Que signifie ChatGPT pour les travailleurs et travailleuses?

Le lancement de ChatGPT a pris d’assaut l’internet et a déclenché une frénésie d’investissement pour des outils d’intelligence artificielle (IA) similaires. Les nouvelles prétendent que ChatGPT peut remplacer les codeurs, les assistants juridiques et même les enseignants. ChatGPT a même obtenu un score suffisamment élevé pour passer le barreau. Pourtant, malgré toute son intelligence, ChatGPT se trompe souvent de manière hilarante, affirmant par exemple que Shaq est plus grand que Yao Ming bien qu’il connaisse leurs tailles respectives. Le ChatGPT est-il une véritable menace pour les moyens de subsistance des travailleurs et travailleuses? Pour le savoir, les socialistes doivent faire la part des choses entre les faits et le battage médiatique.

ChatGPT, c’est quoi?

ChatGPT est un chatbot créé par la startup OpenAI. Le sigle GPT signifie Generative Pre-trained Transformer (transformateur génératif préentraîné). Il s’agit d’une sorte d’autocomplétion entraînée à partir de grandes quantités de textes. La particularité de ChatGPT est qu’il a été entraîné sur 300 milliards de mots provenant d’Internet et qu’il comprend suffisamment bien les messages humains pour y répondre de manière pertinente. Cependant, si les premières conversations avec ChatGPT peuvent être impressionnantes, il apparaît rapidement qu’il génère des réponses similaires à plusieurs reprises, sans capacité de réflexion nouvelle. Même la capacité du ChatGPT à se corriger lui-même est un mirage: lorsqu’un humain dit à ChatGPT qu’il se trompe, il fait l’équivalent de revenir sur une phrase et de choisir un chemin d’autocomplétion différent.

La notoriété virale de ChatGPT s’est envolée bien au-delà de ce que justifient ses capacités en raison d’un battage médiatique commercial désordonné. Un auteur du New York Times a affirmé que le chatbot de Microsoft avait franchi la sensibilité par sentence lorsqu’il lui a suggéré de quitter sa femme. De nombreux médias ont affirmé que les IA auront un impact sur 80% des emplois, citant une étude financée par OpenAI qui n’a effectué aucune modélisation économique. Elle a plutôt demandé à ChatGPT lui-même et à des humains sans expertise de deviner quels emplois les IA allaient remplacer! Le battage médiatique fonctionne: OpenAI a obtenu un financement de 13 milliards de dollars de la part de Microsoft à un moment où la compagnie elle-même a licencié 10 000 travailleurs et travailleuses du secteur technologique, y compris l’ensemble de son équipe d’éthique qui aurait supervisé la recherche sur l’IA.

Bien qu’il soit peu probable que ChatGPT satisfasse totalement l’intention du patronat de remplacer le travail humain par l’IA, cette intention à elle seule constitue un danger très réel. Les patrons se précipitent vers des technologies immatures tandis que les gens ordinaires paient le prix de leurs mauvais calculs. Les entreprises remplacent les caissières par des caisses automatiques peu fiables. Elles ont essayé sans succès de remplacer les chauffeurs par des voitures autonomes mortelles et elles cherchent maintenant à remplacer les employé⋅es de bureau par l’IA. Goldman Sachs estime que 46% des tâches administratives et 44% des tâches juridiques peuvent être automatisées, et que 7% des travailleurs et travailleuses des États-Unis verront l’IA prendre en charge la moitié ou plus de leurs tâches. Mais ces estimations sont-elles vraiment exactes? Les patrons prétendent que l’IA peut tout faire lorsqu’ils menacent de remplacer les travailleurs et travailleuses grâce à l’automatisation afin de décourager les grèves et de maintenir les salaires à un bas niveau. Les travailleurs et travailleuses ne doivent pas prendre ces menaces pour argent comptant. Nous devons au contraire comprendre le fonctionnement et les limites de l’IA pour savoir quel sera son impact sur l’emploi.

L’IA d’aujourd’hui remplacera-t-elle les humains?

