Fermeture d’une RPA à Verdun : Les laissées pour compte du privé

Il reste moins d’une dizaine de locataires sur la soixantaine que comptait la résidence Les Jardins Gordon au printemps dernier. Des trois résidentes rencontrées par Alternative socialiste, aucune ne sait ce qui l’attend d’ici la fermeture de la résidence officiellement prévue pour janvier 2023. Tout indique que les propriétaires prévoient se débarrasser de l’immeuble à profit, plutôt que de maintenir des services pour les aîné⋅es de Verdun.

Les locataires déménagent par leurs propres moyens ou sont relocalisé⋅es avec l’aide des services du CLSC de Verdun depuis l’annonce, le 20 avril dernier, de la fermeture de la résidence par ses propriétaires. 

«On sent la pression de nous faire partir», souligne Mme Mercier*, l’une des dernières résidentes. Elle vit dans une unique pièce d’à peine 150 pieds carrés. Le plancher est collant. La pièce et le lit de Mme Mercier sont encombrés des sacs d’un déménagement inévitable, mais dont elle ne connaît pas la date.

«C’est de la marde icitte»

Mme Mercier a elle-même été préposée aux bénéficiaires auprès de personnes âgées durant sa vie professionnelle. «C’est de la marde icitte», répète-t-elle à qui veut l’entendre au sujet des services offerts par Les Jardins Gordon. Avec le départ de presque tous les locataires, certains services – comme l’entretien, les loisirs, la nourriture – semblent avoir diminué. Sa facture, elle, n’a pas diminué. Pendant notre visite, nous avons pu constater l’accumulation d’eau de pluie par les fenêtres ouvertes sur les planchers de salles de bain communes et de logements inoccupés.   

Mme Mercier et sa voisine Mme Hurteaux* sont les dernières locataires de leur étage. Les chambres sont vides, les portes grandes ouvertes. Ces deux femmes sont-elles les oubliées de la déplorable situation qui se déroule autour d’elles? Leurs finances sont extrêmement précaires, leurs problèmes de santé physique ou mentale ne s’améliorent pas et leur réseau de soutien est quasi absent. Comme d’autres, plusieurs abus de propriétaires les menacent, comme la hausse abusive de leur prochain loyer ou la perte des services fournis par une résidence privée pour aîné⋅es (RPA).

Déménagement fatal

Selon une travailleuse sociale du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal rejointe par Alternative socialiste, ce genre de déménagement forcé impose un grand stress sur les personnes semi-autonomes et non autonomes. «C’est malsain pour la santé et la qualité de vie de se faire relocaliser comme ça», estime-t-elle. D’une part, les gens perdent souvent leur travailleuse sociale ou leur médecin. D’autre part, le transit d’établissement en établissement est souvent fatal. «C’est à ce moment-là que les gens meurent, pendant le transit, souligne-t-elle. Il y a des risques que les services ne soient pas équivalents, que les gens soient loin de leur famille, de leurs amis, de leur intervenant et ça impacte le moral».

Du côté des employé⋅es du CLSC, ce genre de situation est une «catastrophe». «Le CLSC de Verdun est déjà débordé, en mode délestage et les gens sont en burnout, soupire-t-elle. Personne n’a besoin de 30 cas supplémentaires à régler en urgence pendant la période des vacances». Contrairement à ce que prétend le propriétaire de la résidence, tous les déménagements ne sont pas «clé en main». 

Dans les faits, les décisions d’affaire des propriétaires millionnaires des Jardins Gordon doivent être assumées par les services publics locaux afin d’éviter que les délocalisations ne deviennent des enjeux de santé publique plus graves. Plusieurs personnes vont nécessiter davantage de soins qu’avant. Rien ne garantit qu’elles les recevront à temps ou dans des conditions équivalentes. La relocalisation va causer d’autres problématiques, dont la dégénérescence des capacités des bénéficiaires. 

