limité et menacé par les attaques de la droite au 21e siècle. Le collège électoral, les lois racistes sur l’identification des personnes électrices, une Cour suprême archaïque et non élue, le gerrymandering  (découpage électoral partisan), les délais de vote restrictifs, les fermetures de bureaux de vote et les campagnes de révocation coûteuses menées par l’élite corporative sont autant de menaces qui pèsent sur le peu de poids que nous avons dans la gouvernance. Ces menaces privent particulièrement les personnes de couleur de leur droit de vote. Mais ce n’est pas tout. Sous le capitalisme, nous n’avons pas beaucoup de choix quant à nos personnes «représentantes». Il y a celles qui font volontairement ce que les milliardaires et les entreprises veulent, et il y a celles qui cèdent aux pressions de l’establishment.

En revanche, dans le cadre d’un véritable socialisme, chacun pourrait prendre part aux décisions relatives à la gestion de la société et de l’économie, sur la base d’un débat ouvert et constructif. Cela nécessiterait une réduction considérable de la semaine de travail sans perte de salaire, des services de garde d’enfants universels et une gamme complète d’outils linguistiques et d’accessibilité. La participation de l’ensemble de la société à la prise de décision permettrait de briser la poigne de fer des riches sur nos milieux de travail, nos écoles et nos communautés. Bien entendu, il n’est pas logique que chaque individu participe à toutes les décisions à prendre dans une société aussi complexe et mondialisée. Par conséquent, des personnes représentantes et démocratiquement élues resteraient nécessaires pour prendre des décisions aux niveaux local, national et international. Même sur le lieu de travail, votre «gestionnaire» serait élu parmi les meilleurs travailleurs et travailleuses et s’appuierait fortement sur la prise de décision collective plutôt que sur des décisions unilatérales en décalage avec les observations ou les intérêts des gens qui travaillent. Avec le droit de révocation démocratique immédiat, ces personnes dirigeantes seraient également bien plus responsables que tout ce que l’on peut voir sous le capitalisme.

Aujourd’hui, la plupart des personnalités politiques constituent une frange privilégiée de la société, aux ordres de la classe capitaliste.  Et comme la plupart des patrons, elles vivent loin des difficultés quotidiennes auxquelles sont confrontés les gens ordinaires. Un gouvernement et des milieux de travail socialistes garantiraient qu’aucun représentant ou représentante élue ne bénéficie de privilèges financiers du fait de sa position, mais que cette personne mène le même style de vie que celles qu’elle représente. Cela permettrait d’éviter la formation de bureaucraties privilégiées telles que celles que l’on rencontre dans le capitalisme ou dans un État «socialiste» déformé comme l’Union soviétique.

C’est pourquoi l’Alternative socialiste internationale (ISA) estime que les personnes élues qui représentent des travailleurs et des travailleuses ne devraient recevoir que le salaire moyen en vigueur parmi les personnes représentées, et veille à ce que ses membres occupant des fonctions publiques fassent de même. Par exemple, Kshama Sawant, membre du conseil municipal de Seattle et de Socialist Alternative, n’accepte que le salaire moyen d’un travailleur qualifié dans sa circonscription – 40 000 $/an – contre 140 000 $/an pour les autres membres du conseil. Sawant fait don du reste aux mouvements sociaux et aux mouvements ouvriers. Cette règle s’applique également à toute personne membre de Socialist Alternative élue à un poste de direction syndicale.

Les avantages d’une économie planifiée démocratiquement

La démocratie socialiste comporte un autre aspect crucial. Sous le capitalisme, la plupart des décisions économiques importantes ne sont pas prises directement par les organes du Congrès ou par le président. Elles sont prises dans les salles de conseil d’administration d’entreprises géantes. Ce n’est qu’en faisant entrer ces entreprises dans le giron de la propriété publique démocratique que la prise de décision économique peut être placée sous le contrôle de la classe ouvrière. 

Il ne s’agit pas de faire entrer les petites et moyennes entreprises (PME), comme les petits magasins et restaurants locaux, dans le capital public. Beaucoup d’entreprises communautaires, de coopératives et de petites start-ups luttent pour rivaliser avec des entreprises beaucoup plus grandes, et peuvent être forcées de mettre la clé sous la porte ou rachetées en conséquence. C’est plutôt le pouvoir dictatorial des grandes entreprises qu’il faut de toute urgence soumettre à la propriété publique démocratique pendant les phases de transition du socialisme.

Faire entrer une entreprise dans le giron public signifie prendre ses ressources – usines, machines, réseaux de distribution, technologies, infrastructures – et ses réserves financières existantes des mains des riches investisseurs pour les remettre entre les mains des travailleurs et travailleuses à l’origine de sa richesse. Une fois cette étape critique franchie, des comités démocratiques peuvent remplacer le patronat capitaliste, reflétant l’expertise des travailleurs et travailleuses de cette industrie. Ces personnes connaissent intimement son fonctionnement, ce qu’elle produit et ce qui peut être amélioré. Ainsi, l’objectif de maximiser la rentabilité serait remplacé par l’objectif de maximiser la capacité de cette industrie à répondre aux besoins de la société. Cela conduirait à une augmentation substantielle du niveau de vie général de la grande majorité des gens : il n’y aurait aucune raison de maintenir les salaires à un niveau bas, les semaines de travail inutilement longues ou les services sociaux en état de pénurie. 

Imaginez ce qui serait possible si les travailleurs et travailleuses dirigeaient les principales industries. Pour minimiser la catastrophe climatique, les travailleurs et travailleuses peuvent coopérer pour assurer une production et un commerce mondial plus propres et plus efficaces. Ces personnes peuvent superviser une transition rapide des combustibles fossiles vers les énergies renouvelables tout en garantissant des emplois sûrs et bien rémunérés en reconstruisant les infrastructures qui s’effondrent. Dans le contexte d’une pandémie, les travailleurs et travailleuses pourraient rapidement reconvertir les installations industrielles pour fabriquer les équipements médicaux et de protection individuelle indispensables, et distribuer librement les formules des vaccins et les résultats de la recherche sur les maladies. Plutôt que de souffrir de la mauvaise gestion des soins de santé privatisés et à but lucratif, les médecins, les infirmières et le personnel hospitalier pourraient coordonner la distribution de l’équipement et de l’information, tout en garantissant à toutes les personnes patientes des soins de qualité, en toute sécurité et avec une quantité de personnel adéquate. 

Le capitalisme entraîne également une prolifération inutile de produits similaires. Les entreprises se livrent une concurrence féroce pour produire les premiers produits, apparemment les meilleurs, au prix le plus élevé possible, et dépensent ensuite plus d’un demi-milliard de dollars chaque année pour convaincre les consommateurs et consommatrices de les acheter. C’est ainsi que la moitié d’une allée de la pharmacie locale est consacrée à 30 marques de dentifrice. Le socialisme viserait plutôt à produire la quantité nécessaire de produits de la meilleure qualité, en fonction des besoins généraux, et à économiser ainsi une quantité énorme de ressources qui pourraient être utilisées autrement pour améliorer et innover de nouveaux biens et services. Cette idée est loin d’être irréaliste : une grande partie des informations nécessaires pour réaliser un tel exploit de planification est actuellement sous le contrôle des dirigeants d’Amazon! Au lieu que les entreprises géantes utilisent la surveillance en ligne pour nous bombarder de publicités personnalisées afin de nous convaincre d’acheter des produits, ces outils pourraient grandement contribuer à la planification démocratique. 

