Guide tactique : Comment remporter sa première convention collective?

La mise sur pied d’un syndicat est une grande réalisation qui n’est pas facile à faire. Si vous êtes déjà passé⋅e par là, vous avez probablement dû surmonter toutes sortes de pratiques anti-syndicales vicieuses de la part de vos patrons: mensonges sur ce qu’est un syndicat, réunion anti-syndicale obligatoire, intimidation, manipulation et représailles (tels la réduction des heures de travail, la fermeture d’unité ou des licenciements). 

Si vous avez organisé une campagne qui a résisté à tout cela et qui a remporté son accréditation syndicale, vous aviez probablement des revendications concrètes que vous et votre comité d’organisation avez adoptées démocratiquement. Vous en avez ensuite parlé à vos collègues, en expliquant comment le syndicat est un outil pour les obtenir. Maintenant, vous êtes à l’étape où vous devez vous battre pour une convention collective solide qui met par écrit les choses que vous voulez voir changer dans votre milieu de travail. 

Il s’agit d’une étape plus difficile que celle de remporter une accréditation syndicale. Mais les mêmes principes que pour la mise sur pied d’un syndicat fort s’appliquent ici: avoir des revendications concrètes, un comité d’organisation solide dont la direction élue est composée de membres engagé⋅es, ainsi qu’une culture démocratique de discussions et de prise de décisions concernant tous les aspects du syndicat.

D’après le National Labor Relations Board (NLRB), les employeurs sont obligés légalement de «négocier de bonne foi» avec un syndicat accrédité. Cependant, il y a la loi et la réalité: les employeurs utilisent tous les outils à leur disposition pour bloquer les négociations et gâcher le processus. Cela peut commencer bien avant le début des négociations. Un employeur peut faire appel des résultats afin de contester une accréditation syndicale et ainsi retarder le processus de certification. Ça a notamment été le cas à l’entrepôt d’Amazon JFK8 de Staten Island à New York.

Il ne s’agit pas seulement d’une question de méchanceté de la part des patrons et des grandes entreprises ou encore de failles dans la loi. La loi elle-même est écrite et appliquée d’une manière complètement déséquilibrée en faveur de leurs intérêts. En fait, le gouvernement, l’État et les tribunaux ne sont pas des institutions «neutres». Ils existent pour défendre la richesse et le pouvoir de la classe capitaliste qui a mis en place ces institutions en premier lieu.

D’une part, il y a le pouvoir des patrons qui s’exerce contre vous. D’autre part, la plupart des dirigeantes et dirigeants syndicaux actuels utilisent des tactiques et des stratégies assez faibles pour tenter de mettre sur pied des syndicats et de négocier des conventions collectives. Il faut en moyenne 465 jours pour négocier une première convention collective. Il n’est pas rare qu’il faille plusieurs années. Certains syndicats n’y parviennent jamais.

Pour construire un syndicat puissant et obtenir une convention collective solide, il faut adopter une approche de lutte des classes pour s’organiser. Une telle approche met de l’avant le fait que tout ce que les travailleurs et travailleuses gagnent se fait aux dépens des patrons, et vice versa. Une approche fondée sur la lutte des classes n’a pas peur du type de tactiques militantes provenant des membres de la base. Ces tactiques ont permis aux syndicats de devenir une force puissante au cours de la première moitié du XXe siècle. Et elles seront nécessaires pour reconstruire le mouvement syndical aujourd’hui. Les initiatives militantes de la base sont nécessaires pour affronter les patrons et le pouvoir de toute la classe capitaliste qu’ils représentent. Elles sont nécessaires pour gagner.

  1. Construire le pouvoir hors de la table de négociation

Le pouvoir des patrons provient de leurs richesses et de leur contrôle sur le milieu de travail et les institutions politiques. Notre pouvoir en tant que travailleuses et travailleurs vient du fait que c’est nous qui créons cette richesse et ces profits pour eux, grâce au travail que nous effectuons dans notre milieu de travail. C’est pourquoi  l’obtention d’une convention collective solide qui ronge leurs profits et offre aux travailleurs et travailleuses des salaires, des avantages sociaux et des conditions de travail nettement meilleurs implique la construction d’un pouvoir hors de la table de négociation. Cela nécessite presque toujours une action de grève, ou du moins la menace d’une telle action.

Il ne suffira jamais d’obtenir une «place à la table de négociation». Cette table n’a pas été conçue par les personnes qui travaillent et ne sert pas à défendre leurs intérêts. Les patrons se soucient d’abord et avant tout de leurs profits et de leur contrôle. Il est donc inutile de faire appel à leur moralité par le biais de jeux de mots intelligents ou de manœuvres juridiques. Les conventions collectives solides ne sont pas tant «négociées». Elles sont imposées aux patrons en dépit de leur résistance.

