Sur les barricades de la Rue Soufflot, Paris, 25 juin 1848, par Horace Vernet

Le 18 Brumaire de Marx et la nouvelle ère de “l’homme fort”

L’approche de «l’homme fort» en politique se répand en cette période de nationalisme capitaliste et de militarisme. Orban en Hongrie, Yoon en Corée du Sud, Erdogan en Turquie et maintenant, bien sûr, Donald Trump aux États-Unis, exercent le pouvoir d’État dans leur propre intérêt, en sapant et en rejetant directement les normes «démocratiques», sans consultation des partis ou du parlement.

La France de 1848 à 1852 correspond à une période de révolution, de lutte des classes, de répression, de démocratie vacillante et de populisme qui s’est terminée par une dictature bonapartiste. Cette expérience est riche d’enseignements pour aujourd’hui.

Le livre de Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, offre une analyse incroyablement lucide de ces événements. Il explique la manière dont un «homme fort» médiocre est arrivé au pouvoir dans une société dans l’impasse.

Les révolutions sont invariablement suivies de contre-révolutions visant à restaurer l’ancien système ou du moins une partie de celui-ci. Cela est plus marqué que partout ailleurs dans l’histoire de la France, avec les suites de la grande révolution française, la révolution bourgeoise par excellence, qui a commencé en 1789.

Cette révolution, explique Marx, avait pour tâche de «briser tous les pouvoirs indépendants, locaux, territoriaux, municipaux et provinciaux, pour créer l’unité bourgeoise absolue : la centralisation, mais, en même temps aussi, l’étendue, les attributs et l’appareil du pouvoir gouvernemental». Cela était nécessaire pour ouvrir la voie au développement économique capitaliste. Cette révolution n’est possible que grâce à l’action de masse de la classe ouvrière naissante, les Sans-culottes, qui permet à la bourgeoisie (la classe capitaliste) de prendre le pouvoir et qui, à travers ses couches les plus déterminées, fait avancer la révolution.

En 1799, Napoléon Bonaparte prend le pouvoir par un coup d’État, s’érige en empereur et mène une dictature brutale et personnelle. Même si plusieurs des mesures les plus radicales de la Révolution française sont annulées, les acquis économiques de la révolution bourgeoise restent en place, c’est-à-dire la fin du féodalisme et l’établissement du capitalisme en tant que système dominant. Grâce aux guerres qui ont éclaté sur une grande partie du continent européen, les acquis de la révolution se sont également étendus au-delà de la France.

Napoléon perd le pouvoir en 1815 et la monarchie conservatrice des Bourbons, fondée sur les propriétaires terriens, revient au pouvoir. Mais elle ne bouleverse pas les relations de propriété capitaliste. Lors de la révolution de 1830, une autre branche de la famille royale (les Orléans) monte sur le trône en s’appuyant sur la branche financière et industrielle de la bourgeoisie. Son règne instable ouvre la voie à la révolution de 1848.

Révolution de 1848

La principale force de la révolution de 1848 est la classe ouvrière en pleine expansion. Débutée en France, la révolution se répand en une série de révolutions dans toute l’Europe, ébranlant les classes dirigeantes. À Paris, un gouvernement bourgeois provisoire est formé, toujours sous la forte pression du prolétariat. Un chef républicain circonstanciel, François-Vincent Raspail, «Au nom du prolétariat parisien, il ordonna au Gouvernement provisoire de proclamer la République, déclarant que si cet ordre du peuple n’était pas exécuté dans les deux heures, il reviendrait à la tête de 200 000 hommes».

Une «république sociale» est donc constituée. Cependant, elle cherche immédiatement à désarmer et à écraser la classe ouvrière. Provoqués par la nouvelle Assemblée nationale, les ouvriers tentent de reprendre l’initiative, d’abord en mai en prenant d’assaut le Parlement, puis lors des «Journées de juin», avec «la formidable insurrection où fut livrée la première grande bataille entre les deux classes qui divisent la société moderne». Il faut cinq jours à l’armée et à la Garde nationale mobile pour vaincre les ouvriers, en massacrant 3 000 d’entre eux et en en déportant 15 000. Les dirigeants ouvriers sont emprisonnés, le plus connu d’entre eux, Louis Blanqui, est condamné à 10 ans de prison. Le mouvement de la classe ouvrière est repoussé pour plusieurs décennies.

Marx explique que ce contexte montre «comment la lutte des classes en France créa des circonstances et une situation telles qu’elle permit à un personnage médiocre et grotesque de faire figure de héros […] Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d’ajouter: la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce».

«Les hommes font leur propre histoire, mais ils ne la font pas arbitrairement, dans les conditions choisies par eux, mais dans des conditions directement données et héritées du passé».

En d’autres termes, l’évolution qui a conduit à la dictature de Bonaparte n’était ni inévitable, ni le résultat de l’action d’un individu particulièrement intelligent.

En désarmant la classe ouvrière, en s’appuyant sur la force de l’armée, en négligeant tout droit démocratique, la bourgeoisie démocratique s’est engagée sur la voie de la dictature.

Le renversement de la révolution

Toutes les forces réactionnaires et bourgeoises se dressent contre la classe ouvrière. Marx explique que «Pendant les Journées de juin, toutes les classes et tous les partis s’étaient unis dans le “parti de l’ordre” en face de la classe prolétarienne, du “parti de l’anarchie”, du socialisme, du communisme. Ils avaient “sauvé” la société des entreprises des “ennemis de la société”. Ils avaient repris et lancé parmi leurs troupes les vieux mots d’ordre de l’ancienne société: “propriété, famille, religion, ordre”, et crié à la croisade contre-révolutionnaire: “Sous ce signe, tu vaincras!”».

Au lieu de faire avancer la révolution, comme de 1789 à 1815, 1848 représente un renversement. «Lors des Journées de juin 1848, la bourgeoisie et la petite bourgeoisie, en tant que garde nationale, s’étaient unies avec l’armée contre le prolétariat. Le 13 juin 1849, la bourgeoisie fit disperser la garde nationale petite bourgeoise par l’armée. Le 2 décembre 1851, la garde nationale bourgeoise disparaissait d’elle-même, et Bonaparte ne fit que constater un fait accompli, lorsqu’il signa après coup son décret de dissolution». Le général Cavaignac, qui a dirigé le massacre de juin, s’impose comme dictateur.

La propagande réactionnaire contre le prolétariat commence à toucher les ailes démocratiques et libérales de la bourgeoisie. «Toute revendication de la plus simple réforme financière bourgeoise, du libéralisme le plus vulgaire, du républicanisme le plus formel, de la démocratie la plus plate, est à la fois punie comme “attentat contre la société” et flétrie comme “socialiste”». Marx conclut: «Mais ce que la bourgeoisie ne comprenait pas, c’était que son propre régime parlementaire, sa domination politique, en général, devaient fatalement à leur tour être condamnés comme socialistes».

La bourgeoisie est divisée entre deux ailes royalistes (qui soutiennent chacune un prétendant au trône) ainsi qu’en tendance républicaine ou démocrate. Ces derniers, «occupés à concevoir, discuter et voter» une nouvelle constitution, sont les premiers à perdre tout pouvoir. Tout en parlant de droits démocratiques, ils ne s’opposent pas au massacre de juin ni au fait que Paris soit sous régime militaire de juin à décembre 1848. Lorsque les monarchistes réunis dans le «Parti de l’Ordre» se retournent contre eux, ils ne ripostent pas.

Le président

Louis Bonaparte, neveu de Napoléon, remporte les élections présidentielles de décembre 1848. Il est le seul candidat connu et les différentes factions bourgeoises sont sûres de pouvoir le contrôler. Marx décrit sa victoire comme «une réaction de la campagne contre la ville», avec un large soutien dans l’armée et parmi les monarchistes. Même de nombreux ouvriers et petits bourgeois pensaient qu’il ferait contrepoids à Cavaignac.

En tant que président, il contrôle officiellement l’armée et nomme les ministres du gouvernement. Au départ, il n’intervient pas dans les débats de l’Assemblée nationale entre les différentes ailes de la bourgeoisie et ne voit pas d’inconvénient à ce qu’elles le critiquent verbalement, lui ou ses ministres. Bien entendu, il soutient toutes les mesures visant à supprimer l’opposition démocratique.

L’opposition au parlement est constituée par la Montagne, un parti social-démocrate dont la base se trouve parmi les travailleurs, y compris parmi quelques socialistes autoproclamés et dans la petite bourgeoisie. Lors des élections législatives du printemps 1849, il remporte tous les sièges de député à Paris. En juin, cependant, la Montagne est écrasée et ses dirigeants partent en exil.

Marx explique comment leur programme, qui recherchait l’harmonie, visait à affaiblir l’antagonisme entre les travailleurs et le capital. En juin, la Montagne est provoquée par Bonaparte qui rompt avec la constitution dans une aventure militaire contre Rome. La Montagne parle de lutte armée, mais mobilise pour une manifestation pacifique en faveur de la constitution, pensant qu’elle sera soutenue par la Garde nationale. Cependant, comme le commente Marx, «Si l’on se proposait sérieusement une démonstration pacifique, il était stupide de ne pas prévoir qu’elle serait accueillie belliqueusement».

Les monarchistes du Parti de l’Ordre acceptent la répression des parlementaires de Montagne. Il s’agit d’une victoire importante pour Bonaparte. Les gardes nationaux qui soutiennent Montagne sont exilés.

Populisme et pré-fascisme

Bonaparte encourage le mécontentement croissant à l’égard des partis politiques, de l’Assemblée nationale et de «Paris». Il exprime clairement «son opposition à l’égard de l’Assemblée nationale et de laisser entendre par une secrète arrière-pensée que, seules, les circonstances l’empêchaient momentanément d’ouvrir au peuple français ses trésors cachés». Dans la foulée, il propose de manière populiste une augmentation de la solde des officiers et la possibilité pour les ouvriers de contracter des emprunts.

Bonaparte parcourt également les campagnes avec sa campagne populiste: «Dans ses voyages, les sections de cette société, emballés dans les wagons de chemins de fer, avaient pour mission de lui improviser un public, de simuler l’enthousiasme populaire, de hurler “Vive l’empereur!”, d’insulter et de rosser les républicains, naturellement sous la protection de la police». Le populisme remplit un vide politique, quand il n’y a pas de mouvement ouvrier et de gauche de la base.

Bonaparte se prépare à un combat final, contrairement au parti de l’Ordre qui espère éviter une confrontation avec lui. «Bonaparte qui, précisément, en tant que “Bohémien”, que gueux princier, avait sur le bourgeois gredin l’avantage de pouvoir mener la lutte bassement». Marx explique comment Bonaparte a organisé la Société du 10 décembre, prototype d’une organisation fasciste basée sur le lumpenprolétariat parisien, des bourgeois ruinés, des criminels, etc. Elle était organisée secrètement et comptait dix mille membres. Cette armée privée est dissoute officiellement, mais pas dans la réalité.

Les manœuvres populistes de Bonaparte comprenaient également une «loterie des lingots d’or», une escroquerie qui lui rapporta des millions.

La goutte d’eau qui fait déborder le vase

Sans même combattre, le parti de l’Ordre, cette coalition de monarchistes, est passée d’un contrôle apparemment total à celui d’une perte totale au profit de Bonaparte. Le parti a accepté les paroles de paix et de calme de Bonaparte et ignoré les avertissements de plus en plus nombreux concernant un coup d’État. Il a envoyé une délégation pour convaincre Bonaparte de ne pas renvoyer le général Changarnier, que le parti espérait être de son côté. Mais comme le disait Marx, «Quand on cherche à convaincre quelqu’un, c’est qu’on le reconnaît maître de la situation». Bonaparte renvoie donc Changarnier.

Avant cela, le parti de l’Ordre a refusé à plusieurs reprises de mobiliser les masses qui, lors de plusieurs élections, ont continué à voter pour les candidats les plus révolutionnaires. Bonaparte réagit en supprimant le droit de vote pour trois millions de personnes. La classe ouvrière, sans direction et encore sous le coup de la défaite de la révolution de 1848, suit généralement les démocrates et il n’y a pas de lutte.

En 1851, Bonaparte est aidé par une récession économique et une augmentation du chômage. Cette situation est imputée aux hommes politiques et la majeure partie de la bourgeoisie, dans la finance et l’industrie, devient partisane du bonapartisme. Il en va de même pour les représentants de la bourgeoisie dans les villes qu’il visite. Le parti de l’Ordre se contente de faire campagne pour ne pas réviser la constitution, selon laquelle Bonaparte ne peut être réélu, tandis que la grande bourgeoisie «se prononcèrent presque unanimement en faveur de la révision, par conséquent contre le Parlement et pour Bonaparte».

La bourgeoisie s’associe également à Bonaparte pour critiquer et attaquer vivement la presse, obligeant d’abord les journaux révolutionnaires à fermer leurs portes, puis sa propre presse bourgeoise.

Le bonapartisme

«La bourgeoisie avait tenu la France toute haletante dans la crainte des horreurs futures de l’anarchie rouge, et c’est Bonaparte qui lui escompta cet avenir en faisant, le 4 décembre, descendre de leurs fenêtres à coups de fusils, par les soldats de l’ordre saouls d’eau-de-vie, les bourgeois distingués du boulevard Montmartre et du boulevard des Italiens». Les troupes sont dans les rues et les principaux hommes politiques sont emprisonnés. Les dirigeants de la classe ouvrière sont déjà en prison, ce qui, avec la défaite de juin 1848, explique l’absence d’opposition de la part des masses.

L’impasse de la société est clairement exprimée lorsque «la bourgeoisie française s’écria au lendemain du coup d’État : Seul, le chef de la société du 10 Décembre peur encore sauver la société bourgeoise! Seul le vol peut encore sauver la société bourgeoise ! Seul le vol bâtardise la famille, le désordre, l’ordre!»

Louis Bonaparte devient Napoléon III, un «homme fort», la dictature d’un seul homme. Il est le représentant de la société bourgeoise capitaliste, mais plus encore des paysans conservateurs, une grande partie de la population française. Les paysans étaient écrasés par les propriétaires terriens capitalistes et les banques, mais ils gardaient l’espoir que Bonaparte les sauverait.

À la tête de l’immense appareil d’État, avec un demi-million d’hommes dans l’armée et un demi-million de fonctionnaires, Bonaparte se présente comme indépendant. «Bonaparte s’oppose à la bourgeoisie en tant que représentant des paysans et du peuple, en général, qui veut, dans les limites de la société bourgeoise, faire le bonheur des classes inférieures», espérant ainsi «apparaître comme le bienfaiteur patriarcal de toutes les classes de la société. Mais il ne peut rien donner à l’une qu’il ne prenne à l’autre».

En définitive, Bonaparte représente les capitalistes, y compris internationaux, ainsi illustrés par Marx: «Dans son numéro du 29 novembre 1851, l’Economist déclare en son propre nom: Dans toutes les Bourses d’Europe, le président est actuellement reconnu comme la sentinelle de l’ordre».

La trajectoire des bourgeois, démocrates et monarchistes, a ainsi été résumée par Marx:

«Elle avait supprimé la presse révolutionnaire, et c’est sa propre presse qui est supprimée. Elle avait placé les réunions populaires sous la surveillance de la police, et ce sont ses salons qui sont, à leur tour, placés sous la surveillance de la police. Elle avait dissous la garde nationale démocratique, et c’est sa propre garde nationale qui est dissoute. Elle avait proclamé l’état de siège, et c’est contre elle que l’état de siège est maintenant proclamé. Elle avait remplacé les jurys sont, à leur tour, remplacés par des commissions militaires».

Le retour de l’ancien monde

Napoléon III, aussi connu comme l’homme le plus stupide d’Europe, est arrivé au pouvoir comme le résultat des forces sociales, de la lutte des classes. Son nom même, Bonaparte, lui a donné un statut et une réputation de sauveur. Lorsque les dirigeants des principales classes sociales n’ont pas réussi à sortir de l’impasse sociale, la figure de l’homme fort-empereur est devenue une solution attrayante.

Pour la France, cela signifiait un retour à l’ancien monde. Pour Marx, «Tout un peuple qui croit s’être donné, au moyen d’une révolution, une force de mouvement accrue, se trouve brusquement transporté dans une époque abolie et pour qu’aucune illusion concernant cette rechute ne soit possible, réapparaissent les anciennes dates, l’ancien calendrier, les anciens noms, les anciens édits tombés depuis longtemps dans le domaine des érudits et des antiquaires, et tous les cieux sbires qui semblaient depuis longtemps tombés en décomposition».

Cependant, avec l’État au centre de son pouvoir, Napoléon III continue de prétendre représenter toutes les classes. Il combine quelques réformes limitées visant à contenir le risque de lutte des classes avec une politique coloniale agressive au profit du capitalisme et de l’impérialisme français.

Napoléon III finit par perdre la guerre contre la Prusse en 1870 et est contraint à l’exil. L’occupation prussienne entraîne à son tour le soulèvement révolutionnaire de la classe ouvrière à Paris. La Commune de Paris, où la classe ouvrière a pris le pouvoir pendant deux mois, est un exemple brillant qui a servi de leçon à Marx et aux bolcheviks.

Les événements de la révolution et de la contre-révolution en France il y a 175 ans sont riches d’enseignements pour aujourd’hui, même s’il est essentiel de comprendre les différences. La leçon la plus importante est le rôle joué par la classe ouvrière. Les différentes ailes de la bourgeoisie ne pouvaient parvenir à un changement que par l’action révolutionnaire des masses laborieuses. Craignant que la révolution n’aille plus loin, le désarmement politique et physique du prolétariat est devenu une priorité pour les démocrates libéraux, les républicains et les monarchistes. Mais sans les masses, ils ne pouvaient pas vaincre Bonaparte.

Louis Bonaparte (Napoléon III) n’a pu devenir empereur que sur la base de défaites majeures de la classe ouvrière. Aujourd’hui, aux États-Unis, en Hongrie et en Corée du Sud, la classe ouvrière n’a pas subi les mêmes défaites qu’en France en 1848. Les hommes forts n’ont pas le pouvoir de Napoléon III. Cependant, la menace de la répression et des attaques de l’État contre les droits démocratiques et les conditions de vie sont bien réelles. Les socialistes d’aujourd’hui doivent étudier l’histoire, en soulignant le rôle décisif de la classe ouvrière et de toutes les personnes opprimées contre les régimes autoritaires. Cette lutte doit être liée à celle pour le socialisme afin de remplacer le système capitaliste, impérialiste et militariste en crise.

Le Hartal de 1953 est une manifestation nationale de désobéissance civile et de grève qui s'est déroulée au Ceylan (aujourd'hui le Sri Lanka) le 12 août 1953 sous la direction du LSSP.

Le rôle des marxistes dans le mouvement ouvrier et syndical

Ce document a été adopté au VIIe congrès d’Alternative socialiste, du 13 au 15 décembre 2024 à Montréal.


Ce document a pour objectif d’aider notre organisation à s’orienter, à établir ses priorités d’action et à préparer l’intervention des membres d’Alternative socialiste (AS) dans les luttes ouvrières à venir. Il vise à les aider à s’enraciner plus profondément dans la classe ouvrière pour la période complexe et turbulente qui s’annonce.

Le rôle central de la classe ouvrière

Pour International Socialist Alternative (ISA) et sa section québécoise, Alternative socialiste (AS), la classe ouvrière constitue la seule force sociale ayant le pouvoir de contester la domination de la classe capitaliste. Aucune autre classe, groupe ou couche démographique n’a le poids, la cohésion ou l’organisation nécessaire pour arracher le pouvoir des mains des capitalistes. La classe ouvrière change constamment de forme selon le moment ou l’endroit. Elle inclut toute la diversité du monde. Prise comme un tout, elle possède un caractère révolutionnaire de par la position centrale qu’elle occupe dans le système de production capitaliste. C’est la classe productrice de toutes les richesses qui détient ultimement le pouvoir de renverser le mode de production actuel.

Il est donc essentiel que les marxistes révolutionnaires orientent une partie importante de leurs efforts vers les mouvements ouvriers, en particulier vers ceux qui s’organisent dans des structures syndicales. La classe ouvrière est loin d’être constamment dans un état combatif ou révolutionnaire face aux classes dominantes. Elle a le potentiel de l’être. Dans les pays capitalistes développés comme le Canada, le principal obstacle au déploiement du potentiel révolutionnaire de la classe ouvrière n’est pas la répression brutale d’un appareil d’État autoritaire. C’est plutôt les stratégies conservatrices adoptées par les leaderships et les bureaucraties de ses propres organisations (syndicats, partis ouvriers et coopératives). Ces stratégies conservatrices visent à concilier les intérêts du Capital et du Travail, grâce à une collaboration de classe qui fixe l’action ouvrière dans les limites de la légalité bourgeoise.

Afin de guider notre pratique marxiste révolutionnaire dans les syndicats, il est important de connaître les différents courants et dynamiques parti-syndicat qui ont traversé l’histoire du mouvement ouvrier international. Ce document en présente les principaux courants et les met en relation avec l’évolution de l’approche marxiste révolutionnaire.

