Lutte des Wet’suwet’en : une révolte contre le capitalisme néocolonial

La « crise ferroviaire », comme l’appellent les journalistes, est un nouvel éveil des Premières Nations contre le capitalisme néocolonial canadien. Déjà en 2012, on a vécu une prise de conscience lors des événements amenant aux manifestations de Idle No More. Cette fois, les blocus ont des effets de paralysie sur l’économie de certaines provinces comparables à ceux d’une grève des transports.

Les patrons sont en panique. Ils exhortent leurs élites politiques de faire quelque chose. Les journalistes font la belle part à ces hommes d’affaires dont les profits vont diminuer. Et les médias de masse nous servent la complainte habituelle en faveur d’un retour à la « paix sociale » avec la formule « les consommateurs sont pris en otage ».

Les ennemis montrent leur vrai visage

La lutte de la nation Wet’suwet’en met en lumière le visage des ennemis de classe des Premières Nations. Il y a d’abord les politicailleux du fédéral qui ordonnent au premier ministre Justin Trudeau de faire lever les blocus au plus vite. Pour les conservateurs et les bloquistes, l’État fédéral doit s’assurer que le développement des projets de pipelines soit hors du contrôle des communautés. En fin de compte, les libéraux défendent les mêmes politiques extractivistes polluantes que les conservateurs, même avec leur discours de « réconciliation » avec les Premières nations.

Les provinces ont aussi leurs pleutres. La Coalition avenir Québec (CAQ) et le Parti québécois (PQ), si vocal à refuser l’ingérence du fédéral dans les affaires courantes du Québec, le supplie maintenant de mettre fin aux blocus nationaux. En Colombie-Britannique, le gouvernement du Nouveau Parti Démocratique refuse le projet Trans Mountain de l’entreprise Kinder Morgan, tandis qu’il reste indifférent à celui de Coastal GasLink et à l’arrivée de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) sur les territoires autochtones.

Hypocrisie du fédéral

Depuis qu’il est élu, le gouvernement Trudeau fait miroiter un changement d’attitude envers les Premières nations. Mais aujourd’hui, ce gouvernement, comme tous les précédents, apparaît clairement aligné sur une économie extractiviste. Il n’a pas l’intention de se faire bloquer le chemin ni par les Premières nations, ni par personne, réconciliation ou pas. Néanmoins, il n’a probablement pas pensé être confronté à la détermination de nations autochtones d’à travers le pays, prêtes à en découdre avec l’arrogance et l’hypocrisie du gouvernement canadien.

Cette arrogance a été le facteur déclencheur de la reprise de la lutte pour la défense de leur territoire et de leur identité. Et cette fois, elles n’accepteront pas de demi-mesure. Même le chef du conseil de bande Serge Simon de Kanesatake s’est fait vertement rabrouer pour avoir seulement osé suggérer la levée des blocus. Des citoyens de Kanesatake ont dit qu’ils ne feront pas la même erreur que pendant la crise d’Oka : ils resteront debout et solidaires jusqu’à ce que les demandes des Wet’suwet’en soient intégralement respectées. La première revendication sur laquelle les Wet’suwet’en restent intraitables est le retrait de la GRC des abords de leur territoire.

Des contradictions internes

Depuis le début février, les blocages ferroviaires effectués par différentes communautés autochtones partout au Canada soulignent une contradiction fondamentale en leur sein. Il existe un fossé entre la volonté populaire exprimée par les chefs héréditaires et celle des conseils de bande, créature du fédéral et de sa Loi sur les Indiens.

La Première Nation Wet’suwet’en, par l’entremise de la majorité de ses chefs héréditaires, lutte dans l’ouest du pays contre la construction d’un gazoduc par la compagnie Coastal GasLink. La Première nation dénonce le fait qu’on veuille démarrer un chantier sur ses terres ancestrales sans son consentement, en plus de présenter des risques environnementaux. Toutefois, le long du tracé du gazoduc jusqu’à Kitimat, plusieurs chefs de conseils de bande ont signé un accord avec Coastal GasLink. Ils ont tenté de convaincre leur communauté qu’il s’agit d’une bonne affaire pour améliorer leur situation économique.

Les chefs traditionnels, qui n’ont pas été consultés, ne l’entendent pas de la même façon. Ils s’opposent vigoureusement à cette entente. Le gouvernement fédéral a ainsi violé ses propres politiques de consultation et de consentement avec les Premières Nations. D’un côté, le gouvernement maintient ces peuples autochtones dans la misère par l’entremise de la Loi sur les Indiens. De l’autre, il leur promet une meilleure santé économique si elles se plient aux exigences des industries extractivistes canadiennes.

Entrevue avec Stone Iwaasa

ALTERNATIVE SOCIALISTE a eu l’occasion de s’entretenir avec le militant Stone Iwaasa. Né en Alberta et établi à Montréal depuis 45 ans, il a enseigné à l’UQAM au département de communication. Il maintient d’excellentes relations avec le clan traditionnel des Mohawks de Kahnawake. Il a d’ailleurs écrit un article fort intéressant sur le système de connaissances des Autochtones[1]. Mobilisé sur les enjeux d’environnement et de liberté des peuples, Iwaasa nous a partagé ses réflexions sur les récents blocages de chemin de fer en solidarité avec la nation des Wet’suwet’en.

ALTERNATIVE SOCIALISTE. Quel rôle jouent encore aujourd’hui les clans traditionnels au sein de la communauté?

