Manifestation « Stop Macron », 5 mai 2018. / Photo: Olivier Ortelpa
Le 2e tour des élections présidentielles françaises s’est clôturé par 58,5% pour Macron et 41,5% pour Le Pen. Mais il y a très peu d’enthousiasme derrière la réélection du président. L’abstention a atteint son deuxième score le plus élevé de l’histoire de la 5e République (28% ce à quoi s’ajoutent les votes blancs (4,6%) et nuls (1,6%)) pour un second tour d’élection présidentielle. En en tenant compte, Macron n’a été élu qu’avec 37,9% des inscrits. C’est donc le président le plus mal élu de la Ve République depuis 1969, juste après Pompidou, un an après Mai 68. Quasiment 2 personnes sur 3 n’ont pas voté pour lui. La légitimité du président est même pire encore: 42% des électeurs de Macron ont dit l’avoir fait pour faire barrage à Le Pen; cela réduit le vote «pro-Macron» à 15,9% de la population…
Le premier quinquennat de Macron avait été fait d’attaques antisociales, de brutalité policière et de précarisation de larges couches de la société tandis que la recherche de boucs émissaires et la logique de diviser-pour-mieux-régner a été utilisée à plein. Les idées de l’extrême droite ont été banalisées au point que celle-ci a pu prétendre s’être adoucie. Cela a ouvert la voie à une nouvelle croissance des idées d’extrême droite. Le constat est clair: Macron n’a nullement constitué un «rempart» contre l’extrême droite, bien au contraire, et son ambition est de poursuivre sur la même lancée. Il prétend maintenant avoir compris que son deuxième mandat doit être plus social et écologique. il va sûrement essayer de s’acheter un semblant d’image progressiste en nommant un(e) premier(ère) ministre disposant d’une très relative crédibilité sociale, féministe et écolo. Il est possible qu’il indexe les bas salaires et les retraites mais, fondamentalement, sa politique continuera à favoriser les riches.
Dès son élection en 2017, Macron avait continué à détruire le code du travail qui avait déjà subi l’offensive de la loi El Khomri (loi Travail) sous Hollande et le PS. Il avait introduit l’individualisation de la négociation collective, avec la volonté affichée d’affaiblir le rôle des syndicats. Dans son programme pour 2022, Macron a affirmé vouloir «poursuivre la modernisation du code du travail engagée avec les ordonnances de 2017». Il n’a pas non plus fait mystère durant sa campagne de son projet de faire reculer l’âge de départ à la retraite à 65 ans.
Entre les deux tours, on a pu lire sur le site Mediapart le témoignage de N’Diaye, éboueur, 23 ans, noir et musulman pratiquant, qui déclarait ne pas s’imaginer travailler jusqu’à 65 ans au vu de la pénibilité de son métier. Avec 1600 euros par mois, il disait beaucoup plus craindre l’augmentation des prix que le racisme de Le Pen et estimait qu’elle ferait plus pour le pouvoir d’achat. Ce témoignage résume beaucoup de chose: le profond rejet que suscite la politique antisociale et autoritaire de Macron, mais aussi le danger de l’extrême droite et du Rassemblement national, qui a su instrumentaliser les inquiétudes populaires en menant campagne sur le pouvoir d’achat avec un programme faussement social et en laissant à Zemmour et Pécresse le soin de répandre ouvertement le racisme et la haine de l’autre durant la campagne. Macron n’est pas le meilleur rempart contre l’extrême droite, il est la meilleure garantie pour que l’extrême droite se renforce.
Le résultat de Mélenchon doit servir de tremplin pour son programme vers les législatives
Au 1er tour, le score du candidat de «l’Union populaire» et de la France Insoumise Jean-Luc Mélenchon a largement dépassé les attentes. Cette campagne, basée sur un programme de gauche de rupture et une campagne ambitieuse, a réussi à mobiliser non seulement des électeurs et électrices de gauche déçu·es par le collaborationnisme d’autres partis (Parti Socialiste -PS-, surtout, mais aussi Europe Écologie Les Verts -EELV- et le Parti communiste -PCF-) dans des gouvernements qui ont appliqué un programme de droite, mais aussi des couches de gens qui ne comptaient à la base pas aller voter, particulièrement parmi les jeunes et dans les banlieues pauvres autour des grandes villes.
Avec 22% au 1er tour, il s’en est fallu d’un cheveu pour que le duel final oppose un candidat de la gauche de rupture à celui de la droite autoritaire. Les partis de gauche (PCF, NPA, LO) qui ont préféré présenter et maintenir une candidature «pour exister» plutôt que de renforcer la dynamique de la campagne de Mélenchon portent une très lourde responsabilité dans le faux choix du 2e tour Macron vs Le Pen laissé aux électeurs et électrices.