Le rôle économique et politique des syndicats pour Karl Marx et la 1ère Internationale

Quand le parti révolutionnaire et le syndicat sont interdépendants

Les liens entre les partis politiques ouvriers et les syndicats se posent dès la seconde moitié du 19e siècle. D’une part, les militants socialistes élaborent des théories révolutionnaires et commencent à dégager des perspectives de lutte. D’autre part, le mouvement ouvrier s’organise sur le plan professionnel et acquiert de la maturité organisationnelle grâce à sa lutte économique dynamique et radicale. C’est dans ce contexte de luttes ouvrières intenses que Karl Marx développe sa théorie de l’exploitation de la force de travail et celle de la révolution comme processus d’auto-émancipation de la classe ouvrière.

Dès la création des premiers syndicats, Marx reconnaît leur puissance sociale. Ils permettent d’unir la masse ouvrière, jusqu’alors désunie par la concurrence, autour de luttes économiques pour de meilleurs salaires ou horaires de travail. Cette activité transforme les syndicats en foyers d’organisation des masses travailleuses contre l’exploitation du Capital. Néanmoins, «ces associations sont impuissantes contre toutes les grandes causes qui déterminent le rapport entre l’offre et la demande»1. Marx distingue alors lutte économique et lutte politique. Le syndicalisme est donc nécessaire pour faire disparaître la concurrence entre les travailleurs, mais insuffisant parce qu’impuissant à s’attaquer aux fondements de la domination de classe.

Marx insiste sur la complémentarité de ces deux types de lutte menées par la classe ouvrière: «Les syndicats doivent maintenant agir comme des foyers d’organisation de la classe ouvrière dans le grand but de son émancipation radicale. Ils doivent aider tout mouvement social et politique tendant dans cette direction2.» Même s’ils ne regroupent pas l’ensemble des travailleuses et des travailleurs, ces organisations ouvrières autonomes ont pour rôle de lutter pour les intérêts de toute la classe ouvrière. Par exemple, le mouvement syndical québécois l’a fait à plusieurs reprises en revendiquant la hausse du salaire minimum ou encore l’indexation des salaires, des pensions et des allocations sociales de toutes sortes au coût de la vie.

En étant des foyers de luttes économiques, les syndicats ont le potentiel de faire mûrir la conscience de classe au sein de la classe ouvrière (c’est-à-dire la connaissance par ses membres de l’existence et de la place de la classe ouvrière dans le système capitaliste). Pour Marx, les syndicats développent leur plein potentiel historique lorsqu’ils posent la question du pouvoir et deviennent des instruments d’organisation politique visant à abolir le salariat. Leur aspect politique prime donc sur leur aspect économique. Toutefois, cela ne signifie pas que les syndicats doivent devenir des partis politiques ou qu’ils doivent fusionner avec des partis politiques pour ne former qu’une seule organisation. Pour Marx, les organisations économiques et politiques du prolétariat ont le même objectif, l’émancipation de la classe ouvrière, mais appliquent leurs propres méthodes dans leur propre champ d’action.

Le parti est un instrument révolutionnaire indispensable ayant ses qualités propres. Il regroupe «le secteur le plus résolu du mouvement ouvrier» et a «l’avantage théorique de sa claire vision des conditions de la marche et des résultats généraux du mouvement prolétarien3». L’avant-garde du parti doit toutefois se constituer dans la lutte des masses. Marx insiste pour construire un parti révolutionnaire en joignant les révolutionnaires avec les travailleurs et les travailleuses en lutte. Le parti sert ainsi à «créer un point central de communication et de coopération entre les organisations ouvrières4», pas à diriger leurs luttes d’en haut.

C’est ainsi que Marx participe à la création de l’Association internationale des travailleurs, aussi appelée la 1ère Internationale (1864-1876). Il doit se battre, notamment contre les anarchistes, pour défendre son point de vue selon lequel le rôle des révolutionnaires est celui de catalyser les luttes de la classe ouvrière contre le capitalisme, et non pas celui d’organiser un groupe de conspirateurs qui planifie et fait la révolution au nom de cette classe. Selon Marx, «Tous les mouvements historiques ont été, jusqu’ici, accomplis par des minorités ou au profit des minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement spontané de l’immense majorité au profit de l’immense majorité5».

Le syndicalisme d’affaire

Quand les directions syndicales refusent l’action politique autonome de la classe ouvrière

Au courant des années 1870-1880, une approche syndicale originale se développe en Amérique du Nord. Elle combine lutte économique et lutte politique réformiste à travers l’émergence des Chevaliers du travail. En 1886, l’American Federation of Labor (AFL) est créé aux États-Unis après une guerre fratricide qui anéanti les Chevaliers du travail. L’AFL, sous la direction de Samuel Gompers, inaugure une nouvelle période d’organisation syndicale basée sur les métiers qualifiés et axée sur la négociation de contrat de travail.

Pour Gompers, le syndicalisme «pur et simple» doit se borner à un travail d’organisation efficace visant à défendre des revendications concrètes, d’abord et avant tout pour ses propres membres. Cette approche corporatiste de repli sur soi néglige les travailleurs non qualifiés et interdit même l’organisation des femmes et des personnes noires dans les syndicats. Une telle conception restreinte du syndicalisme sème la division au sein de la classe ouvrière, notamment en refusant de considérer la lutte aux oppressions spécifiques comme une partie intégrante de la lutte contre l’exploitation capitaliste.

En opposition à ce type de syndicalisme encore présent aujourd’hui, les marxistes révolutionnaires travaillent à ce que les luttes des personnes victimes d’oppressions spécifiques (par exemple les personnes femmes, immigrantes ou en situation de handicap) prennent toute leur place dans la lutte des classes. La pratique militante des syndicats doit représenter la classe ouvrière dans son ensemble pour faire mûrir sa conscience de classe. Pour Lénine, «la conscience de la classe ouvrière ne peut être une conscience politique véritable si les ouvriers ne sont pas habitués à réagir contre tout abus, toute manifestation d’arbitraire, d’oppression et de violence, quelles que soient les classes qui en sont victimes6».

Par exemple, la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) représente  uniquement des travailleuses qualifiées (infirmières, infirmières auxiliaires, inhalothérapeute). Sortir de l’approche étroite centrée autour de l’unique défense de ces métiers nécessite de se battre également pour la syndicalisation et l’amélioration des conditions de travail des métiers moins qualifiés, tel que préposé⋅e aux bénéficiaires. Ces métiers précaires, souvent non syndiqués, comptent une part disproportionnée de personnes racisées ou issues de l’immigration. Pour mener efficacement la lutte contre le sexisme et le racisme, la FIQ doit construire une réelle solidarité avec les travailleuses des métiers moins qualifiés.  S’attaquer au sexisme et au racisme passe d’abord par cette solidarité de classe.

Pour l’AFL de Gompers, la solidarité de classe n’est pas le principe fondamental de la lutte syndicale. Les objectifs syndicaux se réduisent aux revendications salariales. Par conséquent, les capitalistes ne sont pas des adversaires politiques. Leur prospérité est encouragée, car elle permet d’avoir de meilleures conditions de travail. Gompers prend ouvertement position contre le socialisme et défend la neutralité politique des syndicats. Mais cette neutralité n’est qu’apparence. Le mouvement syndical est une force organisée qui a un impact politique dans la société, sans pour autant devoir se transformer en parti politique (ce qu’aucun mouvement syndical n’a jamais fait).

L’AFL prend elle-même position sur plusieurs enjeux politiques. Elle le fait de manière occasionnelle, à la manière d’un groupe de pression, grâce au lobbyisme. Elle exerce son influence sur les parlementaires lors de dépôts de projet de loi ou encore lors des élections en finançant et en soutenant des partis de la bourgeoisie.

Le travaillisme

Quand le parti dépend des directions syndicales

À la fin du 19e siècle, l’essor du capitalisme et la création de la IIe Internationale (1889-1923) permettent le développement fulgurant des partis ouvriers et des syndicats (qui organisent surtout les métiers qualifiés). En 1899, le travaillisme fait son apparition en Angleterre. Le Trade Union Congress (TUC) invite alors toutes les organisations ouvrières (coopératives, syndicats, groupes socialistes) à un congrès spécial dont le but est de créer un organisme visant à faire élire le plus de représentants ouvriers possible au Parlement. En 1906, le noyau de syndicalistes élus se constitue officiellement en Parti travailliste (Labour Party).

La Parti travailliste doit être indépendant, c’est-à-dire qu’il ne peut se solidariser avec le Parti libéral ou conservateur. Il est le prolongement de la lutte syndicale sur le plan électoral et parlementaire. Les adhésions se font principalement sur la base de groupes, qui sont en majeure partie des syndicats. Ce sont aussi les syndicats qui financent le parti et les courses électorales. Cette logique a pour effet de donner énormément de poids politique, organisationnel et financier aux directions syndicales des plus grands syndicats. L’aile révolutionnaire et militante est réduite aux adhésions individuelles et son poids est marginal. Les relations entre le mouvement ouvrier et le parti travailliste se traduisent par une dépendance du parti envers les directions des grands syndicats réformistes et conservateurs.

Contrairement au syndicalisme d’affaire, le travaillisme entraîne des relations permanentes et organiques entre ses deux rôles. Avec le travaillisme, la lutte économique se double constamment d’une lutte politique. L’approche travailliste pratiquée en Angleterre, en Suède avec le Parti social-démocrate ou au Canada avec le Nouveau Parti Démocratique canadien, a entraîné d’énormes gains pour la classe ouvrière.

Toutefois, cette lutte politique se confine à revendiquer des réformes possibles dans le cadre du capitalisme (par exemple sur le droit de grève, la législation du travail, des législations sociales). Les fondements du capitalisme, comme le droit de propriété privée des moyens de production ou le rôle de l’État capitaliste, ne sont pas mis en péril par des visées révolutionnaires.

Les bureaucraties ouvrières

L’essor économique engendré par l’exploitation coloniale européenne permet aux capitalistes de concéder des améliorations, souvent substantielles, aux mouvements ouvriers. Cette base matérielle favorise des tendances à la conciliation et à l’opportunisme au sein du mouvement ouvrier et favorise aussi la bureaucratisation des organisations ouvrières. L’expansion jusqu’alors inégalée des appareils bureaucratiques ouvriers (partis et syndicats) entraîne l’apparition d’une «aristocratie ouvrière» surpayée à leur tête. Ces appareils bureaucratiques deviennent des agences de la classe ennemie au sein même des organisations ouvrières. Une couche de leaders ouvriers, dont Eduard Bernstein est le porte-étendard, soutiennent que la «socialisation graduelle de l’économie capitaliste» découlant du travail syndical et parlementaire achemine la société vers le socialisme sans que la classe ouvrière ait besoin de faire la révolution.

Rosa Luxemburg met en garde la social-démocratie allemande du début du 20e siècle contre les illusions réformistes défendues par cette aristocratie ouvrière. Pour elle, la lutte syndicale est comparable à un travail de Sisyphe: elle est toujours à recommencer. Le bras de fer entre les syndicats et le patronat ne vise pas à éliminer le patronat. Il sert à améliorer momentanément les conditions d’exploitation capitaliste. C’est le parti révolutionnaire qui a pour rôle d’exproprier la classe capitaliste en détruisant son État et en planifiant une économie industrielle nécessaire pour assurer les besoins de tous et toutes.

Luxemburg soutient que la classe ouvrière, pour se construire une conscience politique de ses propres intérêts historiques, doit s’appuyer sur un parti marxiste révolutionnaire. Le rôle du parti révolutionnaire est de faire le lien entre la lutte économique syndicale et la nécessité d’une lutte politique révolutionnaire visant la prise du pouvoir. Pourquoi la révolution est-elle nécessaire? Parce que la bourgeoisie ne laissera jamais le contrôle de la société lui filer entre les doigts. Face aux forces contre-révolutionnaires dirigées par la bourgeoisie, la classe ouvrière doit établir le rapport de force nécessaire pour imposer ses intérêts sur ceux de toutes les autres classes sociales.

En 1902, Lénine pose les fondements théoriques des rapport parti-syndicats dans Que faire? Il explique la distinction entre les deux types de conscience politique présentes dans le mouvement ouvrier. Le terme «conscience trade-unioniste» renvoie à une conscience de classe économique limitée à la lutte pour des améliorations économiques et des revendications politiques réalisables dans le cadre du système capitaliste. Quant à la «conscience social-démocrate», c’est-à-dire la conscience de classe politique révolutionnaire, elle ne peut pas émerger spontanément de ces luttes économiques limitées. Les syndicats unissent leurs membres sur la base de la défense de leurs intérêts économiques. En revanche, le parti révolutionnaire unit ses membres sur la base de la lutte pour un programme politique.

Lénine critique ceux et celles qui pensent que les luttes économiques suffisent à créer une véritable conscience de classe révolutionnaire. Il les appelle les «économistes». Même si les économistes prêtent un caractère politique intrinsèque aux luttes économiques, ils se refusent paradoxalement à construire le parti politique nécessaire pour les porter jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à l’expropriation de la classe capitaliste.

Pour Lénine, la conscience révolutionnaire doit alors être introduite dans le mouvement ouvrier «du dehors» par les révolutionnaires: «leur tâche est de transformer cette politique trade-unioniste en une lutte politique social-démocrate, de profiter des lueurs de conscience politique que la lutte économique a fait pénétrer dans l’esprit des ouvriers pour élever ces derniers à la conscience social-démocrate7».

Antonio Gramsci va dans le même sens. Selon lui, la constitution d’un parti d’avant-garde découle d’une réalité obligée. De par leur condition même, les classes exploitées et opprimées sont souvent incapables d’entreprendre des initiatives politiques ou d’avoir la cohésion nécessaire pour les réaliser. Le parti a donc le rôle essentiel d’assurer cette cohésion à travers les luttes: «Le parti ne doit pas prétendre imposer son point de vue à la classe ouvrière. Il propose simplement et appelle les autres groupes de travailleurs à se prononcer sur celui-ci et à le discuter en commun, pour que de cette discussion sorte le programme effectif, défini et accepté en commun8».

Le syndicalisme révolutionnaire

Quand le syndicat est en concurrence avec le parti

Au début de 20e siècle se développe un courant qui s’oppose farouchement aux dérives du réformisme parlementaire ouvrier. Pour le syndicalisme révolutionnaire, aussi appelé anarcho-syndicalisme, la «représentation» conduirait inévitablement à diminuer les demandes prolétariennes. Il prône une autonomie complète des syndicats par rapport aux partis et défend le principe de l’activité concrète de la classe menée par la classe ouvrière elle-même grâce à «l’action directe»: manifestations, boycotts, grèves et prise en charge des processus de négociations avec le patronat par les assemblées de base.

Le syndicalisme révolutionnaire tire ses racines en France avec la création de la Confédération générale du travail (CGT). Un courant similaire se développe aux États-Unis avec le International Workers of the World (IWW) en 1905, et au Canada avec le One Big Union (OBU). Contrairement à l’AFL, ces derniers prônent un syndicalisme par industrie plutôt que par métier ou profession spécifique.

En France, le mouvement syndicaliste révolutionnaire organise les ouvriers professionnels des petites entreprises contre le développement de la grande entreprise. Il s’organise aussi contre le mouvement socialiste d’alors, qui subordonne les syndicats aux directives réformistes du parti. Lors de son congrès de 1906, la CGT adopte des positions révolutionnaires. Selon elle, les syndicats ont le rôle de regrouper les travailleurs les plus conscients et celui de renverser le capitalisme par la grève générale.

Le syndicalisme révolutionnaire cherche ainsi à ce que les syndicats assument l’ensemble des tâches révolutionnaires. Dans la pratique, cela se traduit par une concurrence entre les syndicats révolutionnaires et les partis ouvriers. Ces syndicats prennent le rôle de suppléance du parti révolutionnaire pour compenser l’insuffisance des partis réformistes dans la lutte contre le capitalisme.

La grande scission du mouvement ouvrier

Les illusions réformistes et «économistes» volent en éclats avec la Première Guerre mondiale. Les aristocraties ouvrières à la tête des syndicats et des partis ouvriers de la IIe Internationale aident alors leur bourgeoisie nationale à exploiter leur classe ouvrière, les populations des colonies et finalement à leur faire mener la guerre du capitalisme impérialiste. La lutte des classes se manifeste alors à l’intérieur même de ses organisations ouvrières. Le mouvement ouvrier se scinde en deux blocs entre 1919 et 1922. Les majorités réformistes demeurent dans leur parti social-démocrate (les socialistes), alors que les fractions révolutionnaires fondent leur parti communiste (les communistes). Les communistes, sous l’impulsion de Lénine et Trotsky, fondent la IIIe Internationale (l’Internationale communiste) en 1919 afin de rassembler la véritable avant-garde ouvrière révolutionnaire.

La Première Guerre mondiale engendre d’importantes conséquences économiques et sociales. De nouvelles cohortes ouvrières entrent dans les syndicats et cherchent à en faire leur arme de combat. Inspirées par l’exemple de la Révolution russe, les masses entrent dans un processus révolutionnaire dans de nombreux pays.

Cette vague révolutionnaire mondiale met le syndicalisme révolutionnaire à l’épreuve. Ce dernier sous-estime l’importance qu’a l’État dans la reproduction et la défense du système capitaliste. Sa lutte exclusivement menée au niveau des milieux de travail est vulnérable à l’intervention des appareils d’État répressifs (comme l’armée et la police), des institutions (tels les médias ou l’école) ou est tout simplement la victime du pouvoir des entreprises et de l’État sur l’économie.

Ainsi, la grève générale en France (1920) est un échec, tout comme le mouvement des conseils ouvriers en Italie, en Allemagne et en Hongrie (1919-1920). C’est aussi l’échec des grèves générales sous l’influence du IWW à Seattle (1919) et de l’OBU à Winnipeg (1919).

Les mouvements de masse combatifs sont indispensables au renversement du capitalisme. Mais comme le démontrent les exemples récents de soulèvements réussis au Soudan (2018),  au Myanmar (2021), au Sri Lanka (2022) ou au Bangladesh (2024), ils demeurent insuffisants. Il est indispensable que les éléments les plus conscients et les plus expérimentés s’organisent dans un parti révolutionnaire ouvrier et démocratique afin d’unifier les luttes et leur donner une orientation, une direction et une perspective socialiste à long terme.

Au début des années 1920, les révolutionnaires marxistes et syndicalistes tentent alors un rapprochement. Dans une lettre adressée à l’IWW, la IIIe Internationale tente de convaincre les leaders syndicalistes de rejoindre ses rangs. L’Internationale communiste défend notamment l’idée de l’État ouvrier, outil servant à donner le pouvoir aux travailleurs, et montre la nécessité de l’action politique pour les révolutionnaires. Mais l’IWW refuse.

Suite à la Première Guerre mondiale, la stratégie d’intervention des révolutionnaires dans les syndicats se bute à des politiques d’obstructions de la part des directions réformistes. Dans une volonté d’unité des forces révolutionnaires, la IIIe Internationale lance l’Internationale syndicale rouge (ISR) en 1921, sous la direction de Drizdo Losovsky. Son objectif est notamment de combattre le réformisme, non pas en détruisant les syndicats, mais en obtenant l’appui de leur base à une politique de renversement du capitalisme. L’ISR réussit à rallier parmi les meilleurs éléments syndicalistes révolutionnaires du prolétariat mondial (Alfred Rosmer, Andres Nin et Tom Mann).

La réaction ultragauchiste dans la IIIe Internationale

Les voies anti-révolutionnaires empruntées par les directions syndicales réformistes durant la période de la Première Guerre provoquent également une réaction dans les milieux ouvriers communistes. Certains veulent détruire les syndicats, créer de purs syndicats révolutionnaires ou encore remplacer les syndicats par des structures d’auto-organisation directe, comme les conseils ouvriers. Cette tendance ultragauchiste dans la IIIe Internationale, celle du «communisme de gauche», prend naissance aux Pays-Bas et en Allemagne, pays dans lequel la bureaucratie syndicale a piétiné les principes de la lutte de classe avec le plus de cynisme. Lénine pourfend leurs positions sur le syndicalisme, le parlementarisme et le Front uni dans sa brochure La maladie infantile du communisme («le gauchisme»). Cette tendance quitte l’Internationale communiste dès le début des années 1920. Elle fonde le courant «conseilliste», tel que théorisé par Anton Pannekoek en 1946 dans son livre Les conseils ouvriers.

Encore plus à gauche que les syndicalistes révolutionnaires, les conseillistes estiment que les syndicats, même ceux qui prétendent être révolutionnaires, finissent par devenir bureaucratiques et réformistes étant donné qu’ils sont intégrés dans le système capitaliste. Ils ne peuvent donc pas servir de base pour la transformation révolutionnaire de la société. Les conseillistes s’opposent aussi à l’idée du parti d’avant-garde qui guide la classe ouvrière vers la révolution. Ils croient en l’auto-émancipation des travailleurs et des travailleuses à travers des conseils ouvriers, sans intervention ou contrôle extérieur par des partis politiques centralisés.

Les conseils, les comités d’usine et les soviets ont effectivement un rôle politique déterminant à jouer durant les périodes révolutionnaires. Leur mise sur pied par la classe ouvrière devient nécessaire lorsqu’elle est massivement en lutte et se produit dans un contexte révolutionnaire. Hors d’un tel contexte, la classe ouvrière s’organise à grande échelle dans d’autres organes qu’elle contrôlent, comme les syndicats, les partis ouvriers ou les coopératives.