Cela ne signifie pas, comme on le prétend généralement, que le socialisme entraînerait une absence de choix ou des produits de mauvaise qualité : une société où tout le monde s’habillerait en uniforme gris. Au contraire, cela signifierait un véritable choix de produits divers, plutôt que l’illusion d’une variété fabriquée par des entreprises en compétition. De plus, au lieu de l’obsolescence planifiée de la technologie ou de la mode vestimentaire, les travailleurs et travailleuses peuvent prendre le temps de fabriquer des produits de haute qualité et durables en fonction de la demande réelle, dans des conditions sûres et équitables, loin des ateliers de misère d’aujourd’hui.

Les capitalistes organisent également les chaînes d’approvisionnement de manière à obtenir les matières premières, les pièces détachées et la main-d’œuvre les moins chères possibles afin de maximiser leurs profits. Libérés de l’irrationalité et de l’anarchie de ce système, les travailleurs et travailleuses coopéreront sous le socialisme afin d’organiser la distribution et le travail en fonction des besoins et de l’intérêt collectif. Aujourd’hui, des millions de personnes recherchent le plein emploi, tandis que des millions d’autres travaillent dans des conditions inhumaines. Alors que des millions de personnes sont confrontées à l’itinérance et à l’insécurité du logement, des millions de logements restent vacants. Nombreux sont ceux et celles qui parcourent de longues distances pour se rendre au travail, alors que ces personnes pourraient être employées plus près de chez elles. La pandémie a démontré que certaines personnes peuvent même travailler à domicile sans que cela ait d’incidence sur la productivité. 

Une économie socialiste planifiée peut faire d’énormes progrès pour résoudre ces contradictions en quelques mois. Elle nécessiterait un inventaire centralisé des travailleurs et travailleuses ainsi que de leurs compétences, qui pourrait être utilisé pour les mettre en relation avec les opportunités de travail les plus proches. Les personnes surchargées de travail peuvent partager leurs heures avec celles qui sont sous-employées, ce qui permet une semaine de travail maximale de 35 heures et des vacances prolongées sans perte de salaire. Les nouvelles technologies automatisées ne devraient pas entraîner de licenciements, car les travailleuses et travailleurs pourraient simplement être autorisés à travailler moins. Les personnes qui travaillent auraient ainsi plus de temps pour participer à la gestion de la société. 

Une économie planifiée démocratiquement serait capable de réorganiser le travail de manière à fournir à chaque personne un emploi bien rémunéré nécessitant le moins de temps de trajet possible. Elle permettrait d’orienter le travail vers les projets les plus essentiels à l’épanouissement de la société et de l’environnement. Cela s’étendrait bien sûr à la science et à la technologie. La recherche de pointe ne se heurterait plus à un mur parce que les investisseurs ne voient pas de profits à réaliser à court terme. Les ingénieurs qui travaillaient auparavant sur des technologies militaires destructrices pourraient à la place travailler sur des solutions constructives pour stabiliser les écosystèmes de la planète et développer des technologies permettant de réduire à zéro les émissions de carbone. Il ne fait aucun doute que de nouvelles inventions et découvertes verront le jour, qu’il s’agisse des énergies renouvelables, de la médecine, de l’intelligence artificielle ou des vols spatiaux. 

Certains diront qu’une telle transformation est utopique, et que les gens ne se sentiraient pas concernés par une telle planification économique. Mais ce pessimisme n’a rien à voir avec l’histoire qui a offert de nombreux exemples de travailleurs et travailleuses qui ont pris en main la gestion des villes, en mettant en place des structures démocratiques telles que celles décrites lors des luttes de masse. Il s’agit notamment des soviets russes de 1917 et aux États-Unis, de la grève générale de Seattle en 1919, de la grève des Teamsters de Minneapolis et de la vague de grèves des années 1930 (sit-down strikes). Aujourd’hui, des milliers de membres de la classe ouvrière participent aux conseils de locataires, aux réunions des conseils d’administration des écoles et aux groupes communautaires et religieux locaux. Les organisations d’un État dirigé par les travailleurs et travailleuses seraient complètement différentes des organes sans pouvoir auxquels les membres de la classe ouvrière sont actuellement autorisés à participer — les comités auraient réellement le pouvoir de décider de l’organisation de l’économie et de la société.

Ce que le socialisme pourrait accomplir : La réalisation d’un programme socialiste

Nous avons déjà expliqué comment une économie socialiste planifiée démocratiquement pourrait éliminer le chômage en répartissant le travail et en consacrant d’énormes quantités de richesses aux services publics. Cela rendrait possible bon nombre des réformes populaires que nous soutenons aujourd’hui.

Le Green New Deal et le Medicare for All (système d’assurance-maladie public universel), popularisés par Bernie Sanders, pourraient aller encore plus loin. Nous devons transformer les principales industries sur une base durable, ce qui inclut la reconversion des emplois de millions de travailleurs et travailleuses des industries polluantes dans les énergies renouvelables avec la promesse de bons emplois syndicaux. Les centres de recherche et les universités financés par des fonds publics devraient donner la priorité au développement de technologies permettant de réduire à zéro les émissions de carbone et d’inverser la tendance à la pollution de l’air et de l’eau. Cela aurait déjà un effet extrêmement positif sur la santé publique. 

Nous devons également construire des hôpitaux durables à la fine pointe de la technologie ainsi que des logements sociaux abordables. Cela permettra de garantir à chaque personne un accès à des conditions de vie sûres et hygiéniques ainsi qu’à des soins de santé gratuits et de qualité sur demande. Nous pouvons travailler pour l’accès au logement en commençant par implanter un contrôle des loyers basé sur les salaires ainsi que l’arrêt définitif des évictions. Au fur et à mesure que les banques deviennent propriété publique et que le développement communautaire est planifié par des comités démocratiques, le logement public gratuit pour tout le monde deviendra une réalité sous le socialisme. 

En outre, pour garantir une éducation publique de qualité pour tout le monde, nous devons construire de nouvelles écoles pour remplacer les bâtiments délabrés et mal ventilés. Elles doivent être ancrées dans leurs communautés locales et reliées à un ensemble de services de santé publique et de loisirs. La gratuité de l’enseignement supérieur permet d’avoir davantage d’enseignantes et d’enseignants mieux formés et donc des classes moins nombreuses; davantage des infirmières et de professionnel⋅les de la santé mentale et plus de chefs cuisiniers pour garantir l’accès à des repas nutritifs pour tous les élèves. Enfin, pour rendre la distribution des matériaux et de la main-d’œuvre plus efficace, nous devons développer massivement les transports publics pour qu’ils soient rapides et respectueux de l’environnement. Toutes ces nouvelles infrastructures doivent non seulement être capables de résister à des événements climatiques extrêmes, mais aussi atteindre les régions les plus pauvres du pays afin que chaque personne ait accès à ces produits de première nécessité et à des services de qualité. 

Les brutalités policières hors de contrôle aux États-Unis ont conduit de nombreuses personnes à remettre en question non seulement l’absence de responsabilité, mais aussi le gonflement des budgets de la police du pays, défendus à la fois par les partis démocrate et républicain. Sous le socialisme, les budgets et les protocoles de sécurité publique seraient entièrement contrôlés par les communautés. La garantie de nourriture, de logement, de travail et d’éducation – en d’autres termes, l’élimination de la pauvreté – éliminerait la plupart des crimes. Les travailleurs et travailleuses sociaux, les professionnel⋅les de la santé mentale et les cliniques de réadaptation peuvent s’attaquer à la plupart des comportements antisociaux qui subsistent, tandis que les programmes d’éducation de masse peuvent contribuer à éliminer les attitudes préjudiciables et les comportements malsains. Les vieilles institutions de l’État capitaliste que sont la police et les prisons n’auraient plus leur place dans cette société, et les tribunaux démocratiquement élus ne statueront plus selon la vieille formule «la propriété représente les neuf dixièmes de la loi», mais selon une véritable justice de la classe ouvrière.

