Une vague de syndicalisation militante déferle sur les différents entrepôts Amazon des États-Unis. La campagne la plus importante se déroule en ce moment à l’aéroport d’Amazon KCVG, au Kentucky. Notre camarade Simon-Pierre y participe depuis plusieurs mois.
La campagne de syndicalisation à l’aéroport d’Amazon KCVG – une installation de plus de 800 000 pieds carrés destinée à soutenir son réseau de fret aérien – constitue un retour aux pratiques syndicales combatives du début du siècle dernier. Mais elle tient aussi compte des caractéristiques uniques des luttes modernes.
Le cul-de-sac des stratégies actuelles
Le besoin de recourir à des stratégies militantes survient dans un contexte où les méthodes syndicales «normales» des dernières décennies sont perçues comme de plus en plus inadéquates. Dans plusieurs conflits de travail aux États-Unis, des personnes syndiquées ont été obligées de surpasser la combativité limitée de leurs propres directions syndicales afin de réaliser des gains.
Les campagnes de syndicalisation classiques – notamment chez Amazon – menées principalement à travers les médias pour gagner «l’opinion publique» se soldent par des échecs. De nombreuses directions syndicales redirigent des centaines de millions de dollars en cotisations syndicales vers le Parti démocrate de Joe Biden, le même parti qui produit des lois spéciales mettant fin aux grèves. Si on veut gagner, il faudra faire mieux.
Expansion de KCVG, accentuation de l’exploitation
L’expansion de l’aéroport d’Amazon KCVG (Air hub), au Kentucky, représente la prochaine phase de développement stratégique du géant de la vente en ligne. La compagnie planifie de faire de ce centre, qui est relié à l’aéroport international de Cincinnati/Northern Kentucky, l’endroit où circuleront 70% de tous ses colis aux États-Unis. Pour ce faire, Jeff Bezos y a investi 1,5 milliards de dollars.
Sa richesse, Amazon la tire de l’exploitation du travail de ses salarié⋅es. Plus de 2000 personnes travaillent chez Amazon KCVG. Bien que ses entrepôts sont surveillées 24h sur 24, ils connaissent un taux de blessures au travail deux fois plus grand que les entrepôts des autres compagnies. Le salaire est tellement bas que des employé∙es doivent soit travailler 70 heures, soit avoir un deuxième emploi pour joindre les deux bouts. Les salarié∙es se font virer pour n’importe quelle raison. D’un autre côté, toutes les souffrances imposées aux travailleurs et travailleuses jouent un rôle dans l’organisation et la lutte pour un syndicat.
Les travailleurs et travailleuses d’Amazon voient bien que leur employeur engendre des milliards de dollars en profits. La richesse de Jeff Bezos – tels ses yachts – le démontre bien. L’importance que représente l’expansion de KCVG dans l’avenir d’Amazon signifie aussi que l’entrepôt-aéroport ne peut pas simplement fermer après l’implantation d’un syndicat.
Début de la campagne à KCVG
En septembre 2022, l’administration d’Amazon KCVG abolit le bonus du temps des Fêtes de 2$/h. Pour les salarié⋅es, les cadeaux des enfants sont menacés. Plusieurs se sont organisé·es pour faire signer une pétition exigeant le retour du bonus. Des centaines de personnes l’ont signé en seulement quelques jours. Les feuilles de pétitions ont été apportées à une rencontre générale d’Amazon, mais y furent rejetées. La compagnie refuse même de les prendre. Le message est clair. C’est Amazon qui décide, les salarié∙es qui subissent.
Mais l’initiative est en marche. À travers cette pétition, le petit groupe de salarié∙es a récolté des centaines de numéros de téléphone. Des centaines de personnes démontrent qu’elles en ont marre de se faire marcher dessus par la compagnie. Elles veulent résister pour leur qualité de vie.
Un appel est fait à une réunion de salarié∙es pour discuter de la marche à suivre pour se lancer dans un processus de syndicalisation. Des gens dans l’audience se portent volontaires pour former un comité d’organisation, noyau de l’effort de syndicalisation. Le travail commence.
L’importance des revendications concrètes
Durant la réunion, trois revendications se distinguent comme les plus rassembleuses. Les salarié∙es d’Amazon KCVG méritent 30$/h, 180 heures de temps personnel payé et une représentation syndicale lors des rencontres disciplinaires.
Ces revendications ont le double rôle de répondre aux besoins les plus urgents de la base et d’agir comme une force mobilisatrice pour motiver les membres à s’engager activement dans la campagne. Trouver l’équilibre est plus un art qu’une science. Les trois revendications principales sont là pour donner le ton à la campagne. Elles ne sont pas des promesses ou un programme complet de revendications coulé dans le béton. Le site web de la campagne en met plusieurs autres de l’avant.
