Jujutsu Kaisen, meilleur animé de 2021, modèle de l’exploitation des artistes!

Choso, personnage de la série Jujutsu Kaisen

Derrière le boom actuel de l’industrie des animés japonais se cache une exploitation sans cesse plus intense. Un point de rupture vient d’être atteint avec les sorties publiques des personnes chargées d’animer la série Jujutsu Kaisen, meilleur animé de 2021. Comment les artistes des animés peuvent-ils améliorer leur salaires et conditions de travail? Comment peut-on aider cette lutte à partir du Québec?

Les artistes du studio MAPPA atteignent leurs limites

En novembre 2023, plusieurs employé∙es du studio MAPPA – qui produit certains des animés les plus populaires de la planète comme Jujutsu Kaisen, l’Attaque des titans et Vinland Saga – ont dénoncé leurs conditions de travail sur Twitter/X. Cet automne, l’épisode 17 de la 2e saison de Jujutsu Kaisen a été distribué, même s’il est seulement complétée à 30%. Les employé∙es ont demandé un délai pour sa sortie, mais il a été refusé. Un délai est toutefois survenu pour l’épisode 18. Les patrons ne sont quand même pas des magiciens! 

Toutes ces pressions témoignent d’une culture du crunch dans laquelle les artistes subissent des pressions immenses dans les mois qui précèdent le lancement d’un produit. En 2021, un animateur indépendant de MAPPA a dit que travailler pour MAPPA est comme «travailler dans une usine». D’après lui, 80% des animateurs et animatrices dans la compagnie sont épuisé∙es à en faire des burnouts. D’autres sources corroborent que cette proportion est de 60% dans le reste de l’industrie.

Toutes ces pressions sont faites sur des jeunes artistes des animés qui font un salaire annuel moyen de 1 550 000 de yens (14 000$ US/an), soit un million de yens de moins que le reste des employé∙es du même âge. Il ne faut pas être surpris lorsqu’on apprend que près de 90% du personnel d’animation quittent leur emploi après seulement trois ans

La planète veut des animés, les propriétaires veulent leurs profits

Les animés sont plus populaires que jamais. En 2023, près d’un tiers de la population mondiale regarde des animés, soit 2,88 milliards de personnes. Sur Netflix, c’est 100 millions de gens qui regardent au moins un animé en 2020. Ce chiffre est 50% plus élevé que l’année précédente.

La popularité des animés sur Netflix démontre l’intérêt grandissant venant de l’extérieur du Japon. Si on regarde l’évolution du chiffre d’affaires à l’étranger de l’industrie japonaise, on peut voir qu’il est à son plus haut point depuis 2012. De plus, l’industrie a connu une croissance fulgurante de 13% en 2022

Qui plus est, les perspectives de croissances de l’industrie prédisent une croissance composée annuelle de presque 9.5% d ’ici à 2030. En comparaison, les perspectives de croissance économique globales, tous secteurs confondus, sont de 2.2%. Comment ce fait-il qu’une industrie qui fait plus d’argent que jamais a-t-elle des employé∙es si misérables?

Chiffre d’affaires à l’étranger de l’industrie de l’animation au Japon de 2012 à 2021 (en trillions de yens japonais)

Les pires contrats pour les artistes sont les meilleurs pour MAPPA

La forme économique actuelle, donc capitaliste, dicte une seule raison d’être pour les entreprises: maximiser les profits des propriétaires. De sa création en 2011 jusqu’à 2016, MAPPA acceptait la production d’un ou deux projets à la fois. En 2016, ce nombre a doublé, voire triplé après l’arrivée d’un nouveau président. MAPPA ne «gagne» pas ces projets en étant une «meilleure» compagnie que les autres. MAPPA se fait donner ces projets parce qu’elle accepte de les faire à prix moindre. Par exemple, lorsque Netflix lance des appels d’offres tellement bas qu’une compagnie de production est obligée de sous-payer ses artistes, MAPPA accepte.

Habituellement, la production d’animés nécessite la participation d’une équipe de production constituée de différentes compagnies. Ces compagnies se partagent le travail, le financement et l’expertise d’un projet, mais aussi les revenus. MAPPA fait partie de plusieurs de ces équipes, mais tente une nouvelle approche. La compagnie fait cavalier seule. Par exemple, elle a pris le projet de Chainsaw Man en entier. La compagnie a donc plus de travail, mais moins de ressources et moins de temps.