D’un certain point de vue, les idées pouvant être attribuées au «communisme de conseil», comme l’auto-organisation directe, ont une influence durant plusieurs grèves et moments révolutionnaires du début du 20e siècle. Toutefois, les groupes conseillistes ne sont jamais parvenus à assurer un leadership ou à avoir un quelconque impact dans un mouvement de masse depuis. Il s’agit essentiellement d’un courant intellectuel.

Pour la IIIe Internationale, qu’importe les crimes des directions syndicales ou l’orientation réactionnaire d’un syndicat, les révolutionnaires doivent rencontrer la classe ouvrière là où elle se trouve, même si elle est dans de tels syndicats. Les révolutionnaires ne peuvent pas tourner le dos aux masses ouvrières déjà organisées. Pour Losovsky, laisser le champ libre aux bureaucraties syndicales revient à dire qu’elles sont trop puissantes pour être battues. Mais c’est d’abord elles qu’il faudra renverser si l’on veut terrasser le capitalisme. Cela passe par la tentative d’influencer la tactique syndicale pour poser carrément les questions que la bureaucratie syndicale s’efforce d’escamoter. Le mot d’ordre de l’ISR est celui de conquête des masses et, par suite, des syndicats grâce à un travail de première ligne pour les revendications quotidiennes des masses ouvrières.

Le stalinisme et les syndicats

Quand le syndicat dépend du parti

Durant les années 1930, la contre-révolution stalinienne sonne le glas de l’approche révolutionnaire dans les syndicats de masse. Désormais sous direction stalinienne, l’ISR opère un virage à 180 degrés. Elle exige de ses membres leur sortie des syndicats de masse et la création de petits syndicats révolutionnaires «purs» qui épousent d’emblée un programme politique révolutionnaire. C’est la ligne ultragauchiste «Classe contre classe» qui considère les syndicats «non communistes» comme des ennemis. L’Internationale communiste stalinisée considère maintenant que les syndicats sont des organismes auxiliaires du parti, tels des courroies de transmission qui relient le parti à la classe. Cette subordination totale des organisations de masse au parti bloque les liens vivants et dynamiques qu’ils doivent entretenir. Les staliniens et staliniennes qui mènent cette approche sectaire s’aliènent de larges couches ouvrières. C’est un échec cuisant pour l’ISR qui disparaît vers 1937.

Léon Trotsky s’oppose aux tentatives de scissions devant mener à des «syndicats communistes purs». Il réaffirme la nécessité de travailler avec les masses là où elles se trouvent afin de les conquérir à l’approche révolutionnaire. Trotsky souligne que les syndicats ne peuvent avoir de programme révolutionnaire achevé considérant leurs tâches, leur composition et le caractère de leur recrutement. Ils ne peuvent donc pas remplacer le parti révolutionnaire, et vice-versa.

Les années 1930-40 voient l’essor du syndicalisme industriel. Il se développe en raison des conditions économiques de la Grande Dépression, de l’industrialisation croissante (notamment grâce aux industries de guerre) et des luttes sociales qui en découlent dans les secteurs stratégiques comme le charbon, les mines, l’acier et l’automobile.

Dans un revirement complet, cette fois opportuniste, la IIIe Internationale stalinisée appelle à réintégrer les syndicats de masse. C’est l’approche du Front populaire (1935-1939) et de la collaboration avec les réformistes et les libéraux. Les communistes staliniens ont un impact positif, notamment grâce aux réunifications syndicales et à leurs campagnes de syndicalisation massive. Le travail politique est toutefois abandonné au bénéfice d’une lutte visant à occuper les postes de direction syndicale contre les équipes jugées réformistes. C’est que les communistes inféodés à Moscou n’ont plus la tâche d’organiser la révolution dans leur propre pays. Le socialisme doit se construire d’abord et avant tout en Union soviétique. C’est le triomphe de la théorie du «socialisme dans un seul pays». L’influence des partis communistes sert désormais de rapport de force pour la politique étrangère de Moscou. En 1943, Staline dissout la IIIe Internationale en signe de concession aux puissances capitalistes.

L’intégration des syndicats au pouvoir d’État

Le développement massif du syndicalisme industriel change le rapport de force en faveur de la classe ouvrière. Pour les capitalistes et leur élites politiques, il s’agit alors moins de briser le syndicalisme que de le contrôler. Trotsky souligne le rapprochement et «l’intégration» de plus en plus forte des syndicats au pouvoir d’État. Par exemple, les relations de travail sont codifiées grâce aux lois du travail. En Amérique du Nord, la bourgeoisie, éprouvée par la crise des années 1930 et la montée des grèves de masse, souhaite réduire la violence des conflits de travail et regagner le vote ouvrier. Un système de relations de travail très complexe est institué aux États-Unis à partir des années 1930. Le Canada en adopte ses principaux éléments à partir des années 1940. La bourgeoisie reconnaît légalement les syndicats comme interlocuteurs, mais cadre leur marge de manœuvre légale.

Le système légal du droit du travail, bien que garantissant une plus grande résilience des organisations syndicales aux assauts du patronat, contribue grandement à institutionnaliser le mouvement syndical et à l’enfermer dans un rôle de régulateur social. Par exemple, les grèves politiques9 ou encore le financement direct de partis politiques par les syndicats est interdit au Québec. Le droit de grève est protégé par le code du travail, mais son exercice est lourdement encadré.

Le patronat se sert de plus en plus de l’État bourgeois pour défendre ses intérêts. Les bureaucraties syndicales réformistes adaptent leurs stratégies et coopèrent elles aussi davantage avec l’État. Mais cette coopération s’effectue aussi pour garantir la position privilégiée de l’aristocratie ouvrière dans le système capitaliste. Lors de la Deuxième Guerre mondiale, les bureaucraties syndicales réformistes, puis staliniennes, appuient l’envoi de travailleurs au front. Elles vont jusqu’à défendre des baisses de salaire et promouvoir l’interdiction de la grève durant cette période. Elles lient alors le bien-être de leur classe ouvrière à celui de leur classe capitaliste nationale.

Pour que les syndicats puissent jouer leur rôle économique et politique élémentaire, il est nécessaire de lutter pour une indépendance d’action des syndicats vis-à-vis de l’État, de ses institutions et de celles du patronat. Pour Trotsky, il s’agit d’une «lutte implacable contre toutes les tentatives de soumettre les syndicats à l’Etat bourgeois et de lier le prolétariat par “l’arbitrage obligatoire” et toutes les autres formes d’intervention policière, non seulement fascistes, mais aussi “démocratiques”10».

Démocratie syndicale et mouvements de masses

L’indépendance des syndicats de l’État bourgeois ne peut être maintenue qu’à travers la lutte pour la démocratie à l’intérieur même des syndicats. Les bureaucraties conservatrices ne confrontent pas l’État avec des appels à la désobéissance civile, à la grève illégale ou à la défiance d’injonctions de la Cour. En revanche, lorsque la situation l’exige, les syndiqué⋅es de la base n’hésitent pas à aller jusqu’au bout pour gagner. La classe ouvrière a besoin de s’organiser démocratiquement pour être combative. Les nécessités de la lutte peuvent pousser la base à déborder les structures syndicales trop restreintes ou les mots d’ordre étroits des bureaucraties.

Lors de périodes d’essor révolutionnaire exceptionnel, «les larges masses de la classe ouvrière sont entraînées dans la lutte, explique Trotsky. Ces masses créent spontanément des organismes distincts des syndicats: Comité de grève, Comités d’usines, Soviet». C’est la raison pour laquelle, en période révolutionnaire, les marxistes accordent un intérêt particulier aux organismes de lutte autonomes des masses. Ces derniers peuvent dépasser les limites de la lutte syndicale, vaincre l’opposition des bureaucraties syndicales et devenir des «états-majors» dans le combat révolutionnaire.

Les marxistes révolutionnaires ont l’exemple éclatant de la Révolution russe de 1917 pour démontrer cette approche. À plus petite échelle, les trotskystes du Socialist Workers Party (SWP) ont changé l’histoire des États-Unis en dirigeant avec succès la grève des Teamsters de Minneapolis, en 1934. Dans un contexte de défaites de la classe ouvrière et de faible taux de syndicalisation, les trotskystes ont organisé massivement les camionneurs et les employés d’entrepôt de la ville. Leurs grèves militantes ont galvanisé l’ensemble des travailleurs de Minneapolis et polarisé la ville en deux camps de classe opposés. Après une série de violents affrontements avec la police et des milices anti-syndicales, les grévistes ont obtenu une reconnaissance syndicale et de meilleures conditions de travail. Cette victoire, en plus des deux autres menées par des socialistes en 1934 (Toledo, San Francisco), a ouvert la voie à un soulèvement historique de la classe ouvrière les dix années suivantes. Cela a conduit, en 1937, à l’émergence du puissant Congress of Industrial Organizations (CIO) et au développement du syndicalisme industriel.

L’approche des Teamsters de Minneapolis de 1934 constitue un exemple de la manière dont un syndicat solide contrôlé par la base et muni d’une direction marxistes révolutionnaire peut obtenir le soutien des masses et gagner des victoires décisives. Mais les événements de 1934 sont loin d’être les seuls moments historiques où les idées marxistes révolutionnaires ont prouvé être les guides les plus efficaces pour que le mouvement ouvrier remporte des victoires.

En 1938, les marxistes révolutionnaires rompent définitivement avec la IIIe Internationale de Staline et fondent la IVe Internationale. Les «trotskystes», comme ils et elles sont surnommées, reprennent l’approche révolutionnaire d’intervention dans les syndicats.

L’approche trotskiste après la Deuxième Guerre mondiale

Suite à la Deuxième Guerre mondiale, le boom économique et la croissance des années 1950 et 1960 entraîne la création d’emplois et la hausse des effectifs syndicaux. La croissance s’effectue notamment dans des secteurs déjà syndiqués.

La période de prospérité capitaliste permet aux luttes syndicales de se développer. Les batailles des organisations ouvrières sous direction réformistes et staliniennes réussissent à obtenir de grandes concessions de la part du patronat et de son État, en échange de la «paix industrielle». C’est la période du «compromis fordiste». Ce compromis vise à créer un équilibre entre production, consommation et régulation des conflits sociaux à travers des relations «harmonieuses» entre les syndicats, les entreprises et l’État.

Avec la dissolution de la IIIe Internationale en 1943 et le fait que la IIe Internationale organise ces forces selon des intérêts libéraux, le mouvement ouvrier et socialiste n’est plus structuré massivement en Internationale. Mais le contexte des Trente glorieuses (les années 1945-1975) permet aux marxistes révolutionnaires, bien que marginaux, d’affirmer la supériorité de leur approche face à celle de la collaboration de classe.

Les trotskystes mènent alors de grandes grèves ainsi que des mouvements de masse partout dans le monde. En France, les trotskystes dirigent notamment les grèves victorieuses des métallos de Renault (1947), des mineurs de La Roya (1948), des conducteurs de tramways de Saint-Brieuc (1950) et des postiers (1953).

Au Sri Lanka, le Lanka Sama Samaja Party (LSSP) joue un rôle clé dans la lutte pour l’indépendance du pays (1948), puis dans la grève victorieuse de l’enseignement (1953). Cela lui permet de devenir l’un des plus grands partis trotskiste du monde, avec plusieurs milliers de membres.

La Bolivie est un autre pays où le trotskysme exerce une influence politique significative. Les leaders du Partido Obrero Revolucionario (POR) jouent un rôle central dans la formation et la direction de la Central Obrera Boliviana (1952) ainsi que dans les syndicats de mineurs. Durant la révolution bolivienne de 1952, les mineurs jouent un rôle crucial dans la nationalisation des mines d’étain, la principale ressource du pays, et dans la création de milices ouvrières. Durant le régime militaire de Hugo Banzer, le POR et les mineurs organisent une grève générale brutalement réprimée en 1971. Cette dernière permet néanmoins aux mouvements syndicaux et populaires de renaître dans les années 1980.

Au Québec, les trotskystes dirigent la grève illégale des travailleurs et travailleuses du transport de Montréal en 1974. Le syndicat exige l’indexation des salaires au coût de la vie en cette période d’inflation. La résistance des syndiqué∙es face aux suspensions, aux amendes et aux injonctions inspire de nombreux autres syndicats à lutter pour gagner. La combativité des syndiqué∙es et la mobilisation organisée autour de leur combat font reculer le pouvoir judiciaire et le gouvernement provincial. Cette victoire a un impact puissant dans l’ensemble du mouvement ouvrier québécois. Le gouvernement péquiste en est conscient et tente de briser le syndicat durant un bras de fer légal qui dure une décennie. Il est ponctué de peines de prison, de congédiements, de mise en tutelle du syndicat et d’amendes salées, mais aussi de grèves unitaires victorieuses, d’un vaste mouvement d’appui et d’une défiance de la loi spéciale de 1982.

L’approche mao-stalinienne

Durant les années 1960, la croissance économique des années d’après-guerre commence à ralentir. L’inflation et la hausse du prix du carburant exacerbent les inégalités sociales. L’automatisation et les avancées technologiques transforment le marché du travail et entraînent la perte d’emplois stables et bien rémunérés. Afin de rediriger l’argent public vers le privé, les partis politiques capitalistes instaurent des politiques d’austérité et réduisent les protections sociales.

Ces facteurs combinés produisent une résurgence de la lutte des classes vers la moitié des années 1960. Elle s’exprime notamment par la hausse des effectifs syndicaux et le renforcement des partis à base ouvrière (socialiste, social-démocrate, travailliste). Dans les sociétés occidentales, ces partis accèdent au pouvoir, deviennent de véritables institutions et contribuent à reconstruire leur pays. La production et la consommation de masse sont soutenues par leurs politiques économiques interventionnistes. Ces partis ouvriers ont un rôle gouvernemental d’intermédiaire social, c’est-à-dire de médiation entre les intérêts des classes, plutôt qu’un rôle de «gouvernement ouvrier» révolutionnaire. Malgré ce caractère réformiste, ces partis sont considérés comme «ouvriers». Pour Trotsky, la nature sociale d’une organisation ouvrière relève ultimement de son rôle dans la répartition des ressources du produit national entre les classes11.

À partir des années 1970, les États dérèglementent le monde de la finance afin de permettre aux multinationales d’atteindre de nouveaux marchés. On assiste à une intensification des flux de capitaux internationaux et à la croissance des investissements directs à l’étranger. Avec les crises économiques et pétrolières, ainsi qu’avec la récession du début des années 1980, le compromis fordiste s’effrite davantage.

Durant les années 1970, le Québec est secoué par les plus puissantes grèves et actions ouvrières de son histoire. À travers les luttes contre l’oppression nationale et l’exploitation capitaliste, toute une couche de travailleurs et de travailleuses prend conscience de son identité de classe. Les méthodes militantes radicales prouvent dans la pratique être les plus efficaces pour faire des gains. Toutefois, sans parti ouvrier pour sécuriser ces victoires, elles demeureront partielles et constamment sous attaque.

C’est durant cette période d’instabilité sociale et d’absence de parti ouvrier qu’apparaissent au Québec de nombreux groupuscules «marxistes-léninistes» se réclamant de la «pensée Mao Tsé-toung», tel EN LUTTE! (1972-82) et le Parti communiste ouvrier (1975-83). Ces groupes maoïstes sont authentiquement staliniens, autant dans leur méthodes d’organisation que dans leurs positions politiques. Ils adhèrent notamment à la «théorie des trois mondes», une théorie qui n’aborde plus la politique globale en termes de classes, mais bien de pays. Elle prône une alliance entre les pays du tiers-monde et du «second monde» (tels la France, l’Allemagne ou le Canada), toutes classes confondues, contre les deux superpuissances que sont les États-Unis et l’URSS.

Les groupes mao-staliniens défendent un «syndicalisme de lutte de classe». Leur approche idéaliste de la lutte s’avère être tantôt maximaliste (éterniser les conflits de manière à démontrer l’incapacité du système capitaliste à répondre aux revendications ouvrières), tantôt minimalistes (réaliser un travail syndical apolitique strictement limité au milieu de travail). Leur tâche principale consiste à recruter des membres par la «lutte idéologique» (l’agitation et la propagande), ce qui est un succès dans une conjoncture québécoise où n’existe aucun parti ouvrier. Les maoïstes propagent leurs idées de manière soutenue aux portes des usines, lors des piquets de grèves et des manifestations, principalement en distribuant leurs journaux.

Ces organisations considèrent les syndicats comme des courroies de transmission du parti. Les maoïstes passent d’abord par une phase de travail de substitution aux organisations syndicales (création de comités parallèles) et de dénonciation des appareils syndicaux. Face à l’échec de cette tactique, leur stratégie principale consiste désormais à noyauter des dizaines de postes élus dans les syndicats locaux comme tremplin vers les instances supérieures, toujours pour y réaliser leur propagande idéaliste.

À la fin des années 1970, les maoïstes regroupent des milliers de membres, dont des centaines dans les syndicats. Les groupes mao-staliniens réussissent à s’implanter et à donner une grande visibilité à leurs idées dans le mouvement syndical. Les maoïstes sont alors reconnus comme des militants et des militantes infatigables.

Les maoïstes participent de manière concrète et dynamique aux luttes syndicales. Comme syndicalistes de gauche, les maoïstes dirigent des grèves locales (légales ou non), des occupations et des campagnes de sensibilisation qui s’avèrent parfois victorieuses. Certains gains locaux seront même inédits, comme la clause de refus d’exécution d’un travail jugé dangereux. Toutefois, les maoïstes s’aliènent de larges pans du mouvement ouvrier, de la base à la direction, avec leur tactiques tantôt sectaires, tantôt opportunistes. Ces groupes ne parviennent pas à orienter la marche générale des organisations syndicales ni à obtenir des victoires significatives pour la classe ouvrière.

Sur le plan politique, les maoïstes s’opposent farouchement à la création d’un parti ouvrier large. Ces groupes luttent côte-à-côte avec les bureaucraties syndicales conservatrices et les nationalistes péquistes contre ce projet. Chaque groupe mao-stalinien prétend être le seul authentique parti de la classe ouvrière. Il ne suffit pour eux que de recruter dans leurs propres rangs pour bâtir le parti du prolétariat.

À peine dix ans après leur création, les principaux groupes maoïstes du Québec se dissolvent sous le poids de leurs propres contradictions (absence de démocratie, emprise du féminisme) et de la conjoncture (crise économique et reflux de la lutte nationale).

La pertinence sociale d’un parti révolutionnaire ne relève pas uniquement de ses proclamations radicales ou de son programme théorique. Il doit avoir un rôle effectif dans la constitution et l’expression d’un mouvement de classe ouvrier distinct et être son instrument et lieu de débats. Un parti révolutionnaire doit être le cadre réel d’unification de la classe.

Le «syndicalisme de combat»

En 1977, le québécois Jean-Marc Piotte publie un recueil intitulé Le syndicalisme de combat, notamment inspiré par les idées de Mao et de Gramsci. Il a une influence parmi les syndicalistes radicaux de l’époque. Piotte y classe les syndicats en trois catégories fixes: syndicats de boutique, syndicats d’affaires et syndicats de combat12. Seuls certains syndicats CSN de l’enseignement et de la fonction publique se qualifient au syndicalisme de combat, alors que les syndicats ouvriers de la FTQ sont disqualifiés. Comme la théorie maoïste des trois mondes, cette démarche métaphysique envisage les syndicats dans leur fixité, à l’opposé de la méthode dialectique qui les conçoit dans leur mouvement et leur changement.

Piotte reprend à son compte la conception gauchiste des groupes mao-staliniens selon laquelle les syndicats ont pour fonction «d’intégrer les travailleurs à l’ordre établi». Dans son ouvrage sur la pensée politique de Jean-Marc Piotte, le trotskyste Louis Gill souligne que les syndicats sont des organisations de classe sans cesse traversées par des tendances en lutte. Parfois, il tombent sous la domination de direction pro-patronale qui prône la conciliation, le partenariat et règnent par l’absence de démocratie. C’est pourquoi la lutte des travailleurs et des travailleuses pour la conquête du contrôle démocratique de leur syndicat est essentielle pour affirmer leur vraie fonction d’organisme de défense de la classe ouvrière.

En plus de méconnaître l’histoire des luttes ouvrières du 20e siècle, l’approche de Piotte place «l’idéologie» d’un syndicat comme sa caractéristique principale. Selon Gill:

l’adhésion préalable à une idéologie anticapitaliste, acquise par exemple par une formation théorique venue de l’extérieur de la lutte (démarche idéaliste parce qu’elle confère la primauté à l’idée), ne constitue d’aucune manière un critère de catégorisation d’une action syndicale comme relevant d’un syndicalisme «de combat». C’est la lutte elle-même (démarche matérialiste parce qu’elle confère la primauté à l’expérience concrète) qui amènera les travailleurs à prendre conscience des limites de l’action syndicale, de la nécessité de l’action politique et de la construction d’un parti indépendant, contrôlé par eux et voué à la défense de leurs intérêts, pour aller au-delà du capitalisme13.

