Grève dans les écoles : Comment poursuivre la GGI?

Des milliers d’enseignantes et d’enseignants syndiqués à la FAE manifestent à Montréal. Photo: Le Devoir

Alternative socialiste s’est entretenu avec plusieurs grévistes de l’école secondaire Honoré-Mercier. Leur piquet est l’un des plus dynamiques de l’Île-de-Montréal et aussi l’un où se débat les formes que doit prendre la démocratie syndicale locale.

Les sacrifices faits jusqu’ici par les membres de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), en grève générale illimitée (GGI) depuis le 23 novembre, donnent un puissant souffle au mouvement pour de meilleurs services publics.

Malgré le froid de cette matinée de la fin novembre, les grévistes de l’école secondaire Honoré-Mercier, dans le quartier Ville-Émard à Montréal, sont enthousiastes et motivé⋅es. L’organisation de leur piquet de grève est déjà «rodée» après une semaine de GGI sous la direction de leur syndicat national, la FAE. Bonne bouffe, musique, sources de chaleur et bonne humeur sont au rendez-vous.

Le représentant syndical FAE local, Éric Fusinato, souligne que son équipe d’une soixantaine d’enseignantes et d’enseignants a la réputation d’être mobilisée. Après 24 ans d’enseignement et de militantisme à Honoré-Mercier, Éric estime que «l’approche de sensibilisation one-on-one a porté ses fruits». Son rôle principal consiste à représenter l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal (APPM) – principal syndicat montréalais affilié à la FAE – dans son école.

«C’est l’un des piquets de grève les plus dynamiques de l’Île-de-Montréal», renchérit Maude Pollender, l’une des responsables de l’équipe volante du comité d’action-mobilisation de l’APPM. Maude fait le tour des piquets de son secteur pour s’assurer du moral et des ressources des grévistes.

Plusieurs employés d’entretien du Centre de services scolaire de Montréal (CSSDM) – syndiqués à la CSN – sont aussi sur place en solidarité avec le corps enseignant. 

Revendications

Pour l’un des concierges présents, Paul, la bataille pour de meilleurs salaires et le maintien du pouvoir d’achat est très importante pour solidariser les travailleurs et les travailleuses aux grévistes. La revendication d’indexation des salaires au coût de la vie couplée à un rattrapage salarial est aussi importante pour le corps enseignant. 

Sur le piquet, l’enseignant Nicolas Pelletier mentionne que les demandes concernant les conditions et l’organisation du travail sont toutefois priorisées par la FAE:

«Les salaires sont très importants, mais on se bat surtout contre le manque d’outils et de ressources dans nos écoles. Par exemple, on a besoin de ratio enseignants-élèves plus bas et de plus de ressources en psychologie ou en travail social».

La GGI au jour le jour

Vers 10h30, Éric, le délégué syndical, fait son point d’information quotidien aux grévistes de l’école. On y apprend que la CSSDM met en demeure l’APPM. De supposés actes de vandalisme ainsi que le brouhaha avec des travailleurs de la construction voulant entrer dans les écoles sont en cause. Il s’agit d’une menace d’injonction interdisant aux grévistes de piqueter sur le terrain des écoles de Montréal.

Nicolas l’enseignant mentionne qu’advenant une injonction, l’aide d’alliés externes pour réaliser les actions interdites aux grévistes peut s’avérer très utile. Il nous partage par la suite que les employés de la construction font directement affaire avec la CSSDM. Ils se font souvent ouvrir les portes par des agences de sécurité privées sans même passer par les directions d’école.  

En parlant du loup, un travailleur externe – que personne n’a vu entrer – sort de l’école par la porte principale, à la surprise des grévistes. Pour Éric, «l’essentiel, c’est que les cours ne se donnent pas». Toutefois, la pression serait encore plus forte si aucune personne ne pouvait entrer dans les écoles.

Quelle est la prochaine étape?

Le délégué syndical Éric juge que la pression économique indirecte exercée par la GGI de la FAE débutée le 23 novembre est suffisante pour établir un rapport de force avec l’État-employeur québécois. Plus elle durera, plus la pression se fera sentir. «Notre carte principale, c’est la GGI», estime aussi Maude, du comité d’action-mobilisation. Cette approche du «tenir une journée de plus» n’est toutefois pas partagée par tout le monde sur le piquet.

«Plus de semaines dans la rue ne veut pas dire plus de pression, souligne Paul, l’employé d’entretien. Le monde ont des comptes à payer et le moral peut s’essouffler.» Encore faut-il faire monter la pression durant la GGI. Pour gagner, «il faut que tout le monde soit dehors en même temps, que plus rien ne marche, lance-t-il. Comme avec les carrés rouges de 2012!»