Sous le socialisme, nous serions également en mesure d’éliminer les dépenses militaires. Aujourd’hui, alors que les économies nationales se contractent, les dépenses militaires continuent d’augmenter, car les pays se préparent à des crises à long terme telles que les changements climatiques et l’intensification de la «guerre froide» entre les superpuissances impérialistes américaine et chinoise. En 2020, les dépenses militaires de défense ont atteint 738 milliards de dollars aux États-Unis, soit le montant le plus élevé, et de loin, sur un total de 2 000 milliards de dollars dépensés dans le monde. Au moment où ils ont retiré leurs troupes, les États-Unis avaient dépensé environ 5 800 milliards de dollars pour l’invasion de l’Afghanistan et d’autres conflits au Moyen-Orient, riche en pétrole, à la suite des attentats du 11 septembre 2001. La guerre insensée qui a suivi pendant 20 ans n’a fait que déstabiliser massivement la région, tuer des centaines de milliers de civils et déplacer des millions d’autres personnes. Aujourd’hui, l’impérialisme américain, affaibli, mais toujours dominant, oriente les priorités du pays vers une concurrence féroce avec la montée de l’impérialisme chinois

Contrairement à ce que dira la classe capitaliste dirigeante de chaque pays, ces budgets militaires massifs, ces invasions et ces guerres commerciales visent à défendre et à étendre leurs intérêts impérialistes, non ceux des citoyens et citoyennes ordinaires de leur pays. Elles montent les classes ouvrières et opprimées d’un pays contre les autres et les poussent à combattre pour leurs guerres injustes, tandis que nous subissons le poids des sanctions économiques. La fin de l’impérialisme et la construction d’un monde socialiste prospère dépendent au contraire de la coopération et de l’unité de la classe ouvrière internationale, d’abord dans sa lutte contre l’élite dirigeante, puis dans la construction d’une économie planifiée à l’échelle mondiale.

L’importance de l’internationalisme : Pour un monde socialiste

La transition vers une économie planifiée peut bien commencer dans un pays, mais pour réussir, elle devra s’étendre à l’échelle internationale et donner lieu à une planification socialiste mondiale. De nouvelles structures internationales devront être mises en place pour faciliter la coordination maximale des conseils de travailleurs et de travailleuses dans les différentes industries au-delà des frontières. 

Les grandes compagnies et les banques font déjà beaucoup de «planification» dans leurs structures multinationales tentaculaires pour essayer de maximiser leurs propres parts de marché et leurs profits. Pour gonfler leurs revenus ou tromper les investisseurs, certaines entreprises truquent les comptes en retardant les dépenses, en fixant les prix, en blanchissant les revenus ou en créant des filiales. Les multinationales ont mis au point des programmes visant à se procurer les composants les moins chers possibles dans le monde entier et planifient minutieusement leurs activités afin d’éviter de payer des impôts. Pendant ce temps, les gouvernements favorables aux entreprises ont été incapables de négocier des solutions à la concurrence fiscale mondiale. La Global Alliance for Tax Justice estime que «les pays perdent au total plus de 427 milliards de dollars d’impôts chaque année à cause de l’abus fiscal des entreprises et de l’évasion fiscale privée internationales». De tels stratagèmes ont été révélés par les Panama Papers et les Pandora Papers, qui détaillent l’implication de grandes banques, d’entreprises et d’hommes politiques dans la dissimulation de la totalité de leurs bénéfices off-shore (à l’étranger) afin d’éviter l’imposition.

Il existe d’autres structures capitalistes internationales, telles que la Banque mondiale (BM), l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le Fonds monétaire international (FMI), les Nations unies (ONU) et bien d’autres, mais elles ne sont ni neutres ni bienveillantes. Au contraire, elles reflètent les intérêts des pays impérialistes dominants, déterminant la politique fiscale mondiale et le commerce, les alliances militaires, l’aide insignifiante et les prêts prédateurs aux pays moins développés. 

Dès sa naissance, le mouvement socialiste a largement reconnu la nécessité de renverser le capitalisme à l’échelle mondiale afin d’inaugurer un nouveau monde socialiste. Cette perspective internationale a été exprimée dans les lignes mémorables du Manifeste du parti communiste de Karl Marx: «Prolétaires de tous les pays, unissez-vous!» Mais l’internationalisme est bien plus qu’un slogan pour les marxistes. Il est au cœur de toute tentative sérieuse de construction du mouvement socialiste. Historiquement, quatre organisations internationales différentes ont pris en charge le projet gigantesque d’organiser la classe ouvrière internationale, de partager collectivement les leçons des luttes nationales, de discuter et de débattre de la stratégie, et de se soutenir mutuellement dans la lutte pour un programme socialiste commun à l’échelle mondiale.

S’appuyant sur les idées de Karl Marx et de Friedrich Engels, les premiers dirigeants de la Révolution russe de 1917 – Lénine, Léon Trotski et le parti bolchevique – voyaient dans le renversement du capitalisme en Russie le prélude à une transformation internationale de la société. Ils comprenaient que, sur le plan économique, la Russie n’était pas prête pour le socialisme, étant donné qu’elle était essentiellement agraire et qu’elle commençait à peine à s’industrialiser après des siècles de féodalisme. Mais le monde était prêt pour une telle transformation. Pour eux, le succès ou l’échec de l’Union soviétique dépendait de la capacité des classes ouvrières d’autres pays à renverser le capitalisme. C’est encore plus vrai aujourd’hui, avec l’intégration croissante de l’économie mondiale, qu’en 1917. La chaîne d’approvisionnement et la production s’effectuant désormais à l’échelle internationale, le champ d’action de la lutte internationale coordonnée de la classe ouvrière n’a jamais été aussi vaste.

C’est pourquoi Alternative socialiste fait partie de l’Alternative socialiste internationale (ISA), qui compte des sections dans plus de 30 pays. Il est particulièrement important de construire un mouvement fort aux États-Unis pour défier la classe dirigeante impérialiste américaine, qui a été l’un des plus grands obstacles aux luttes ouvrières internationales au cours du siècle dernier. Après avoir assumé le rôle de banquier et de gendarme du monde après la Seconde Guerre mondiale, l’histoire des États-Unis en tant que superpuissance mondiale n’a rien à voir avec son exceptionnalisme mythique ou la «liberté», mais avec ses interventions brutales en Amérique centrale et latine, en Asie et au Moyen-Orient pour étendre son contrôle sur les ressources et les marchés du monde. Ce faisant, elle a écrasé les mouvements des travailleurs et des peuples opprimés.

Dans toutes ces situations, les marxistes se rangent du côté de la classe ouvrière opprimée par les forces impérialistes étrangères et défendent le droit à l’autodétermination des nations, tout en préconisant que ces «luttes d’en bas» s’attaquent également à leur propre classe capitaliste nationale. Cela n’est pas en contradiction avec le combat pour une lutte internationale unifiée de la classe ouvrière. Au contraire, les marxistes sont convaincu⋅es qu’un puissant mouvement socialiste pourrait inspirer des millions de personnes dans le monde entier à mener des luttes similaires dans leur propre pays, de la même manière que le Printemps arabe a inspiré le mouvement Occupy au début des années 2010, ou que Black Lives Matter (BLM) a inspiré des manifestations mondiales contre le racisme et la répression étatique.