Beaucoup avancent l’analyse du «vote utile» venu de gauche qui serait venu renforcer le score de Mélenchon en fin de campagne. Mais début mars, plus d’un mois avant le 1er tour, Mélenchon plafonnait à 12% dans les sondages, pendant que les autres candidats de gauche ou dits de gauche ont vu leur score attendu se confirmer dans les urnes ou au maximum très légèrement baisser. En réalité, le score de Mélenchon a bien plus à voir avec le rejet des politiques portées par la plupart des autres et par la volonté de mettre sur pieds un programme social et écologique qui rompt avec la politique en faveur d’une minorité d’ultra-riches. C’est ainsi que, au-delà d’électeurs et d’électrices traditionnel·les de gauche, des personnes prévoyant de s’abstenir ont été mobilisées par cette candidature, la faisant grimper de 5 points entre les derniers sondages l’avant-veille et le scrutin lui-même. Les électeurs et électrices de Mélenchon qui ont le plus subi de plein fouet la politique de Macron – dans les départements et régions d’outre-mer, parmi les ouvriers et ouvrières, parmi les plus pauvres – ont proportionnellement plus voté en faveur de Le Pen au second tour pour faire barrage à Macron, alors que dans les grands villes et parmi la jeunesse, les électeurs et électrices de Mélenchon au premier tour ont proportionnellement plus fait barrage à Le Pen.
Cette candidature a puissamment contredit ceux et celles qui espéraient que la percée de Mélenchon en 2017 n’était qu’un accident de parcours de même que ceux et celles qui sont entré·es dans cette campagne électorale avec désespoir et en étant saisi par le défaitisme. Au soir du premier tour, trois blocs politiques ont émergés: le premier -en très nette diminution-, autour de la droite néolibérale et autoritaire; le deuxième -en augmentation-, avec l’extrême droite, dont la composante Le Pen a su parler à des couches plus populaires délaissées par le système (particulièrement dans les milieux plus ruraux et les anciens bastions du PCF); le troisième -en augmentation et avec une forte marge potentielle de progression-, autour d’une gauche de rupture.
Dès que les résultats du 1er tour ont été connus, Mélenchon a appelé à «ne pas donner une seule voix à Le Pen» tout en soulignant de rester mobilisés dans la perspective des élections législatives des 12 et 19 juin: «compte tenu des positions prises par les deux protagonistes, le second tour empêche les ruptures indispensables, vitales, pour répondre à la triple crise écologique, sociale et démocratique. Aucune des tensions politiques du pays ne sera résolue. Tout au contraire, elles seront probablement aggravées.» Dès que la victoire de Macron a été connue, il a déclaré : «Vous pouvez battre Monsieur Macron et choisir un autre chemin. Le 12 et 19 juin, un autre monde est encore possible si vous élisez une majorité de députés de la nouvelle union populaire qui doit s’élargir.»
La France Insoumise entend unir la gauche pour emporter le «troisième tour» électoral et imposer ainsi une cohabitation à Macron en construisant une majorité alternative de députés aux législatives du 12 juin pour appliquer un autre type de politique. Cette «Union populaire» vise à regrouper organisations politiques, personnalités politiques, syndicales, associatives, culturelles… autour d’un programme reposant sur des sujets défendus par le programme de Mélenchon, «L’Avenir en Commun». Parmi ces points de programme non négociables, on trouve: la retraite à 60 ans, l’abrogation de la loi El Khomri et des contre-réformes du code du travail et de l’assurance chômage, l’augmentation du SMIC à 1400 euros net, l’allocation d’autonomie jeunesse et la garantie dignité à hauteur de 1063 euros par mois, le blocage des prix des produits de 1ère nécessité, la planification écologique et la règle verte, la fin de la monarchie présidentielle avec la 6ème République et le référendum d’initiative citoyenne, le développement des services publics, le refus de leur privatisation ou la fin de leur ouverture à la concurrence, l’engagement à consacrer 1 milliard d’euros contre les violences faites aux femmes, une fiscalité plus juste avec notamment le rétablissement de l’ISF et l’abrogation de la flat tax, l’abrogation des lois séparatisme, sécurité globale et du pass sanitaire et la désobéissance avec les règles européennes incompatibles avec ces propositions. «C’est le socle minimal de tout, pas un désaccord n’est possible».
Des négociations ont directement été ouvertes avec EELV (4,6% au 1er tour), le PCF (2,3%) et le NPA (0,8%). Les discussions semblent bien engagées avec le PCF, bien que celui-ci semble revendiquer davantage de circonscriptions. Du côté d’EELV, les tensions sont vives entre ses différentes composantes, reflétées par la primaire de septembre gagnée par le représentant de l’aile libérale Yannick Jadot avec seulement 51% face à Sandrine Rousseau, qui portait un programme davantage social et écologique.
Le PS n’a pas été invité aux négociations mais son énorme débâcle (1,7%) ne lui a pas laissé d’autre choix qu’au minimum se montrer ouvert et des premières discussions ont commencé. Mais son premier secrétaire Olivier Faure a directement déclaré: «La réforme des retraites que souhaitent les insoumis coûte 72 milliards. Ce que je dis, c’est que cet argent peut aussi être utilisé pour l’éducation ou la transition écologique, je pense qu’on n’a pas besoin de ramener tout le monde à 40 annuités.» Une pirouette qui ne trompe personne et qui illustre les profondes réticences du PS pour une politique sociale. Son prédécesseur, Jean-Christophe Cambadélis, s’est montré encore moins ouvert à la négociation et appelle à l’autodissolution du PS dans un Congrès de refondation à l’automne. L’ancien président François Hollande a quant à lui carrément averti que le PS risquait de «disparaître» en cas d’accord électoral avec La France insoumise. Il défend que le Parti socialiste puisse envisager une autre union avec EELV et le PCF, c’est à dire le «retour» de la «gauche plurielle» qui avait appliqué une politique antisociale sous le gouvernement Jospin et avait subi une humiliante défaite en 2002. En menant à plusieurs reprises des gouvernements qui n’ont pas défendu les intérêts de la classe travailleuse, le PS (tout comme EELV) fait davantage partie du problème que de la solution.
