« La classe ouvrière est de retour! »

«La classe ouvrière est de retour et nous refusons d’être pauvres plus longtemps», a lancé le secrétaire général du syndicat des cheminots du Royaume-Uni, Mick Lynch. Il a prononcé ces mots alors qu’une vague de grèves s’organisait cet été en Angleterre, mais aussi partout en Europe. Les travailleurs et les travailleuses du Canada se mettent également en action à grande échelle, en particulier les fonctionnaires fédéraux et le personnel du secteur public québécois.

Partout en Europe, l’inflation et l’austérité ont déclenché des vagues de grèves de masse et même de grèves générales durant la dernière année. Le Royaume-Uni est toujours au cœur d’une vague de grèves qui dure depuis près d’un an. Un nombre record de jours de travail perdus pour cause de grève y a été enregistré. La colère contre la cherté de la vie et les bas salaires s’exprime derrière la bannière Enough is Enough, lancée par des organisations syndicales et communautaires. L’ampleur des mobilisations actuelles n’a pas été vue depuis 2011, lors de la réforme des retraites.

La fin du mois de mars 2023 a été marquée par une «méga-grève» en Allemagne. Les syndicats des services, des chemins de fer et des transports ont appelé à une action de grève commune pour la première fois de leur histoire. En novembre dernier, les travailleurs et travailleuses de Belgique ont connu leur première grève générale depuis 2014, aussi sur le pouvoir d’achat. En Grèce, trois grèves générales ont eu lieu depuis la catastrophe ferroviaire du 28 février 2023. Les cheminots ont été rejoints par d’autres couches de la société pour dénoncer les coupures ayant mené au drame. Au Portugal, le personnel enseignant, de la santé ainsi que les cheminots sont aussi dans une vague de grève massive depuis les derniers mois pour de meilleures conditions de travail et de salaires. De nombreux autres exemples pourraient aussi être mentionnés ailleurs dans le monde. 

La France : l’épicentre de la lutte

Le mouvement de contestation de la réforme des retraites en France fait figure d’épicentre des luttes de classes en ce moment. Le gouvernement d’Emmanuel Macron a finalement adopté sous bâillon une loi pour augmenter l’âge de la retraite de 62 à 64 ans, malgré une opposition massive jamais vue depuis la précédente tentative de réforme en 2010. Depuis janvier, des manifestations de 1 à 3 millions de personnes s’organisent plusieurs fois par mois.

Le front commun des huit principales organisations syndicales du pays tient bon après trois mois de mobilisation. La lutte dépasse largement le secteur public, dont le personnel enseignant et soignant est le fer de lance. Le secteur privé est entré en scène, notamment dans les raffineries du pays. Avec les actions «Robin des bois», les grévistes du secteur de l’énergie ont établi une distribution de gaz et d’électricité gratuite pour des écoles, des hôpitaux ou des HLM à travers le pays. Les grévistes ont aussi rétabli la distribution chez les personnes ayant été coupées en raison de factures impayées.

Bien sûr, le mouvement connaît des hauts et des bas selon les secteurs et les localités. Il y a aussi un danger d’essoufflement si la contestation ne connaît pas une escalade et demeure une suite de journées de mobilisation vaguement liées. Le soutien à la grève reconductible (grève illimitée) et aux blocages a progressé. Près de 79% des ouvriers et 62% des Français et Françaises pensent que le mouvement doit se durcir.

Un mouvement ouvrier en revitalisation

Dans de nombreux pays, le succès des mobilisations de masse grâce aux grèves s’accompagne d’une attitude plus positive dans la population à l’égard des syndicats et de la syndicalisation. Par exemple, le renouveau du mouvement syndical aux États-Unis n’a pas seulement été marqué par des phénomènes tels que Striketober en octobre 2021. On observe aussi une recrudescence des efforts de syndicalisation, comme chez Amazon et Starbucks.

La nouvelle génération de travailleurs et de travailleuses qui entrent en lutte – les nouveaux leaders – aura un impact important sur le caractère des batailles à venir. Ces nouvelles personnes s’engagent dans la lutte collective non seulement sur des questions économiques, mais aussi sur de nombreuses revendications politiques et sociales. Même si le principal déclencheur d’une lutte peut être précis (ex. demande de hausses de salaire), la crise généralisée du capitalisme pousse les luttes à devenir beaucoup plus larges dans leur portée et leurs objectifs. Le cul-de-sac des partis politiques et de leur système capitaliste est plus facilement pointé du doigt. 

Les initiatives de la base militante

L’orientation plus politique des luttes syndicales actuelles est souvent menée sous la pression de militants et militantes du plancher. La nécessité de changer de stratégie pour gagner pousse les gens à agir sans attendre les décisions des directions. On peut penser aux réseaux militants intersyndicaux La santé en lutte durant la pandémie en Belgique, aux grévistes de la RATP en France qui s’organisent sur Facebook ou à la campagne Workers Strike Back aux États-Unis derrière les efforts de syndicalisation chez Amazon. 