Les leçons de la Révolution russe de 1917

Les marxistes soulignent également l’importance de l’internationalisme de la classe ouvrière, car il n’est pas possible de créer le socialisme dans un seul pays, entouré d’un marché capitaliste mondial. La Révolution russe d’octobre 1917 est la seule occasion où la classe ouvrière a réussi à renverser le capitalisme et à tenter de construire une société socialiste. Même si nous vivons aujourd’hui dans des conditions et des circonstances très différentes, les socialistes étudient attentivement cet événement historique pour comprendre comment des gens ordinaires peuvent se soulever pour non seulement prendre le contrôle de la société, mais la diriger bien mieux que les capitalistes avides de profit et de pouvoir. Un examen plus approfondi de cet exemple révèle également que, malgré tous les efforts de la propagande capitaliste pour nous convaincre du contraire, la défaite et la dégénérescence du socialisme sont loin d’être inévitables. Ce qui est essentiel, c’est le caractère international de la révolution socialiste menée par la classe ouvrière du monde entier.

En 1917, les chances de succès des révolutionnaires étaient minces dans une situation de retard économique et culturel extrême. La Russie avait été dévastée par la Première Guerre mondiale. Pendant les décennies qui ont précédé la révolution, les dissidents et dissidentes politiques ont fait l’objet d’une répression sévère. La plupart des Russes étaient privé⋅es des droits démocratiques les plus élémentaires sous le régime absolutiste du tsar Nicolas II. Seule 8% de la population faisaient partie de la nouvelle classe ouvrière industrielle, tandis que la majorité était analphabète et que de nombreux travailleurs manquaient de compétences administratives. Malgré cela, une révolte de masse menée par les femmes et les ouvriers en grève réclamant «la paix, la terre et le pain» a débuté lors de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes (8 mars) de 1917, forçant finalement le tsar à abdiquer. Cette révolte a donné naissance à de nouvelles structures démocratiques autour de conseils ouvriers élus, ou «soviets», qui prenaient des décisions collectives dans les usines, les casernes et les villes. 

À côté de ces structures de la classe ouvrière, un nouveau gouvernement provisoire a été formé, mais il n’a pas réussi à satisfaire les revendications des mouvements. En effet, il se compose essentiellement de capitalistes russes, liés au tsarisme féodal et au capital européen, et de socialistes qui prônent une transition progressive vers le socialisme. Cela se ferait par le biais de réformes passant par une étape de démocratie libérale, à l’instar de ce qui se fait en Occident. À l’opposé de ces derniers, le socialisme révolutionnaire du parti bolchévik plaidait pour une transformation socialiste totale qui nécessitait de rompre avec le capitalisme, ce que Alternative socialiste continue de défendre aujourd’hui. L’objectif du gouvernement provisoire – établir une démocratie libérale favorisant les capitalistes – contredisait en fin de compte l’objectif des travailleurs, des femmes et des soldats mécontents qui ont mené la révolution de février. Avec la direction politique et l’organisation des bolchéviks, de plus en plus populaires, ils ont fait avancer la révolution d’un cran et ont pris le pouvoir lors de la révolution d’Octobre, qui s’est déroulée sans effusion de sang, plus tard dans l’année, établissant un gouvernement socialiste dirigé par les travailleurs et travailleuses, au grand dam des aristocrates et des capitalistes pro tsaristes du monde entier.

Le peuple russe reste confronté à une situation désespérée. Le parti bolchévik a compris que la survie de l’Union soviétique dépendait du succès des mouvements révolutionnaires des travailleurs et travailleuses dans le reste du monde. Il a créé l’Internationale communiste (la 3e Internationale) pour soutenir ces luttes. Bien sûr, la guerre civile a dévasté l’économie de la nouvelle Union soviétique. Une grande partie du mouvement socialiste et des activistes ouvriers a été tuée alors que les armées impérialistes étrangères cherchaient à isoler le seul État ouvrier du monde. Dans de nombreux cas, les soviets n’ont eu d’autre choix que de conserver les spécialistes et les administrateurs de l’ancien régime absolutiste, quitte à les corrompre en leur accordant des privilèges. Ainsi, dans la ville de Viatka, en 1918, pas moins de 4 476 fonctionnaires sur 4 766 étaient les mêmes que ceux qui avaient servi le tsar auparavant.

Dans ces conditions, le système a dégénéré et une bureaucratie hideuse s’est développée sous la direction erronée de Joseph Staline. Staline a rompu avec le marxisme en ce qui concerne la centralité de la direction de la classe ouvrière et de l’internationalisme. Ces deux éléments ont été subordonnés à son projet de construire le «socialisme dans un seul pays». Celles et ceux qui contestaient la bureaucratie étaient qualifiés de «contre-révolutionnaires» et emprisonnés, bannis ou assassinés. 

L’économie planifiée de l’Union soviétique est restée intacte, bien que déformée et non démocratique. Au lieu d’être guidées par les travailleurs et travailleuses, les décisions étaient prises par quelques bureaucrates privilégiés qui entendaient maintenir leur position dans cette nouvelle société. Néanmoins, jusqu’au début des années 1970, les économies nationalisées de l’Union soviétique et des États d’Europe de l’Est ont produit des avancées économiques impressionnantes, en particulier dans les industries lourdes. En moins de 50 ans, alors qu’elle sortait à peine du féodalisme, cette société a été la première à envoyer un homme dans l’espace! L’État assurait également l’éducation de base, le logement, les soins de santé et d’autres services sociaux à la majorité de la population. Pour l’Union soviétique, qui était au départ très en retard sur le plan économique, des progrès aussi rapides étaient sans précédent et dépassaient ceux observés dans n’importe quel pays capitaliste.

Au cours des années 1970 et 1980, il est toutefois apparu clairement que le cadre bureaucratique, rigide et dépassé, ne pouvait pas faire face aux complexités de l’évolution technologique ni aux demandes sociales émergeant dans cette société plus développée. Les luttes ouvrières en Pologne, en Allemagne de l’Est, en Hongrie et ailleurs, ont déclenché des bouleversements politiques dans toute l’Europe de l’Est. Au départ, ces vastes mouvements de masse présentaient les caractéristiques d’une révolution politique: les travailleurs et travailleuses exigeaient la démocratisation des usines et une planification économique par le bas. Cependant, la profonde révulsion contre la caricature stalinienne grotesque du «socialisme» était telle qu’une marée contre-révolutionnaire poussée par le capitalisme occidental a rapidement pu engloutir les demandes plus progressistes d’une forme véritablement démocratique de socialisme. Sentant l’effondrement imminent et craignant de perdre leurs privilèges matériels, des sections de la bureaucratie étaient prêtes à abandonner ce «socialisme» dégénéré et à miser leur avenir sur une transition vers le capitalisme.

Depuis 1990, cette restauration du capitalisme dans l’ex Union soviétique et les pays satellites est un véritable désastre. Un aperçu en a été donné lors d’une interview du journaliste Robert Fisk avec une jeune femme russe, Natasha. Elle avait désespérément besoin d’argent et s’était lancée, comme des dizaines de milliers d’autres, dans la prostitution internationale. Fisk lui a suggéré qu’elle et ses amies étaient les victimes du «pire côté des hommes». Natasha n’était pas d’accord: «Elles étaient les victimes de l’effondrement de l’Union soviétique, a-t-elle dit, d’un mode de vie – école gratuite, universités gratuites, appartements gratuits – qui leur avait été enlevé».