Salle de bain commune et COVID-19

Avec une dizaine de personnes en moins sur leur étage, Mme Mercier et Mme Hurteaux ont davantage accès à la salle de bain commune de leur palier. Les deux seules chambres munies d’une salle de bain privée sont désormais inoccupées, mais leur accès n’est pas autorisé pour autant. «C’est 200$ de plus par mois pour avoir une toilette dans sa chambre, lance Johanne. Je n’ai pas cet argent-là».

Un autre résident, M. Tremblay, nous a confié que les salles de bain communes ont été des foyers d’infection importants durant les premières vagues de la COVID-19. En date du 27 avril 2020, près de la moitié des 86 locataires d’alors étaient infecté⋅es. Il s’agissait du plus haut taux d’infection de tous les CHSLD et RPA de Verdun. Selon M. Tremblay, plus d’une dizaine de personnes sont décédées de la COVID-19 aux Jardins Gordon.

Le gestionnaire de l’établissement, Horizon Gestion de résidences, a expliqué à Radio-Canada vouloir fermer le bâtiment étant donné qu’il «est carrément obsolète». Selon son président et chef de la direction, Jean Teasdale, c’est l’absence de salles de bain privées dans de nombreuses chambres et la propagation de la COVID-19 dans les blocs sanitaires communs qui a motivé sa décision. Le gestionnaire préfère fermer l’établissement en activité depuis 25 ans plutôt que de le rénover. Une partie des locataires a été relocalisée dans les autres résidences Horizon.

Garantir des logements abordables pour aînées

Les locataires des Jardins Gordon n’ont pas réussi à s’organiser et à résister comme l’ont fait, par exemple, ceux et celles de la Résidence Mont-Carmel. Alternative socialiste et sa campagne Nos quartiers ne sont pas à vendre ont toutefois permis à leur colère de s’afficher publiquement lors d’un rassemblement en mai dernier

La fermeture des Jardins Gordon est désormais inévitable. Il est possible que le propriétaire vende le terrain évalué à 4 millions $. Une demande de démolition de l’établissement ou de transformation de sa vocation sera alors sur la table du conseil municipal de Verdun. La conversion de la RPA en logements locatifs privés ferait de toute cette affaire une énorme rénoviction déguisée. Pour garantir les 1000 logements réellement abordables nécessaires dans Verdun, le conseil municipal doit agir résolument dans ce dossier.

L’enjeu consiste à garantir la vocation de résidence pour personnes âgées pour tout bâtiment érigé sur ce terrain. Pour Steve Baird, organisateur communautaire au Comité d’action des citoyennes et citoyens de Verdun (CACV), la ville de Montréal pourra utiliser son droit de préemption afin d’acquérir le terrain en priorité, si ce dernier est mis en vente par Horizon. La ville pourrait alors aider à monter un projet d’immeuble locatif flambant neuf, sans but lucratif, pour personnes âgées. Les moyens pour y arriver ne manquent pas, que ce soit à travers la prise de possession du bâtiment par la Société d’habitation et de développement de Montréal (SHDM) ou son intégration au réseau de l’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM).

Le public et le parapublic, la force du nombre

Dans tous les cas, la garantie du maintien d’une offre de logements réellement abordables (un loyer calculé en fonction des revenus), accessibles, de qualité et munis des services adéquats pour les personnes âgées passe par une construction, une gestion et un contrôle public des résidences. De cette manière, nous pouvons retirer ces logements des griffes des spéculateurs. De cette manière, nous pouvons garantir des emplois de qualité, syndiqués et écologiques dans les secteurs de la santé, des services sociaux, des municipalités et de la construction.

Les syndicats de cols bleus et de cols blanches ont un rôle politique primordial à jouer dans la bataille pour l’accès au logement. Bien que leurs directions actuelles n’en soient pas conscientes, les organisations syndicales ont le potentiel d’être la force la plus déterminante dans l’élaboration des plus grands projets de construction de logements publics abordables de l’histoire du Québec. C’est uniquement cette force qui permettra à Montréal et au Québec de combler les besoins réels des locataires tout en garantissant les meilleures conditions de travail pour ses employé⋅es.


* Noms fictifs visant à garder l’anonymat des personnes rencontrées


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