Pour les marxistes révolutionnaires, la marche de la classe ouvrière vers son émancipation procède de l’expérience concrète. La conscience de la classe ouvrière se forme à travers l’assimilation des enseignements de la lutte des classes. Le rôle des marxistes révolutionnaires est d’aider ce processus. Pour Gill, «l’émancipation de la classe ouvrière n’est pas le résultat d’un combat entre idéologies, elle est un mouvement pratique qui a pour fondement sa situation matérielle et la lutte concrète pour l’améliorer14

Au début des années 1980, sous l’Angleterre de Margaret Thatcher, les trotskystes de la tendance Militant dans le Labor Party montrent la voie à suivre dans la lutte contre l’austérité néolibérale. En 1983, six membres Labor Militant sont élus au conseil municipal de Liverpool sur lequel les travaillistes ont la majorité. Ces membres jouent un rôle important dans la grève victorieuse des transports de la ville en organisant une résistance contre les coupes budgétaires. Le rapport de force du conseil municipal repose sur l’organisation militante de comités intersyndicaux et d’assemblées des groupes populaires de la ville, qui participent à mettre sur pied les grèves générales des employé∙es du secteur public. Grâce à ce rapport de force, le conseil municipal réussit à geler les loyers pendant cinq ans, faire construire et rénover des milliers d’habitations, des garderies, des parcs, des centres sportifs et des écoles en plus de créer des milliers d’emplois. Liverpool devient un bastion de la résistance contre les politiques de Thatcher. Militant organise ensuite la résistance à la Poll tax à la fin des années 1980, la bataille décisive qui entraînera la chute de Thatcher.

Le «partenariat social»

Le syndicalisme à l’époque du néolibéralisme

À partir des années 1980, la globalisation s’accélère avec l’adoption de politiques économiques néolibérales dans de nombreux pays. Les accords de libre-échange et la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1995 permettent une libéralisation accrue du commerce international et des investissements. Avec la chute du bloc soviétique, l’ouverture des marchés des ex républiques socialistes et de la Chine libéralisée intègrent des milliards de personnes dans l’économie mondiale capitaliste.

Dans les pays capitalistes développés, la mondialisation économique permet aux entreprises de réduire leurs coûts de production en délocalisant ou en adoptant des modes de production plus flexibles. La composition de la classe ouvrière internationale change en termes géographiques et en termes de genre. L’emploi précaire féminin devient crucial pour les exportations des zones de l’Asie du Sud Est. Les femmes sont aussi de plus en plus présentes sur le marché du travail des pays capitalistes développés. Elles deviennent majoritaires dans les emplois précaires et moins bien payés.

Les gouvernements néo-conservateurs des pays occidentaux passent à l’offensive en brisant des grèves, en promulguant des lois anti-syndicales et en appliquant des mesures de répression intenses. En réaction, de nombreux partis traditionnels de la classe ouvrière sont réélus à la tête des gouvernements. Ces partis, pour la plupart issus de la IIe Internationale, sont désormais dans un processus d’extinction accéléré de leur caractère ouvrier. Ils ne sont plus le lieu et le mécanisme de formation de l’identité de classe du salariat et des secteurs dépossédés. Les positions, le poids et la place que ces partis ont acquis dans les sociétés libérales ont paradoxalement renforcé ce processus.

Contre les intérêts de leur propre base et de la classe ouvrière en général, les directions de ces partis s’adaptent aux exigences du capitalisme. Elles expulsent leurs ailes marxistes et changent leurs programmes pour refléter la «3e voie» anglaise ou le «nouveau centre» allemand, c’est-à-dire un compromis entre le libéralisme et l’économie planifiée. Lors de leur passage aux commandes des gouvernements, ces partis se substituent aux partis libéraux. Ils adoptent des politiques de déréglementation, de privatisation et de démantèlement du secteur public qui raffermit le pouvoir des entreprises privées sur l’État. Les mouvements de masse de la seconde moitié des années 1980 n’entraînent pas de relance des partis ouvriers traditionnels, et s’organisent souvent contre les gouvernements que forment ces mêmes partis.

Une période de reflux des luttes économiques, de recul idéologique majeur et d’affaiblissement des organisations de la classe ouvrière bat son plein. Face au chômage, les syndicats luttent désormais pour l’emploi dans le cadre du «partenariat social», c’est-à-dire de la concertation entre les acteurs sociaux. Il s’agit de «concilier» les intérêts des syndicats, du patronat et parfois du gouvernement, pour en arriver à un «compromis», toujours en faveur du libre marché.

Dans les années 1990, la délocalisation des entreprises entraîne une baisse des effectifs syndicaux, notamment parce que les secteurs en chute libre, le manufacturier et l’industrie lourde, sont parmi les plus syndiqués. Cette période est caractérisée par la faible contre-attaque du mouvement ouvrier, sauf dans des endroits où le syndicalisme se consolide, comme en Corée du Sud. Des batailles syndicales et sociales se développent toutefois contre les traités de libre-échange, mais échouent.

Plutôt que d’opter pour les méthodes militantes ayant fait leur preuve durant les décennies précédentes, certaines directions syndicales se résignent à faire pression sur les partis traditionnels et les institutions mondiales comme l’Organisation internationale du Travail dans l’espoir de les voir légiférer en leur faveur. D’autres rompent leurs liens avec les partis ouvriers devenus pleinement bourgeois.

La syndicalisation des nouvelles et des nouveaux travailleurs des pays «moins développés» n’est pas une priorité pour les grandes organisations syndicales occidentales. Pourtant, la pratique d’un syndicalisme global n’a jamais été aussi pertinente pour améliorer le rapport de force de la classe ouvrière. En effet, la mondialisation crée les conditions pour organiser globalement le secteur des services concentré dans les grandes villes (par exemple l’entretien, la sécurité, les aéroports ou les hôtels).

Les bureaucraties syndicales, de plus en plus déconnectées de leur base, se résignent aux logiques du néolibéralisme et intègrent même l’activité spéculative du marché boursier. Elles adoptent les pires stratégies de collaboration de classe, par exemple la participation à la politique gouvernementale du «déficit zéro» au Québec ou la mise sur pied de fonds d’investissements.

La faiblesse des luttes ouvrières de masse entraîne une chute de la conscience qu’ont les travailleuses et les travailleurs d’appartenir à une classe sociale à part entière. La bourgeoisie et les forces réformistes assimilent leurs propres intérêts à ceux de la classe ouvrière grâce à des alliances identitaires (religieuses, nationales ou ethniques, par exemple). Ces stratégies divisives ont l’avantage d’exclure certains groupes sociaux pour en faire les bouc-émissaires des problèmes causés par le capitalisme. L’extrême-droite fait des gains dans les milieux ouvriers, notamment grâce à des discours racistes qui associent chômage, violence et insécurité à immigration.

Mouvements sociaux et nouvelles formations de gauche

Trente ans après le début des politiques néolibérales, le Capital continue de se concentrer entre les mains de multinationales toujours moins nombreuses. Dans les pays développés, la création d’emplois précaires et atypiques (travail à temps partiel, temporaire ou autonome) est l’un des moyens principaux pour y arriver. Le recours au travail temporaire de personnes migrantes, qui ne disposent pas des mêmes droits que les personnes citoyennes, est aussi en développement. Dans les pays en développement, le secteur du travail informel15 connaît une énorme expansion.

La flexibilité imposée aux milieux de travail par le patronat et ses gouvernements affecte à la baisse la rémunération et l’accès aux protections sociales. La main-d’œuvre est de plus en plus diversifiée, mobile et elle est employée sur des marchés du travail toujours plus segmentés. Les syndicats nourrissent peu d’intérêt à organiser cette périphérie du marché du travail, malgré la chute continue des taux de syndicalisation.

Les années 2000 voient le développement de nombreux mouvements sociaux importants (par exemple anti-guerre, étudiants, femmes). Si les mouvements sociaux ont un rôle positif à jouer dans la recomposition des mouvements revendicatifs de masse, ils ne peuvent cependant pas se substituer au mouvement syndical. Le rapport social déterminant dans la société capitaliste demeure celui de l’activité de travail, dont la principale composante est le salariat. Or, de nombreuses directions syndicales adhérent à la vision revendicative des mouvements sociaux pour mieux leur sous-traiter leur propres luttes sociales et politiques.

Face au vide représentatif laissé par les politiques néolibérales des partis ouvriers traditionnels, des couches d’activistes et d’universitaires issues des mouvements sociaux mettent sur pied de nouvelles formations larges de gauche (Rifoudazione Communista en Italie, DIE LINKE en Allemagne, SYRIZA en Grèce, PODEMOS en Espagne ou Québec solidaire au Québec). Parfois, des couches de syndicalistes de gauche jouent un rôle dans cette nouvelle configuration des luttes anti-capitalistes, notamment dans la restructuration de partis déjà existants comme le Parti des travailleurs au Brésil ou le Parti du travail de Belgique.

Ces partis de gauche rompent ouvertement avec le discours et l’approche de classe des partis qui tirent leurs racines dans la IIe ou la IIIe Internationale. Les nouvelles formations de gauche s’affichent parfois comme anticapitalistes, mais rarement comme socialistes. Elles sont parcourues par différentes tendances animées essentiellement par des éléments petits-bourgeois. Ces derniers finissent par se hisser à tête de ces formations et à orienter leur programme politique. En conséquence, et de manière générale, la participation des formations de gauche aux luttes ouvrières est très limitée, tout comme leur implantation dans la classe ouvrière.

De son côté, le mouvement syndical demeure l’allié des partis ouvriers traditionnels embourgeoisés. Ces partis cherchent de plus en plus à élargir leurs bases électorales ainsi qu’à obtenir du financement du milieu des affaires. Cela les amène à courtiser les classes intermédiaires et bourgeoises avec des politiques anti-ouvrières en faveur des entreprises privées.

Durant les années 2010, le phénomène des nouvelles formations de gauche s’observe aussi avec la montée en popularité des organisations autour de Bernie Sanders aux États-Unis (dans le Parti démocrate), de Jeremy Corbyn en Angleterre (dans le Parti travailliste) et de Jean-Luc Mélenchon en France (avec la France Insoumise).

Suite à la crise financière de 2007-08, les gouvernements mettent en œuvre des programmes de relance économique et de sauvetage d’établissements financiers et de grandes entreprises. Cette situation engendre un endettement public accru, alors que les recettes publiques sont déjà diminuées par les politiques de réduction d’impôts des plus riches et des entreprises. Les banques sauvées, souvent «trop grosses pour faillir» (too big to fail) demeurent entre les mains du privé. En définitive, les inégalités économiques augmentent partout et atteignent de nouveaux sommets.

Durant les années 2010, les gouvernements adoptent des plans d’austérité draconiens pour «rassurer les marchés». Les services publics sont sévèrement attaqués. Le chômage est en hausse et le pouvoir d’achat de la classe ouvrière est en baisse. De grands mouvements de protestations émergent contre la vie chère et les privilèges du «1%», dont Occupy et ceux du Printemps arabe.

Les formations de gauche bénéficient d’un appui électoral suffisant pour être catapultés dans l’opposition officielle, voire même au pouvoir. Bien qu’elle demeure embryonnaire dans la société, la conscience de classe se développe chez des millions de personnes. Mise à l’épreuve, les formations de gauche échouent à offrir un programme politique adéquat, un cadre d’organisation des luttes ouvrières ainsi que des liens organiques avec de larges pans de la classe ouvrière. Leur approche de compromission avec la classe dirigeante relève davantage d’un populisme de gauche ou d’un radicalisme libéral que d’une politique de classe. L’intervention des marxistes révolutionnaires dans ces formations et le développement d’ailes ouvrières en leur sein sont insuffisantes pour que ces partis dépassent leurs contradictions et se transforment en véritable parti de masse des travailleurs et des travailleuses doté d’un programme socialiste.

Le regain des luttes des années 2020

Au début des années 2020, les tentatives pour relancer l’économie mondiale en relative stagnation plongent le capitalisme dans une série de crises: pandémique, climatique, économique, politique, sociale et militaire. La crise des chaînes d’approvisionnement durant la pandémie, puis l’accentuation des conflits inter-impérialistes entraînent une forte inflation et une perte du pouvoir d’achat. Pour les capitalistes, la globalisation est de moins en moins une manière sûre de garantir les taux de profits. L’économie mondiale entre dans une logique inverse à celle de la mondialisation. Une nouvelle période de protectionnisme s’exprime par le retour des tarifs douaniers et les investissements étatiques gigantesques dans des projets privés locaux. Ce nationalisme économique donne lieu à une tendance à la «ré-localisation» (reshoring) de la production manufacturière dans le pays d’origine.

En conséquence, des millions de personnes à travers le monde, en particulier des femmes, sont plongées dans la lutte contre l’inflation et la dégradation de leur qualité de vie. Plusieurs soulèvements populaires font tomber des gouvernements autoritaires en Afrique (Soudan) et d’autres en Asie (Sri Lanka, Myanmar, Bangladesh) qui sont derrière la spoliation impérialiste de leur propre pays.

Le nombre de grèves est en hausse dans de nombreux pays de l’Ouest, malgré le rôle de frein que jouent, la plupart du temps, les directions syndicales. Dans le secteur privé, les travailleurs et les travailleuses en grève réussissent généralement à obtenir des améliorations importantes de leurs conditions de travail, comparés aux décennies précédentes. Dans certaines grèves importantes, la base syndicale se met en action contre l’avis des directions conservatrices. Dans de grands syndicats, les directions conservatrices sont remplacées par des équipes plus militantes.

En Amérique du Nord, une nouvelle génération de personnes se tourne vers le syndicalisme comme forme de militantisme étant donné qu’aucun retour à la prospérité économique n’est en vue pour la classe travailleuse. Des initiatives parfois spontanées, parfois organisées par les syndicats, visent à syndiquer des secteurs d’emploi précaires où les jeunes sont souvent en prédominance (cafés, jeux vidéos, logistique). Dans le secteur public, par contre, l’État employeur a recours à des mesures de répression de plus en plus autoritaires pour briser les grèves et maintenir l’austérité.

La détermination des syndicats à obtenir des gains dépend de la dynamique entre leur leadership et leur base. La résurgence d’un syndicalisme plus combatif, en particulier aux États-Unis, découle de la pression exercée par les syndiqué⋅es radicalisé⋅es par les changements drastiques dans leur qualité de vie. Il existe désormais toute une couche de syndicalistes de gauche qui offre un discours de lutte de classe et propose d’opter pour des tactiques d’action directe comme la grève. Cela est définitivement un pas dans la bonne direction.

L’accroissement constant des inégalités pousse de larges couches de la population à chercher des solutions politiques alternatives aux partis traditionnels, à gauche comme à droite. Cette polarisation politique engendre l’effritement des partis traditionnels, autant en termes de base sociale que d’appui électoral. La perte de confiance des travailleurs et des travailleuses envers les partis réformistes et «modérés» s’exprime notamment par des taux d’abstention électorale élevés. Il s’exprime aussi par un vote ouvrier fort pour les partis de droite et d’extrême droite. Cette période d’instabilité politique voit parfois les partis traditionnels regagner des voix et des élections. Mais ce soutien électoral découle davantage d’une tactique de «vote stratégique» consistant à voter pour une candidature jugée moins prompte à imposer un agenda d’attaques sur la classe ouvrière que d’une confiance envers ces partis pour organiser des mouvements de lutte. Les partis traditionnels sont remplacés par de nouvelles formations populistes de droite, et parfois de gauche (surtout en Amérique latine), qui prennent le pouvoir rapidement.

Les classes capitalistes changent leur allégeance politique pour appuyer ces nouveaux partis afin de garantir leurs profits durant ces temps incertains. Les nouveaux partis de droite développent un discours qui allie insécurité et immigration. Ce discours de bouc-émissaire résonne parmi les classes travailleuses et populaires qui voient leurs conditions de vie dégringoler. Le fait que les grands syndicats maintiennent coûte que coûte leur alliance avec les partis modérés capitalistes amène également de l’eau au moulin de l’extrême droite.

L’approche révolutionnaire aujourd’hui

Pourquoi réinventer la roue?

La majorité des syndicalistes de gauche d’aujourd’hui tentent de reconstruire un mouvement syndical combatif à l’aide des «bons modèles» d’organisation et des «meilleures pratiques». Or, le syndicalisme a ses limites, même s’il est «combatif», «renouvelé» ou qu’il prône la «transformation sociale» ou même la «lutte des classes». Par exemple, même si les syndicats se radicalisent et adoptent une approche de lutte de classes, cela ne sera pas suffisant pour faire une percée majeure dans les taux de syndicalisation. Le seul facteur qui permettrait une telle percée serait la résurgence du mouvement révolutionnaire.

De manière similaire aux années 1930, l’émergence d’une approche révolutionnaire viendrait lier les luttes syndicales aux autres luttes en cours dans la société. Lorsque les syndicats reprennent les revendications spécifiques des mouvements sociaux en lutte, et que les mouvements sociaux de masse participent aux batailles syndicales, la classe ouvrière est en mesure d’arracher de sérieuses réformes aux capitalistes. Mais attention, ces réformes sont concédées par les capitalistes pour calmer les mouvements de masse et les démobiliser avant qu’ils ne s’attaquent à la racine du problème, c’est-à-dire au pouvoir politique des capitalistes.

Une approche révolutionnaire marxiste est nécessaire pour dépasser l’attitude strictement «économiste» des directions syndicales actuelles. Par exemple, la direction du Front commun 2023-24 a mené toute sa campagne pour de meilleures conditions de travail dans le secteur public, sans jamais faire de liens avec la nécessité, pour y arriver, de se débarrasser du gouvernement Legault. Une direction syndicale qui défend la classe ouvrière dans son entièreté aurait saisi l’opportunité d’argumenter pour la construction d’une force politique autonome de la classe ouvrière, seule capable de gérer les services publics dans son propre intérêt. Une organisation ouvrière de masse comme le Front commun détenait la puissance qui lui aurait permis de faire tomber le gouvernement. Ce qui fait défaut au mouvement ouvrier, ce n’est pas ses moyens ou son potentiel, mais bien le niveau de conscience politique requit pour réaliser la tâche historique devant lui.

Le mouvement syndical est enfermé dans une approche réformiste qui tente d’obtenir «la meilleure entente» au moindre coût, tout en remettant à la «prochaine négo» l’affrontement direct avec l’État. Le mouvement syndical a désespérément besoin de membres formé⋅es par les luttes d’actions directes, qui partagent une vision politique révolutionnaire ainsi que d’une direction en mesure de guider ces luttes jusqu’au bout. La base syndicale commence à réapprendre les leçons de la lutte des classes en affrontant le patronat de plus en plus souvent et avec plus d’intensité. Davantage de gens arrivent à des conclusions anticapitalistes. Mais assiste-t-on a des bons dans la conscience de classe? Et dans quel secteur les luttes risquent-t-elles d’exploser? Voilà des questions centrales pour les marxistes révolutionnaires.

Le rôle des marxistes: la double tâche

Le concept de la «double tâche» a été développé au milieu des années 1990 par la section britannique du Comité pour une international ouvrière (CIO), durant la période de recul idéologique et d’affaiblissement des organisations ouvrières. Cette situation faisait suite à l’effondrement du stalinisme ainsi qu’à l’abandon par la social-démocratie de la défense des intérêts des travailleuses et des travailleurs. Les organisations ouvrières devaient dès lors être reconstruites. La double tâche postule que le travail des révolutionnaires n’est pas simplement de construire leur propre organisation, mais aussi d’aider l’ensemble de la classe ouvrière à reconstruire sa propre force politique et économique.

La double tâche correspond aux deux formes de conscience politique:

  • Élever la conscience de classe chez la classe ouvrière, en particulier à travers l’intervention dans ses luttes et ses organisations (la conscience économique);
  • Construire un noyau solide de cadres marxistes, c’est-à-dire l’ISA (la conscience révolutionnaire).

L’expérience de la lutte de masse est cruciale pour développer une conscience économique, c’est-à-dire une conscience du rôle économique joué par la classe ouvrière dans l’économie capitaliste. Quant à lui, l’apport d’un parti révolutionnaire dans les luttes est irremplaçable pour développer la conscience révolutionnaire, c’est-à-dire la conscience du rôle politique joué par la classe ouvrière dans le système capitaliste.

La dynamique de la double tâche peut être représentée par trois rouages de tailles différentes. Le parti révolutionnaire est un petit rouage qui fait tourner le moyen rouage des couches de travailleuses, de travailleurs et de jeunes qui luttent activement. À son tour, ce moyen rouage a pour rôle de faire tourner le plus grand des trois rouages, celui de la classe ouvrière et des masses opprimées, en les précipitant dans l’action. Les bolcheviks disposaient des soviets comme moyen rouage. Les révolutionnaires marxistes, pendant la seconde moitié du 20e siècle, disposaient du moyen rouage des partis ouvriers réformistes de masse et des syndicats profondément enracinés dans la classe ouvrière.

Pour les membres d’AS, les deux dimensions de la double tâche ne sont pas séparées ou exclusives. Elles doivent se compléter et se renforcer mutuellement. Par exemple, se former chez AS permet d’intervenir adéquatement pour politiser une lutte, ce qui permet de renforcer son organisation. Inversement, une intervention idéale dans une organisation ou une lutte large permet de recruter dans AS les personnes qui ont atteint une conscience révolutionnaire, y ajoutant ainsi de nouvelles connaissances et expériences. Une mauvaise application de la double tâche peut mener à un débalancement de notre travail. Ce type d’erreur arrive lorsque nos perspectives sont incorrectes, que l’on surestime la portée d’une lutte ou, à l’inverse, ses limitations.