Léon Trotsky, l’un des leaders de la Révolution russe, a mené une lutte héroïque contre la dégénérescence stalinienne de l’Union soviétique, ce qui lui a valu d’être assassiné. Dès 1936, Trotsky a proposé deux issues possibles pour l’Union soviétique: «Un soulèvement réussi de la classe ouvrière russe, une révolution politique et la restauration de la démocratie; ou le retour du capitalisme avec des conséquences désastreuses pour la masse de la population».

Ces conséquences ne concernaient pas seulement la classe ouvrière en URSS, mais dans le monde entier. Les capitalistes ont utilisé l’effondrement du stalinisme en 1990 pour discréditer toutes les idées socialistes et pour récupérer de nombreux acquis de la classe ouvrière dans la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle le modèle soviétique a constitué un certain contrepoids au capitalisme. Les dirigeantes et dirigeants capitalistes en sont revenus à la brutalité nue et non dissimulée du capitalisme d’antan. À long terme, cependant, leur excès de confiance a miné leur système et rendu illégitime leurs propres institutions. Une nouvelle génération voit clairement la nécessité d’une alternative, et de plus en plus de gens reconsidèrent les récits déformés sur le socialisme.

Réforme ou révolution?

Aujourd’hui, nombreux sont celles et ceux qui sont attirés par les grandes réformes économiques et sociales prônées par Bernie Sanders et le Squad. Selon la plupart des sondages, au moins deux tiers des Américains et Américaines sont favorables à un salaire minimum de 15$/h, à un système d’assurance-maladie public universel (Medicare for All) et à l’imposition des riches. Ce sentiment n’a fait que croître avec la pandémie, les crises environnementales et économiques du début des années 2020. Et pourtant, ce ne sont pas les politiques adoptées par la majorité du Congrès.

Il s’agit de réformes que le capitalisme n’est pas disposé à accorder en l’absence d’une énorme pression sociale. La question clé à laquelle sont confrontés les progressistes et les socialistes assoiffé⋅es de réformes et de changements systémiques est donc la suivante: «comment gagner?». Cette question, débattue par la gauche d’il y a un siècle comme d’aujourd’hui, est suivie d’une autre : «Avons-nous vraiment besoin d’une révolution pour parvenir à ces changements?». 

Beaucoup espèrent que ces politiques socialistes puissent être réalisées en réformant lentement le système existant en y travaillant de l’intérieur. Mais les 150 dernières années de l’histoire ont montré que ce réformisme progressif ne peut pas mener au socialisme. Bernie Sanders fait référence aux pays sociaux-démocrates de Scandinavie, et il a raison de souligner les immenses victoires que la classe ouvrière y a remportées par la lutte, comme la santé publique, l’enseignement supérieur gratuit et les congés familiaux rémunérés. Mais toutes les réformes obtenues sous le capitalisme sont temporaires et nécessitent une organisation continue pour être défendues. 

Comme démontré ci-dessus, le capitalisme n’est pas un système stable ou rationnel. Il est sujet à des périodes d’expansion et de récession qui peuvent frapper de plein fouet les travailleurs, les travailleuses et les pauvres, tandis que les personnes riches restent relativement épargnées. Les grandes entreprises disposent de nombreux outils pour nous faire payer les crises de leur système. Elles nous paient moins tout en augmentant les loyers, les prix et les taux d’intérêt. Elles réduisent ou privatisent les services publics. Elles accordent des aides massives aux grandes entreprises, tandis que les petites entreprises ferment et que les travailleurs et travailleuses perdent leur emploi. Même si les États-providence sociaux-démocrates pouvaient, comme par magie, offrir une stabilité à leur population, il y a des travailleurs et des travailleuses dans d’autres parties du monde qui en paient le prix. Des pays comme la Norvège se sont enrichis grâce aux combustibles fossiles et ont exproprié les populations autochtones de leurs terres. Les bénéfices de l’entreprise suédoise H&M sont tirés du travail de personnes sous-payées au Bangladesh.

Mais la stabilité n’est pas possible, même pour les pays capitalistes avancés. Comme l’ont écrit nos homologues suédois, «le logement public a été privatisé à un haut degré, la planification étatique a été abolie et les subventions ont disparu». Les divers services publics et filets de sécurité vantés par Bernie Sanders se sont érodés et, dans certains cas, ont été pratiquement éliminés. À l’instar des États-Unis et d’autres pays capitalistes, les grandes entreprises et les banques suédoises ont été stimulées au début de la pandémie de virus COVID-19, mais les réductions des dépenses de santé sont restées inchangées !

Si d’immenses réformes ont été obtenues en Europe, le capitalisme n’a pas été renversé. Au contraire, les capitalistes ont été contraints de faire des concessions temporaires pour contenir les puissants mouvements sociaux et ouvriers pendant et après la Seconde Guerre mondiale. Pendant toute la période historique qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, le capitalisme américain a été le plus fort du monde. Ayant évité les pires destructions de ses propres infrastructures, il a profité fabuleusement de la guerre et des prêts accordés pour reconstruire l’Europe et le Japon. En recourant massivement à l’État, le capitalisme a pu reconstruire ces économies. L’économie américaine s’est également développée en conséquence et a pu se permettre de concéder une hausse du niveau de vie à sa population.

Mais cette période est révolue. Dans les années 1970, le taux de profit a commencé à baisser et le capitalisme a décidé de mettre fin à ce contrat social temporaire en récupérant ces concessions. Une nouvelle «ère néolibérale» a introduit d’importantes réductions d’impôts pour les riches, privatisé diverses industries du secteur public, déréglementé le secteur financier, réduit l’aide sociale et les programmes sociaux et attaqué sans relâche les syndicats. Nous faisons maintenant face au bilan de décennies de cette politique insoutenable. Alors qu’une catastrophe après l’autre tire sur les coutures effilochées de son système, une classe capitaliste divisée cherche des solutions. Elle est incapable de s’appuyer sur ses méthodes néolibérales afin d’amasser et de régner de la même manière qu’avant, au fur et à mesure que des millions de personnes à travers le monde ripostent avec colère.

Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez (AOC) ont dépeint le New Deal de Franklin Delano Roosevelt (FDR) comme quelque chose qui devrait être imité pour faire un pas vers le socialisme. Ils ont placé de grands espoirs dans l’administration de Joe Biden, qui non seulement n’a pas tenu ses nombreuses promesses, mais poursuit les politiques de l’ère de Donald Trump. Biden n’est pas FDR. Il n’a pas l’intention de sortir de l’impasse politique dans laquelle se trouve Washington pour faire passer les réformes désespérément nécessaires à la suite de la pandémie et des crises économiques. Mais FDR n’était pas non plus un socialiste. Il n’était pas non plus un «ami du travail». C’était un conservateur fiscal dont le principal objectif pendant la Grande Dépression était de sauver le capitalisme et d’éviter qu’un mouvement ouvrier de plus en plus puissant ne suive les traces de la Révolution russe. 

