La Chine, l’impérialisme et la gauche

Seconde moitié d’un article en deux parties de Per-Åke Westerlund sur la montée de l’impérialisme chinois, d’abord publié par Chinaworker.info. La première partie, L’impérialisme capitaliste d’Etat de la Chine est disponible ici.

A mesure que le conflit impérialiste entre les États-Unis et la Chine s’exacerbait ces dernières années, certaines couches de la gauche internationale ont adopté une attitude de moins en moins critique envers le régime du PCC (soi-disant communiste), niant sa répression à l’intérieur du pays et son exploitation à l’étranger, par exemple dans les pays liés à l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie (Belt and Road Initiative, BRI).

Les partisans de gauche du régime chinois ne remettront probablement pas en question la plupart des faits économiques présentés dans la première partie de l’article. Ils défendent les actions de facto impérialistes du régime chinois, en soutenant soit que le régime a agi par nécessité, soit que ses actions bénéficient aux citoyens ordinaires des pays concernés. Ces commentateurs, généralement issus d’un milieu politique stalinien ou maoïste, sont également connus sous le nom de tankies, parce qu’ils ont soutenu les chars envoyés contre les travailleurs et travailleuses en Hongrie en 1956, à Pékin en 1989, etc. Malgré la restauration capitaliste en Russie et en Chine, les tankies pensent qu’il y a quelque chose de progressiste dans ces régimes aujourd’hui.

Les apologistes du PCC ont eu du mal à accepter que les dirigeants chinois semblent s’entendre très bien avec les présidents américains et les multinationales étrangères. Xi Jinping a reçu une ovation debout lorsqu’il s’est exprimé devant le parlement australien en 2014. Un an plus tard, le premier ministre britannique de l’époque, David Cameron, a parlé de l’âge d’or des relations entre le Royaume-Uni et la Chine. En 2015, Xi Jinping a partagé une calèche avec la reine Elizabeth et a appelé la Grande-Bretagne conservatrice le meilleur ami de la Chine en Occident, tandis que George Osborne, le ministre britannique des Finances, a conduit une délégation commerciale au Xinjiang et s’est attiré les louanges des médias contrôlés par l’État chinois pour n’avoir parlé que d’opportunités commerciales et n’avoir rien dit des mauvais traitements infligés aux Ouïghour·es ou à d’autres minorités. Et pas plus tard qu’au début de l’année 2020, Donald Trump a fait l’éloge de Xi comme d’un ami proche. Rien de tout cela ne peut être expliqué par les tankies, qui prétendent maintenant que Pékin est en première ligne de la lutte contre l’impérialisme américain.

Pendant que les politiciens et les économistes capitalistes sont accueillis en Chine, les socialistes et tou·tes ceux et celles qui tentent d’entrer en contact avec les travailleurs et travailleuses et les jeunes en lutte sont arrêté·es ou expulsé·es. C’est parce que les vrai·es socialistes et marxistes, dans la même tradition que Marx, Luxemburg et Lénine, s’opposent à tous les gouvernements capitalistes et aux puissances impérialistes. Dans son livre l’Impérialisme, Lénine a tenu à souligner que même la Russie tsariste était une puissance impérialiste en développement, même si la Grande-Bretagne, la France, les États-Unis et l’Allemagne étaient plus avancés. Dans son avant-propos de 1920, Lénine souligne l’oppression de la Russie sur la Finlande, la Pologne, la Courlande, l’Ukraine, Khiva, Bokhara, l’Estonie ou d’autres régions peuplées de non-Grands Russes et explique qu’en écrivant son livre en 1916, il avait utilisé l’exemple de l’impérialisme japonais au lieu de la Russie pour éviter la censure tsariste.