Toutefois, la double tâche n’est pas symétrique. Dans un contexte où le recrutement est difficile et nécessite une attention constante, la construction de notre organisation révolutionnaire prime sur la construction des luttes et des organisations ouvrières larges. L’élément subjectif le plus important pour guider la classe ouvrière vers sa libération est l’organisation de son avant-garde dans un parti révolutionnaire. L’atteinte d’une conscience de classe économique massive n’est pas suffisante pour entraîner spontanément la création d’une organisation révolutionnaire centralisée et démocratique. Seules des organisations marxistes comme l’ISA et AS peuvent apporter cette contribution à la lutte des classes.

 


1. Karl Marx et Friedrich Engels, Le syndicalisme, tome 1, Maspero, Paris, 1972, p.31
2. Résolution de l’Association internationale des travailleurs sur les syndicats, 1866, dans Karl Marx, Le syndicalisme, tome 1, Maspero, Paris, 1972, p.69-70
3. Karl Marx et Friedrich Engels, Le manifeste du Parti communiste, dans Oeuvres choisies, Éditions du Progrès, Moscou, 1978, p.42
4. Statuts provisoires de l’Association internationale des travailleurs, dans Karl Marx, Le parti de classe, Tome II Activités, organisation, Maspero, Paris, 1973, p.93
5. Karl Marx et Friedrich Engels, Le manifeste du Parti communiste, dans Oeuvres choisies, Éditions du Progrès, Moscou, 1978, p.41
6. Lénine, Que faire?, dans Oeuvres complètes Tome 5, Éditions du Progrès, Moscou, 1976, p.421
7. Lénine, Que faire?, dans Oeuvres complètes Tome 5, Éditions du Progrès, Moscou, 1976, p.425
8. Antonio Gramsci, écrit de 1925, cité par G. Bonomi dans Partito e rivoluzione en Gramsci, p.142
9. Grèves dont l’objet n’est pas d’établir un rapport de force face à un employeur concernant des revendications professionnelles, mais bien d’affirmer une position politique.
10. Léon Trotsky, Programme de transition. L’agonie du capitalisme et les tâches de la IVe Internationale, M Éditeur, Saint-Joseph-du-Lac, 2016, p.55-56
11. Léon Trotsky, 1972, Défense du marxisme. U.R.S.S., marxisme et bureaucratie, Paris, EDI, p.92-93
12. Le «syndicalisme de boutique» est ultimement contrôlé par les patrons. Il vise à empêcher la pénétration de syndicats militants et démocratiques. Ces syndicats n’emploient aucun moyen de pression et leurs membres n’ont pas de contrôle sur leur syndicat. Le syndicalisme d’affaires (voir plus haut) prône la bonne entente entre le Capital et le Travail grâce à la signature de conventions corporatistes. En dernier recours, ces syndicats peuvent faire la grève, mais manquent de démocratie interne. Le «syndicalisme de combat» s’oppose au capitalisme. Ces syndicats cherchent à obtenir les meilleures conditions de travail possible en ayant recours à tous les moyens de pression nécessaires. Ils sont contrôlés par leur base et travaillent à mettre sur pied un parti ouvrier.
13. Louis Gill, Autopsie d’un mythe. Réflexions sur la pensée politique de Jean-Marc Piotte, M Éditeur, 2015, p.40
14. Louis Gill, Autopsie d’un mythe. Réflexions sur la pensée politique de Jean-Marc Piotte, M Éditeur, 2015, p.42-43
15. Le travail informel est réalisé sans que l’activité fasse l’objet d’un regard ou d’une régulation de l’État.

Grévistes devant McGill lors de la grève des auxiliaires d'enseignement en mars 2024

Bras de fer entre les syndicats et McGill

Cette année sera un moment charnière à l’Université McGill, en proie à des mouvements de syndicalisation et de protestation sans précédent.

Est-ce que tous les profs pourront se syndiquer et arracher des pouvoirs des mains d’une administration centralisatrice? Est-ce que le nouvel élan de syndicalisation pourra empêcher l’Université de couper dans son budget en enseignement? Est-ce qu’une solidarité plus grande pourra forcer le gouvernement provincial à financer l’éducation en fonction des besoins réels? Revenons un peu en arrière pour comprendre la situation actuelle.

La centralisation bureaucratique du pouvoir à McGill

Depuis les années 1990, l’administration de l’Université McGill centralise les pouvoirs. Autrefois, les départements et facultés avaient une grande autonomie pour gérer leurs horaires de cours, facilitant la conciliation travail-famille. Les recueils de textes des cours étaient aussi gérés de façon décentralisée. Cela permettait une meilleure adaptabilité aux besoins des différentes facultés. Les processus d’organisation et de remboursement de voyages d’affaires étaient plus simples et plus rapides.

Aujourd’hui, l’administration centrale a pris le contrôle de nombreuses tâches administratives, avec des résultats souvent jugés inefficaces par les employé-es. Cette centralisation a contribué à la bureaucratisation de McGill, où l’administration prend de plus en plus de distance par rapport aux employé-es, modifiant ainsi la relation de travail entre les profs et l’employeur.

Une gestion autoritaire de la pandémie

La gestion de la pandémie de COVID-19 a augmenté les tensions entre les profs et l’administration. En août 2020, l’Université a forcé le retour en classe de profs ayant des proches vulnérables, sans tenir compte de leur situation particulière. L’administration a rejeté les propositions de plusieurs départements, comme ceux d’immunologie et de droit, voulant garantir un retour en classe plus sécuritaire en exigeant, par exemple, la vaccination ou des tests réguliers.

Plus récemment, cette rigidité administrative s’est manifestée lors du mouvement étudiant pro-palestinien débuté en octobre 2023. Un an plus tard, McGill a engagé des processus disciplinaires contre plusieurs leaders étudiants afin d’étouffer les critiques concernant ses investissements dans des entreprises liées à l’occupation des territoires palestiniens. L’Université a aussi maintenu des dépenses faramineuses pour deux firmes de sécurité privées plutôt que d’investir dans l’enseignement et la recherche. On parle de contrats qui frisent la somme d’un demi million de dollars.

La réponse des profs: la syndicalisation! 

En 2021, les profs en droit demandent au Tribunal administratif du travail (TAT) de certifier le premier syndicat de profs à McGill, l’AMPD (Association mcgillienne de professeur.e.s de droit). L’Université conteste sa reconnaissance et refuse de négocier de bonne foi.

En avril 2024, les profs en droit initient une grève pour la reconnaissance de leur syndicat. Les profs se battent aussi contre leur appauvrissement, alors que les salaires de l’administration augmentent de façon vertigineuse, et pour une meilleure démocratie au sein de l’Université. Cette grève devait retarder la correction des examens finaux, empêchant les étudiants et les étudiantes de recevoir leurs notes. Cependant, l’administration a contourné ce levier de pression en négociant avec les associations du Barreau. Ces dernières ont accepté de faire passer les étudiants et les étudiantes au barreau, malgré des relevés de notes incomplets.

Les grévistes ont donc suspendu leur mouvement et attendu des dates de négociation prévues en août 2024, auxquelles McGill a mis fin dès que les questions du pouvoir (telle la sélection du doyen) ont été amenées à la table par l’AMPD. C’est pourquoi la grève a repris dès la fin août.

Des tactiques antisyndicales à la Walmart

L’administration a tout tenté pour empêcher et retarder sa reconnaissance du syndicat et la négociation d’une convention collective. Sa contestation devant le TAT et sa demande d’arbitrage ont eu pour but d’embourber le processus dans des procédures légales interminables et coûteuses.

McGill a d’ailleurs fait appel aux services de la firme antisyndicaliste Borden, Ladner et Gervais pour contester la certification du syndicat. Cette firme est connue pour sa victoire en Cour suprême contre les employé⋅es de Walmart ayant voulu se syndiquer. Elle finance aussi une bourse d’études pour étudiants et étudiantes de première année en droit à McGill. Cette même firme protège les intérêts d’énormes compagnies telles la Baie d’Hudson, le Chemin de fer Canadien Pacifique, Alcan, Bell Canada, General Electric et DuPont. Plusieurs sont connues pour leur exploitation éhontée de nos ressources naturelles, et des employé⋅es qui travaillent chez elles.

De plus, l’Université a envoyé des courriels anti-syndicaux illégaux à des employé⋅es. Elle a aussi joué un double jeu en tentant de convaincre l’arbitre que la session serait annulée si la grève continuait, tout en faisant croire le contraire aux étudiants et aux étudiantes.

La solidarité syndicale: un levier pour plus de pouvoir

Le syndicat des profs de droit a pu compter sur la solidarité syndicale locale, mais aussi à travers le pays. Il a reçu des dons pour financer ses activités. Les profs en droit ont réussi, grâce à leur grève victorieuse de l’automne 2024, à faire reconnaître leur syndicat par l’administration.

Entre-temps, leur lutte a inspiré les profs en éducation et en arts, qui ont formé leur propre syndicat peu de temps après celui de droit. La solidarité entre les trois syndicats a mené McGill à tous les reconnaître à l’automne 2024.

Par ailleurs, l’Université devra maintenant négocier avec une fédération de ces trois syndicats. L’objectif d’une fédération est de renforcer le rapport de force face à l’employeur en regroupant tous les profs syndiqué⋅es. Cela évite que chaque groupe de profs se retrouve isolé face à une administration de plus en plus agressive et autoritaire. C’est aussi pourquoi l’objectif à moyen terme des instigateurs du syndicat en droit est de syndiquer tous les profs et maîtres d’enseignement de l’Université McGill. D’ailleurs, les profs de l’École d’Éducation permanente de McGill ont déposé en début 2025 leur demande d’accréditation de syndicat à leur tour, et cette fois-ci McGill ne l’a pas contestée. Quelle sera la prochaine unité de l’Université à se syndiquer?

De son côté, l’APBM (Association des Professeur(e)s et Bibliothécaires de McGill) est en réflexion sur sa propre pertinence dans ce contexte de syndicalisation et de gestion bureaucratique. L’APBM n’est pas un syndicat, mais prétend représenter le corps enseignant et les bibliothécaires de façon «collégiale» face à l’administration.

La grève des auxiliaires et les coupures budgétaires

Le printemps 2024 a aussi été marqué par une grève des auxiliaires d’enseignement. Les auxiliaires ont notamment réclamé une forte augmentation salariale ainsi qu’un ratio d’heures de travail minimal par rapport au nombre d’étudiants et étudiantes. Ce ratio vise à établir un paie décente pour le travail requis par des cours à grand effectif. La première revendication a été gagnée, mais pas la seconde.

Depuis, l’administration exerce des pressions pour réduire les heures de travail dans les contrats des auxiliaires. Cela affecte la qualité de l’enseignement et annule l’effet de l’augmentation salariale. L’Université a aussi demandé à des départements comme ceux en sciences de se préparer à une réduction budgétaire en enseignement pouvant aller jusqu’à 30%. Pendant ce temps, les inscriptions ont bondi, allant de 15 à 20% dans certains cours de première année. Cela a déjà conduit à une surcharge de travail pour les profs et une réduction de la qualité de l’enseignement. Les coupures budgétaires souhaitées par l’administration ne peuvent qu’empirer la situation.

Comment gagner

Pour certaines personnes parmi les corps étudiant et professoral de McGill, il semble qu’il n’y a rien à faire contre l’administration. Mais, il n’y a pas de raison de baisser les bras maintenant. La syndicalisation est une étape clé vers l’obtention du rapport de force nécessaire pour faire respecter les droits des profs, des étudiantes, des étudiants ainsi que de toutes les personnes employées de soutien.

En contraste avec les autres campus universitaires québécois, il existe environ 15 syndicats à McGill, sans compter les associations étudiantes. La solidarité entre ces différents syndicats a déjà commencé, mais doit continuer de plus belle afin de forcer la main de l’Université.

Ultimement, c’est une solidarité plus large, avec la population et tous les autres syndicats, qui aura le pouvoir d’annuler les hausses de frais de scolarité pour les étudiants et les étudiantes anglophones hors Québec. Cette solidarité a aussi le pouvoir d’améliorer le financement de l’enseignement post-secondaire dans tout le Québec. Tout le monde est dans le même bateau: les cégeps sont aux prises avec des coupures budgétaires imposées par la CAQ et les écoles primaires et secondaires manquent cruellement de personnel enseignant et de ressources. C’est un mouvement de masse combatif qu’il faudra pour forcer le gouvernement à financer l’accès gratuit et universel à tout le système d’éducation du Québec.

Mais ne nous leurrons pas! Les gouvernements à la solde des capitalistes préfèrent couper dans les services publics, endetter la province en subventionnant des multinationales telles Northvolt ou même perdre leurs élections plutôt que de taxer les ultra riches ou nationaliser les écoles privées. C’est pourquoi Alternative socialiste se bat pour que les travailleurs et les travailleuses reprennent le contrôle de leur milieu de travail, mais aussi de leur société grâce à une organisation politique indépendante des forces de l’argent.


Alternative socialiste tient à remercier ses deux sources pour cet article: Víctor M. Muñiz-Fraticelli (professeur associé en droit et en sciences politiques à l’Université McGill, très impliqué dans le mouvement syndical de l’Université et sur l’exécutif de l’AMPD), ainsi qu’une personne membre du corps enseignant qui a souhaité conserver l’anonymat par peur de représailles.

Des militaires canadiens du groupement tactique de présence avancée renforcée de l’OTAN en Lettonie coordonnent un plan avec un chef de char polonais, le 24 août 2017, lors de l’exercice de certification au Camp Adazi, en Lettonie. Photo: Cpl Jordan Lobb

Le Canada face à l’impérialisme des États-Unis

Les récents propos de Donald Trump envisageant l’annexion du Canada ou du Groenland exposent ouvertement la volonté impérialiste des États-Unis. Il ne s’agit pas uniquement d’élargir le territoire contrôlé, mais bien de garantir l’enrichissement des multinationales occidentales des secteurs stratégiques sur notre dos et celui de l’environnement. 

La montée des tensions entre les deux blocs impérialistes mondiaux actuels (le bloc États-Unis/OTAN et celui de la Chine/Russie/Iran) entraîne une course à la «sécurisation» des frontières à l’intérieur desquelles ces blocs exercent leur influence respective. Dans le cas des États-Unis, assurer la défense militaire des territoires de l’Arctique (Canada et Groenland compris) est d’une importance stratégique capitale. Les minéraux et les sources d’hydrocarbures, en plus de l’ouverture de voies navigables en raison du réchauffement climatique, sont l’objet de sa convoitise.

Ce type de situation explique la consolidation des alliances avec les pays auxiliaires des grandes puissances impérialistes. Ces pays secondaires se rangent de plus en plus dans l’un ou l’autre camp, que ce soit sur l’enjeu des conflits militaires ou des accords commerciaux. Le déploiement des intérêts impérialistes américains a des impacts majeurs pour ses économies auxiliaires que sont celles du Québec et du Canada.

Dépenses militaires en hausse

Par exemple, les dépenses militaires sont en hausse au Canada, comme dans tous les pays de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). Le gouvernement fédéral libéral a annoncé en novembre qu’il veut accélérer l’atteinte de la cible de dépenses militaires de 2% du PIB canadien pour l’OTAN et le NORAD. Cela nécessite de tripler le budget de la défense. En outre, l’armée canadienne mène des opérations et construit depuis des années des bases militaires dans les pays comme la Lettonie, pour contrer une potentielle avancée russe en Europe de l’Est.

Alors que plus d’un million de Canadiennes et de Canadiens sont mal-logés, croulent sous les dettes et sont mal desservis par les services publics, des milliards de dollars sont sur la table pour que le Canada serve d’avant-poste militaire aux États-Unis.

Politiques protectionnistes

Sur le plan économique domestique, le Canada suit depuis cet été les politiques protectionnistes américaines concernant l’imposition de surtaxes sur les véhicules électriques chinois. Cette mesure a reçu un large soutien de l’industrie, des syndicats et des partis politiques. Les promesses d’emplois et de retombées économiques de l’industrie automobile pèsent lourd dans la balance en ces temps de stagnation économique.

Or, les «guerres commerciales» ont tendance à réduire la croissance économique de tous les côtés plutôt que de l’améliorer. Ces surtaxes nuisent également aux objectifs des «plans verts» gouvernementaux, déjà insuffisants. Il est possible que l’achat massif de véhicules électriques chinois bon marché permettrait d’aller plus vite vers «l’électrification des transports». Cependant, cet objectif reste secondaire face aux intérêts capitalistes locaux.

Il s’agit plutôt de protéger et de développer la chaîne d’approvisionnement de véhicules électriques au Canada, à laquelle les gouvernements ont promis plus de 50 milliards $ en subventions. L’imposition de surtaxes est également justifiée par la «sécurité nationale», celle de faire barrière aux logiciels espions chinois qui pourraient entrer dans les voitures nord-américaines.

Investissements historiques dans la filière batterie

Le niveau historique des derniers investissements de Québec et Ottawa dans la filière des batteries et des supraconducteurs montre l’importance stratégique de ces secteurs. Ces subventions se concentrent principalement en Ontario et au Québec. Des arrangements sont d’ailleurs faits avec les grandes compagnies pour contourner les lois environnementales et les droits des populations autochtones afin de permettre aux secteurs de l’exploitation minière, des batteries et des voitures électriques de se développer, même si la demande n’est pas là.

Les problèmes financiers de Northvolt, l’entreprise la plus subventionnée du processus, montre comment l’élite politique dépense l’argent public sans garantie de rentabilité. La construction de la méga usine de Northvolt en Montérégie a déjà été reportée d’un moins 1 an et demi avant ses problèmes financiers.

L’objectif des élites d’ici est de s’intégrer, coûte que coûte, à la filière américaine des batteries et des supraconducteurs. Mais d’un point de vue nord-américain, les projets canadiens et québécois sont un ajout à ceux des États-Unis. Pour les multinationales, il est beaucoup plus intéressant de s’installer dans la battery belt américaine, où l’argent et les ressources sont également disponibles. Le fiasco économique de Lion Électrique montre comment les joueurs québécois ne font pas le poids dans ce nouveau marché, même si les gouvernements y ont englouti plus de 200 millions $.

Le gouvernement québécois a aussi annoncé que les tarifs de l’électricité seront augmentés cette année pour les consommateurs. La raison principale est le remaniement de la capacité nationale de production d’électricité qui a été mise en place pour accueillir Northvolt.

Couper là pour investir ici

En outre, les investissements massifs dans les secteurs stratégiques s’accompagnent de nouvelles mesures d’austérité dans les services publics. Les faibles gains obtenus par les employé⋅es du secteur public en 2024 sont déjà menacés par un gel drastique des budgets et des embauches dans les systèmes d’éducation et de soins de santé.

L’impérialisme, c’est quand nos gouvernements préparent et mènent la guerre du «bloc de l’Ouest» au profit des compagnies d’armement et d’aéronautique. L’impérialisme, c’est aussi lorsqu’ils dilapident notre argent pour des multinationales incapables de répondre à nos besoins en termes de transport, d’énergie, d’éducation ou de santé.

Appui tacite des directions réformistes

Sans le dire ouvertement, les directions syndicales réformistes québécoises et celles de Québec solidaire sont en faveur de la filière batterie. Elles ne veulent pas aborder son rôle économique, en tant que secteur stratégique, dans la consolidation des blocs impérialistes et le développement des conflits militaires. Pourtant, des hélicoptères électriques et des drones à potentiel militaire commencent à être fabriqués au Québec. Des subventions massives pleuvent également sur le secteur aéronautique, ce qui accélère la militarisation de l’industrie.

Bien que tous les grands syndicats québécois ainsi que Québec solidaire aient pris position contre la guerre en Ukraine et au Moyen-Orient – dénonçant même l’aide militaire – ils n’ont fait que des gestes symboliques pour l’exprimer. Aucune action concertée n’a été entreprise pour empêcher Ottawa de verser des milliards de dollars d’argent public en aide militaire à l’Ukraine depuis 15 ans.

Rien n’a été fait pour arrêter la production des obus de General Dynamics utilisés en ce moment même par l’Ukraine et Israël. Les travailleuses et les travailleurs syndiqué⋅es de la multinationale ont négocié avec succès dans plusieurs usines du Québec cette année. Mais cela, sans que leurs syndicats ne fassent de liens entre la production des usines et les massacres qu’elle permet.

Peur de l’autre et nationalisme

La machine de guerre affecte négativement tous les aspects de notre vie: le climat, les droits des personnes migrantes, les droits des femmes, les droits du travail. Par exemple, le gouvernement du Canada et du Québec ont permis à un nombre record de personnes immigrantes de s’installer pour combler les emplois mal rémunérés dans certains secteurs jugés stratégiques.

Or, les gouvernements, les patrons et les propriétaires alimentent la peur de l’autre et le nationalisme pour légitimer les discriminations qu’ils font subir aux personnes immigrantes. D’abord qualifiées d’«anges gardiens» durant la pandémie de la COVID-19, les personnes immigrantes sont aujourd’hui pointées du doigt pour la crise du logement ou encore le déclin du français au Québec. Le fait qu’elles sont «étrangères» légitimeraient tous les abus des capitalistes à leur égard. La logique est la même lorsque les parlementaires ou les médias de masse déshumanisent les personnes que «nos» soldats tuent parmi les populations «ennemies».

L’incapacité des syndicats et des partis de gauche à répondre de manière anti-impérialiste aux questions d’immigration ou de déclin du français ouvre la voie aux discours de peur des partis xénophobes, sexistes et nationalistes.