Tant que l’équilibre du pouvoir politique penchera en faveur des capitalistes, qui continuent de battre les records de profits, nous pouvons nous attendre à des défaites continues pour le programme maladroit Build Back Better Plan de Biden sans la contestation d’un fort mouvement de masse venant d’en bas. C’est ce qui a finalement forcé la main de FDR : Chaque programme majeur de bien-être et d’emplois qui a été adopté sous le New Deal correspondait à des grèves majeures et à des manifestations menées par des travailleurs militants à travers le pays. Au cours des décennies qui ont suivi, des mouvements tout aussi massifs se tournant vers les mêmes tactiques ont remporté de grandes victoires. Le mouvement des droits civiques a démantelé la ségrégation raciale (lois Jim Crow), a remporté le droit de vote et a fait adopter des lois contre la discrimination. Le mouvement des droits des femmes a forcé la main d’une Cour suprême conservatrice pour remporter la légalisation de l’avortement (l’arrêt Roe v. Wade). En amenant 10% de la population américaine dans les rues, le mouvement environnemental a forcé le président conservateur Richard Nixon à créer l’Agence de protection de l’environnement (Environmental Protection Agency) ainsi que des lois sur l’eau et l’air propres! 

En réalité, le programme de Bernie Sanders ne peut être remporté que par la lutte de masse — et non en comptant sur le Parti démocrate pour le réaliser. En 2014, Socialist Alternative a contribué à remporter le premier salaire minimum de 15$/h dans une grande ville en mobilisant les travailleurs et travailleuses de Seattle afin de construire un mouvement populaire indépendant des grandes entreprises et du Parti démocrate. Nous avons été capables de faire de même en 2019 et nous avons remporté une énorme taxe sur Amazon et d’autres géants de la finance en combinant ce mouvement avec les protestations de masse du mouvement Black Lives Matter (BLM) afin d’exiger des fonds pour le logement abordable. À chaque étape, les démocrates du conseil municipal ont travaillé dans l’ombre pour saper et annuler ces victoires, prouvant leurs allégeances envers les grandes entreprises plutôt que la classe ouvrière.  

Tout système dominé par ces forces, maintenu par un État qui défend les intérêts de la classe dirigeante, ne permettra pas une transition graduelle vers le socialisme. Le patronat ne sera pas convaincu de céder graduellement une part croissante de ses profits. Le capitalisme exige qu’il accumule de plus en plus de capital pour rester rentable dans une économie concurrentielle. Cela signifie l’exigence d’une exploitation accrue pour extraire des profits plus importants, sinon les entreprises risquent de prendre du retard. Que ce soit une «démocratie» ou une dictature, l’État capitaliste ne peut être séparé de son rôle principal de défendre la propriété privée et d’assurer la rentabilité. Encore et encore, nous voyons le sauvetage de grandes entreprises avec de l’argent public pendant les crises, tandis que les travailleurs, les travailleuses et les pauvres sont priés de se serrer la ceinture et de se préparer à l’austérité.  

Lénine et le Parti bolchévik ont reconnu cette relation fondamentale entre la classe dirigeante et l’État en 1917 et ont pleinement soutenu les soviets dans leur lutte pour le pouvoir contre le faible gouvernement provisoire pro capitaliste. Comme l’a démontré la Révolution d’Octobre, une révolution socialiste pourrait mettre fin fondamentalement à la relation d’exploitation entre les patrons et les travailleurs et travailleuses. Une révolution remplacerait complètement l’État pro capitaliste par un nouveau gouvernement démocratique dirigé par les travailleurs et travailleuses qui se rangerait entièrement du côté de la classe ouvrière et des personnes opprimés. 

Cependant, la force organisée des jeunes et des personnes qui travaillent peut certainement remporter des victoires importantes en attendant. Ce sont les forces que Bernie Sanders et le Squad devraient organiser et mobiliser pour remporter le Medicare for All, un Green New Deal, un salaire minimum fédéral de 15$/h et plus encore. Ce sont également les forces qui, avec suffisamment d’expérience, d’élan et de confiance en leur propre indépendance politique, peuvent ouvrir la voie au changement socialiste. Une étape cruciale de ce processus consistera à construire un nouveau parti politique de masse unit derrière un tel programme progressiste et unir les diverses luttes contre les oppressions à la lutte contre le capitalisme.

Un autre facteur crucial dans la lutte contre le capitalisme est l’existence d’un parti marxiste révolutionnaire fort, qui peut également jouer un rôle dans la construction et le renforcement d’un nouveau parti de masse indépendant. C’était la clé de la victoire historique des travailleurs et travailleuses en Russie. Dans d’autres pays, où le parti révolutionnaire était faible et inexpérimenté ou bien lorsque l’achèvement d’une révolution dirigée par la classe ouvrière était subordonné à l’approche conciliante de la réforme graduelle, la classe capitaliste a été en mesure de couper violemment à travers les mandats électoraux et les révoltes de la base. 

Un exemple tragique est survenu au Chili en 1973. Après l’élection de Salvador Allende, issu d’une coalition de partis de gauche socialistes, Allende a poursuivi des réformes majeures et nationalisé plusieurs industries à grande échelle, avec le soutien de puissantes organisations de la classe ouvrière. L’inflation et le chômage ont diminué, les salaires ont augmenté et des nécessités de base telles que le lait ont été fournies gratuitement aux familles. Cependant, cette tentative de restructuration économique progressive a menacé les propriétaires terriens, les financiers et les intérêts commerciaux étrangers, notamment ceux des capitalistes américains. Les gains initiaux ont rapidement été mis en péril. La droite chilienne et la classe dirigeante mondiale ont cherché à déstabiliser l’économie, et le Chili a eu du mal à maintenir ces réformes alors que le prix de son exportation principale, le cuivre, chutait. 

Cependant, cela n’a pas suffi à émousser le soutien populaire au socialisme. De plus, il était clair pour les travailleurs et travailleuses révolutionnaires qu’une violente contre-révolution était à l’horizon, et qu’une lutte totale contre les forces capitalistes était nécessaire. Au lieu de se tourner vers le pouvoir social massif des travailleurs et travailleuses, qui se sont vu refuser les armes pour se défendre et prendre le pouvoir, le gouvernement réformiste d’Allende a tenté et échoué à trouver un compromis avec son opposition capitaliste. Un coup d’État sanglant, soutenu par la Central Intelligence Agency (CIA), a détruit les puissantes organisations ouvrières ainsi que les leaders de la classe ouvrière chilienne, et a installé la dictature de droite d’Augusto Pinochet. Si le mouvement révolutionnaire des travailleurs et travailleuses n’avait pas été bloqué par ses propres leaders socialistes et communistes au parlement, une telle crise aurait pu être évitée.

Il y a de nombreux exemples qui illustrent la nécessité de la révolution socialiste. Alternative socialiste s’engage à construire une organisation unie derrière une perspective et un programme révolutionnaires clairs, en plus de renforcer et d’unir les mouvements et les organisations de masse plus larges. Toutes nos personnes membres jouent un rôle dans la présentation des leçons et des stratégies de la lutte de classe militante, où que les gens s’organisent contre l’injustice, l’oppression et l’exploitation. 

Lutter contre le racisme, le sexisme, l’oppression et l’extrême droite

Le principal obstacle à la réalisation d’une société socialiste est une élite dirigeante déterminée à préserver sa position de pouvoir. Bien consciente qu’elle constitue une petite minorité, elle a élaboré des stratégies pour diviser et empêcher les travailleurs, les travailleuses et les personnes opprimées de s’organiser pour surmonter son contrôle et reconnaître leur oppresseur commun.