Aujourd’hui, les tankies et les apologistes du PCC prétendent que les personnes déportées ou arrêtées, et ceux et celles qui les soutiennent, ne peuvent pas vraiment connaître les faits. C’est en soi un aveu du rôle de la dictature et de ses méthodes pour supprimer la vérité. Ils prétendent également que les socialistes ne peuvent pas utiliser les médias libéraux, bourgeois ou publics comme sources. En fait, l’argument selon lequel tous les reportages des grands médias capitalistes sont de la propagande de la CIA est souvent le seul argument des partisans du PCC. Alors, quelle est la tradition marxiste? Karl Marx n’a jamais hésité à citer des journaux bourgeois, par exemple la presse britannique conservatrice relatant la répression de la contre-révolution après la défaite de la Commune de Paris. Marx lui-même a été pendant dix ans le correspondant du plus grand journal de New York, the Tribune, qui était lié au parti républicain. Les marxistes ne se font aucune illusion sur l’impartialité des médias capitalistes et, de même, des médias chinois contrôlés par le régime – il s’agit d’étudier les faits et les sources de manière critique.

Les critiques des tankies d’aujourd’hui ne sont rien comparées aux campagnes des partis communistes dirigés par les staliniens contre Léon Trotsky dans les années 1930. Ceux-ci assimilaient sa critique scientifique de la dictature de Staline à celle de la droite et même des nazis. Ils passaient totalement sous silence la divergence de classe – les critiques bourgeoises voulaient une contre-révolution capitaliste, tandis que le programme de Trotsky était une nouvelle révolution ouvrière pour établir un État ouvrier socialiste et démocratique. Cette division fondamentale de la critique sur la base des classes ne signifie toutefois pas que les camps de travail du Goulag ne sont qu’une invention de la droite. Les tankies critiquent l’origine des sources, alors que la véritable discussion porte sur leur soutien aux régimes staliniens, maoïstes et aujourd’hui capitalistes d’État.

L’apartheid chinois au Xinjiang

L’immense réseau de camps de concentration, les disparitions, la torture et les viols subis par la population ouïghoure et majoritairement musulmane au Xinjiang ne sont pas une invention, mais la dure réalité. L’oppression des Ouïghour·es s’est accrue au rythme de la restauration capitaliste en Chine et de la montée de l’impérialisme chinois. Les ressources naturelles et l’emplacement stratégique du Xinjiang, éléments clés de la BRI de Xi Jinping, combinés à la peur de l’opposition de la population non-han, ont fait augmenter d’un cran la répression de la part de Pékin contre le Xinjiang/Turkestan oriental.

Jusque dans les années 1950, les Hans représentaient 5% de la population du Xinjiang. Cela a changé avec la restauration et l’exploitation capitaliste dans les années 1990, lorsque des millions de migrants han sont arrivés. Aujourd’hui, les Ouïghour·es, environ 12 millions de personnes, représentent moins de la moitié de la population du Xinjiang, tandis que les Han en représentent plus de 40%.

D’après l’universitaire Darren Byler, qui a vécu pendant deux ans à Ürümqi et a continué à étudier le Xinjiang, la domination du PCC dans le Xinjiang se manifeste par la mise en place d’un système de laissez-passer, la construction de camps d’internement, un système de contrôle par quadrillage policier, [qui] émule les tentatives des régime d’apartheid en Afrique du Sud de l’apartheid et d’Israël de contrôler systématiquement les minorités indésirables. Un autre tournant a été la guerre contre le terrorisme déclarée par George W. Bush après le 11 septembre. Le PCC a rapidement adopté la rhétorique de l’Occident et a désigné collectivement les Ouïghour·es comme des terroristes présumé·es.

Un article paru dans la revue américaine de gauche Monthly Review accusait ceux qui rendaient compte des camps et de la répression au Xinjiang de soutenir l’impérialisme américain; il a suscité une réponse ferme de Byler et de 35 autres universitaires du monde entier. La réponse disait que les politiques de la Chine étaient une appropriation délibérée des pratiques occidentales de lutte contre le terrorisme, et que les deux camps devaient être condamnés, de même que l’islamophobie aux États-Unis et en Chine.

