Avez-vous entendu parler du niveau record d’arrêts de travail au Canada en 2023? En a-t-on parlé partout dans les médias et sur les réseaux sociaux? Non. Les grandes entreprises ne veulent pas que les travailleuses et les travailleurs sachent que lorsqu’on fait la grève, on peut gagner!
En 2023, le nombre de grèves au Canada a atteint son plus haut niveau depuis 1986! Les patrons ont perdu 6 631 724 jours de travail durant les 776 grèves de l’année dernière. Il n’y a pas eu autant de jours de grève depuis 1986, année durant laquelle 7 151 470 jours de travail ont été perdus pour 748 grèves. C’est l’année 2022 qui a amorcé cette tendance à la hausse. Elle a connu le plus grand nombre de jours de grève depuis 2009. La détermination des travailleuses et travailleurs est à l’origine de cette hausse. La classe ouvrière est de retour!
Les grèves massives du secteur public au Québec à la fin de l’année ont impliqué plus de 500 000 travailleuses et travailleurs dans diverses actions de grève sur plusieurs mois.
Plus tôt dans l’année, plus de 100 000 employé⋅es du gouvernement fédéral ont fait grève pendant deux semaines. Cela leur a permis d’obtenir une amélioration de leur contrat de travail.
Parmi les autres grèves importantes, citons celle des débardeurs de Colombie-Britannique. Ils et elles ont tenu bon face aux multiples tentatives du gouvernement de les forcer à cesser leurs actions et à accepter un contrat n’incluant pas la protection de leurs emplois.
Outre ces grandes batailles, d’importants combats ont été menés de manière acharnée par de plus petits groupes de travailleuses et de travailleurs. Les 3 700 employé⋅es de l’épicerie Metro du Grand Toronto, membres d’Unifor, ont voté à 100% en faveur d’une grève. Malgré l’intervention des tribunaux dans le piquetage, les travailleuses et les travailleurs ont tenu bon et ont obtenu un meilleur contrat.
Après 41 jours de grève, les 1 400 travailleuses et travailleurs de la National Steel Car de Hamilton ont obtenu une augmentation de salaire de 13% sur trois ans, dont 6% la première année, une prime à la signature de 1 000$ et une amélioration des prestations de santé et des dispositions en matière de sécurité. La sécurité était une préoccupation majeure, car trois travailleurs sont morts au travail ces dernières années. En juillet, la National Steel Car a été condamnée à une amende de 140 000 dollars pour n’avoir pas maintenu des conditions de travail sûres.
Les travailleuses et les travailleurs en ont assez de la flambée des coûts de l’alimentation et du logement qui s’ajoute à des années de stagnation des salaires. La pandémie de COVID-19 a prouvé que ces personnes étaient des «travailleurs essentiels». Mais les patrons n’ont pas voulu payer, même si les profits sont en hausse. Comme l’ont dit de nombreuses personnes, elles sont passées du statut de «héros» à «zéro».
Deux caractéristiques frappantes sont communes à toutes ces grèves. D’une part, les votes de grève ont été obtenus avec d’énormes majorités, souvent avec un appui des membres de plus de 90% pour l’amélioration de leurs salaires et conditions de travail. D’autre part, les travailleuses et travailleurs s’attendaient à ce que les directions syndicales se battent pour leurs revendications. Dans plusieurs cas notables, les ententes de principe recommandées par les dirigeantes et dirigeants syndicaux ont été rejetées par les membres qui ont demandé à leurs représentantes et représentants de retourner à la table des négociations et de faire mieux.
Grève massive au Québec
Une vague de grèves dans le secteur public a secoué le Québec en 2023. Les travailleuses et les travailleurs ont dit non à la stagnation des salaires, à l’épuisement professionnel, à la dégradation des services publics et à la privatisation rampante. En 2021-22, le Québec a perdu près de 21 000 travailleuses et travailleurs de la santé. Ces personnes étaient payées 40% de moins que leurs collègues de l’Ontario!
Le gouvernement de la CAQ a insulté les travailleuses et les travailleurs du Québec en accordant aux député⋅es de l’Assemblée nationale une augmentation de 30% de leur rémunération, alors qu’il n’offrait aux employé⋅es du secteur public que 9% sur cinq ans. Les 560 000 travailleuses et travailleurs du Front commun (qui négociait au nom de cinq grands syndicats), du corps enseignant représenté par la FAE et les soignantes représentées par la FIQ ont tous exigé des améliorations significatives de leurs salaires et de leurs conditions de travail.
