Victimes de la COVID-19, délaissées par la LSST

Depuis le début de la pandémie de la COVID-19, plus de 5 000 employé·es du réseau de la santé ont été infectées par le coronavirus. Au moins six de ces personnes en sont décédées. L’application au « cas pas cas » de la Loi sur la santé et la sécurité du travail et la gestion patronale désastreuse de la crise sanitaire montrent à quel point le fonctionnement légal actuel est inadéquat pour garantir la santé du personnel.

Dès la fin mars, les travailleuses et travailleurs de la santé ont lancé des cris d’alarme pour dénoncer le manque d’équipement de protection individuel (ÉPI). Pourtant, le premier ministre François Legault et la ministre de la Santé, Danielle McCann, ont répété que, malgré les pénuries à prévoir à court terme pour de nombreux équipements, tout était sous contrôle. La suite nous a démontré le contraire. Le manque d’ÉPI demeure criant, deux mois plus tard.

Dénonciations publiques

Il a fallu de nombreuses dénonciations publiques de travailleuses et de travailleurs de la santé ainsi que des initiatives syndicales locales pour que la situation change. Certaines administrations publiques ont tellement été prises de court qu’elles menacent de sévir si leur employé·es parlent de leurs conditions de travail aux médias.

Dès la fin mars, des membres du personnel de l’hôpital Jeffery Hale, à Québec, ont dénoncé le laxisme de leur administration quant aux mesures sanitaires. Des syndicats des quatre coins du Québec se sont ensuite mis à dénoncer le manque de protection offerte à leurs membres par leur employeur.

Initiatives syndicales

À la Société de transport de Montréal (STM), il a fallu un débrayage spontané pour que l’employeur accepte de prendre en considération la sécurité du personnel d’entretien. Les grévistes ont écopé de trois jours de suspension pour avoir défendu le président de leur syndicat sur cet enjeu. De leur côté, les chauffeuses et chauffeurs ont refusé de laisser embarquer la clientèle par l’avant des autobus, ce qui a forcé la STM à agir en conséquence.

Quant à lui, le Syndicat des employé·es de magasin et de bureau de la SAQ1 (SEMB-SAQ) a rapidement dénoncé le manque de mesures mises en place par l’employeur. Au début du confinement, plusieurs employé·es ont refusé de rentrer travailler. Bien que tous les commerces et les entreprises non essentiels ont été fermés durant le confinement, le gouvernement a fait maintenir les activités des magasins de la SAQ et de la Société québécoise du cannabis (SQDC), considérées comme un service essentiel.

Face à un employeur négligent, le Syndicat des travailleuses et travailleurs du CISSS2 de Laval a pris la sécurité de ses membres en main. Il a distribué 1500 visières au personnel du CISSS, visières obtenues chez le même distributeur que celui de l’employeur. De son côté, la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), qui représente la majorité du personnel enseignant au primaire, étudie la possibilité d’offrir des masques lavables à ses membres.

Le nombre total de personnes infectées par le coronavirus travaillant dans les services publics ou les sociétés d’État n’est pas connu. Environ 54% des chauffeuses et chauffeurs de la STM auraient été infectés en date du 7 mai. En revanche, il semble que très peu d’employé·es de la SAQ l’aient été en raison des mesures sanitaires instaurées très rapidement. Toutefois, on dénombre plus de 5 000 personnes infectées dans le réseau de la santé. Plus de 6000 autres manquent à l’appel. Jusqu’ici, au moins six personnes travaillant dans le système de santé sont mortes de la COVID-19.

Combien de cas auraient pu être évités par la mise en place de réelles mesures de préventions ainsi que le prévoit pourtant la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST)?

Une loi qui manque de dents

La LSST définit 6 groupes prioritaires pour la mise en place des obligations légales des employeurs. La mise en place d’un programme de prévention ne s’applique qu’aux trois premiers groupes. La santé et le transport font partie de ces trois groupes prioritaires. Le commerce, l’éducation, ainsi que diverses industries manufacturières ne sont pas couverts par cette mesure puisqu’ils ne font pas partie de ces trois groupes. Si un programme de prévention est en place dans ces secteurs, il résulte d’une négociation entre l’employeur et le syndicat. Les employeurs ont d’ailleurs tendance à percevoir les mesures de prévention comme un facteur de ralentissement de la production.

Bien que la LSST permette aux travailleuses et aux travailleurs de refuser d’effectuer un travail jugé dangereux, peu d’entre eux peuvent vraiment s’en prévaloir. Une personne employée ne peut pas invoquer un refus d’entrer au travail si son employeur respecte les directives de la santé publique en lien avec la COVID-19. Ainsi, à la mi-avril, seuls 14 droits de refus de travailler ont été accordés pour les travailleurs et travailleuses craignant d’être exposées au coronavirus. La gestion désastreuse des administrations publiques du secteur de la santé montre comment la LSST et son application sont inadéquates pour garantir la santé du personnel.