Cette réponse pointait également clairement les racines capitalistes des politiques de Pékin : «Le lien entre l’expansion capitaliste et l’oppression des communautés indigènes est connu de la gauche depuis longtemps. Ne pas reconnaître et ne pas critiquer cette dynamique est une forme d’aveuglement volontaire.» Byler lui-même s’est déclaré dans une interview profondément critique du militarisme américain. Il décrit la Chine comme un pays capitaliste d’État et le système au Xinjiang comme un capitalisme de la terreur. Le gouvernement du Xinjiang a accusé Byler d’être un agent de la CIA. Il s’agit d’une accusation souvent lancée par les nationalistes chinois et parfois par leurs partisans étrangers contre quiconque critique le régime de Xi, y compris les féministes et les militants syndicaux chinois.

Les émeutes de juillet 2009 ont marqué un tournant décisif dans l’histoire moderne du Xinjiang. Elles ont été déclenchées par les meurtres racistes de deux travailleurs migrants Ouïghour·es dans une usine de la province de Guangdong. Quelques jours plus tard, une manifestation initialement pacifique de jeunes Ouïghour·es à Ürümqi, qui défilaient derrière le drapeau de la RPC et demandaient une enquête sur les meurtres de Guangdong, a été prise pour cible par des policiers armés. L’émeute a été provoquée par la montée de la répression et de la discrimination, comme le remplacement du ouïghour par le chinois comme seule langue dans les écoles, l’accaparement des terres ouïghoures et la réglementation de la pratique religieuse et du code vestimentaire.

«La guerre du peuple contre le terrorisme»

En réponse à certaines attaques terroristes désespérées, l’État chinois a déclaré en mai 2014 la guerre du peuple contre la terreur, dirigée contre les Ouïghour·es en tant que groupe. Les socialistes se sont toujours opposés au terrorisme individuel, une méthode qui ne mène jamais à rien si ce n’est à encore plus de répression, et ne fait pas avancer la lutte contre l’oppression, comme l’a montré cet exemple. 300 000 Ouïghour·es ont été forcé·es à quitter Ürümqi par un système de passeport interne et les déplacements sont restreints par des points de contrôle. Le système des camps a été introduit. En 2017, le Xinjiang était devenu un État policier complet.

«Au début de 2017, l’État avait recruté près de 90 000 nouveaux policiers et augmenté le budget de la sécurité publique du Xinjiang de plus de 356% pour atteindre environ 9,2 milliards de dollars», rapporte Byler. «En raison du sous-emploi généralisé, un grand nombre d’Ouïghour·es ont été attiré·es dans les forces de police».

Un système de vérification des téléphones et des ordinateurs de chaque Ouïghour·e a été mis en place, parallèlement à une surveillance avancée. À elles seules, deux entreprises technologiques basées à Hangzhou, Dahua et Hikvision, ont obtenu des contrats d’une valeur de plus de 1,2 milliard de dollars pour construire l’infrastructure de sécurité dans l’ensemble de la patrie ouïghoure. Ces techniques de sécurité sont devenues des produits d’exportation chinois vers les régimes autoritaires.

Pendant cette même période, le pétrole et le gaz naturel représentaient plus de la moitié du PIB du Xinjiang. L’agriculture industrielle à grande échelle, principalement le coton et les tomates, s’est également développée. Il ne s’agit pas d’un conflit ethnique mais d’une attaque unilatérale de l’État. Ainsi, le Xinjiang est marqué à la fois par un système raciste d’apartheid contre les Ouïghour·es et par une exploitation économique coloniale. Les Ouïghour·es sont discriminé·es par rapport aux colons han en matière de logement, d’emploi et de salaire. De vastes projets d’infrastructure sont construits pour assurer les profits futurs et renforcer le contrôle de Pékin.

Il existe d’innombrables témoins oculaires de viols et de tortures, ainsi que d’enfants enlevés à leur famille. Avec environ un million de Ouïghour·es envoyé·es dans des camps, tout le monde connaît quelqu’un qui a été détenu. L’objectif est de briser mentalement les Ouïghour·es, en les obligeant à subir des procédures extrêmement humiliantes pour prouver leur loyauté envers le PCC et le chef suprême Xi Jinping. En outre, Pékin choisit des leaders ouïghour·es pour représenter le régime au Xinjiang.