Les conservateurs de Pierre Poilievre et les nationalistes xénophobes du Parti québécois (PQ) sont largement en tête des sondages. Ces deux partis promettent de baisser drastiquement les taux d’immigration comme solution pour améliorer les conditions de vie des gens qui sont déjà là. Le gouvernement libéral à Ottawa et celui de la CAQ à Québec n’ont pas voulu manquer l’occasion d’eux aussi agir sur un bouc-émissaire. Ils viennent de resserrer les possibilités d’immigration en octobre dernier.

Combattre l’impérialisme, organiser la classe ouvrière

L’approche des directions réformistes actuelles montrent à quel point il est inutile de prétendre agir sur les grands événements internationaux sans une orientation claire vers l’action directe généralisée contre l’impérialisme.

Les débats théoriques ou moraux sur la sortie du Canada de l’OTAN ou sur la libération de la Palestine et de l’Ukraine sont inutiles s’ils ne posent pas comme tâche immédiate la nécessité d’organiser la classe ouvrière pour sa prise du pouvoir politique. Seul le défi d’une lutte pour un Québec et un Canada socialistes est en mesure d’ébranler l’emprise de l’impérialisme américain ici et ailleurs. Cette lutte commence sur nos milieux de travail et doit s’étendre dans tous les lieux de pouvoir publics.

L’accélération des conflits interimpérialistes nous oblige à affiner et à formuler un programme concret sur la guerre et la libération nationale. Un programme en faveur des droits de tous les travailleurs et toutes les travailleuses, peu importe leur origine, langue ou leur religion. Un programme qui va au-delà du nationalisme exclusif de gauche comme de droite. Nous avons besoin d’un programme internationaliste contre le militarisme et toutes les guerres menées pour le profit d’une élite.

Piquet de grève du STTP avec des membres de Socialist Alternative

Postes Canada : Les libéraux font (encore) le sale boulot des patrons

En décembre dernier, le gouvernement libéral a mis fin à la grève de 55 000 postiers et postières en utilisant sournoisement une clause obscure, l’article 107, du Code canadien du travail. Il a utilisé la même tactique pour attaquer les travailleuses et les travailleurs des chemins de fer et des ports. 

Dans les trois cas, les patrons ont posé des exigences déraisonnables. Ils se sont attaqués aux conditions de travail et aux emplois, puis ont refusé de négocier, attendant que le gouvernement vienne à leur secours.

La direction du STTP met fin à la grève  

Le vendredi 14 décembre, le ministre fédéral du Travail, Steven MacKinnon, a demandé au Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) d’«évaluer la probabilité» d’un accord négocié cette année. Sans surprise, le Conseil a déclaré qu’un accord était peu probable et a ordonné la fin de la grève de quatre semaines des 55 000 membres du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP). Sur instruction du ministre du Travail, le contrat de travail existant a été unilatéralement prolongé jusqu’au 22 mai 2025.

Cette décision a laissé les syndiqué⋅es perplexes et furieux que le gouvernement les prive de leur droit de négocier une convention collective. La direction du syndicat, qualifiant l’action du gouvernement d’«abus de pouvoir», a néanmoins acquiescé à la décision du CCRI. Le mardi 17 décembre, la plupart des membres du STTP ont mis fin à leur grève à contrecœur et sont retourné⋅es au travail. Sur les piquets de grève et dans les sections syndicales locales à travers le pays, les travailleuses et les travailleurs voulaient poursuivre la grève. Il y a eu quelques défiances de courte durée contre l’ordre du CCRI. Sur certains piquets, la présence solidaire d’autres syndiqué⋅es et allié⋅es a brièvement retardé la reprise du travail, jusqu’à l’arrivée de la police.

La direction du syndicat a discrètement mis fin à la plus longue grève du STTP depuis le débrayage de six semaines de 1975. Cette décision est venue couronner un douloureux revers pour les postiers et postières ainsi que pour le mouvement syndical dans son ensemble. Ce revers est le résultat d’une année de négociation factice.

Des négociations vides de sens

Les négociations en vue d’une nouvelle convention collective ont été un simulacre dès le départ, plus d’un an avant le début de la grève le 15 novembre 2024. La direction du syndicat espérait pouvoir négocier librement une convention collective pour la première fois depuis 2016. Le Parlement a imposé un contrat de travail en 2018 qui a été prolongé en 2021. Malgré la flambée du coût de la vie, les postiers et postières n’ont pas reçu d’augmentation de salaire pour couvrir l’inflation. Les revendications raisonnables du syndicat comprenaient une augmentation salariale de 24% sur quatre ans (en partie pour rattraper ce qui avait été perdu au cours de la dernière décennie) et la prise en charge du travail de fin de semaine par du personnel à temps plein.

La réponse des patrons de Postes Canada a été une attaque en règle. Ils ont proposé une augmentation salariale insultante de 11,5%. En même temps, ils voulaient s’attaquer aux emplois et aux conditions de travail des postiers et postières, en augmentant considérablement le nombre de travailleuses et travailleurs à temps partiel et occasionnels.

Postes Canada a augmenté la charge de travail, ce qui, avec les effets du changement climatique, a entraîné une augmentation des accidents du travail. Les données du gouvernement montrent que le travail postal est l’une des quatre professions les plus dangereuses en termes de blessures invalidantes. Les travailleuses et les travailleurs occasionnels et à temps partiel n’auront pas la même formation ni les mêmes droits pour les protéger contre les blessures.

Le gouvernement a nommé un médiateur, qui a rencontré les deux parties pendant plusieurs jours en novembre. Toutefois, il a déclaré, le 27 novembre, que la médiation n’aboutirait pas, car «les parties restent trop éloignées l’une de l’autre sur des questions essentielles».

Le 9 décembre, le syndicat a rencontré Postes Canada et lui a présenté de nouvelles propositions plus modestes. À la suite de cette rencontre, la présidente du syndicat, Jan Simpson, a publié une déclaration dans laquelle elle affirme que nous avons «attendu beaucoup trop longtemps que Postes Canada négocie de bonne foi. Pour réaliser de véritables progrès, il faut un engagement significatif, et non des propositions superficielles ou de nouvelles demandes qui font dérailler les progrès». Le syndicat a réduit sa revendication salariale à 19% et a assoupli ses positions sur le travail à temps partiel et les congés. Postes Canada n’a pas fait un pas vers le syndicat et a même menacé d’aggraver sa propre offre. Les patrons attendaient l’intervention du gouvernement.

Abus de l’article 107  

Les libéraux ont trouvé dans l’article 107 une nouvelle arme pour attaquer les syndicats et le droit de grève. L’article stipule ce qui suit:

Le ministre peut prendre les mesures qu’il estime de nature à favoriser la bonne entente dans le monde du travail et à susciter des conditions favorables au règlement des désaccords ou différends qui y surgissent; à ces fins il peut déférer au Conseil toute question ou lui ordonner de prendre les mesures qu’il juge nécessaires.

Jusqu’à cette année, personne, y compris le dernier gouvernement conservateur, n’avait compris que cette clause donne au ministre le pouvoir d’interférer dans les négociations collectives. Lisa Raitt, ministre du Travail sous Stephen Harper, a déclaré :«Si vous trouvez un avocat qui vous dit qu’il est possible [pour le ministre d’ordonner aux parties de recourir à l’arbitrage], j’aurais aimé avoir son avis il y a 15 ans. Mais en ce qui me concerne, ce n’est pas possible de le faire».

Par le passé, les gouvernements ont eu recours à des lois de retour au travail pour mettre fin à des grèves. Les libéraux l’ont fait contre les travailleuses et les travailleurs des postes en 2018 et les conservateurs l’ont fait en 2011. Cependant, la Cour suprême du Canada a statué en 2015 que le droit de grève est une «composante indispensable» de la négociation collective et qu’il est protégé par la Charte canadienne des droits et libertés.

Les libéraux n’ont pas voulu présenter de projet de loi, car cela montrerait clairement l’hypocrisie de leur prétention à être favorables aux travailleuses et travailleurs. Et un tel projet de loi aurait très probablement été rejeté. Le NPD aurait voté contre. Pierre Poilievre prétend être favorable à la classe ouvrière, de sorte que les conservateurs auraient probablement voté contre une telle législation. Et cela, même si Poilievre a fait partie du gouvernement Harper et a soutenu pleinement les lois spéciales de retour au travail.

En plus des travailleuses et des travailleurs postaux, les libéraux ont utilisé l’article 107 contre les employé⋅es des ports, des chemins de fer et des compagnies aériennes en 2024. Fin juin, le ministre du Travail a ordonné au CCRI d’imposer un arbitrage contraignant aux mécaniciennes et mécaniciens de WestJet. Toutefois, le gouvernement n’a pas précisé qu’il ne devait pas y avoir de grève. Les membres de l’Aircraft Mechanics Fraternal Association ont débrayé, ce qui a obligé WestJet à accepter très rapidement une hausse salariale substantielle.

En août 2024, les libéraux ont sauvé leurs ami⋅es des conseils d’administration des compagnies ferroviaires CN et CP, qui ont mis en lock-out les membres de la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada. Les libéraux, ayant appris une leçon, ont ordonné que le lock-out prenne fin et que les travailleuses et travailleurs reprennent le travail. Ils sont maintenant coincés en arbitrage jusqu’en mars 2025.

En novembre, les lock-out des dockers de Montréal (section locale 375 du SCFP), de Québec (section locale 2614 du SCFP) et de la côte de la Colombie-Britannique (section locale 514 de l’ILWU) ont été bloqués par une directive du ministre du Travail. Cette fois, le gouvernement fédéral n’a pas ordonné d’arbitrage ni simplement ordonné aux travailleuses et travailleurs de reprendre le travail. Il a nommé une commission d’enquête industrielle chargée d’examiner les «problèmes structurels qui empêchent le règlement du conflit de travail actuel». Il lui a ordonné de présenter un rapport exposant ses conclusions et recommandations avant le 15 mai 2025 (une semaine avant l’expiration des conventions collectives en vigueur).

Entre-temps, le STTP poursuit ses négociations avec Postes Canada. Le syndicat avertit que «cela rendra les négociations encore plus conflictuelles». Il ajoute «qu’une fois de plus, les droits à la négociation collective des travailleurs postaux, protégés par la Charte […] ont été bafoués». Les négociations sur des changements structurels devraient faire partie du processus de négociation collective, et non être du ressort d’une enquête indépendante. Qualifiant cette affaire de «nouvel abus de pouvoir du gouvernement», le syndicat s’est engagé à «rester fort et à continuer à se battre».

La direction du STTP 

Avant même le début de la grève, il était clair que les patrons de Postes Canada n’avaient pas l’intention d’améliorer les salaires et les conditions de travail des employé⋅es. Ils étaient plutôt déterminés à assurer une main-d’œuvre «flexible», en apportant des changements structurels qui attaquent les travailleuses et les travailleurs. Dès le début de la grève, on s’attendait à ce que le gouvernement ait recours à l’article 107, considérant les précédents.

Postes Canada a elle-même utilisé des tactiques déloyales. Outre l’absence de négociations sérieuses, la société a signifié des avis de licenciement temporaire à environ 328 travailleuses et travailleurs, dont certains le premier jour de la grève. Le STTP a réussi à contester et à annuler ces licenciements le 11 décembre. Cependant, la société a également refusé aux membres des indemnités d’invalidité à court terme du 15 novembre au 17 décembre. Cette décision a été validé par le Conseil du travail.

Les patrons de Postes Canada espéraient des faveurs aussi rapides que celles accordées aux patrons des chemins de fer et des ports. Toutefois, le président de Postes Canada, Doug Ettinger (salaire annuel: plus de 500 000$) ainsi que les travailleuses et les travailleurs des postes, ont été surpris qu’il ait fallu autant de temps à MacKinnon pour agir, compte tenu des cas précédents.

Malgré tout, la direction du STTP n’avait aucun plan pour intensifier la grève ou pour réagir si on lui ordonnait de retourner au travail (avec ou sans arbitrage). Les grévistes sur le piquet se sont félicité⋅es du fait qu’il s’agissait d’une grève qui a interrompu la distribution du courrier, contrairement aux grèves tournantes et partielles de 2018 et 2011 qui «n’ont ralenti les livraisons que pendant une journée». Les facteurs et factrices ont fait des exceptions en distribuant les chèques de pension et d’aide sociale. Aucune journée nationale de protestation n’a été organisée pour permettre aux membres d’autres syndicats et au grand public de se joindre aux postiers et postières pour exprimer leur soutien autrement qu’en livrant des beignets ou en klaxonnant sur un piquet de grève.

Les grévistes, qui ont passé des semaines sur le piquet de grève sans que rien ne change, ont été exaspéré⋅es par le manque de communication de la part du centre national et même de certaines sections locales. Bien que des bulletins réguliers ont été envoyés aux membres pour les informer de l’avancement des négociations et que les sections locales ont voté sur des revendications modifiées, certains membres souhaitaient davantage de communication. Des membres bien informé⋅es et impliqué⋅es constituent le fondement d’un syndicat fort. Avec une stratégie claire et déterminée, c’est la meilleure garantie d’une lutte fructueuse.

Comme d’innombrables syndicats (y compris ceux des chemins de fer et des ports), le STTP affirme que l’ordonnance de retour au travail du CCRI est inconstitutionnelle. Cet ordre doit être combattu. Mais les cours et les tribunaux sont essentiellement le pire moyen de contester le pouvoir de l’État capitaliste. Le STTP a bien obtenu la reconnaissance de l’inconstitutionnalité de la loi qui lui a imposé un contrat de travail en 2011… mais la décision a été rendue en 2016. L’État et les employeurs qu’il sert seront toujours prêts à faire traîner les choses dans le système juridique, même (ou surtout) s’ils savent qu’ils sont complètement du mauvais côté de la loi. Les syndicats acceptent de se battre sur ce terrain. Pourtant, l’énergie et les idées des membres y sont complètement neutralisées, ce qui expose les syndicats à des risques considérables.

Le NPD et son chef, Jagmeet Singh, ont proclamé haut et fort qu’ils ne voteraient jamais pour forcer les travailleuses et les travailleurs à reprendre le travail. Mais ils savaient pertinemment que les libéraux emprunteraient cette voie. Lorsque les libéraux l’ont fait, Singh n’a offert ni leadership ni résistance au CCRI, acceptant implicitement le mensonge de son «indépendance» et en continuant à démontrer son impuissance.

Le gouvernement libéral est sur la corde raide, il est à l’agonie. Si les dirigeantes et les dirigeants du STTP avaient refusé de reprendre le travail, les membres auraient suivi. La grève de 1965, qui a permis d’obtenir le droit de se syndiquer, était illégale. Un appel aux travailleuses et aux travailleurs des chemins de fer et des ports – également attaqué⋅es par l’utilisation de l’article 107 par les libéraux – aurait pu susciter une réaction qui aurait forcé l’employeur et le gouvernement à reculer.

Les travailleuses et les travailleurs des postes, qui sont mécontents de l’issue de la grève, discuteront et tireront des leçons de ce qui s’est passé. Les membres travailleront à la construction d’un syndicat plus fort et à la mise sur pied d’une direction plus déterminée qui dispose d’une stratégie pour gagner les grèves. Le STTP est fier de sa tradition de lutte pour toutes les travailleuses et les travailleurs, comme l’obtention du congé parental en 1981. Cette tradition devra être renforcée pour résister aux attaques des patrons de Postes Canada ainsi que des parlementaires libéraux et conservateurs.

Les Canadiens et Canadiennes ont besoin de la poste

Postes Canada n’a cessé de crier à la pauvreté et à l’obsolescence de son modèle d’entreprise. Mais seule sa direction en est responsable, pas ses employé⋅es. L’une des astuces de relations publiques qu’elle a tentées a été de prétendre que les investissements majeurs, tels que les 400 millions $ consacrés à la construction d’une nouvelle installation gigantesque à Scarborough, n’étaient que de simples pertes. De nombreux commentateurs capitalistes ont décrit le système postal comme une «entreprise mourante». Mais une entreprise moribonde ne fait pas d’investissements aussi importants pour l’avenir.

Des groupes d’entreprises tels que la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante ont également pris fait et cause pour la direction, affirmant que la grève avait coûté plus d’un milliard de dollars aux petites entreprises et implorant le gouvernement de faire ce qu’il a finalement fait. Ils n’ont jamais critiqué les patrons.

La grève a montré très clairement que Postes Canada est un service vital pour les Canadiens et Canadiennes. Les petites communautés et les communautés rurales, ainsi que 79% des petites entreprises, dépendent de Postes Canada. Nombre d’entre elles ont été horrifiées par les coûts lorsqu’elles ont découvert les prix pratiqués par les entreprises de livraison du secteur privé telles que FedEx et UPS. Une femme de l’Ontario rural a appris que l’envoi d’une carte de Noël à son fils de Vancouver par l’intermédiaire de ces services coûterait entre 57$ et 62$ (alors qu’une carte livrée par Postes Canada ne coûterait que 1,40$). Les Canadiens et Canadiennes ont besoin d’un service postal national universel. Seul un service public peut l’assurer. Une poste privatisée ne s’intéresserait qu’aux profits, en choisissant certaines régions pour livrer et en laissant les autres en souffrir.

Les patrons de Postes Canada veulent réduire les livraisons et embaucher davantage de travailleuses et de travailleurs à temps partiel et à bas salaire. Ils cherchent à privatiser le service. En revanche, le STTP a un programme, Delivering Community Power [mal traduit par Vers des collectivités durables]. Il vise à renforcer et à développer Postes Canada, y compris les services bancaires postaux. Le STTP aurait dû mettre ce programme beaucoup plus en évidence pendant la grève. Il devrait encore le faire aujourd’hui. Postes Canada possède le plus grand réseau de bureaux et d’installations à travers le pays, y compris dans les régions rurales et nordiques. Grâce à ce réseau, l’entreprise pourrait fournir un large éventail de services communautaires. Cependant, les conservateurs et les libéraux sont tous deux des partis au service de Bay Street. Il faudra donc une campagne populaire de masse pour obtenir les services bancaires postaux. Cela constituerait une alternative abordable et accessible aux grandes banques, menaçant ainsi leurs énormes profits.

L’expansion et l’amélioration de Postes Canada, en tant que service public véritablement démocratique et attentif aux besoins et aux contributions du public, font parties de la vision des socialistes pour une société qui fonctionne pour l’ensemble de la classe ouvrière.

Alternative socialiste soutient pleinement les travailleurs et les travailleuses des postes dans leur lutte pour un syndicat fort, de bons salaires, de bonnes conditions de travail et pour réaliser leur vision de Postes Canada.

Autocollant I AM LUIGI

Pas de pitié pour le PDG assassiné, mais ça ne nous sauvera pas

Pas de pitié pour le PDG assassiné, mais les assassinats ne nous sauveront pas. Il faut mettre fin au système de soins de santé à but lucratif.

Le 4 décembre au petit matin, dans le centre-ville de Manhattan, un homme armé et masqué a abattu Brian Thompson, 50 ans. Brian Thompson était le PDG d’UnitedHealthCare, la plus grande compagnie d’assurance maladie privée des États-Unis. Son meurtrier l’attendait alors qu’il quittait son hôtel pour une réunion d’actionnaires. Cinq jours plus tard, le 9 décembre, après une vaste chasse à l’homme, le meurtrier présumé a été capturé et identifié comme étant Luigi Mangione, 26 ans.

L’industrie de l’assurance maladie est une industrie parasitaire. Son seul but est de faire gagner des milliards de dollars aux riches en obligeant les travailleuses et les travailleurs à payer des sommes énormes pour des assurances qui refusent ensuite de couvrir une grande partie des soins médicaux réels. Les bénéfices annuels d’UnitedHealthCare (UHC) ont grimpé de près de 400% parce que l’entreprise rejetterait désormais près d’une demande médicale sur trois.

Thompson, en tant que PDG d’UHC, était un meurtrier de masse. Il a personnellement profité de la mort et de la souffrance de malades, de personnes mourantes ainsi que de la dette écrasante infligée à ces personnes et à leurs familles. Mais comme le capitalisme valorise le profit par-dessus tout, Thompson n’était qu’un monstre dans une maison pleine d’horreurs. Une autre sale gueule sans âme l’a déjà remplacé pour «perpétuer son héritage» en tant que nouveau PDG d’UHC.

Des millions de personnes se sentent désespérées de ne voir aucun moyen clair pour mettre fin aux souffrances que nous infligent les riches et les puissants. L’effusion de soutien à Mangione sur les réseaux sociaux montre que des millions d’entre nous rêvent d’un monde sans PDG. Mais nous ne pouvons pas faire de ce monde une réalité par des actes de violence individuels. Nous avons besoin d’une révolution de la classe ouvrière pour mettre fin aux soins de santé à but lucratif et construire une société qui ne fonctionne pas sur la base du profit, un point c’est tout. Destituer un PDG ne mettra pas fin à nos souffrances. Nous devons abattre tout son système.