Le fardeau de la preuve, héritage douloureux du paritarisme

Pour ajouter l’insulte à l’injure, la COVID-19 ne fait pas partie des maladies professionnelles reconnues par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP). Il faudra que la personne infectée démontre hors de tout doute qu’elle a contracté le virus sur son lieu de travail pour avoir droit à une indemnisation de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). Comment le prouver si rien n’encadre une telle démarche?

Si la personne perd la vie, la famille a droit à une compensation de la CNESST, ce qui n’est pas le cas avec l’assurance salaire. Pour cette raison, les employeurs incitent les travailleurs et travailleuses à utiliser l’assurance salaire plutôt qu’à faire une réclamation en vertu de la LSST. C’est que l’assurance salaire couvre les travailleurs et travailleuses à 80% du salaire. La CNESST les couvre à 90%. Les délais de carence sont également plus avantageux sur la CNESST que sur l’assurance salaire.

De plus, lorsqu’il y a des réclamations à la CNESST, les cotisations de l’employeur augmentent. Les intérêts financiers des employeurs favorisent donc une contestation des demandes à la CNESST. Voilà comment le gouvernement traite celles et ceux qu’il nomme ses « anges gardiens ».

« Représenter » le monde du travail

Cette situation s’explique, en grande partie, par la nature paritaire de la CNESST. La CNESST doit représenter le monde du travail. Pour cette raison, son conseil d’administration est composé de 15 personnes nommées par le gouvernement. Sept membres représentent le patronat, sept autres le milieu syndical et la présidente est une avocate, fonctionnaire de carrière. Selon sa mission, la Commission doit faire « la promotion des droits et des obligations en matière de travail et en assure le respect, et ce, auprès tant des travailleurs que des employeurs du Québec ». Dans les faits, ce paritarisme ajoute une couche de bureaucratie dans la protection des travailleuses et travailleurs.

Toute décision doit être approuvée par le conseil d’administration. Comme la moitié du CA tient plus à préserver sa marge de profit qu’à la mettre en jeu, les ententes sont souvent des compromis qui ne protègent pas assez les victimes du travail.

De précurseur à dernier de classe

En 1979, le Québec s’est doté de la LSST et, six ans plus tard, de la LATMP. Lors de la création de la LSST, le Québec est un précurseur qui met en place, entre autres mesures, le principe de précaution et le retrait préventif de la travailleuse enceinte ou qui allaite. Toutefois, des années de néolibéralisme sauvage doublé d’un manque de volonté de modernisation de la LSST font maintenant du Québec le 63e sur 63 législations nord-américaines en matière de prévention.

Une réforme pour la classe ouvrière

La crise sanitaire actuelle nous démontre à quel point le paritarisme de la CNESST est nuisible pour les gens au front. Alors qu’une réforme de la LSST est annoncée depuis longtemps, à quoi peut-on s’attendre réellement? Le ministre du Travail, Jean Boulet, dit vouloir dégager un consensus. Mais un consensus, accepté par le patronat, ne viendra pas mettre fin aux iniquités et à la judiciarisation des processus d’indemnisation par le biais du Bureau d’évaluation médicale (BÉM). Lorsque l’employeur conteste une demande, les travailleuses et travailleurs non syndiqués doivent se représenter eux-mêmes. Et si la maladie ou lésion ne fait pas partie de la liste de la LATMP, le processus devient inutilement long et épuisant.

Nous devons déjà anticiper les problèmes de santé qui surviendront suite à la crise sanitaire. Le personnel de la santé est déjà épuisé. Des actions de protestation contre la suspension des vacances du personnel infirmier se déroulent déjà. Plusieurs personnes ne tiennent le coup que grâce à leur dévouement. La situation n’est guère mieux dans les commerces ouverts au public où les employé·es font face à une panoplie de situations déconcertantes voire angoissantes. Pourtant, la LATMP ne reconnaît aucune maladie mentale comme étant une lésion professionnelle. Il faut que ça change immédiatement.

Alternative socialiste revendique que toute personne qui travaille dans le réseau de la santé testée positive au coronavirus soit indemnisée à 100% de son salaire et ce, sans avoir à démontrer hors de tout doute que la maladie a été contractée sur les lieux de travail. De plus, nous revendiquons que la CNESST indemnise la famille de toute personne du réseau de la santé qui serait morte des suites de la COVID-19, sans attendre la réforme de la LSST et de la LATMP.

Au quotidien, ce sont les travailleuses et les travailleurs qui prennent les risques, pas le patronat. Pour cette raison, Alternative socialiste revendique une CNESST contrôlée démocratiquement par et pour la classe laborieuse. Cette solution n’arrivera pas sans une mobilisation de masse du mouvement ouvrier et syndical. Nous avons besoin d’une transformation totale de notre société avec un programme de lutte socialiste pour y arriver.

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Notes :
1. Société des alcools du Québec
2. Centre intégré de santé et de services sociaux

 


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