Le caractère raciste et anti-Ouïghour des politiques du PCC apparaît le plus clairement dans leurs programmes de contrôle des naissances, y compris la coercition (par la perte de droits économiques et juridiques, et pire encore) des femmes Ouïghoures pour qu’elles acceptent l’implantation d’un DIU (dispositif intra-utérin). Malgré le démenti de ces actions, même l’annuaire statistique officiel de la Chine et l’annuaire statistique du Xinjiang montrent que le taux de natalité dans le Xinjiang a diminué de moitié en deux ans. Cela inclut la population han. Dans les deux plus grandes régions ouïghoures, le taux de natalité a chuté de 84 % entre 2015 et 2018.

À l’échelle internationale, ces faits ont d’abord été publiés par le chercheur Adrian Zenz, un fondamentaliste chrétien de droite. Mais ceux qui utilisent la politique de Zenz pour discréditer ses rapports, y compris les médias contrôlés par l’État chinois, passent sous silence le fait que ses sources sont constituées de statistiques officielles chinoises. La propagande pro-CCP veut se concentrer sur cet individu, mais les faits sont également étayés par les récits de femmes qui ont elles-mêmes été dans les camps.

Le système des camps est structuré selon différents niveaux de normes carcérales, depuis l’éducation de propagande contre la langue et la culture ouïghoures, le travail forcé dans les usines, jusqu’aux dispositifs contraceptifs forcés, la stérilisation des femmes et la torture.

L’État dirigé par le PCC ne nie plus l’existence des camps, mais prétend qu’ils sont destinés à la rééducation, à la formation professionnelle et à la promotion de la santé reproductive des femmes. Il présente toute critique des camps comme une campagne de l’impérialisme américain, mais ne donne jamais accès aux camps aux reporters crédibles. Le fait que l’impérialisme américain critique maintenant le traitement des Ouïghour·es relève de la pure politique de pouvoir et de l’hypocrisie. Ce que subissent les Ouïghour·es est loin d’être nouveau. En 2002, les États-Unis, en coopération avec la Chine, ont capturé 22 Ouïghour·es en Afghanistan et au Pakistan et les ont emmené dans le célèbre camp de torture américain de Guantanamo Bay. Aucun d’entre eux n’a été identifié comme djihadiste ou lié à Al-Qaïda, mais les trois derniers n’ont été libérés qu’en 2013. En 2017, l’interdiction de voyager aux musulman·es décrétée par Trump a également été très appréciée par les dirigeants du PCC.

Lorsqu’il a été demandé aux 48 plus grandes entreprises américaines en Chine de commenter la politique menée contre les Ouïghour·es, seules six d’entre elles ont répondu et une seule a exprimé certaines critiques. Il est clair que l’impérialisme américain veut utiliser les camps et le traitement des Ouïghour·es dans sa guerre froide contre la Chine, mais qu’il n’est en aucun cas un allié dans la lutte des opprimé·es.

Taïwan, la Chine et les États-Unis

Taïwan est un point chaud de la guerre froide entre la Chine et l’impérialisme américain. C’est également un pays et un État de facto comptant plus de 23 millions d’habitant·es. Lorsque Chiang Kai-shek et son Kuomintang se sont réfugiés à Formose (Taïwan) après la victoire de la révolution chinoise en 1949, le Kuomintang a baptisé l’île République de Chine, dans le but de la réunir à terme avec la Chine continentale. Cette position a depuis lors été défendue tant par le régime du PCC à Pékin que par les successeurs de Chiang Kai-shek au sein du Kuomintang. À Taïwan, les capitalistes et le Kuomintang se sont subordonnés depuis des décennies au régime du PCC sur le continent, en raison de la forte attraction de l’économie chinoise. Même les politiciens nationalistes taïwanais du Parti démocratique progressiste (DPP), aujourd’hui au gouvernement, se sont abstenus d’aller trop loin dans leur critique de Pékin.

Telle a également été la position des gouvernements américains depuis les années 1970, lorsque Nixon et les ses successeurs ont officiellement reconnu la République populaire plutôt que la République. La priorité était aux profits et au commerce. Sur le plan militaire, cependant, l’impérialisme américain a maintenu une alliance étroite avec Taïwan en raison de sa position stratégique et comme point de pression sur le régime de Pékin.