L’équilibre s’établit à travers les conversations avec les membres qui rejoignent la campagne. En addition aux trois principales revendications, le Comité d’organisation a découvert un grand besoin en service de traduction. Amazon embauche une grande proportion d’employé∙es issus d’une immigration non anglophone. Même si ces personnes ne maîtrisent pas l’anglais, elles sont engagées et suivent la même formation unilingue que tout le monde. Cela crée des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs et travailleuses.
Toutes les communications de la direction sont en anglais. Des centaines de personnes se sont retrouvées dans des situations où elles ont perdu leur emploi sans même comprendre pourquoi.
Le Comité d’organisation met actuellement une pétition de l’avant pour exiger la traduction dans différentes langues. Amazon pourrait très bien implanter cette mesure pour couper l’herbe sous le pied de la campagne de syndicalisation. Mais la direction refuse. Encore une fois, les employé∙es réalisent que la compagnie est intraitable.
La barrière linguistique, d’abord perçue comme un obstacle, est devenue une force. Les employé∙es de communautés expatriées ont commencé à se passer le mot. Les représentants et représentantes du syndicat ont commencé à se faire inviter à des événements culturels, des BBQ communautaires et des événements religieux pour parler du besoin de traduction à KCVG.
La solidarité passe par une campagne ouverte et publique
Devant la force incroyable d’Amazon à tuer les campagnes de syndicalisation, souvent illégalement, les employé∙es ont décidé de mener une campagne ouverte et publique. De cette manière, toutes les attaques d’Amazon peuvent être exposées au grand jour. La communauté peut ensuite se joindre à la lutte.
C’est ce qui est arrivé à KCVG avec le cas de Edward Clark. Ce travailleur a été ciblé par Amazon étant donné qu’il est toujours là pour défendre les droits de ses confrères et consœurs. Nous avons utilisé son licenciement pour blâmer Amazon, ses pratiques antisyndicales ainsi que pour réclamer la réembauche de Clark. Des fonds provenant de la communauté ont été collectés. Ils ont permis à Clark d’avoir un revenu pendant ses procédures d’appel.
Cet acte antisyndical d’Amazon a pu être utilisé pour faire avancer la campagne de syndicalisation. Il a démontré à tout le monde qu’Amazon est contre le pouvoir ouvrier, leur pouvoir. Clark n’a malheureusement pas réussi à réintégrer son emploi. Mais il continue de faire partie de la campagne de syndicalisation à KCVG. Se syndiquer activement est risqué.
En contrepartie, une campagne de syndicalisation secrète laisse peu de moyens aux employé∙es si Amazon vire quelqu’un pour ses activités syndicales. Restées cachées, ces activités ne pourraient pas établir de larges liens de solidarité au sein de la compagnie et au-delà.
La confiance passe par une structure démocratique
Depuis le début de la campagne de syndicalisation, Amazon fait des rencontres à portes closes où la compagnie dissémine de la désinformation à propos des syndicats. Amazon fait toutes sortes de mensonges, comme dire que le syndicat fait de fausses promesses, ou qu’il n’y existe aucune démocratie.
La campagne à KCVG s’est dotée d’une structure démocratique transparente. Elle est menée par les employé∙es du plancher d’Amazon KCVG et non pas par des permanents syndicaux externes. Le Comité d’organisation est accessible aux employé∙es qui s’y intéressent.
Un autre élément distingue la campagne à KCVG. Ses futures représentantes et représentants syndicaux s’engagent à maintenir leur salaire au salaire moyen des employé∙es d’Amazon. De cette manière, les conditions matérielles de la direction syndicale élue seront toujours celle des employé∙es.
S’inspirer des meilleures stratégies
Le contexte juridique et politique québécois dans lequel évoluent les syndicats est différent de celui du Kentucky. Mais les meilleures pratiques de la campagne KCVG peuvent nous aider à mieux construire nos campagnes de syndicalisation.
Des revendications claires et concrètes sont fondamentales pour motiver les salarié∙es à se joindre à la lutte.
La participation active de ces personnes est la seule voie vers la victoire. Seules la motivation et la capacité des masses à s’organiser largement peuvent forcer la main des plus riches.
Les membres des directions syndicales ne doivent pas bénéficier de privilèges par rapport aux membres de la base. Les conditions économiques des représentantes et représentants syndicaux doivent être similaires à celles des membres. Si les membres perdent et s’appauvrissent, la même situation devrait s’appliquer aux directions. L’inverse peut aussi l’être.
Les membres doivent être au centre de l’action de leur syndicat. La campagne à KCVG ne sera capable de gagner que si les salarié∙es créent un syndicat par les membres et pour les membres. Là où, au Québec, les membres ont l’impression de ne plus savoir où est passé leur syndicat, il faudra reconstruire une culture d’implication active qui nécessitera des sacrifices et une défense déterminée des intérêts de la classe ouvrière.
Ce travail est nécessaire pour obtenir un syndicat chez Amazon, au Kentucky comme au Québec. Nous vaincrons!