Le Comité de négociation

Le pouvoir exercé à une table de négociation découle du pouvoir qui est établi à l’extérieur de cette table. Mais vous avez toujours besoin d’une équipe à cette table, le Comité de négociation (CN). Ce comité doit être composé de travailleuses et de travailleurs solides, sérieux, dignes de confiance et capables de résister à l’immense pression exercée par des avocats de renom, des patrons intimidants et parfois même des personnes représentant le gouvernement. Si vous travaillez avec un syndicat existant, la haute direction de ce syndicat peut également exercer des pressions pour que vous acceptiez moins que ce pour quoi les travailleuses et travailleurs sont prêts à se battre. Des pressions seront exercées pour que vous vous adaptiez au processus de négociation «officiel», même si ce processus est fondamentalement dévalorisant pour les travailleuses et les travailleurs.

Le Comité de négociation (CN) doit être élu dans le cadre d’un processus démocratique ouvert à toutes les personnes membres du syndicat. Le CN ne doit pas être nommé par la haute direction du syndicat local ou national. Le CN doit être pleinement imputable devant les travailleuses et les travailleurs. Les membres du CN doivent considérer leur rôle comme celui de représentantes et de représentants des membres et être directement responsables devant les membres à la table de négociation.

Cela signifie d’abord et avant tout que les revendications des membres sont celles qui sont défendues à la table de négociation. Si les travailleuses et les travailleurs se sont démocratiquement mis d’accord pour revendiquer un salaire de départ de 30$/h, alors le CN ne propose pas 25$/h. Si la proposition change, cette décision doit être prise lors d’une réunion de toutes les personnes membres du syndicat.

Négociation ouverte ou fermée

C’est pourquoi la négociation est plus efficace ouverte que fermée. Aujourd’hui, la plupart des syndicats ont malheureusement recours à la négociation à huis clos. Dans ce cas, seules les personnes membres du CN sont présentes à la table de négociation. Seules ces personnes sont au courant des propositions discutées et de leur formulation. Certains syndicats vont même jusqu’à établir des «règles de base» pour que le CN respecte cette approche fermée.

Les directions de la plupart des syndicats actuels ont abandonné l’idée que la confrontation directe avec l’employeur est le moyen le plus efficace et le plus rapide d’obtenir des avancées réelles pour les travailleuses et les travailleurs. Ces directions préfèrent parler d’«intérêts communs» entre elles et les patrons. Cela signifie que les dirigeantes et les dirigeants syndicaux tendent souvent vers le compromis et la négociation. Le système de négociation en vase clos privilégie l’«expertise» des responsables syndicaux, des personnes avocates ou de celles employées par les syndicats au détriment de la participation d’une base active et mobilisée de travailleurs et de travailleuses.

En revanche, dans le cadre de la négociation ouverte, le CN est toujours chargé de communiquer avec les négociateurs patronaux à la table. Mais toutes les personnes membres du syndicat peuvent assister à ces séances de négociation et les regarder. Le discours entourant les différentes propositions discutées au cours des négociations est audible par tout le monde. Cela confère au processus une transparence cruciale pour garantir que les revendications demandées par les travailleuses et les travailleurs se reflètent dans ces propositions.

Pour les membres qui ne peuvent pas participer aux séances (qui ont souvent lieu durant leur journée de travail), il peut y avoir des mises à jour hebdomadaires régulières, voire nocturnes, en fonction des étapes franchies par les négociations. Ces mises à jour devraient contenir les développements complets des négociations et les propositions sur la table. Elles devraient aussi offrir des possibilités pour les membres non seulement de discuter et d’évaluer certaines questions cruciales, telles que des changements majeurs apportés à une proposition, mais aussi de voter sur ces dernières.

Maintenir la pression

Toute lutte nécessite un plan d’escalade qui permet de maintenir la pression sur l’adversaire et de conserver l’élan nécessaire à la victoire. Si vous avez mis sur pied un syndicat, vous avez probablement déjà une certaine expérience en la matière. Mais là encore, il est deux fois plus difficile d’obtenir une convention collective solide. Vous devrez donc vous battre deux fois plus fort. En plus du Comité de négociation, le syndicat doit aussi mettre en place une Équipe d’action pour la convention collective. Cette équipe est composée de représentants et de représentantes de l’ensemble du personnel, provenant des différents sites, horaires, équipes et catégories d’emploi. Le rôle de l’Équipe d’action est de planifier et d’exécuter les actions et le plan d’escalade de moyens de pression.

À travers l’escalade des moyens de pression, vous aidez également les travailleuses et les travailleurs à acquérir l’expérience et la confiance nécessaires pour mener ensemble une intervention collective. Ça peut commencer par quelque chose de simple. Par exemple, mobiliser le plus grand nombre de personnes possible pour qu’elles portent un t-shirt ou un macaron syndical. Cela peut sembler anodin, mais ça peut grandement contribuer à renforcer la cohésion et la solidarité entre les membres. C’est essentiel afin de pouvoir réaliser quelque chose d’important, comme une marche contre un patron, une grève ou un arrêt de travail réussi. Ces actions nécessitent toutes un niveau élevé de coordination et de discipline.

