Grève dans les services publics : préparons la lutte prolongée!

Les travailleurs et les travailleuses des services publics sortent d’une première série de journées de grève nationale. L’enthousiasme et la combativité étaient au rendez-vous sur les lignes de piquetage du Front commun intersyndical le 6 novembre. Même chose les 8 et 9 novembre lors des deux premières journées de grève des infirmières en 25 ans.

À moins de nouvelles offres patronales substantielles, ce qui semble improbable, d’autres journées de grève sont prévues en novembre: du 21 au 23 pour le Front commun (CSN, FTQ, APTS, CSQ), les 23 et 24 pour la FIQ et une grève générale illimitée à partir du 23 pour le personnel enseignant de la FAE. On parle donc de plus de 566 500 personnes en grève le 23 novembre.

L’état d’esprit des travailleurs et travailleuses n’est plus celui des décennies d’austérité libérales et péquistes. Le défaitisme et le cynisme ont fait place à la colère et à la mobilisation. Malgré cela, les premières journées de grève n’ont pas fait bouger le gouvernement Legault aux tables de négociation.

Le gouvernement a l’argent

La semaine dernière, le gouvernement a plutôt annoncé le financement d’une visite des Kings de Los Angeles à Québec au coût de 5 à 7 millions $. Il a aussi réduit le coût des permis de conduire pour une nouvelle année, entraînant ainsi des pertes de revenus de 600 millions $ pour l’État. Ces annonces montrent l’importance que la CAQ accorde aux demandes des employé∙es des services publics.

La mise à jour économique du ministre des Finances confirme que la CAQ a l’intention de rester ferme sur ses positions d’austérité budgétaire. L’État québécois se prive lui-même de la marge de manœuvre fiscale requise pour maintenir des services publics viables et fournir des conditions de travail adéquates. En cela, la CAQ est bon élève du PQ de Bouchard et des libéraux de Charest et Couillard.

Une lutte prolongée en vue

Face à la fermeture complète de la partie patronale, les organisations syndicales n’ont pas d’autres choix que d’amplifier leurs moyens de pression et de s’attaquer à la CAQ là où ça fait mal: au niveau économique. Il est possible qu’on se dirige vers une lutte prolongée. Si on s’organise comme il faut, on peut gagner cette bataille.

Le combat des travailleuses et travailleurs des 26 succursales SQDC affiliées à la FTQ donne un aperçu de ce qui semble nécessaire pour gagner contre ce type de gouvernement. Après une grève générale illimitée de 18 mois, la plus longue grève de l’histoire des sociétés d’État au Québec, l’entente conclue dépasse les revendications d’origines et accorde l’amnistie pour ses membres visé⋅es par des mesures de répression légale.

Un sondage commandé par le Front commun indique un fort appui de la population aux objectifs des travailleuses et des travailleurs du secteur public. En contraste, la cote de popularité et de satisfaction envers la CAQ diminue dans l’ensemble du Québec, en particulier dans son fief de la grande région de Québec. Il est possible que Legault y pense à deux fois avant de se permettre un décret rapide et autoritaire.

Quelques tactiques de la CAQ

La CAQ a plusieurs options pour tenter de briser le mouvement. Elle peut laisser pourrir le conflit en espérant que les grévistes laissent tomber. Une grève est un sacrifice en termes d’énergie, de temps et d’argent. Le calcul serait de laisser le froid mordre les grévistes et les fonds de grève s’épuiser. Si les membres ne comprennent pas la stratégie nécessaire pour gagner, l’impatience peut miner la solidarité sur le terrain. La CAQ fait le pari que les syndicats n’ont pas la capacité de motiver et politiser leurs membres.

La CAQ espère aussi que le travail de matraquage médiatique habituel finira par faire son œuvre. Les chroniqueurs et les chroniqueuses vont continuer de cracher leurs venins pour blâmer les grévistes – et non le gouvernement – pour les conséquences de la grève. Ces gens sont payés pour éroder la solidarité entre les différents secteurs de la classe travailleuse avec des cris tels «On nous prend en otage!» et pour briser la confiance des gens envers les syndicats.

Dans tous les cas, la réflexion stratégique pour résister au gouvernement doit débuter maintenant. Elle doit se poser dès aujourd’hui sur le terrain, à la base, lors des prochains piquets de grève.

Déjà, on entend certains commentaires cyniques:  «On négocie, mais ça n’avance pas. On va grever, mais ils vont décréter». On peut et doit répondre à ces remarques, afin de motiver les troupes. L’histoire n’est pas écrite à l’avance. Toutes les stratégies de la CAQ comportent des faiblesses. Si on tient bon et qu’on embrase la société, l’histoire sera celle de nos actions et de nos victoires.