En réalité, Taïwan est devenu un État et un pays distinct. L’ancienne idée de réunification a perdu la plupart de ses partisans sur l’île. C’est l’une des raisons de l’implosion électorale du Kuomintang, qui est aujourd’hui contraint de prendre ses distances avec le PCC. L’introduction de la loi sur la sécurité nationale à Hong Kong, qui abolit les droits démocratiques, a fini de détruire toutes les illusions d’un arrangement un pays, deux systèmes pour la réunification de Taïwan. Aujourd’hui, seuls 12,5% des Taïwanais·es sont favorables à l’unification, tandis que 54% sont favorables à l’indépendance formelle et 23,4% au statu quo, c’est-à-dire à l’indépendance de facto.

En raison de ses politiques durement répressives, notamment à Hong Kong, la seule façon pour la dictature du PCC de maintenir sa position selon laquelle Taïwan fait partie de la Chine est l’action ou la menace d’action militaire. Au cours de l’année dernière, les forces aériennes et navales chinoises ont multiplié les exercices autour de Taïwan, accompagnés de déclarations politiques militaristes. Il s’agit en partie d’une tentative de Xi Jinping de montrer sa force, et en partie d’une réponse à l’avancée de l’impérialisme américain en Asie de l’Est, qui a commencé sous Obama et s’est intensifié sous Trump. Cela s’est manifesté par de nouveaux contrats d’exportation d’armes, une présence militaire plus fréquente et, l’année dernière, la publication du pacte de défense entre les États-Unis et Taïwan, jusque là secret. La tentative du PCC de faire peur aux Taïwanais·es pour qu’ils soutiennent l’unification est vouée à l’échec. Le seul résultat sera une montée du soutien à l’indépendance.

Les marxistes défendent l’unité de la classe ouvrière et des masses opprimées. Cette unité ne peut être atteinte qu’avec une position correcte sur la question nationale. Cela signifie qu’il faut comprendre l’état d’esprit et la conscience des travailleurs et travailleuses. Une fois encore, Lénine et les bolcheviks ont montré la voie, en déclarant que l’opposition au droit à l’autodétermination ou à la sécession signifie inévitablement, dans la pratique, le soutien aux privilèges de la nation dominante. Le fait d’être perçu comme des partisans d’un État oppresseur bloquera toute tentative de construire l’unité de la classe ouvrière.

La révolution russe de 1917 a libéré les nations opprimées mais n’a en aucun cas soutenu l’impérialisme étranger. Au contraire, les puissances impérialistes sont intervenues en Russie contre la révolution, qui avait libéré la Finlande, l’Ukraine et d’autres nations.

De même, le soutien à l’indépendance ne signifie pas le soutien à l’impérialisme américain, et l’indépendance de Taïwan ne sera jamais acquise avec l’aide des États-Unis. À l’ère de l’impérialisme, les mouvements de libération nationale réussis n’ont jamais été dirigés par des nationalistes bourgeois et, bien sûr, encore moins par l’impérialisme. Dans le cas de Taiwan, l’indépendance ne peut être obtenue que par une lutte de masse contre les capitalistes et les partis politiques de l’establishment – et surtout en combinaison avec la lutte de la classe ouvrière en Chine continentale contre la dictature du PCC et le capitalisme chinois. Dans aucun conflit national, les socialistes ne soutiendront les classes dirigeantes d’aucun des campas. A Taiwan, cela signifie aucun soutien aux Etats-Unis, à la Chine ou aux partis politiques capitalistes taïwanais, DPP et le Kuomingtang.

Hong Kong

Pour les perroquets de la dictature du PCC – qui ne voient que les quelques drapeaux rouges et le nom Parti communiste et non la réalité de la brutale dictature capitaliste et impérialiste – les mouvements de masse à Hong Kong, en particulier en 2019, sont des révolutions de couleur parrainées par les États-Unis.