Ces initiatives secouent les directions syndicales conservatrices qui sont majoritaires à la tête de nos organisations ouvrières. Ces directions peinent à réaliser que les stratégies de «partenariat social» des 40 dernières années ne peuvent pas répondre aux besoins de leurs membres, encore moins les motiver à lutter. Ces personnes pensent encore que l’on peut obtenir des gains à partir des «bonnes relations» avec le patronat et l’État. Cette approche les pousse à regarder l’organisation des membres de la base avec méfiance. Partout dans le monde, ces directions constituent les freins principaux au développement des mouvements de lutte. 

Il existe parfois des courants plus à gauche au sein des directions. Mais sans base mobilisée et prête à se battre, même les membres les plus radicaux auront beaucoup de difficulté à se positionner face à une direction conservatrice souvent majoritaire sur les instances élues. L’avenue à prendre pour gagner nos combats dépendra de la participation des membres de la base à la politique syndicale, et surtout du contrôle que ces membres auront sur les actions militantes. 

Le potentiel se développe ici aussi

Sans connaître la même ampleur qu’en Europe, l’inflation et l’austérité font aussi des ravages dans la vie des gens d’ici. Les capitalistes et leurs élites politiques n’ont pas d’autre choix que d’intensifier l’exploitation de notre travail pour dégager leurs profits. Ici aussi, cette situation engendre une riposte des syndiqué⋅es du secteur public fédéral et provincial.

Les 155 000 fonctionnaires fédéraux sont en grève depuis la mi-avril, du jamais vu depuis une décennie. Les fonctionnaires luttent notamment pour des augmentations de salaire visant à rattraper la hausse du coût de la vie. Leurs actions ont rapidement pris un tournant plus militant et inspirant avec de courts blocages de lieux économiques stratégiques (port, frontière, aéroport). 

Notre force, la solidarité!

L’ensemble de la classe ouvrière regarde la lutte des employé⋅es de la fonction publique fédérale. Son issue aura des répercussions sur la dynamique de la lutte des classes. Cette grève mérite tout notre soutien ainsi qu’une solidarité active. Ottawa risque de clore cet épisode avec une loi de retour au travail, comme l’implorent déjà les médias de masse. C’est aussi le scénario qui menace les syndiqué⋅es du Front commun intersyndical du secteur public québécois. Une victoire a le potentiel d’inspirer d’autres secteurs en lutte, le gouvernement en est bien conscient. 

Nous pouvons dès maintenant être au cœur des actions et des demandes pour de meilleurs services publics. Pour les membres syndiqué⋅es, faisons vivre des comités de grèves intersyndicaux démocratiques et contrôlés par les membres du plancher! 

La confiance acquise dans l’expérience d’une lutte peut nous armer d’une nouvelle dose de confiance pour le prochain combat. À l’aube des moyens de pression dans le secteur public québécois, nous pouvons dès maintenant organiser des actions coordonnées entre les différents secteurs en lutte. Unissons nos forces et frappons au même moment!

Les associations étudiantes peuvent aussi se mobiliser en solidarité avec leur corps enseignant. Les stagiaires peuvent en faire autant en soutenant les travailleuses et travailleurs de leur domaine professionnel. Les bénéficiaires des services peuvent en plus se joindre aux comités, actions et manifestations. 

Des luttes concrètes pour changer la société

Ce qui est donné d’une main par les partis et les patrons est repris de l’autre. La hausse des prix engloutit nos augmentations de salaire. Les primes finissent dans la poche du propriétaire. Nous avons besoin de revendications qui règlent concrètement les problèmes. Nous avons besoin d’un programme politique combatif pour motiver la classe ouvrière à joindre la lutte. Personne ne veut risquer sa job pour une augmentation salariale de 2%. 

À travers le développement de la lutte s’ouvrira des opportunités d’aller au-delà d’une lutte pour notre simple survie. Le mouvement ouvrier doit se réarmer des outils nécessaires pour renforcer et élargir le combat. Lorsque nous aurons atteint un niveau de mobilisation et de solidarité supérieur, il sera temps de créer des espaces démocratiques de prises de décisions politiques qui dépassent les luttes économiques. Il s’agira de rassembler les organisations ouvrières et sociales qui représentent toutes les luttes de la classe ouvrière. Cet espace de prise de décision pourra devenir le parti politique authentique de notre classe.

La classe des travailleurs et travailleuses du Québec a besoin d’un véhicule politique démocratique, combatif et indépendant des partis capitalistes. Une organisation politique qui rassemble l’expérience de notre classe et qui nous permet de discuter du meilleur programme, des meilleures stratégies, tactiques et revendications pour gagner.

La solidarité est notre force contre la bourgeoisie et l’État. Ils se permettent d’être arrogants, de s’enrichir sur notre dos. Il est temps d’aller reprendre ce qui nous appartient!


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