Aux États-Unis, cela a principalement pris la forme de l’oppression contre les personnes noires. Le racisme est inscrit dans l’ADN du capitalisme américain depuis le début. Au commencement de l’histoire du pays, la classe supérieure coloniale a fait face à une lutte unie de serviteurs blancs pauvres et d’esclaves noirs lors de la Rébellion de Bacon. Cet épisode a mené aux codes de l’esclavage de Virginie (Virginia Slave Codes) visant à cristalliser des castes raciales inégales. Depuis lors, une classe dirigeante majoritairement blanche a utilisé l’esclavage, des lois racistes nommées Jim Crow et la guerre contre la drogue pour non seulement accumuler des richesses pendant des générations, mais aussi convaincre la classe ouvrière blanche qu’elle avait peu en commun avec la classe ouvrière et pauvre noire. Cela s’est exprimé différemment au fil du temps, de l’esclavage aux lois Jim Crow en passant par la guerre contre la drogue et l’incarcération de masse. À chaque étape de notre histoire, les capitalistes ont dû adapter leur stratégie raciste de «diviser pour mieux régner» afin de protéger leurs profits alors que des luttes antiracistes puissantes et unies ont remis en question leur système. À l’échelle internationale, l’idéologie raciste a également été adaptée pour justifier la colonisation. Les puissances impérialistes ont découpé le monde au nom de la «civilisation», de la «démocratie» et de la «liberté». Aujourd’hui, elle dicte toujours le destin économique des pays pauvres via le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. 

Alors que les sections libérales de la classe dirigeante prétendent adopter des attitudes antiracistes tout en permettant des écarts de salaires raciaux, sa droite continue de promouvoir agressivement le racisme pour justifier son programme politique. Tout comme la «guerre contre le terrorisme» de George W. Bush a diabolisé les personnes musulmanes, Donald Trump a attisé les sentiments anti-immigrés pour expliquer les revers économiques et le chômage subis par la classe ouvrière blanche alors que les capitalistes cherchent une main-d’œuvre moins chère. Il a également encouragé les crimes de haine contre les personnes asiatiques en qualifiant la COVID-19 de «grippe chinoise». Tout cela pour justifier davantage une nouvelle guerre froide avec la Chine. Et pourtant, des manifestations multiraciales ont eu lieu pendant la présidence de Trump. Elles ont continué lors du soulèvement de 2020 qui demandait justice pour George Floyd, démontrant que la grande partie du pays rejette ces récits racistes et la violence policière. 

La discrimination à l’égard des femmes et l’oppression de genre sont également ancrées dans le capitalisme, ainsi que dans d’autres sociétés basées sur les classes sociales. Le harcèlement sexuel, les salaires inférieurs, les féminicides et les violences transphobes, ainsi que les droits de reproduction limités nuisent à une grande partie de la société. La façon dont le capitalisme est organisé et structuré – en particulier le rôle que la famille a joué et continue de jouer en tant qu’unité économique et sociale – perpétue et renforce cela.

Sous le capitalisme, la famille joue un rôle idéologique et économique. Sa structure traditionnelle repose sur la dépendance des membres «non productifs» du foyer à l’égard d’une personne salariée. Cela a imposé des siècles de rôles et de stéréotypes de genre standard à ses membres, semant ainsi la division entre les hommes, les femmes et les personnes au genre non conforme. La petite famille «nucléaire» a été présentée comme essentielle à la survie et à la sécurité pendant la Guerre froide, comme une alternative au communisme et un levier économique pour le consumérisme. Elle a également été utilisée pour renforcer l’idée que, sur le plan individuel, nous sommes responsables de notre incapacité à prospérer dans un système qui est, en réalité, inégal par design. 

La famille, ainsi que le système éducatif, a finalement été utilisée pour discipliner, socialiser et préparer les jeunes à assumer leur rôle productif en tant qu’adultes dans la société capitaliste, y compris leur rôle de reproduction de la classe ouvrière. La répression des droits reproductifs et de l’autonomie corporelle n’est donc pas simplement un impératif moral. Elle découle de la tentative du capitalisme d’enchaîner les femmes au foyer, où on attend souvent d’elles qu’elles assument l’essentiel du travail domestique et qu’elles élèvent la prochaine génération de travailleurs, dans un monde où elles sont éloignées de tout pouvoir économique.

 La lutte contre le racisme, le sexisme et toutes les formes d’oppression est cruciale pour construire un mouvement socialiste puissant. Pour surmonter la stratégie de division et de conquête de la classe dirigeante, les socialistes et le mouvement ouvrier ont un rôle de premier plan à jouer dans l’unité d’une classe ouvrière multiraciale et multigenre. Les syndicats devraient mobiliser les travailleurs et les travailleuses derrière les revendications des divers mouvements sociaux, ainsi que derrière les revendications économiques plus larges qui dépassent le milieu de travail, tout en s’organisant contre l’extrême droite et la suprématie blanche. L’inverse est également vrai : Bien qu’il serait naïf de suggérer que ces préjugés pourraient être éliminés du jour au lendemain, une transformation socialiste de la société est la seule chance que nous ayons de les extraire vraiment de la culture. En supprimant la motivation du profit, nous pourrions établir la base matérielle pour faire face au changement climatique, mettre fin aux guerres éternelles et éliminer la discrimination cauchemardesque qui étrangle nos institutions sociales en raison de siècles d’exploitation capitaliste.

Les mesures économiques et démocratiques immédiates, telles que des salaires équitables, des emplois pour tout le monde, un service de garde d’enfants gratuit et de haute qualité, une éducation universelle ainsi que du logement abordable, permettraient immédiatement de sortir des millions de personnes de la pauvreté et de leur offrir une qualité de vie plus digne. Cela améliorerait particulièrement la vie des personnes de couleur, des femmes et des personnes LGBTQIA+, qui représentent les couches les plus économiquement exploitées de la société. Et sans l’inégalité économique pour justifier la discrimination, cette nouvelle société pourra commencer à éradiquer véritablement ces idées nuisibles.

 La croissance de l’inégalité et les attaques croissantes contre le niveau de vie des travailleurs et travailleuses ont alimenté la colère et la frustration croissantes à l’égard de l’establishment politique, et stimulé la recherche désespérée d’une alternative. Cela a conduit à une polarisation politique croissante, qui s’est approfondie avec l’incapacité de Barack Obama, de Trump et maintenant de Biden à répondre aux crises du capitalisme. Maintenant, l’extrême droite cherche à exploiter l’instabilité croissante là où elle le peut. Sa capacité à utiliser la bigoterie et les guerres culturelles pour mobiliser sa base présente une énorme menace pour les mouvements de la classe ouvrière, en particulier lorsqu’elle encourage le vigilantisme et le terrorisme de droite. Pendant ce temps, au lieu d’organiser une opposition publique massive, le Parti démocrate ne fait absolument rien. En fait, il a fait davantage pour marginaliser Sanders et la gauche, en s’adressant à un centre «modéré» en diminution, qu’il n’en a jamais fait pour s’opposer à Trump. Cette allégeance soutenue au libéralisme corporatisme contre la classe ouvrière continue de laisser des millions de personnes derrière, les rendant vulnérables aux idées de droite.

Il n’y a qu’une seule manière de lutter efficacement contre la croissance de l’extrême droite. La gauche organisée, comprenant des organisations telles que Democratic Socialists of America (DSA), ses personnes élues ainsi que le mouvement ouvrier, doit offrir de toute urgence une alternative politique combative basée sur le pouvoir collectif de la classe ouvrière. Cette ère de polarisation a également vu un plus grand virage vers la gauche politique, en particulier parmi les travailleurs, les travailleuses et les jeunes. Les sections les plus désespérées de la classe dirigeante n’hésiteront pas à utiliser la base de l’extrême droite pour désorienter et démobiliser les mouvements sociaux et ouvriers qui menacent leur contrôle. Ces forces peuvent facilement dépasser l’extrême droite, mais nous devons être organisés et prêts à lutter pour un programme plus convaincant basé sur des demandes économiques et sociales qui abordent directement les crises d’aujourd’hui.

