Budget fédéral : La guerre et l’argent de la guerre

Le Premier ministre Justin Trudeau et le Premier ministre néerlandais Mark Rutte, à droite, serrent la main de membres de la Royal Air Force lors d'une visite à la RAF Northolt à Londres. / Photo : Henry Nicholls, AP, Une image satellitaire d'un dépôt de pétrole en flammes dans une zone industrielle de la ville de Tchernihiv, 21 mars 2022, Un incendie s'est déclenché dans un dépôt de carburant a Lutsk dans l'ouest de l'Ukraine après une frappe russe, 29 mars 2022

En pleine guerre ukrainienne, au début d’une 6e vague de COVID-19, en pleine inflation et crise climatique record, le gouvernement fédéral se dote d’un budget pour diriger le Canada vers la croissance économique d’ici six mois. 

«Le gouvernement pense qu’il en aura fini avec l’urgence économique et sanitaire à ce moment-là», écrit Christian Noël à Radio-Canada. Ce message n’est pas nouveau. Déjà en 2020, plusieurs économistes libéraux lançaient des messages similaires. Est-ce qu’on peut faire confiance aux prédictions du gouvernement fédéral? En analysant les priorités du gouvernement dans ses contradictions, des perspectives différentes sont de mise.

+300 000 barils par jour

En visite en Europe durant le mois de mars, le premier ministre Justin Trudeau a promis de livrer des milliers de barils d’or noir pour remplacer l’approvisionnement pétrolier des Russes. De leur côté, les démocrates étasuniens de Joe Biden ont envoyé leur chevalier des énergies fossiles en Alberta, Joe Manchin, pour défendre le retour du projet de pipeline Keystone XL afin d’approvisionner les États-Unis. Pour pallier la demande internationale, les libéraux de Trudeau planifient augmenter l’exportation pétrolière de 300 000 barils par jour.

Pour acheminer ce pétrole à long terme, il faudra construire des infrastructures additionnelles. Or, le gouvernement canadien ne contrôle pas l’industrie pétrolière et gazière. Elle est privée. Le gouvernement mise donc sur l’investissement du privé. La principale motivation du privé est le potentiel de retour sur investissements.

Les sanctions devront continuer

Une partie de la hausse du prix du baril, si profitable aux pétrolières canadiennes, est due aux sanctions économiques contre la Russie. Sa guerre d’invasion en Ukraine pourrait durer encore longtemps, mais pas assez pour assurer le maintien du prix du baril pour les prochaines décennies.

Dans un contexte de changements climatiques, le prix élevé du pétrole tend à réduire la consommation des États mondiaux. À court terme, cela n’est pas le cas. Mais sur le long terme, l’incertitude de la demande en pétrole représente un doute pour les investisseurs privés. Par exemple, la construction d’un pipeline est dispendieuse. Pour être profitable, il faut assurer son utilisation pendant des décennies. 

Le Canada et ses pétrolières ont donc tout à gagner à ce que les sanctions contre la Russie perdurent le plus longtemps possible, même un coup la guerre terminée. Cela permettrait d’assurer un retour sur investissement.

Du côté russe, ce sont toutefois les travailleurs et les travailleuses qui paient pour ces sanctions. Ces personnes perdent leurs emplois, leurs conditions de vie s’effritent, mais pas celles des oligarques russes. Poutine et son régime propulse les travailleurs, les travailleuses ordinaires et les jeunes dans cette guerre contre leur gré et leur fait payer la note. 

De plus, les Premières Nations ainsi que la classe ouvrière canadienne sont de plus en plus mobilisées contre le développement des infrastructures liées aux combustibles fossiles. Les luttes populaires peuvent mettre en péril ces projets, comme les protestations de la nation Wet’suwet’en l’ont montré contre le projet Coastal Gaslink. Même sans cette production additionnelle de 300 000 barils, le Canada veut rehausser son niveau de production à des niveaux prépandémiques en augmentant le nombre de puits de forage de 16%. Le gouvernement fait le pari que la classe ouvrière ne se mobilisera pas contre cette production de pétrole.

Les vœux pieux du gouvernement canadien de réduire de 40 à 45% les émissions canadiennes de GES d’ici 2030 sont une fumisterie. Dans son plan dévoilé à la fin mars, le gouvernement exige encore moins de l’industrie pétrolière et gazière. Sa mesure la plus importante demeure celle de «l’écofiscalité», soit le droit de polluer en échange de taxes.

Hausse des dépenses militaires

L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) demande à ses États membres d’atteindre un objectif de 2% de leur PIB investi en dépenses militaires. Pour l’atteindre, le Canada aurait eu besoin d’investir 15 milliards $ par année jusqu’en 2026-2027. Le gouvernement canadien compte plutôt augmenter le budget militaire de 8 milliards $ sur cinq ans, le faisant passer de 1,36% à 1,5% du PIB en 2026-2027.

Cette nouvelle est inquiétante, notamment parce qu’il n’y a pas de vision claire pour accompagner ces investissements. Les implications des forces armées canadiennes en Ukraine, notamment dans la formation d’éléments d’un régiment néonazi, montrent à quoi nos «alliés» ressemblent sur le terrain.

Plus d’armement n’est pas synonyme de plus de sécurité et de paix, au contraire. Est-ce pour la paix que le Canada vend ses armes à l’Arabie Saoudite qui s’en sert pour bombarder des hôpitaux, des écoles ou des aéroports au Yémen? Lorsque la Russie attaque le peuple ukrainien, c’est le génocide. Quand un allié attaque grâce à nos chars d’assaut et laisse 13 millions de civils au bord de la famine, c’est une opportunité d’affaires.