Les soins de santé à but lucratif fonctionnent grâce au meurtre

Il n’est pas surprenant qu’UHC ait été pris pour cible. L’ensemble du secteur de l’assurance maladie est pourri et l’UHC est le pire des pires. La compagnie a un long historique de refus de soins médicaux nécessaires. Elle est évaluée à 561 milliards de dollars et a réalisé un bénéfice de 22 milliards de dollars en 2023. Brian Thompson a touché une indemnité de 10 millions de dollars cette année-là et a été poursuivi pour délit d’initié. Pendant que Thompson dirigeait UHC, la valorisation a presque doublé. La compagnie est une pionnière dans les nouvelles façons de refuser des demandes d’indemnisation grâce à l’intelligence artificielle. Elle est aussi passée maître dans l’art de faire perdre leur temps aux bénéficiaires et au corps professionnel de la santé en plus de détruire des vies pour le profit.

Cet événement a donné lieu à un flot incessant d’histoires d’horreur concernant l’assurance maladie de patientes, de patients et de médecins. Une femme de 20 ans est morte d’une infection des sinus après que sa demande d’assurance maladie a été perdue dans les formalités administratives. Cela a retardé son traitement jusqu’à ce qu’elle se rende aux urgences. Une patiente paralysée victime d’un AVC a vu sa rééducation interrompue après seulement 20 jours. Une amie de l’auteur s’est retrouvée avec une facture de 11 207,95$ pour un vaccin contre la rage après que son assurance ait soudainement été interrompue après qu’elle ait quitté son programme universitaire. C’est dans ce contexte que l’annonce officielle de la mort de Thompson par UHC sur Facebook a suscité plus de 90 000 réactions de rire et bien moins de réactions de toute autre nature.

L’industrie de l’assurance maladie fonctionne sur ce que Friedrich Engels appelait le «meurtre social». Le meurtre de millions de personnes non pas par la violence pure et simple, mais par le résultat de politiques capitalistes, en l’occurrence le déni, pour des raisons de profits, des soins de santé dont les gens ont besoin. Tous les profits de l’assurance maladie proviennent du fait que les primes sont plus élevées que ce qui est remboursé pour les soins de santé. Le but de toute assurance est simplement de répartir des coûts imprévisibles sur une population. Tous les profits collectés proviennent des prestations parasitaires payées par les personnes assurées.

Notre société capitaliste est bâtie autour de la maximisation du profit. Ainsi, chaque décision en matière de santé dans ce pays est d’abord prise par un médecin, puis remise en question par une compagnie d’assurance bureaucratique et avide de profit, sans expertise médicale ni connaissance du patient, dont l’incitation directe est de refuser autant de soins que possible. Chaque minute passée sur ces «débats» par les prestataires de soins, les travailleuses et les travailleurs du secteur des assurances ou les patientes et patients frustrés est un gaspillage contre-productif. L’industrie de l’assurance maladie dans son ensemble ne devrait pas exister. Tous ceux et celles qui y travaillent devraient être réemployé·es dans un emploi socialement utile, comme celui de fournir des soins de santé. Un programme gouvernemental à but non lucratif devrait assurer tout le monde avec un minimum de complexité et à faible coût.

Faire tomber tout le système

Ce statu quo est défendu par le Parti démocrate et le Parti républicain. Barack En 2008, Obama a fait campagne pour la présidence sur la question de l’assurance maladie publique. Après sa victoire, les démocrates ont contrôlé les deux chambres du Congrès pendant les deux premières années de son mandat. Mais Obama a refusé de mettre en œuvre le système de santé à payeur unique qu’il avait promis. Cela aurait décimé l’industrie de l’assurance qui finance les campagnes politiques des deux côtés de l’échiquier politique. Ce qui a été adopté à la place, c’est une maigre réforme connue sous le nom d’Obamacare. Lorsque Trump a ensuite menacé d’abroger l’Obamacare, les travailleuses et les travailleurs ont envahi les assemblées publiques à travers le pays pour exiger que la loi soit maintenue. Aucun des deux partis ne sera jamais prêt à s’attaquer aux profits des grandes compagnies d’assurance.

En raison de ce cercle vicieux de corruption et d’escroquerie, les États-Unis dépensent bien plus que n’importe quel autre pays pour les soins de santé, tout en obtenant des résultats bien pires que ceux des autres pays riches. En étouffant toute véritable alternative de gauche et en prétendant que tout va bien, les deux partis politiques de l’establishment sont tout aussi responsables de cette situation que les compagnies d’assurance maladie pour lesquelles ils travaillent.

Cet assassinat reflète la colère justifiée de millions de travailleuses et de travailleurs. Mais il reflète aussi la désorganisation généralisée et le pessimisme quant à la capacité des mouvements de masse à obtenir des changements. Les assassinats ne peuvent pas résoudre nos problèmes. Ils donnent à l’État capitaliste la justification d’accroître la surveillance et la répression. Le capitalisme peut toujours remplacer ses serviteurs. La violence politique individuelle encourage davantage les gens à attendre que quelqu’un d’autre vienne les sauver qu’elle ne les encourage à jouer un rôle actif dans la lutte collective.

Lorsque Bernie Sanders était candidat à la présidence, il a appelé à une assurance maladie universelle sous la bannière du Medicare For All. Cela a mobilisé des millions de personnes pour faire campagne en sa faveur. Cela a montré combien de personnes passeraient à l’action si elles voyaient une alternative politique viable. Malheureusement, il a refusé de rompre avec le Parti démocrate qui l’a immédiatement poignardé dans le dos au service de ses donateurs, comme ceux de l’industrie de l’assurance maladie. Et cela, même si la mise au rencard de Sanders a entraîné la défaite du Parti démocrate face à Donald Trump en 2016. En l’absence d’une campagne de masse pour une assurance maladie universelle, il n’est pas surprenant que certaines personnes se tournent vers des solutions désespérées comme la violence individuelle.

Nous avons besoin d’actions de masse et d’organisation collective, mais sur une base beaucoup plus radicale que les campagnes du Parti démocrate de Bernie Sanders. Pour arrêter tous les PDG avides, nous devons mettre fin au capitalisme. Dès maintenant, nous avons besoin d’un parti audacieux de la classe ouvrière, indépendant et opposé à tous les partis capitalistes. Un parti qui utilise les grèves et les actions de masse pour remporter des victoires comme la couverture universelle gratuite des soins de santé. Ce sont ces méthodes qui ont éradiqué les industries parasitaires et même renversé des empires corrompus dans le passé.

Un tel parti pourrait recruter des milliers voire des millions de jeunes en colère et les gagner à une approche plus efficace et moins autodestructrice que les assassinats. Nous nous devons à nous-mêmes et à nos collègues de construire un mouvement socialiste digne du désir ardent de changement ressenti par les jeunes et la classe ouvrière à travers l’Amérique.

Donald Trump et Robert Kiyosaki

L’économie selon Trump

De gros profits pour les milliardaires, des promesses en l’air pour les travailleurs.

À première vue, les résultats de l’élection présidentielle 2024 correspondent à l’image de Trump, celle d’un populisme économique et d’une politique anti-establishment. Selon les sondages aux sorties des urnes, Trump a rencontré l’opposition de la plupart des personnes issues des familles à revenus élevés ainsi que l’opposition généralisée des PDG des cent plus grandes entreprises. Il a remporté l’élection en partie grâce à une augmentation du soutien des électrices et électeurs à faibles revenus.

Mais un examen plus approfondi révèle une situation plus complexe. Comparé à Kamala Harris, un pourcentage beaucoup plus élevé du financement de la campagne de Trump provenait de milliardaires. Trump a donc reçu le soutien d’un échantillon représentatif de différents groupes de revenus. Qui bénéficie réellement de son retour au pouvoir?

Trump n’a rien à offrir aux travailleuses et aux travailleurs

Trump, qui semble avoir gagné en grande partie grâce à la colère suscitée par l’économie, a déclaré qu’il offrirait «les meilleurs emplois, les plus gros salaires et l’avenir économique le plus brillant que ce pays ait jamais connu». Mais il est peu probable que ses politiques bénéficient réellement à la classe ouvrière.

Prenons l’exemple des tarifs douaniers prévus par Trump, qui, selon lui, favoriserait le transfert d’emplois vers les États-Unis. En réalité, lorsqu’un pays impose des tarifs douaniers, les pays concernés ripostent généralement en imposant leurs propres tarifs. Le gouvernement mexicain et d’autres ont déjà déclaré qu’ils le feraient si Trump mettait ses menaces de tarifs à exécution. Les «guerres commerciales» de ce type ont tendance à réduire la croissance économique de tous les côtés.

Ensuite, considérons le plan de Trump concernant les expulsions massives. En plus de bouleverser des millions de vies, ces expulsions – si elles sont mises à exécution – auront des répercussions importantes sur l’ensemble de l’économie. Des entreprises fermeront parce que leurs employé·es ou leur clientèle ne seront plus là. Le résultat probable serait une perte nette d’emplois pour les citoyennes et citoyens des États-Unis.

Que dire des baisses d’impôts sur les sociétés qui, selon Trump, contribueront à stimuler l’économie? Ces baisses d’impôts devraient certes stimuler les bénéfices des entreprises, mais celles-ci semblent déjà avoir plus de profits qu’elles ne savent en faire. Les profits exceptionnels – issus des baisses d’impôts sur les sociétés décidées par Trump en 2017 – ont été en grande partie octroyés aux actionnaires au lieu d’être investis dans une production nouvelle. Comme l’a démontré une récente analyse des études existantes sur la question, il n’y a aucune raison de croire que les baisses d’impôts sur les sociétés stimulent la croissance économique.

De même, Trump a affirmé qu’il économiserait de l’argent sur les coûts de santé en interdisant la couverture des soins d’affirmation de genre. Mais cette position se fonde sur de fausses affirmations qui exagèrent largement les coûts réels de tels soins. En réalité, les dépenses de santé ont rapidement augmenté aux États-Unis parce que nous avons un système parasitaire à but lucratif qui existe pour soutirer le plus d’argent possible aux patientes et aux patients.

Compte tenu de l’état de l’économie américaine au cours des quatre dernières années, il n’est pas surprenant que beaucoup de gens se souviennent du premier mandat de Trump comme d’une période relativement meilleure. Mais bien que le revenu familial moyen corrigé de l’inflation ait augmenté de 8% au cours des quatre années de la première administration Trump, cela a en fait marqué un ralentissement significatif par rapport à la hausse de 12% enregistrée au cours des quatre années précédentes.

Trump et la dictature des riches

Même si Trump n’a pas réussi à stimuler la croissance économique au cours de son premier mandat, il a poursuivi la redistribution des richesses vers le haut, déjà en cours sous les administrations démocrates et républicaines. Telle est la logique d’un système politique dans lequel les deux principaux partis sont contrôlés et financés par les ultra-riches.

En fait, les riches dominent le système politique américain de diverses manières. Par exemple, lorsque de nouvelles lois sont votées, elles sont soumises à un «examen judiciaire» par les tribunaux. Cela donne un droit de veto aux juges qui, en plus d’être très bien payé·es, sont généralement issus de familles aisées et ont adopté la vision du monde fondamentale des riches. La majorité des juges actuels de la Cour suprême sont des millionnaires, et la Cour prend souvent des décisions qui avantagent les riches au détriment des gens ordinaires. De même, la mise en œuvre effective de la loi est généralement la responsabilité de fonctionnaires non élu·es et grassement payé·es qui espèrent souvent travailler un jour pour les entreprises qu’ils et elles sont censé·es réglementer, créant ainsi une relation de «porte tournante» corrompue .

Le résultat est un système truqué en faveur des riches. Par exemple, en 1916, le Congrès a voté une loi interdisant le travail des enfants (la loi Keating-Owen). Mais la Cour suprême a tout simplement déclaré cette loi inconstitutionnelle et l’a annulée. Plus tard, dans les années 1930, sous la pression d’une vague de grèves de masse, les tribunaux ont été contraints d’accepter une nouvelle interdiction du travail des enfants. Mais aujourd’hui encore, cette interdiction reste souvent lettre morte, car le besoin des entreprises en main-d’œuvre bon marché prime sur le bien-être des enfants. En fait, les employeurs aux États-Unis peuvent violer systématiquement le droit du travail en toute impunité, tandis que les petites infractions commises par les pauvres sont sévèrement réprimées.

Dans ce système dominé par les milliardaires, des divergences politiques peuvent encore exister. Par exemple, la bataille autour du plafond de la dette en 2023 a été essentiellement une lutte entre différentes factions de donateurs ultra-riches et la Chambre de commerce des États-Unis. De même, lors des élections de 2024, les milliardaires étaient divisés dans leur soutien entre Trump et Harris. Mais il ne faut pas confondre cela avec l’idée que l’un ou l’autre groupe de milliardaires, ou leurs représentantes et représentants, se battront pour la classe ouvrière. Ce n’est pas le cas.

En bref, malgré son apparence anti-establishment, l’approche de Trump s’inscrit parfaitement dans un système politique qui a toujours fonctionné comme une dictature des riches. Les socialistes appellent au renversement de ce système. Nous luttons pour une nouvelle société dans laquelle l’économie est placée sous contrôle public et où tous les postes d’autorité publique sont élus, révocables et payés au salaire moyen des travailleuses et travailleurs.

À quoi s’attendre sous Trump 2.0

Sans surprise, Trump a choisi deux milliardaires, Howard Lutnick et Linda McMahon, pour diriger «l’équipe de transition» qui constitue sa nouvelle administration. Ces décisions en matière de recrutement devront également être approuvées par le Sénat, qui a longtemps été le club des millionnaires. Ainsi, pendant le second mandat de Trump, les riches continueront de diriger les choses.

Pour avoir une idée de ce que cela signifiera au cours des quatre prochaines années, il est utile de revenir sur la promesse de Trump de procéder à des expulsions massives. Certains des adeptes de Trump issu·es de la classe ouvrière pourraient croire que si davantage de travailleuses et de travailleurs sans papiers sont expulsé·es du pays, cela fera augmenter les salaires de tous les autres. Mais cela ne tient pas compte de la manière dont fonctionne réellement un système dirigé par des milliardaires.

Dans la pratique, les entreprises utilisent les expulsions comme une tactique pour briser les syndicats. Lorsque des immigré·es sans papiers se battent pour obtenir de meilleurs salaires ou participent à des campagnes syndicales, les patrons les repoussent souvent en les expulsant. De cette façon, la menace d’expulsion contribue à une course vers le bas qui dégrade le niveau de vie des travailleurs et travailleuses. Tant que les milliardaires dirigeront les choses, ils veilleront toujours à avoir autant de main-d’œuvre bon marché qu’ils en ont besoin. Les expulsions ne serviront qu’à diviser et à intimider davantage la classe ouvrière, tout en détruisant des vies et en déchirant des familles.

Les socialistes réclament une extension complète des droits du travail et des droits politiques à tous les travailleurs et travailleuses, quel que soit leur statut d’immigration. Nous devons combattre les tactiques de division des milliardaires et lutter pour une nouvelle société dirigée démocratiquement par la classe ouvrière. Au cours des quatre prochaines années, cette lutte devra inclure la création de comités d’action dans les écoles, les quartiers et les milieux de travail pour organiser une résistance massive contre les expulsions.

Justin Trudeau lors de l’annonce de sa démission, le lundi 6 janvier 2025 à Ottawa. Photo: Sean Kilpatrick/La Presse canadienne

La fin des libéraux approche

La démission de la ministre des Finances, Chrystia Freeland, est la dernière tuile tombée sur la tête du gouvernement Trudeau1. Le NPD a déclaré qu’il voterait une motion de censure contre le gouvernement. Les député·es libéraux débattent actuellement des conséquences de la chute du gouvernement. Ils et elles sont confrontées à une défaite humiliante lors des élections fédérales qui auront probablement lieu dans quelques mois.

Pour la classe ouvrière, malheureusement, les principaux bénéficiaires de l’effondrement du soutien libéral sont Pierre Poilievre et les conservateurs. Le NPD est accusé par beaucoup d’être responsable des politiques et des actions impopulaires des libéraux après avoir soutenu Justin Trudeau pendant deux ans et demi.

Les travailleuses et les travailleurs, les membres des syndicats, les peuples autochtones et les écologistes doivent se préparer à résister aux attaques des conservateurs. Ce type de gouvernement peut être vaincu par des mouvements de masse, et l’a déjà été.

La victoire écrasante de Trump confirme qu’un sourire, des mots gentils et des politiques modérées ne suffisent pas à faire face aux inégalités, à la baisse du niveau de vie, à la colère et à l’aliénation. Pourtant, c’est tout ce que Trudeau a à offrir aux Canadiens et Canadiennes.

Pierre Poilievre, le chef des conservateurs, sera premier ministre au cours des 12 prochains mois, peut-être avec la plus grande majorité parlementaire depuis une décennie. Seul un séisme politique pourrait arrêter cette situation. Au cours des quatre dernières années, le NPD a été le chien de poche des libéraux au lieu de fournir une forte opposition pro-travailleur.

En 2015, Justin Trudeau a été élu en surfant sur la vague du «changement», portée notamment par les jeunes. Au cours de ses neuf années au pouvoir, les loyers ont grimpé en flèche, le pipeline Trans Mountain a été renfloué et achevé au coût de 34 milliards de dollars et l’espoir que des millions de personnes avaient placé en lui, après neuf ans de Stephen Harper, s’est complètement évanoui. Plusieurs sondages d’opinion récents montrent que les jeunes sont plus nombreux à appuyer les conservateurs que les autres partis.

La déception à l’égard de Trudeau est si grande que Poilievre, l’un des ministres les plus décriés de Harper, arrive désormais dans les salles de tout le pays sous les acclamations de la foule. De son côté, le premier ministre s’enfonce dans son bourbier.

Colère face au coût de la vie

Lorsque Trudeau a été élu en 2015, le loyer mensuel moyen dans les 35 grands centres du Canada était de 966$. En 2023, il était de 2 193$. Au cours de la même période, le salaire hebdomadaire moyen est passé de 956$ à 1 270$. De toute évidence, les propriétaires s’en mettent plein les poches.

La même situation s’applique aux produits alimentaires et autres produits de première nécessité. Les prix ont augmenté bien plus vite que les revenus des travailleuses et des travailleurs. Pourtant, lorsque ces personnes se mettent en grève pour obtenir des salaires plus élevés, ce qu’elles sont de plus en plus contraintes à faire, les médias et les grandes entreprises crient au scandale.

Ce ne sont pas les travailleuses et les travailleurs qui prennent l’économie du pays «en otage», mais les super-riches et les grandes entreprises. En 2015, le magazine Forbes a estimé qu’il y avait 39 milliardaires au Canada, dont la richesse totale s’élevait à 147 milliards de dollars. En 2024, on comptait 67 milliardaires au Canada, dont la richesse totale s’élevait à 315 milliards de dollars. C’est plus du double que neuf ans plus tôt. Les bénéfices des entreprises en 2015 s’élevaient à 759 milliards de dollars. En 2023, ils atteignent 1 238 milliards de dollars. La croissance des bénéfices et de la richesse des milliardaires provient des poches des travailleuses et des travailleurs. Il n’est pas étonnant que les gens soient en colère.

Poilievre n’a pas de réponses

Poilievre est doué pour paraître en colère. Son programme électoral principal consiste à supprimer la taxe sur le carbone. Cela semble attrayant : payer moins cher pour l’essence. Cependant, cette mesure profitera principalement aux riches. La plupart des personnes à revenus moyens et faibles reçoivent plus en remboursement qu’elles ne paient en impôts. Les personnes qui consomment beaucoup de carburant (parcourant beaucoup de longues distances ou ayant des factures de chauffage élevées) pourraient également en bénéficier.

Poilievre surfe avec succès sur une vague internationale de colère contre les partis au pouvoir. En Colombie-Britannique et en Saskatchewan, les partis au pouvoir ont subi des revers majeurs et les conservateurs du Nouveau-Brunswick ont ​​été évincés du pouvoir.

Comme plusieurs populistes de droite (Trump, Marine Le Pen en France, etc.), Poilievre sait très bien se faire passer pour ce qu’il n’est pas. Bien qu’il se fasse l’écho du sentiment de millions de Canadiennes et Canadiens qui luttent pour joindre les deux bouts, bien qu’il prétend ne pas appartenir à l’élite, il mène une vie confortable de député depuis 20 ans (depuis qu’il a 25 ans). Il se dit l’ami des travailleuses et des travailleurs et un défenseur des syndicats et de leur droit de grève. Pourtant, alors qu’il était dans le gouvernement Harper, il a attaqué les droits des syndicats à de nombreuses reprises et a voté huit fois pour briser des grèves en adoptant des lois de retour au travail. Il s’est toujours opposé à l’augmentation du salaire minimum fédéral à 15$/h.

De plus, comme d’autres populistes de droite, il ne créera pas d’emplois une fois élu. Il réduira les services publics et dirigera le Canada au profit des riches et des entreprises.

Les libéraux non plus

Avec l’élection de Trump aux États-Unis, les libéraux feront campagne en essayant de dépeindre Poilievre comme le Trump du Canada. Une telle campagne échouera tout comme elle a échoué contre Trump ou John Rustad en Colombie-Britannique. Les libéraux seront jugés et condamnés sur leur bilan.