Jujutsu Kaisen est l’animé qui a fait le plus de profits de l’industrie en 2022. Le studio a décidé de produire un film après la première saison, Jujutsu Kaisen 0. La production n’a duré que quatre mois. La production d’un épisode normal de 24 minutes prend entre quatre et sept semaines. C’est un monument de souffrance humaine que de faire un film de 105 minutes en seulement quatre mois. Les profits? Faramineux. 

On peut comprendre la demande de délai du mois de novembre dernier sous le même axe. D’accepter ce délai voudrait dire de changer les horaires de diffusion, briser des contrats, modifier la distribution de jouets, etc. Peu importe l’ampleur des profits, l’idée de les limiter est et restera toujours «impossible» pour les propriétaires. Impossible? Impossible pour eux. 

La classe ouvrière japonaise a un potentiel de lutte énorme!

Le Japon a une classe ouvrière qui a déjà gagné des victoires incroyables lors de luttes historiques. En 1968, plus de 150 universités sont en grève. Certaines ont même des barricades. Dans les années 70, il y a en moyenne plus de 6 000 grèves par an et plus de 55% de la population est syndiquée. Une des plus grandes victoires du mouvement ouvrier japonais a été l’imposition d’une négociation simultanée de tous les syndicats d’une même industrie, à chaque printemps, nommée Shunto. Les gains de ces négociations de printemps s’appliquent ensuite à l’ensemble des employé⋅es du secteur, même aux non syndiqué⋅es. 

Maintenant, le travail est à refaire. Les employé∙es de manufacture du siècle dernier ont fait place à une plus grande proportion d’emplois temporaires, précaires et à temps partiel. Les partis soi-disant socialistes ou communistes ont laissé de côté leur lecture révolutionnaire avec la vague néolibérale des années 80 et 90. À l’heure actuelle, seulement 16,5% des travailleuses et travailleurs du Japon sont syndiqués, le taux le plus bas depuis la création de cette statistique, en 1947. Des 6 000 grèves annuelles, on est rendu à 68. Motoaki Nakaoka, secrétaire général du Zenrokyo, une confédération syndicale japonaise, dit en entrevue: «L’ère actuelle en est une où le leadership syndical ne sait pas ce qu’est de gagner à travers la grève».

Les contradictions s’accentuent. D’un côté, les capitalistes du Japon peuvent concrétiser leurs ambitions les plus voraces, jusqu’à l’évitement fiscal qui bat de nouveaux records. Les conséquences de ces décisions se manifestent en une exploitation farouche et une qualité de vie qui diminue d’année en année pour notre classe sociale. Plusieurs employé∙es d’animation vont changer de carrière, mais pas tous. Quelles sont les perspectives de lutte pour les gens qui veulent rester et se battre?

L’injustice chez MAPPA est le terreau fertile d’une nouvelle vague de syndicalisme

Au stade actuel, le niveau d’organisation des travailleurs et travailleuses est très bas. Certaines personnes mettent leurs espoirs dans des organisations comme JAniCA (Association des créateurs et créatrices d’animation japonaise). Cette organisation est financée en majorité par l’État japonais, à travers des paiements aux compagnies pour offrir des formations d’animation. Puisque les employé∙es n’ont pas un contrôle indépendant de cette organisation, ses contradictions risquent de devenir un frein pour les luttes à venir. Pour l’instant, JAniCA peut jouer un rôle en tant que thinktank. Elle produit des statistiques sur l’industrie et les distribue.

Le vrai pouvoir des animateurs et animatrices est que la totalité de ces milliards de dollars de profit dépend de leur travail. Atomisées, ces personnes risquent de se faire licencier. Ensemble, leur poids change la donne; de licencier tout ce monde veut dire perdre tous ces profits. C’est donc à travers l’organisation que les employé∙es d’animation peuvent maximiser leurs chances de gagner. Plus l’organisation est grande et représente d’employé∙es, plus la force de frappe est puissante. 

Afin d’aider à cette organisation, nous appelons à ce que les syndicats japonais mettent de nouvelles ressources dans des efforts de syndicalisation des employé∙es de l’animation!

Les syndicats internationaux, comme SAG-AFTRA, et les syndicats du Québec pourraient aussi mettre des ressources en japonais, en ligne, à la disposition des employé∙es d’animation!

Nous appelons les personnes qui parlent japonais au Québec à nous contacter pour qu’on puisse assurer la traduction de cet article et avoir une présence sur les médias sociaux du Japon!

Nous appelons le monde étudiant dans les domaines connectés à l’art d’animation à se lier de solidarité avec leurs homologues du Japon afin de discuter de stratégie et de luttes solidaires internationales!


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