La guerre en Ukraine est directement liée à l’expansion des forces de l’OTAN dans la région. Renforcer les armées de l’OTAN continuera d’avoir un effet déstabilisateur. Cela pourrait engendrer de nouvelles guerres, en plus de celle que la classe ouvrière ukrainienne, russe et mondiale est déjà en train de subir.

La guerre et la production de l’armement figurent parmi les principaux facteurs du réchauffement climatique. L’invasion de l’Ukraine par la Russie laisse un lourd fardeau environnemental qui déstabilise la région encore davantage. Le risque de catastrophe nucléaire provoqué par l’offensive russe sur la centrale de Tchernobyl n’est qu’un avant-goût de ce qui attend ces populations. 

L’inflation, le déficit et le profit de la guerre

Le coût de la vie explose partout dans le monde et le Canada ne s’en échappe pas. Le prix de l’essence a augmenté de plus de 30%. Les universitaires doivent payer 21 % de plus pour leur logement. L’Ukraine et la Russie fournissaient chacune 6 % de la nourriture consommée au à l’échelle mondiale. Cette production maintenant absente, en plus des problèmes d’acheminement de la nourriture et de l’inflation, va continuer de faire monter les prix à l’épicerie. «Si on a l’impression que tout devient plus cher, c’est parce que c’est le cas», dit le directeur général de Desjardins au Devoir.

La guerre explique une grande partie des augmentations, mais l’inflation était là avant. Injecter des millions $ d’argent public dans notre économie était une nécessité pour pallier les effets de la COVID-19. Mais, c’est une décision politique dans l’intérêt de la classe dominante que de faire entrer cet argent dans les poches des grandes compagnies privées, qu’elles soient dans le secteur des pharmaceutiques, des hydrocarbures ou de la promotion immobilière. 

Durant la pandémie, de 2020 à 2021, les capitalistes du Canada les plus puissants ont vu leur fortune augmenter de 78 milliards $. Durant la même période, les géants du web comme Microsoft ont vu une augmentation de leur chiffre d’affaires de 20%. Walmart a eu une hausse de 8,5% de ses recettes et de 18,4% de son bénéfice opérationnel. 

Maintenant que la réalité des marchés mondiaux est redéfinie par la guerre, ce sont les grandes compagnies du bois, de l’aluminium, du blé, de la potasse, du pétrole et du gaz canadien qui se remplissent les poches. Leurs propriétaires s’enrichissent directement sur le dos des civils morts en Ukraine et de la destruction des usines étrangères qui leur font compétition. 

Lier paix et climat

Il n’y a pas encore eu de mouvement anti-guerre d’envergure au Québec au sujet de l’Ukraine. Cela est en partie dû à l’intérêt minimal que le mouvement syndical et les groupes de gauche francophones donnent à la politique fédérale et aux enjeux canadiens internationaux. Or, les luttes sociales ne peuvent pas aboutir à des victoires si elles sont menées en silo.

S’investir dans une lutte environnementale cohérente signifie s’opposer aux guerres impérialistes. Garantir les meilleures conditions de travail ici et se réapproprier le contrôle sur notre économie implique de connaître les dynamiques économiques mondiales et d’appuyer les travailleurs et travailleuses en lutte en Russie et en Ukraine sur les mêmes sujets. Nos syndicats doivent entrer en communication avec leurs homologues internationaux en lutte pour les soutenir. 

Les 300 000 barils que Trudeau veut envoyer en Europe visent à perpétuer la consommation de pétrole. La classe ouvrière canadienne et européenne peut saisir cette nouvelle opportunité de lutte conjointe pour réclamer la nationalisation démocratique de leur secteur énergétique afin d’opérer une transition énergétique. Sans cette perspective, les populations des pays européens sont condamnées à devoir choisir leur bloc impérialiste pour assurer leur sécurité énergétique. 

La course à l’armement doit être dénoncée à tous les niveaux. Les populations de l’Ukraine ont le droit de s’autodéfendre contre l’invasion russe. Mais il faut être lucide sur le fait que l’envoi d’armes en Ukraine vise à rétablir un régime d’oligarques ukrainiens encore mieux armés qu’avant. Pas à assurer l’instauration d’une société qui réponde aux vrais besoins de la population.

Ce n’est pas avec des jets de l’OTAN que les travailleurs et travailleuses d’Ukraine seront libérées. Ça sera grâce à leur résistance active, par des grèves de masse et la prise en charge démocratique de la gestion des services de leurs communautés. Cela comprend notamment la réquisition des armes par des forces qui proviennent authentiquement de la classe ouvrière. La solidarité des syndicats d’ici est importante pour faire reculer les forces capitalistes et celles d’extrême droite qui dominent actuellement la résistance armée ukrainienne.

C’est aussi en aidant la classe ouvrière russe à s’organiser politiquement contre le régime Poutine que la guerre perdra du terrain. Ici comme ailleurs, les populations ont besoin de logements publics décents, de la gratuité des transports en commun ou de la gratuité scolaire, pas de dépenses en pétrole et en armement.

Malgré un intense niveau de répression, des couches de la population russe se lèvent et luttent pour la paix. Plusieurs de nos camarades de Russie et d’Ukraine sont en exil ou en prison. Mais le travail politique continue. Si vous voulez participer à la résistance en Russie, considérez faire un don sur notre site international afin d’aider notre section russe désormais clandestine. 

Pour un mouvement anti-guerre, environnemental et syndical solidaire avec la classe ouvrière russe et ukrainienne!


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