Trudeau prétend vouloir s’attaquer aux changements climatiques, mais le Canada est loin d’atteindre ses objectifs. L’exemption de la taxe sur le carbone pour le mazout de chauffage a fait capoter toute politique sérieuse. Elle représentait une tentative électoraliste flagrante de s’emparer des votes des provinces de l’Atlantique. Les exportations canadiennes de combustibles fossiles augmentent grâce à des subventions fédérales d’une valeur d’au moins 18,6 milliards de dollars en 2023. Chaque année, les Canadiennes et les Canadiens subissent davantage de catastrophes climatiques – incendies, dômes de chaleur, rivières atmosphériques, tempêtes tropicales, inondations – toutes provoquées par l’utilisation de combustibles fossiles, que ce soit au Canada ou dans le reste du monde. Bien entendu, les conservateurs ont encore moins de vision stratégique pour lutter contre les changements climatiques. Ils s’appuient notamment sur une technologie de captage du carbone qui n’a pas fait ses preuves.

Les libéraux font maintenant écho à l’affirmation des conservateurs selon laquelle la réduction de l’immigration rendra les logements plus abordables. Ce ne sera pas le cas, car les libéraux et les conservateurs laissent les entreprises privées se charger de la construction de logements. Cela ne permet pas de construire des logements abordables. Aucun parti ne mettra en œuvre ce qui est nécessaire, à savoir un plan visant à construire des centaines de milliers de logements publics et abordables partout au pays, ce que soutient Alternative Socialiste.

Malheureusement, le NPD a lié son avenir aux libéraux lorsqu’il a accepté d’appuyer le gouvernement minoritaire en 2022. Alternative Socialiste a alors lancé un avertissement : «Le NPD joue un jeu dangereux en essayant de travailler trop étroitement avec le Parti libéral». Depuis, son soutien stagne autour de 20%.

Crise de la productivité?

Au cours des dernières années, les médias canadiens spécialisés dans les affaires ont présenté un discours pessimiste au sujet de la faible croissance de la productivité du travail au Canada. La raison de cette faible croissance est le manque d’investissement des grandes entreprises, même si elles réalisent des profits records. Les profits servent à financer les rachats d’actions, les dividendes et les énormes versements aux cadres dirigeants.

En 2012, le directeur général de la Banque du Canada, Mark Carney, a critiqué les entreprises qui n’investissaient pas et se contentaient de s’asseoir sur des piles d’«argent mort». À l’époque, les sociétés non financières avaient accumulé 526 milliards de dollars.

Pour les analystes économiques, la réponse à la baisse de la productivité est de réduire l’impôt sur les sociétés. Harper a réduit l’impôt sur les sociétés de 21% à 15%, un taux déjà en baisse par rapport au 28% de l’an 2000. Résultat? L’investissement des entreprises canadiennes par travailleur a diminué de 20%! Les capitalistes investissent dans ce qui est rentable, préférant les bulles spéculatives et surtout l’immobilier.

Mais il ne fait aucun doute que les conservateurs répondront aux appels à la productivité en réduisant les impôts sur les sociétés. L’élection de Trump ajoutera à l’instabilité du Canada. Va-t-il imposer des tarifs sur toutes les exportations canadiennes vers les États-Unis? Il fera pression pour une augmentation des dépenses de défense. Tous ces facteurs accentueront les coupes dans les services publics ainsi que dans les investissements en infrastructures indispensables.

Combattre la droite

Les Canadiennes et Canadiens sont en grande majorité favorables à un impôt sur la fortune pour les super-riches (environ 80%). Ils et elles pensent que le logement est inabordable (89%), que l’accession à la propriété est impossible pour la plupart des gens (81%) et s’inquiètent du changement climatique (environ 75%). Ce ne sont pas vraiment les slogans politiques de la droite.

Au Canada et partout dans le monde, la politique se polarise de plus en plus. Le centre, qui propose des politiques modérées, s’effondre. Les gens ont désespérément besoin de changement. Pour des millions de personnes, le présent est intolérable. Les conservateurs gagnent parce qu’ils parlent de changement.

Par le passé, le NPD et les directions syndicales savaient que les riches devaient moins s’enrichir afin de permettre l’amélioration des conditions de vie des travailleuses, des travailleurs et l’offre de bons services publics. Aujourd’hui, le NPD estime qu’il y a de la place pour faire un compromis entre les intérêts des gens qui travaillent et ceux des grandes entreprises.

Nous ne pouvons pas compter sur le NPD pour arrêter Poilievre. Mais l’histoire ne se fait pas seulement lors des élections. Les changements les plus importants et les plus positifs se produisent grâce à l’organisation et à la mobilisation. Les manifestations, les rassemblements et les grèves apportent des changements. Ces méthodes d’action ont permis de gagner les droits syndicaux, le droit de vote, les pensions de retraite et la santé publique.

Ces dernières années, les grèves se sont multipliées. Les travailleuses et les travailleurs luttent contre l’inflation et l’avidité des patrons. Les membres des syndicats réclament de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail. Ils rejettent les ententes de principe médiocres et demandent aux directions syndicales de se battre pour de meilleurs accords. C’est ce pouvoir qui peut mettre un terme aux attaques inévitables de Poilievre contre les services publics, l’emploi, l’environnement et les droits de l’homme.

Les militantes et les militants syndicaux, communautaires, autochtones et environnementaux doivent s’unir et s’organiser. D’abord pour vaincre Poilievre, Trump et les autres, puis pour mettre fin au système, au capitalisme, qui engendre le désespoir et la colère dont ils se nourrissent. La lutte contre la droite doit conduire à la lutte pour le socialisme.


1. Depuis la rédaction de cet article, Justin Trudeau a annoncé le 6 janvier qu’il quitte son poste de premier ministre du Canada, mais pas avant que le Parti libéral du Canada lui ait trouvé un remplaçant.

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14e Congrès de l’ISA: Renforcer la clarté politique et l’unité d’action

Du 21 au 26 novembre, l’International Socialist Alternative (ISA) a tenu son 14e congrès mondial. Il a été organisé à Kiel, en Allemagne, site de la mutinerie de marins de 1918 ayant donné le coup d’envoi de la révolution allemande qui a mis fin à la Première Guerre mondiale. Les personnes déléguées et en visite provenant du monde entier se sont réunies pour discuter de l’analyse, du programme et de la stratégie nécessaires à la construction d’un mouvement marxiste révolutionnaire aujourd’hui.

Le congrès s’est déroulé dans un contexte de turbulences internationales pour le système capitaliste. La période précédant le congrès lui-même en a témoigné: victoire électorale décisive de Trump, effondrement du gouvernement allemand et nouvelle crise des missiles menant la guerre en Ukraine à une étape supérieure. La conférence de la COP29 en Azerbaïdjan, qui a coïncidé avec notre Congrès mondial, a également illustré la façon dont les rivalités inter-impérialistes et l’instabilité économique et politique prédominent pendant que notre planète brûle.

Cette agitation mondiale a entraîné un certain nombre de défis, de débats et de crises au sein de la gauche, y compris au sein de notre propre organisation. Tirer les leçons de ces débats et renforcer notre travail grâce à ces enseignements a été un élément clé de ce congrès.

Conflit inter-impérialiste

Développer l’analyse de l’ISA du monde dans lequel nous vivons a été un point clé de notre travail depuis le début de la nouvelle période. Ce n’est que sur la base d’une compréhension claire du monde que nous pouvons tracer une voie tout aussi claire pour la lutte de la classe ouvrière. Nos perspectives influencent nos tactiques, nos priorités et le programme que nous mettons en avant dans une période donnée.

Au cours des dernières années, l’ISA a élaboré en détail la dynamique du conflit inter-impérialiste croissant entre d’une part, l’impérialisme chinois et ses alliés, et, d’autre part, le bloc rival dominé par les États-Unis. La plupart des groupes de gauche n’ont pas réussi à saisir l’importance de ce conflit et la nouvelle étape qu’il représente pour le capitalisme mondial. Alors que certains ont été désorientés par l’idée d’un ordre mondial «multipolaire» ou n’ont pas reconnu la nature impérialiste des régimes chinois ou russe, nous avons expliqué la nature «bipolaire» et impérialiste de ce conflit. Nous avons proposé une approche autonome et internationaliste pour que la classe ouvrière s’oppose à ces conflits.

La présentation d’ouverture sur les perspectives mondiales a mis en évidence les façons dont le conflit inter-impérialiste entre les deux principaux blocs du monde n’a fait que s’intensifier depuis notre précédent Congrès mondial en 2023. En témoignent la guerre génocidaire contre Gaza, qui s’est transformée en une guerre régionale dans tout le Moyen-Orient, ainsi que la guerre en Ukraine, qui a continué à s’intensifier avec l’utilisation de missiles à longue portée britanniques et américains, alors que des milliers de soldats nord-coréens sont entrés dans le conflit.

Le congrès a souligné et réaffirmé l’interprétation que fait l’ISA de la nouvelle période caractérisée par ce conflit entre blocs impérialistes. Il a également analysé la toile de fond économique de ce conflit, à savoir la faible croissance de l’économie mondiale, freinée par des niveaux d’endettement massifs et encore plus entravée par le protectionnisme et les guerres commerciales.

L’accent a été mis sur la crise du capitalisme chinois, dont l’économie criblée de dettes est entrée dans une période de stagnation et de déclin, que nous avons précédemment décrite comme une «japonisation» (en référence à la longue crise déflationniste du Japon). Cela aura un effet profond sur le reste de l’économie mondiale. Cette dernière ne pourra pas compter sur la croissance chinoise alimentée par la dette pour échapper aux futurs ralentissements économiques comme cela a été le cas après la «grande récession» de 2008.

Ces processus propulsent la politique capitaliste encore plus loin dans la crise et la polarisation, comme le montre de manière spectaculaire le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Son approche de «faucon» à l’égard de la Chine et les menaces de droits de douane importants sèmeront à leur tour les graines de conflits et d’une crise économique future.

Dans cette nouvelle période de crise et d’instabilité, la classe dirigeante a été contrainte de s’appuyer sur le nationalisme, la haine anti-migrants, la répression étatique, les efforts redoublés pour promouvoir les rôles «traditionnels» des hommes et des femmes, et les attaques contre les droits démocratiques. En Italie, le gouvernement de droite a adopté de nouvelles séries de restrictions au droit de manifester, tandis qu’en Grande-Bretagne, des dizaines de militantes et de militants pour le climat sont emprisonné⋅es. Dans la période actuelle, les méthodes bonapartistes de domination et toutes les caractéristiques les plus horribles de ce système sont de plus en plus mises en avant.

Combattre la droite et construire une nouvelle gauche

L’une de ces caractéristiques a été la montée de la droite, qui a remporté des victoires électorales ou réalisé des gains dans un certain nombre de pays, des États-Unis à l’Allemagne, en passant par l’Argentine, l’Inde, la Roumanie et d’autres encore. Dans de nombreux cas, ces victoires représentent une réaction contre l’establishment capitaliste. Mais, parallèlement, on assiste à un dangereux durcissement des idées de droite dans certaines couches de la société, comme en témoigne le soutien apporté à des personnalités telles que Trump aux États-Unis et Bolsonaro au Brésil. En ce sens, il existe une différence entre la victoire électorale de Trump en 2016 et celle de 2024. Cette dernière reflète un glissement plus dangereux vers la droite. L’analyse et la compréhension de ces tendances, ainsi que la manière dont nous pouvons les combattre, ont été des thèmes abordés tout au long de la semaine, y compris lors d’une commission sur la lutte contre la droite et durant les discussions plus larges sur les perspectives.

La montée de la droite s’inscrit dans le contexte de la faiblesse persistante de la gauche et du mouvement syndical. Ce dernier n’en est encore qu’aux premiers stades de son rétablissement, après des décennies de néolibéralisme et l’effondrement du stalinisme. De nombreux jeunes tirent des conclusions anticapitalistes radicales, s’identifiant aux idées du socialisme et du communisme, et une partie encore plus large de la société est prête à descendre dans la rue pour protester. On l’a vu durant le mouvement contre la guerre génocidaire à Gaza ainsi que dans l’élan massif de solidarité contre l’extrême droite durant la vague d’émeutes au Royaume-Uni en août.

En même temps, l’absence de leadership, de stratégie claire et les idées confuses dans les mouvements ont souvent limité leur capacité à remporter des victoires concrètes et à montrer la voie à suivre face aux fausses promesses des politiciennes et des politiciens de droite. Malgré de nombreux mouvements de masse depuis la crise financière de 2008, trouvant souvent leur expression dans de nouvelles formations de gauche, la classe ouvrière n’a pas encore remporté de victoire décisive contre la classe dirigeante. Cela a permis à la réaction de prendre le dessus au cours de la période récente. Cependant, les forces de droite qui incarnent la décomposition de ce système n’ont pas non plus été en mesure de vaincre les masses laborieuses de manière décisive. Pour sortir de cette relative impasse et renverser la vapeur contre la droite, il sera nécessaire de reconstruire de puissantes organisations de la classe ouvrière, sur la base des leçons tirées des luttes récentes.

Le mouvement ouvrier et syndical

Le congrès a débattu de la réaffirmation actuelle du mouvement syndical au niveau international, notamment de la vague de syndicalisation et d’actions ouvrières aux États-Unis, de l’impact de la vague de grèves de 2022-23 en Grande-Bretagne et d’autres luttes en Allemagne, en Argentine, en Inde et ailleurs. Une commission spéciale sur notre travail au sein du mouvement syndical a mis en évidence dans plusieurs pays la volonté accrue des travailleuses et des travailleurs de lutter et de rejeter les mauvais contrats de travail proposés par les directions syndicales bureaucratiques.

La montée en puissance du mouvement syndical aux États-Unis a été au centre de plusieurs discussions. Les travailleuses et les travailleurs de Boeing ont obtenu une augmentation de salaire de 38% cet automne après avoir rejeté un accord négocié par la direction du syndicat. À leur tour, certains syndicats ont vu émerger de nouveaux dirigeants et dirigeantes syndicales de gauche, s’appuyant sur une section plus militante de membres et de leaders. Il s’agit d’une tendance qui se reflète également dans les deux plus grands syndicats britanniques. En même temps, de nouveaux groupes d’opposition de base se sont développés parmi certaines catégories de travailleuses et de travailleurs, comme au sein du syndicat américain des postes, où Socialist Alternative a joué un rôle important. Chez de nombreuses personnes, la volonté d’agir dans leur milieu de travail se mêle au soutien à des personnalités telles que Donald Trump, ce qui pose de nouveaux défis aux socialistes dans les syndicats.

Les participants et les participantes du congrès de l’ISA ont discuté de notre rôle dans les syndicats et de la manière dont nous nous situons par rapport à ces développements. Les discussions ont porté sur la construction d’une base de soutien pour les marxistes dans les milieux de travail, en particulier parmi les travailleuses et les travailleurs de la base, ainsi que sur la tâche de transformer les syndicats en organisations de combat de la classe ouvrière.

Moyen-Orient

Le mouvement de masse contre l’assaut génocidaire à Gaza et l’escalade de la guerre au Moyen-Orient est l’un des théâtres de conflit les plus importants au monde. Il a conduit au plus grand mouvement de masse international depuis des années. L’ISA s’est rapprochée de ce mouvement au cours de l’année écoulée en se joignant à des manifestations massives à l’échelle internationale ainsi qu’à des campements étudiants et en lançant un appel à l’action contre la guerre aux travailleuses et travailleurs syndiqués.

Une commission sur la situation au Moyen-Orient, le mouvement anti-guerre et nos interventions a discuté de la manière dont nous pouvons faire avancer ce travail au cours de la prochaine période. Nous avons aussi abordé le travail de notre section en Israël/Palestine, qui se bat sur le terrain pour un changement socialiste et la fin des massacres.

Programme de transition

Une partie cruciale du congrès a été la réaffirmation claire et l’affinement de notre compréhension de la méthode permettant de relier les luttes d’aujourd’hui à la nécessité d’une transformation socialiste de la société – celle du Programme de transition de Trotsky. Les discussions au sein de l’ISA au cours de la dernière période ont souligné l’importance d’une compréhension claire de la méthode transitoire pour mettre en avant une approche marxiste et révolutionnaire claire afin de faire avancer les luttes des travailleuses, des travailleurs, des jeunes et des personnes opprimées. Pour ce faire, les socialistes doivent être prêtes et prêts à intervenir avec audace dans des luttes plus larges tout en délimitant clairement notre propre profil et notre propre stratégie afin de convaincre une couche plus large de personne de la pertinence d’un programme marxiste.

Comme les camarades l’ont souligné, notre programme est enraciné dans notre compréhension de la «situation objective» – les développements plus larges dans l’organisation de la classe ouvrière, l’économie, le contexte politique, etc. Si la manière dont nous présentons nos revendications doit être basée sur les luttes et les revendications de la classe ouvrière et des personnes opprimées d’aujourd’hui, notre programme est aussi «scientifique», c’est-à-dire qu’il est fondé sur une analyse concrète de ce qui est nécessaire de réaliser dans la période actuelle. Il n’est pas simplement basé sur les idées qui sont populaires à un moment donné. Au cours de la période à venir, nous produirons davantage de matériel sur l’importance d’un programme de transition et sur l’élaboration d’un tel programme pour les mouvements d’aujourd’hui.

Une approche marxiste de la lutte contre l’oppression

Notre interprétation de la lutte contre toutes les formes d’oppression a été un autre aspect qui a caractérisé notre congrès, tout comme les nombreux débats et discussions au sein de l’ISA. Il a été convenu que nous devions continuer à approfondir notre compréhension marxiste de l’oppression de genre, y compris la lutte pour la libération des personnes trans, dans le cadre d’une session consacrée au féminisme socialiste.

D’importantes luttes pour l’autonomie corporelle et contre la violence fondée sur le genre ont eu lieu dans le monde entier – notamment des grèves et des manifestations de masse en Inde à la suite du viol et du meurtre d’une jeune femme médecin, des manifestations de milliers de personnes au Kenya contre les féminicides et des manifestations féministes de masse en Argentine contre le gouvernement réactionnaire de Milei. Mais aujourd’hui, la vague féministe se trouve également confrontée à une réaction de la droite. Dans ce contexte, une approche riposte féministe socialiste claire est plus essentielle que jamais.

Dans ce contexte, le congrès a discuté de la préparation de la Journée internationale de la femme le 8 mars 2025, alors que nous préparons une campagne internationale comprenant des déclarations communes et du matériel pour construire une lutte féministe socialiste contre la réaction de la droite et l’oppression des femmes et des personnes LGBTQ+.

Cependant, le féminisme socialiste, bien qu’il soit une partie cruciale intégrée de notre programme plus large, n’est qu’un des piliers de notre programme socialiste révolutionnaire visant à mettre fin à toutes les formes d’oppression enracinées dans ce système. La nécessité d’approfondir notre compréhension de l’oppression raciale, dans le cadre de la préparation aux luttes de cette période, a également été soulignée.

Nous avons également discuté de la manière dont nous pouvons renforcer dans la pratique la lutte de l’ISA contre l’oppression. La protection des membres au sein de notre mouvement a été un élément important des discussions de l’ISA au cours de la dernière période. Avoir une approche forte de la lutte contre toutes les manifestations d’oppression au sein du mouvement ouvrier et socialiste, dans le cadre de notre lutte pour unir la classe ouvrière dans toute sa diversité, est une priorité cruciale pour nous. Cela implique de dresser un bilan de ce travail, notamment en identifiant les erreurs et en s’efforçant d’améliorer notre pratique, ce qui était une tâche essentielle de ce Congrès mondial. Suite à ces discussions, le congrès a approuvé un certain nombre de mises à jour importantes de notre code de conduite international et a élu une nouvelle équipe de responsables de la protection des membres pour s’occuper de ce domaine de travail.

Construire une internationale révolutionnaire

À l’issue du Congrès mondial, l’ISA travaillera sans relâche au renforcement de ses sections dans le monde, ainsi qu’à leur intégration dans une organisation véritablement internationale, luttant pour un monde socialiste. Nous avons convenu d’approfondir la coordination autour de la campagne antimilitariste dans le contexte d’escalade du conflit des blocs impérialistes ainsi que de poursuivre le travail important de notre campagne de solidarité avec le Nigéria. Un nouveau comité international (qui dirige l’ISA entre les congrès mondiaux) a également été élu, intégrant une nouvelle génération de dirigeants et de dirigeantes.

Une priorité cruciale pour nous sera d’affiner notre compréhension marxiste des événements mondiaux et des méthodes nécessaires pour changer la société. Cela inclut la relance de notre revue politique internationale, ainsi que la poursuite des discussions au cours de l’année à venir. Ce congrès était, à bien des égards, la «première partie» d’un processus de discussion plus large, comprenant des événements internationaux en 2025 et un autre congrès mondial pour l’été 2026. À l’issue de ces discussions, nous aspirons à une clarté et à une unité politiques renouvelées, sur la base d’un débat ouvert, clair et démocratique à tous les niveaux de notre organisation. Une partie de ce processus sera l’élaboration et l’accord d’un programme international pour l’époque actuelle, enraciné dans les tâches clés auxquelles sont confrontés les révolutionnaires et les masses laborieuses dans leur ensemble.

Nos forces sont bien inférieures à ce qui est nécessaire pour lutter pour le changement révolutionnaire dont nous avons besoin. Cependant, sur la base d’une compréhension et d’une approche communes et claires, nous sommes convaincus que nous pouvons faire de nouveaux pas en avant alors que la classe ouvrière se réarme face à cette nouvelle ère de crise et de guerres impérialistes.

Nous publierons d’autres documents et rapports en temps voulu. Si vous souhaitez contribuer à la construction d’une force révolutionnaire internationale contre la crise capitaliste, la guerre et l’oppression, rejoignez-nous!