Pour un 3e tour social – créons un rapport de force tant à l’Assemblée Nationale que sur les lieux de travail et dans la rue
Le programme proposé par la France Insoumise ne manque pas de points forts, avec des propositions sociales ambitieuses et une planification écologique pour sortir des énergies carbonées et nucléaires. Mais cela reste un programme réformiste, sans demande de nationalisation sous contrôle et gestion démocratiques des secteurs-clés de l’économie, en se limitant à la création de pôles publics qui devraient être en concurrence avec le marché et soumis à ses diktats. L’aspiration à une 6e République synthétise cette recherche illusoire d’une république sociale en respectant les étroites limites du système capitaliste. C’est là le talon d’Achille des propositions de Mélenchon: en période de crises multiples du capitalisme se renforçant les unes les autres, les défis à affronter exige que le mouvement ouvrier mobilise toutes les forces productives qui existent dans la société pour y faire face. Mieux vaudrait que cela soit ouvertement clarifié afin de commencer dès maintenant à construire les relations de forces dont nous avons besoin, certainement dans les élections législatives, mais aussi et surtout sur les lieux de travail, dans les écoles et les universités ainsi que dans nos quartiers. C’est surtout dans la rue que l’on peut obtenir des victoires, tout en utilisant en tant que force d’appui les plateformes parlementaires et la visibilité médiatique que cela offre.
«Le Pen n’a pas été élue au pouvoir, et maintenant faisons en sorte que Macron n’y reste pas» C’est avec ce mot d’ordre que la France Insoumise a lancé sa campagne pour imposer un gouvernement de gauche de rupture au président Macron en faisant élire Mélenchon 1er ministre. Cette campagne a le mérite de, dès l’entre-deux-tours, donner la perspective de la bataille suivante vers les législatives, ainsi que de tenter de ne pas se limiter à un travail d’opposition et au contraire de tenter d’appliquer les points de programmes qu’un gouvernement pourrait se permettre de mettre en œuvre.
Mais sans véritable rapport de force sociétal en faveur de la classe travailleuse, il sera difficile non seulement de mobiliser suffisamment de potentiels abstentionnistes, mais aussi d’appliquer un tel programme, une fois élus. À l’aide des syndicats, organisations de gauche et associations, il faut construire un rapport de force conséquent dans la rue et sur les lieux de travail pour parvenir à imposer même ces revendications limitées et faire face à la réaction de la classe dominante, qui fera tout pour empêcher une véritable politique de rupture à gauche.
C’est ainsi que le 3e tour social pourra être construit: par la lutte dans la rue, les entreprises et les quartiers contre la politique de Macron qui encourage l’extrême droite en augmentant les inégalités et la précarisation; qui brutalise les mouvements de protestations, les populations d’origine africaines, d’Outre-Mer et musulmanes et les jeunes; et qui approfondit le dérèglement climatique.
Une telle lutte de grande ampleur est la meilleure manière pour imposer une présence fracassante de député·es de gauche de rupture à l’Assemblée Nationale et pour la politique sociale et écologique que pourra mener l’Union populaire si une majorité alternative peut être atteinte; ou, du moins, pour riposter contre chaque attaque qu’un gouvernement aux ordres de Macron cherchera à faire passer et pour créer une rapport de force favorable à la classe travailleuse, sur lequel les travailleuses et travailleurs ainsi que la jeunesse pourront s’appuyer dans chacune de leur lutte ces prochains mois
Avec sa position hégémonique à gauche, de grands défis font face à La France Insoumise. Un grand danger est constitué par ceux et celles qui vont maintenant ouvertement lorgner avec opportunisme vers Mélenchon, à l’exemple de Ségolène Royal. En Grèce aussi, quand Syriza avait supplanté le Pasok, nombre de carriéristes sociaux-démocrates avaient frappé aux portes de la formation de gauche et avaient accéléré le processus de transformation de ce Syriza en parti soumis aux marchés. La meilleure manière de repousser ces opportunistes, c’est d’accentuer l’implication de la France Insoumise dans les luttes de la rue et de renforcer considérablement l’organisation démocratique de la FI autour de ses groupes de base. A terme, cela pourrait poser la base de la création d’un véritable outil politique des travailleuses et des travailleurs de même que des opprimés, un parti large de combat, avec une participation démocratique à la base qui détermine l’orientation de cet outil pour réellement réaliser ce qui est objectivement requis pour toute la classe travailleuse: la construction d’une tout autre société, une société socialiste démocratique.