Les manifestations constituent une étape d’escalade importante. Elles permettent aux travailleuses et travailleurs de mobiliser le plus grand nombre possible de leurs collègues dans un endroit public, des membres d’autres syndicats ainsi que des personnes sympathisantes provenant de la communauté au sens large. Une manifestation est également un bon moyen d’attirer l’attention des médias afin de braquer davantage les projecteurs sur la lutte et d’en tirer parti pour accroître la pression publique sur l’entreprise. Le soutien de la communauté et l’attention des médias ne remplacent pas une campagne solide sur le milieu de travail. Mais elles sont tout de même importantes. Dans certains secteurs tournés vers le public, comme l’éducation ou les soins infirmiers, ces soutiens peuvent être déterminants.

La forme d’escalade des moyens de pression la plus élevée est la grève. Elle est efficace parce que, lorsqu’exécutée correctement, elle empêche les patrons de faire des profits. Au cours des dernières décennies, les directions syndicales ont largement cessé d’utiliser l’arme de la grève. Elles estiment que la paix avec le patronat est le meilleur moyen d’obtenir de meilleures conditions. Cette stratégie infructueuse se reflète dans les conventions collectives médiocres qui ont été adoptées dans de nombreux grands syndicats. Elles l’ont parfois été de manière antidémocratique par rapport aux souhaits des membres, comme dans le cas d’UPS et du syndicat des Teamsters en 2018.

L’abandon de la grève est l’une des principales raisons pour lesquelles les syndicats ne sont plus aussi forts qu’ils l’étaient autrefois. Cela a conduit à des inégalités économiques galopantes et à une détérioration générale du niveau de vie. Nous vivons une époque où les salaires ne suivent pas l’inflation et où les personnes qui travaillent le font plus longtemps pour un salaire et des avantages moindres. La plupart des travailleuses et des travailleurs seront incapables d’obtenir des gains importants dans une convention collective, comme l’indexation automatique des salaires au coût de la vie ou une semaine de travail de 30 ou 40 heures, sans se mettre en grève.

  1. Quand signer et accepter une convention collective?

Un bon contrat doit être un cliché instantané précis de la lutte des classes. Il doit représenter votre rapport de force face aux patrons. Dans des conditions normales, et en particulier à une époque où les travailleurs et travailleuses de toute la société ripostent davantage, une convention collective devrait généralement inclure des augmentations de salaire substantielles et de meilleurs avantages sociaux. Elle devrait aussi inclure un éventail complet de solutions aux enjeux autour desquels les travailleuses et travailleurs se sont organisés. Ces enjeux pourraient bien être uniques à ce milieu de travail. Les conventions collectives peuvent compter des dizaines, voire des centaines de pages et peuvent couvrir littéralement tous les aspects de la vie au travail. Ainsi, rien n’est «trop petit» pour être inclus dans un contrat de travail. Tout mérite une bataille.

Une mauvaise convention collective est celle qui est signée alors que les travailleuses et travailleurs sont  encore prêts à se battre pour mieux. Cela ne signifie pas que davantage aurait automatiquement été gagné. Cela signifie que les travailleuses et les travailleurs n’ont jamais eu la chance d’essayer. Trop souvent dans le mouvement ouvrier, un Comité de négociation syndical parviendra à une entente de principe avec l’employeur qui ne correspond pas à ce que les travailleuses et travailleurs veulent. Les membres sont alors prêtes et prêts à se battre plus longtemps. Le CN tentera alors de vendre l’entente de principe aux membres comme une victoire. Et ce n’est pas parce que les membres du CN sont de mauvaises personnes ou ne sont pas authentiques. C’est parce qu’elles subissent une immense pression à la table de négociation. Sans négociation ouverte et sans stratégie d’escalade des moyens de pression pour gagner, même les militantes et les militants syndicaux les plus forts et combatifs peuvent capituler. 

Par contre, si les travailleuses et les travailleurs ne sont pas disposés à se battre pour davantage, il est alors inutile qu’une petite minorité essaie de pousser une lutte plus loin qu’elle ne peut aller. Non seulement les membres ne gagneraient pas, mais cela pourrait conduire à une défaite encore plus grave ainsi qu’à l’épuisement et à la démoralisation. Une retraite ordonnée permet aux travailleuses et aux travailleurs de se regrouper et de se préparer à la prochaine convention collective. Il s’agit d’un compromis tactique plutôt qu’un compris de principe. Un compromis de principe signifie que vous avez entamé des négociations dans le «but» de parvenir à un juste milieu avec votre patron en négociant à la baisse vos revendications initiales. Une convention collective représente un cessez-le-feu dans la lutte des classes. À moins de mettre fin au capitalisme lui-même, une convention collective représentera toujours une sorte de «compromis». Mais essayer de parvenir à un compromis dès le départ n’est qu’une recette pour compromettre les revendications sur la base desquelles vous et vos collègues avez formé un syndicat.

Gagner une première convention collective solide est une réalisation majeure et une immense amélioration pour votre vie et celle de vos collègues. La lutte pour une convention collective transforme les conditions au-delà de votre milieu de travail immédiat. Elle enseigne aux gens qu’ils ont un rôle et un pouvoir dans le monde. Elle leur montre ce que signifie se battre et gagner. Elle incite aussi d’autres travailleuses et travailleurs du pays, voire du monde entier, à faire de même.


par
Mots clés , , , , , .