Stone Iwaasa. Si on prend l’exemple de l’industrie du tabac, ce que ça crée comme division chez les Mohawks, ceux et celles qui ont encore les valeurs traditionnelles ne veulent pas que cette industrie vienne créer des classes sociales de riches dans leur communauté. Ils veulent que la richesse soit partagée. Lorsque le fric rentre à flots pour certaines personnes, ça entraîne leur déconnexion avec leur tradition et leur identité. De grosses sommes de capital finissent par corrompre et créer de la division. Une chance que les clans traditionnels font énormément de discipline pour ne pas tomber dans le piège et inspirent aussi des groupes qui viennent de l’extérieur de la communauté mohawk. Eux ont déjà succombé à ce genre de problème et veulent prendre exemple de cette discipline pour contrôler l’influence du fric dans leur société.

AS. Qu’est-ce que tu penses de ceux et celles qui s’opposent aux blocus dans le pays?
SI. Le pauvre citoyen qui risque de perdre sa job, c’est sûr que c’est malheureux. Mais il y a des Autochtones qui ont carrément délaissé leur job parce qu’il fallait protéger leur territoire. Il faut qu’il y ait de la solidarité avant, pendant et après entre tous. Il y a moyen de s’entraider, même après, sur la question de la création d’emplois. Avec des nouvelles technologies pour corriger les dégâts causés à l’environnement, alimentées avec des énergies comme l’éolien et le solaire, ça représente des opportunités pour pas mal de gens d’avoir des meilleures jobs, en gardant en tête que la nouvelle façon de faire, c’est une économie qui respecte l’environnement. Même chez les Wet’suwet’en, certains ont pensé à accepter des jobs dans l’industrie pétrolière parce que les conseils de bande leur ont dit que c’était bien pour la communauté. Mais les vrais gardiens du territoire, les clans traditionnels, les ont avertis des conséquences de suivre une entité politique qui est une créature du fédéral au service du capital.

AS. Comment les différentes nations, d’un océan à l’autre, arrivent-elles à établir aujourd’hui ces liens de solidarité ayant permis de faire ces blocages en chaîne?
SI. La communication est toujours possible entre les différentes nations, mais c’est le travail de maintien de cette communication qui est problématique et qui ne dure pas dans le temps. Lorsqu’il y a une crise, les liens se refont parce que ça affecte plus gravement les communautés. Et elles arrivent à rétablir le contact, même si les réalités des différentes nations au Canada peuvent créer certaines divergences entre elles. Défendre la terre, c’est défendre leur identité, car les Autochtones sont intimement liés à leur territoire ancestral. Mais c’est aussi défendre les intérêts de tous et toutes, car la terre, ça concerne tous les humains. Mais lorsque la crise s’estompe, malheureusement l’engagement à entretenir cette lutte s’estompe avec elle et on baisse la garde. Là est tout le problème. Il y a des personnes partout au Canada, comme Stuart Myiow (porte-parole du clan traditionnel de l’Ours à Kahnawake), qui restent actives tout le temps et sont à l’affût de l’actualité pour activer les gens sur le terrain lorsqu’il est temps d’agir.

Pour le retrait de la GRC des abords du territoire des Wet’suwet’en!
Pour la libération de toutes les personnes arrêtées et l’abandon de toutes les charges!
Pour l’annulation du projet de pipeline de Coastal Gaslink!
Pour la création massive d’emplois publics et syndiqués dans les énergies propres afin de remplacer ceux des énergies fossiles!

***

La « réconciliation » capitaliste

Le gouvernement Trudeau promet la « réconciliation » avec les Premières nations. Concrètement, cela reviendrait à dire que les nations autochtones récupéreraient leur indépendance politique et pourraient choisir le système politique qui les représente, plutôt que de se voir imposer une structure (conseils de bande) créée de toute pièce par le fédéral. Une vraie réconciliation impliquerait l’abrogation de l’infâme Loi sur les Indiens, qui maintient les Premières nations dans un état de dépendance.

Or, cette loi enchâsse autant leur statut de subordonnées du fédéral que le respect des traités sur leurs territoires ancestraux. L’abolition de la Loi sur les Indiens pourrait ouvrir la porte au droit à l’autodétermination des Premières nations, mais aussi remettre en cause la validité de tous les traités territoriaux avec le Canada. Et c’est toujours cet enjeu de la défense des territoires non cédés qui resurgit dans les conflits entre les peuples autochtones et les compagnies polluantes et usurpatrices de ressources naturelles.

En conséquence, beaucoup d’Autochtones ne sont pas en faveur de l’abolition de la Loi sur les Indiens. Voilà aussi pourquoi l’ancien premier ministre Stephen Harper était aussi enclin à faire opposition aux libéraux en suggérant l’abolition de cette loi, sous le couvert d’un soi-disant respect des Premières nations. Dans le fond, il a voulu abolir les dernières barrières à l’avancement des projets de pipelines.

Traités ou pas, les compagnies privées veulent piger dans le plat de bonbons dès maintenant, sans embûches. Le respect des terres ancestrales est le dernier de leurs soucis. Au-delà de ce respect, il s’agit d’arrêter l’occupation, l’usurpation et l’exploitation des nations et territoires autochtones. Il s’agit d’arrêter le viol de leurs droits fondamentaux et la destruction de l’environnement.

ALTERNATIVE SOCIALISTE défend :
L’autodétermination des Premières nations, incluant le droit à la séparation.
Une fédération socialiste libre et volontaire des peuples et des nations présentes sur le territoire de l’État canadien.

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[1] Un équilibre de l’esprit pour la planète et mère terre – les leçons des « traditionalistes » mohawks et vrais êtres (onkwe hon we). Pour ceux et celles qui veulent approfondir sur le sujet, le texte expose bien leur méthode basée sur la Grande Loi de la Paix et de la compréhension, qui est basée sur des principes de physique et de psychologie sociale.


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