Organiser la grève en crescendo

La prochaine séquence de grève est très importante pour faire bouger le gouvernement. En cas d’impasse à la table de négociation – ce qui est probable – la question tactique de déclencher une 3e séquence de journées de grève ou une grève générale illimitée (GGI) se posera dans toutes les organisations syndicales.

Ne pas escalader les moyens de pression présente un risque de démotivation et de cynisme. À l’inverse, déclencher une GGI sans préparation risque d’épuiser le moral et les forces des grévistes.

En prévision d’une lutte prolongée, préparons dès maintenant une grève générale reconductible, dont le déclenchement et la durée seront décidés par les grévistes à la base. Ça commence par l’organisation de piquets de grève qui suscitent l’enthousiasme et comblent les besoins pour la nourriture, les toilettes, les sources de chaleur et le gardiennage d’enfants. Planifier l’animation politique des ateliers de pancartes, de bannières et des prises de paroles lors des piquets est aussi incontournable pour la suite des choses.

Face à un gouvernement entêté, il est impossible de gagner en restant sagement dans la légalité de nos lignes de piquetage. Les actions des journées de grève doivent avoir un impact concret sur le gouvernement et les intérêts capitalistes qu’il protège. Pour gagner, on doit sortir l’artillerie lourde.

Grèves, blocages et occupations

La construction de notre rapport de force passe par la perturbation du profit des entreprises privées, comme celles qui supportent la CAQ. Il passe surtout par l’inclusion de toute la communauté dans la lutte des employé⋅es des services publics. Toutes les personnes qui bénéficient des services publics sont des activistes potentiels. Si, par exemple, la CAQ préfère mettre notre argent dans les poches des multinationales de batteries, bloquons ce projet jusqu’à la victoire des travailleurs et travailleuses du secteur public.

Les comités d’action et de mobilisation syndicaux peuvent dès maintenant réfléchir et préparer des actions de perturbations économiques impliquant un maximum de personnes. Les visites de piquets par d’autres grévistes, la mise en réseau de comités de grève et le travail de coalition avec les acteurs sociaux combatifs – comme les associations étudiantes – sont importants pour y arriver.

S’entraider pour mieux lutter

Échanger sur les meilleures tactiques et stratégies de pression nous offre la possibilité de trouver des moyens originaux pour contourner les limites au droit de grève imposées par la loi sur les services essentiels.

Pourquoi ne pas aider aux moyens de pression des autres? Bloquer ou occuper des entreprises polluantes, grassement subventionnées ou qui fournissent de l’armement à Israël? Pourquoi ne pas paralyser les stationnements réservés aux cadres, bloquer des routes stratégiques ou des voies ferrées (dans le respect des situations d’urgence)?

Si de larges couches de la société s’impliquent dans ce mouvement de grève, nous pourrons contraindre Legault à faire des concessions au secteur public en grève et même précipiter des élections. Cette grève générale prendrait alors l’allure d’une grève politique qui pourrait nous débarrasser du gouvernement caquiste.

Pour y arriver, il faut s’assurer que les grévistes de la base s’approprient la lutte et soient le vecteur de son élargissement. Il ne s’agit pas de lancer des appels généraux à la solidarité, mais de créer cette solidarité par les faits, à la base.

Politiser la lutte pour l’amener à la victoire

Comme la CAQ enlise les négociations, les travailleurs et les travailleuses n’ont pas d’autre choix que de porter le combat pour le renouvellement de leurs conventions collectives sur le terrain de la lutte politique.

S’organiser politiquement sur la base de notre principale force, notre nombre, ça se fait grâce aux luttes de tous les jours. Des luttes qui s’attaquent au profit et à la propriété des entreprises qui profitent des politiques d’austérité, de privatisation et de rationalisation dans les services publics.

L’appui actif des travailleurs et des travailleuses du secteur privé est essentiel pour le faire. La défense commune de revendications concrètes – comme l’indexation automatique des salaires de tout le monde au coût de la vie – est une bonne façon d’y parvenir.

À travers ce processus, la lutte syndicale peut se politiser, transcender les questions strictement économiques ou sectorielles et poser la question: «Qui dirige la société et dans quel intérêt?»

Afin que la bataille pour des services publics gratuits et de qualité soit victorieuse, il faudra lutter jusqu’au bout pour se débarrasser de la CAQ. La grève étudiante de 2012 a toutefois montré que changer un gouvernement néolibéral pour un autre n’est pas suffisant.

La lutte du secteur public n’est pas uniquement contre la CAQ. C’est une lutte pour que notre classe sociale accède au pouvoir politique, celui de garantir les meilleurs soins de santé, la meilleure éducation et les meilleurs services sociaux de manière gratuite et accessible pour tout le monde. C’est une lutte pour remplacer un système qui doit saboter les services de la majorité pour maximiser les profits d’une minorité. C’est une lutte socialiste.


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