Nicolas fait signe qu’il est d’accord. «On ne doit pas avoir peur de rompre avec le piquetage symbolique. Il faut faire preuve de créativité, estime-t-il. On ne doit pas avoir peur de choquer l’opinion publique en bloquant la rue ou en perturbant l’économie.» Selon lui, il est crucial que la GGI s’élargisse dans le reste de la population pour réussir. «La prochaine étape, c’est le 8 décembre», dit-il en référence à la 3e séquence de grève –  du 8 au 14 décembre – des 420 000 employé⋅es du secteur public représenté⋅es par Front commun.

Depuis le début de la GGI, la FAE a organisé plusieurs manifestations massives, mais sans lien avec les autres syndicats ou mouvements sociaux. Aucune action de perturbation économique ou de désobéissance civile n’est en vue pour l’instant.

Une GGI menée d’en haut

À Montréal, le mandat de GGI a été présenté par la direction syndicale lors d’une assemblée générale des 9 500 membres de l’APPM, en mai 2023. Près de 1 000 personnes étaient présentes pour voter et adopter ce moyen de pression. Depuis, aucune assemblée décisionnelle de l’APPM ne s’est tenue.

Comme chez plusieurs autres centrales syndicales, cette assemblée de milliers de membres est la première instance démocratique «locale» des membres.

En conséquence, les groupes de grévistes dans les écoles reçoivent leurs directives d’instances supérieures sur lesquelles elles ont peu ou pas d’emprise. La stratégie de faire cavalier seul en déclenchant une GGI sans préparation locale préalable en a laissé plusieurs perplexes. Plusieurs membres de la FAE critiquent d’ailleurs l’absence de leur organisation du Front commun intersyndical.

«Personne ici n’a décidé quand la GGI allait commencer, souligne Anissa, une enseignante d’Honoré-Mercier. C’est la table en haut qui décide.» Il existe bien une assemblée des délégué⋅es syndicaux pour gérer la politique locale, mais elle est consultative.

Si beaucoup de membres font confiance au leadership et au comité de négociations de la FAE, d’autres estiment qu’il faut plutôt s’assurer d’avoir des garanties démocratiques locales afin de pouvoir rejeter une potentielle entente à rabais.

Démocratie syndicale locale

Anissa estime que la direction de la FAE n’en serait pas à sa première fois. «Les ententes sont toujours qualifiées “d’historiques”, même si on continue de s’appauvrir», lance-t-elle. Avec Nicolas, elle a créé pour son école un comité de grève en guise d’espace de discussion pour la conduite de la grève. Ce comité regroupe des travailleurs et travailleuses de différents types d’emplois et syndicats. 

Lorsque cette idée à été présentée au corps enseignant de l’école, sept personnes ont voté en faveur, sept autres en défaveur et une trentaine se sont abstenues. Cette situation montre que les débats sont loin d’être mûrs. Plusieurs ne comprennent pas le but du comité. Nicolas souligne que le rôle d’un tel comité de grève intersyndical est complémentaire à celui du syndicat local.

Le délégué FAE local, Éric, ne nourrit pas beaucoup d’intérêt pour ce comité. Une partie de son équipe syndicale de cinq personnes y participe tout de même déjà. «La réalité militante d’une minorité peut nous rendre vulnérables aux recours légaux, confit-il. C’est plus facile de cogner sur une seule école que sur toute une province.»

Liens communautaires

Pour Nicolas et ses collègues, la GGI est un moyen de pression radical qui doit monter en crescendo très rapidement pour réussir. Surtout que la pression est grande de régler le conflit avant le congé des Fêtes.

«Il faut élargir la GGI aux employés de soutien, faire embarquer les parents, bref faire une genre de “grève sociale”», explique Nicolas. Un comité de grève peut avoir le mandat d’aller chercher ces appuis et de les organiser. Ancien organisateur communautaire, Nicolas suggère la mise sur pied de mesures d’entraide communautaire – comme l’aide alimentaire ou le gardiennage d’enfants – afin de joindre un maximum de familles à l’effort gréviste.

Depuis, le comité de grève se rencontre irrégulièrement sans avoir l’appui officiel du syndicat ni celui de beaucoup d’enseignantes et d’enseignants de l’école. Suite à l’injonction qui empêche les syndiquées de bloquer l’accès aux écoles, les grévistes d’Honoré-Mercier ont décidé d’organiser des marches avec les grévistes des cinq écoles primaires avoisinantes. Cette idée fait écho aux volontés d’élargissement de la lutte du comité de grève informel.

Maintenant que la quasi-totalité des employé⋅es des services publics sont en grève, un momentum se présente pour tisser de nouvelles solidarités avec les autres personnes qui travaillent, qui reçoivent des services et qui vivent dans les communautés.


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