Les mois de novembre et de décembre ont été marqués par une escalade des grèves du Front commun et de la FIQ, ainsi que par une grève d’un mois de la FAE. Face à plus d’un demi-million de grévistes bénéficiant d’un fort soutien public, la CAQ a été contrainte de plus que doubler son offre salariale initiale.
Les membres du Front commun ont largement accepté une entente prévoyant une augmentation de 20,4% sur cinq ans. Bien qu’il s’agisse de la plus importante augmentation de salaire depuis 1979, si l’on tient compte de l’inflation et de la baisse des salaires réels, ce n’est pas grand-chose.
Les enseignantes et les enseignants de la FAE ont voté à une faible majorité pour accepter la dernière offre, soit une augmentation entre 17,4% et 24,5 % sur cinq ans. Cependant, beaucoup étaient mécontents, car le gouvernement ne s’était pas mis d’accord sur les dispositions relatives à la taille et à la composition des classes.
Les soignantes de la FIQ, en grève pour la première fois depuis 25 ans, sont toujours en négociation, après avoir récemment rejeté à 61% la dernière entente de principe. Le principal point d’achoppement est la «flexibilité» demandée par le gouvernement, c’est-à-dire le pouvoir d’envoyer les infirmières n’importe où, et imposer des heures supplémentaires obligatoires. Le syndicat pourrait à nouveau recourir à la grève.
L’importance du leadership
L’évolution de la classe ouvrière vers un plus grand militantisme et un recours aux grèves plus fréquent est importante pour reconstruire le mouvement syndical. Mais pour réussir, il faut un leadership syndical résolu et des stratégies pour gagner. Certaines grèves n’ont pas remporté toutes les victoires possibles, non pas en raison de la timidité des travailleuses et des travailleurs, mais à cause d’une direction syndicale conservatrice. Malheureusement, les directions syndicales du secteur public en Colombie-Britannique et en Ontario ont été encore moins solides que celles du Québec. Contrairement aux United Auto Workers américains, la direction d’Unifor n’a pas mené de grève militante. Elle a négocié un contrat de travail médiocre pour ses membres. Seulement 54% des travailleuses et des travailleurs de Ford ont voté pour l’accepter.
Le patronat ainsi que ses politiciens et politiciennes envisagent de déclarer davantage de milieux de travail comme étant des «services essentiels». Cela limitera le droit de grève. Il ne suffit pas de s’appuyer sur les tribunaux pour résister. Il a fallu quatre ans à la Cour supérieure de l’Ontario pour déclarer illégale la loi de Doug Ford de 2019, qui plafonnait à 1% les augmentations salariales annuelles dans le secteur public. «Une justice retardée est une justice refusée». Pour vaincre les lois antisyndicales et remporter de véritables victoires dans les milieux de travail, il faudra élire des dirigeantes et des dirigeants combatifs.
Absence de choix politique
Malgré des mouvements de grève importants, les conservateurs sont en tête des sondages au niveau fédéral et en Ontario. Au Québec, le soutien de la CAQ s’est effondré, mais le Parti québécois (un autre parti nationaliste de droite) en récolte les fruits. Comme le parti de gauche Québec solidaire n’a pas soutenu fermement les grévistes, il n’a pas obtenu davantage de soutien des travailleuses et des travailleurs. De même, le Nouveau Parti Démocratique (NPD) ne progresse pas.
Le NPD fédéral s’est lié aux libéraux, ce que beaucoup considèrent à juste titre comme un échec. Justin Trudeau prononce de nombreux discours remplis de platitudes et ne fait pas grand-chose. Les «gains» du NPD – des programmes de soins dentaires et de prescription très limités – auraient pu être obtenus sans un partenariat avec le gouvernement libéral.
Pierre Poilievre, comme d’autres politiciens et politiciennes similaires dans le monde, prétend défendre les gens ordinaires, exprimant la colère que beaucoup ressentent face à l’augmentation des inégalités, à la flambée du coût de la vie et au manque de logements abordables et de services sociaux. Mais ces populistes de droite n’ont pas de vraies réponses à ces problèmes, car leur origine n’est pas dans l’action de tel ou tel politicien, mais dans le capitalisme. Poilievre et ses semblables défendront le capitalisme jusqu’au bout.
Une révolution ouvrière passe par la création de syndicats militants déterminés à élire des dirigeantes et des dirigeants militants, à soutenir les travailleuses et ;es travailleurs en grève, à lutter pour se débarrasser des patrons et à créer une société qui fonctionne pour tout le monde