Lutter pour un avenir socialiste : par où commencer?  

L’histoire inspirante et complexe des mouvements socialistes et ouvriers est laissée de côté dans l’éducation publique, et pour une bonne raison : La classe capitaliste ne peut se permettre que les jeunes de la classe ouvrière redécouvrent ces traditions. Le système bipartite aux États-Unis en particulier bénéficie de la résignation des travailleurs selon laquelle ce système ne pourra jamais changer ou qu’il a toujours existé ainsi. Mais diverses organisations et partis de la classe ouvrière ont présenté des défis redoutables au capitalisme au cours des deux derniers siècles. Il est certain qu’un mouvement socialiste peut s’implanter aujourd’hui. 

L’année 2020 a été marquée par les rébellions entourant le meurtre de George Floyd et la réaction des travailleuses et travailleurs essentiels durant la pandémie contre le mépris des employeurs pour leur sécurité. Nous avons assisté à une augmentation des manifestations de masse et des grèves, ainsi qu’à un soutien général aux syndicats et au mouvement Black Lives Matter (BLM). Bien qu’il ait refusé de rompre avec les démocrates, les campagnes présidentielles de Bernie Sanders ont montré que des millions de personnes sont prêtes à consacrer leur temps et leur argent limités à construire un véritable défi à la cupidité des entreprises de Washington (D.C.). Beaucoup se sont également tournées vers l’aide mutuelle pour faire face aux énormes inégalités, au racisme systémique et aux graves lacunes du gouvernement mises en évidence pendant la pandémie. L’aide mutuelle peut être utile en tant que tactique dans les mouvements de masse. Mais partager les ressources limitées de la classe ouvrière et des pauvres ne peut résoudre fondamentalement le problème du capitalisme, c’est-à-dire la question de qui contrôle ou distribue les vastes ressources inexploitées de la société.

Pour aller de l’avant et garantir des changements durables pour la classe ouvrière, nous devons tirer les leçons clés des luttes récentes. Les grèves enseignantes dirigées par la base dans les États de Virginie-Occidentale et d’Arizona ont réussi à améliorer davantage les conditions de travail et d’apprentissage que des décennies de dépendance envers les démocrates. Il en a été de même pour les grandes luttes ouvrières des années 1930, ainsi que pour les mouvements des droits civiques, des femmes et contre la guerre des années 60 et 70. Au cours des dernières années, certaines des plus grandes victoires pour les travailleurs, les travailleuses, les locataires et les pauvres ont été remportées par des mouvements indépendants des démocrates, comme en témoignent les luttes de Kshama Sawant, membre de Socialist Alternative au conseil municipal de Seattle.

Le genre d’organisation dont nous avons besoin en ce moment peut prendre la forme d’un nouveau parti politique basé sur l’adhésion, réunissant les pauvres ainsi qu’une classe ouvrière multigénérationnelle et multiraciale. Son indépendance vis-à-vis des grandes corporations et des deux partis corporatistes lui permettrait de réellement s’opposer à ces forces. Contrairement aux partis démocrate et républicain, les décisions concernant la plateforme et les stratégies du parti ne seraient pas prises d’en haut par une direction autoproclamée (top-down), mais seraient décidées de manière démocratique lors de congrès de masse. Le parti ne se limiterait pas non plus à des campagnes électorales sur le terrain de jeu des capitalistes — bien qu’il devrait présenter des candidatures liées à sa plateforme. À leur tour, ces candidatures pourraient utiliser leurs fonctions pour organiser des mouvements pour gagner leurs revendications. En somme, un nouveau parti de masse de la classe ouvrière pourrait unifier l’énorme pouvoir des syndicats, des mouvements de jeunesse et des luttes sociales comme Black Lives Matter. En agissant de manière collective, nous pourrions lutter pour des réformes audacieuses en menant des campagnes électorales enracinées dans les communautés et en organisant des manifestations de masse, des grèves et des débrayages.

Il est peu probable qu’un tel nouveau parti soit «socialiste» dès le départ. Certaines personnes membres pourraient ne pas être complètement convaincues que le capitalisme est à la racine des maux de la société. Néanmoins, ce serait un énorme pas en avant. Au-delà des campagnes sérieuses, cela pourrait même aider à coordonner des projets de masse et des réponses d’urgence. Les socialistes auront un rôle important à jouer en armant une telle organisation de masse avec des idées et des méthodes socialistes. De grandes victoires encourageraient davantage de personnes à devenir politiquement actives et à apprendre par l’expérience de la lutte.  

Socialist Alternative a appris de sa propre expérience comment une telle organisation peut autonomiser la classe ouvrière. Kshama Sawant a été élue pour la première fois comme conseillère municipale à Seattle en 2013. Elle a remporté cette élection en tant que socialiste indépendante avant la campagne énorme de Bernie Sanders. Cette victoire a prouvé qu’il y avait une ouverture pour la politique de gauche indépendante et une profonde insatisfaction envers le système à deux partis et l’inégalité économique. Mais chaque victoire remportée par le biais du conseil municipal – le salaire minimum de 15$/h, des droits historiques pour les locataires, la taxe Amazon, etc. – a été rendue possible grâce à l’organisation qui la soutenait, avec des membres organisant des campagnes dans leurs milieux de travail, leurs syndicats, leurs écoles et leurs communautés.

Socialist Alternative a également participé et parfois dirigé des luttes à travers les États-Unis pour un salaire minimum de 15$/h, pour de nouveaux syndicats, pour le contrôle des loyers, pour des augmentations de salaire et des conventions collectives équitables, pour taxer les grandes entreprises et pour le contrôle communautaire de la police, en utilisant les mêmes méthodes marxistes pour unir les travailleurs, les travailleuses et les jeunes dans la lutte. À l’international, notre organisation International Socialist Alternative (ISA) a dirigé victorieusement l’abrogation de l’interdiction de l’avortement en Irlande. L’ISA a dirigé des manifestations contre la corruption en Russie, manifesté contre le régime de droite de Bolsonaro au Brésil, résisté aux occupations armées israéliennes en Palestine et lancé une campagne mondiale de solidarité contre la répression en Chine et à Hong Kong. Nous avons également mobilisé plus de 300 de nos membres de partout dans le monde lors des manifestations de la COP 26 contre le rôle des corporations dans la destruction climatique et pour soutenir un programme socialiste international. 

Bien qu’Alternative socialiste s’efforce de construire un soutien pour les idées et méthodes marxistes, nous pensons qu’une organisation de masse bien plus large pour la classe ouvrière – qui comprend divers organisations et mouvements progressistes de gauche – est nécessaire pour affronter la classe capitaliste. Nous prenons également très au sérieux le projet de construction d’un parti révolutionnaire parallèlement à cet objectif. Une telle organisation sera nécessaire pour faire une rupture complète avec le capitalisme et défendre l’avenir socialiste que les travailleurs, les travailleuses et les jeunes méritent depuis longtemps. Si vous êtes d’accord et que vous croyez que la lutte indépendante et internationale de classe montre la voie à suivre, vous devriez rejoindre l’ISA dès aujourd’hui!


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