Les faits démontrent le contraire. Le 4 octobre 2019, alors que le mouvement de masse à Hong Kong durait depuis quatre mois, le Guardian écrivait:

Les responsables américains ont été interdits de soutenir les manifestations pro-démocratie à Hong Kong, après que Donald Trump aurait promis que les États-Unis n’en parleraient pas pendant les négociations commerciales. Selon CNN, Donald Trump a pris cet engagement auprès de son homologue chinois, Xi Jinping, lors d’un appel téléphonique en juin. (…) En raison de cette consigne de silence, le consul général américain à Hong Kong, Kurt Tong, a été prié d’annuler une apparition dans un groupe de réflexion américain ainsi qu’un discours sur les manifestations qui ont secoué le territoire…

Donald Trump lui-même a donné la position américaine: «Quelqu’un a dit qu’à un moment donné, ils vont vouloir arrêter cela. Mais c’est entre Hong Kong et la Chine, car Hong Kong fait partie de la Chine. Ils devront s’en occuper eux-mêmes. Ils n’ont pas besoin de conseils». Le même article souligne également que Trump n’a pas voulu faire de commentaires sur le Xinjiang et le traitement des Ouïghour·es. Dans ses mémoires, John Bolton, l’ancien conseiller à la sécurité nationale de Trump, a affirmé que ce dernier avait dit à Xi Jinping que les camps de prisonniers du Xinjiang étaient exactement la chose à faire.

D’une manière générale, l’impérialisme américain n’encourage pas les mouvements de masse, ni ne les soutient. Chaque fois qu’il parle positivement d’un mouvement de la base, Washington se concentre sur les éventuels leaders fiables qu’il peut amadouer et sur la manière de désamorcer le mouvement.

Lorsque le mouvement a explosé à Hong Kong en 2019, avec des manifestations rassemblant un ou deux millions de participant·es, il a exprimé la colère, la frustration et la crainte que les promesses de réformes démocratiques soient remplacées par de nouvelles limitations des droits. Les droits démocratiques étaient considérés à juste titre comme les moyens nécessaires pour améliorer la vie des gens ordinaires dans une société où les inégalités sont extrêmes et où le système de protection sociale est quasiment inexistant. L’immense mouvement a été déclenché par un amendement juridique impopulaire, mais il s’est rapidement transformé en un appel à la démission du gouvernement local, fidèle à Pékin, et à des élections une personne, un vote. Les promesses de retirer l’amendement juridique (permettant les extraditions) n’ont eu aucun effet.

Ce mouvement a pris par surprise toutes les forces et tous les partis de l’establishments. Les pan-démocrates, que les masses considéraient comme des dirigeants ayant échoué dans la lutte pour les droits démocratiques, n’ont pratiquement joué aucun rôle. Le véritable leadership est revenu aux jeunes non organisés.

Le régime de Xi Jinping considérait le mouvement comme une menace, craignant qu’il ne s’étende au continent. Toutefois, lorsque le mouvement de Hong Kong était à son apogée, Pékin s’est abstenu d’intervenir avec ses propres forces d’État. Mais il a toujours été clair que sans victoire, le PCC organiserait ses représailles. C’était également important pour Xi, pour montrer au monde, y compris aux factions plus conciliantes au sein de l’État du PCC, qui dirige Hong Kong.

La victoire de ce mouvement impressionnant n’était possible que s’il s’étendait à la Chine, et si la classe ouvrière, par le biais de mouvements de grève générale, montrait la voie. Sinon, l’épuisement et la confusion, renforcés par les restrictions imposées par la pandémie, finiraient tôt ou tard par faire des ravages. C’est dans cette dernière phase que les drapeaux américains et les appels à l’intervention de Trump ont commencé à apparaître plus largement à Hong Kong. L’impérialisme américain est également devenu plus critique à l’égard de la politique chinoise à Hong Kong, en raison de l’intensification de la guerre froide. C’était aussi par volonté de maintenir Hong Kong comme principal centre d’affaires et financier de la région. Des sanctions symboliques à l’encontre de certains dirigeants éminents de Hong Kong et de quelques responsables du PCC n’est pas la même chose qu’un soutien réel aux demandes des masses à Hong Kong.

La dictature du PCC est en train d’imposer les conditions de la Chine continentale à Hong Kong, d’interdire les droits des démocrates, de renforcer la surveillance et les forces répressives, d’emprisonner les politiciens de l’opposition et les dirigeants syndicaux, et d’utiliser tout cela pour répandre la terreur. Pékin sait qu’il ne dispose d’aucune base sociale à Hong Kong. Lors des élections locales de novembre 2019, les partisans du PCC ont subi des pertes historiques. Les mesures récentes, dont le remaniement complet du système politique de Hong Kong, visent à empêcher qu’une telle chose ne se reproduise.

Il n’y a rien de progressiste ou d’anticapitaliste dans les actions du PCC à Hong Kong. La plupart des magnats milliardaires du territoire les soutiennent, ainsi que les grandes banques. HSBC, anciennement la plus grande banque d’Europe mais qui est en train de transférer son siège social de Londres à Hong Kong, a déclaré publiquement son soutien à la loi sur la sécurité nationale. Tout comme une autre banque britannique, Standard Chartered : «Nous pensons que la loi sur la sécurité nationale peut contribuer à maintenir la stabilité économique et sociale à long terme de Hong Kong.»

Combattre l’impérialisme et les méthodes fascistes

Non seulement les tankies, mais aussi d’autres personnes de gauche, ont peur des comparaisons entre l’impérialisme américain et l’impérialisme chinois, ou entre les méthodes du PCC et les dictatures fascistes ou militaires. Il n’y a aucune raison pour les socialistes de faire un classement de la violence des différentes puissances impérialistes. Lors de la Première Guerre mondiale, Lénine et les bolcheviks ont mis l’accent sur l’opposition à toutes les puissances impérialistes, tandis que la majorité des dirigeants des partis sociaux-démocrates en Europe ont soutenu leur propre État, en faisant valoir qu’il était plus démocratique ou que l’autre camp était l’agresseur.

S’opposer à tous les impérialismes ne veut toutefois pas dire que tous sont identiques. Là où la lutte des travailleurs et travailleuses et des pauvres a imposé des réformes démocratiques, la possibilité d’organiser d’autres luttes est évidemment bien meilleure. La démocratie capitaliste a de sérieuses limites, le pouvoir réel étant entre les mains des capitalistes, mais elle offre la possibilité de s’organiser en syndicats et en partis, de s’exprimer et d’imprimer (et de poster sur Internet), de faire grève et d’organiser des manifestations. Ces droits sont limités sous le capitalisme et doivent être continuellement combattus, contre les nouvelles tentatives de l’establishment de reprendre les victoires antérieures, contre le démantèlement des syndicats, la propagande réactionnaire et les lois répressives.

Dans les années 30, Léon Trotsky a comparé les méthodes de Staline à celles d’Hitler, écrivant que Staline avait appris de ce dernier. Commentant le pacte au début de la Deuxième Guerre mondiale, Trotsky a rappelé à ses lecteurs qu’il avait, pendant un certain temps, averti que Staline cherche à s’entendre avec Hitler.

Trotsky a soulevé ces similitudes malgré des caractéristiques sociales différentes, l’URSS étant un État ouvrier dégénéré et l’Allemagne une dictature capitaliste fasciste. Le fascisme s’est bien sûr développé en tant que mouvement de masse utilisé pour écraser toutes les organisations ouvrières et démocratiques en Italie et en Allemagne. Peu après sa prise de pouvoir, le mouvement de masse du fascisme a été remplacé par une machine d’État violente.

Des dictateurs militaires brutaux tels que Pinochet au Chili et Suharto en Indonésie ont utilisé des méthodes fascistes pour écraser les organisations de la classe ouvrière – partis communistes et socialistes, syndicats, etc. Aujourd’hui en Chine, le PCC utilise les mêmes méthodes répressives brutales contre les travailleurs et travailleuses en lutte et les autres expressions d’opposition en Chine. Au Xinjiang, la campagne d’État contre les Ouïghour·es combine des mesures brutales visant à exterminer leur culture, leur langue et leur religion, avec le colonialisme de peuplement. C’est l’impérialisme capitaliste d’État de la Chine.


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