ChatGPT s’appuie sur des réseaux neuronaux artificiels, la même technologie qui est à l’origine des percées de l’IA dans la détection d’objets dans des images ou la création d’œuvres d’art. Un réseau neuronal artificiel est une approximation numérique grossière de l’activité neuronale biologique. Les neurones sont modélisés comme de simples calculatrices et les connexions entre les neurones sont modélisées comme des poids mathématiques. Les capacités d’un réseau neuronal ne sont pas préprogrammées, mais «apprises» au cours de plusieurs itérations «d’entraînement». Il s’agit d’un processus d’essais et d’erreurs au cours duquel les poids du modèle sont ajustés de manière à reproduire les résultats d’entraînement. En d’autres termes, on ne dit pas aux réseaux neuronaux ce qu’ils doivent faire, mais ils «apprennent» ce qu’ils doivent faire en fonction du retour d’information. Après avoir été entraîné, le modèle utilise ses poids pour extrapoler mathématiquement de nouvelles sorties à partir de nouvelles entrées, ce que nous, les êtres humains, interprétons comme un comportement complexe.

La capacité des réseaux neuronaux à «apprendre» est supérieure à celle de la génération précédente d’IA qui fonctionnait selon une logique de type livre de règles, mais les réseaux neuronaux sont loin d’être doués de sentiments. Ce ne sont pas des reproductions numériques de cerveaux biologiques, mais seulement des approximations grossières. Les réseaux neuronaux détectent des modèles statistiques et extrapolent à partir de ceux-ci. Ils ne sont pas ancrés dans le monde matériel et ne peuvent pas apprendre ce qui est vrai ou réel, mais seulement ce qui est populaire ou probable à partir de données conservées.

ChatGPT va-t-il s’emparer d’emplois?

ChatGPT prendra des emplois, mais pas nécessairement dans les domaines de l’éducation, du codage ou des médias comme la presse commerciale aime à le prétendre. Les emplois dans ces domaines requièrent un contexte social et une sensibilité qui dépassent les capacités des modèles statistiques tels que les réseaux neuronaux. ChatGPT deviendra probablement un «assistant», par exemple en générant une «première ébauche» que les humains examineront, en répondant à des questions comme un moteur de recherche avancé, ou en engageant une conversation limitée dans laquelle l’entreprise tolère l’inexactitude. ChatGPT ne peut faire qu’un travail d’«aide» parce qu’il ne peut pas faire la distinction entre ce qui est probable et ce qui est vrai, et qu’il a besoin de l’intervention d’un être humain pour le corriger. Cependant, cette imprécision pourrait devenir moins problématique à mesure qu’OpenAI développe des versions spécialisées de ChatGPT pour différents secteurs. Ces variantes seront probablement adaptées à la rédaction routinière, mais spécialisée, comme le soutien à la clientèle, la rédaction de documents administratifs et le travail parajuridique. Ces types d’emplois sont les plus menacés par l’automatisation.

L’impact de l’automatisation sur les emplois manufacturiers devient plus prononcé pendant les récessions, même si ces récessions ne sont pas directement liées à l’industrie manufacturière. L’impact de l’IA sur le travail de bureau pourrait suivre une évolution similaire.

Néanmoins, même si le travail de quelqu’un n’est pas remplacé, mais simplement «aidé» par l’IA, le patron économise quand même sur la main-d’œuvre. Il peut désormais confier davantage de tâches à la même personne, «déqualifier» l’emploi et payer la personne moins cher, ou associer certaines personnes avec l’IA tout en licenciant les autres. L’IA peut même avoir un impact sur les travailleurs et travailleuses sans remplacer leurs tâches. Des entreprises comme Amazon utilisent une IA de vision par ordinateur pour surveiller les employé⋅es à l’aide de caméras et les signaler en cas d’infractions au travail. Cette technologie peut être utilisée pour améliorer la sécurité, mais elle sert surtout à accroître la productivité et à punir les personnes qui prennent des pauses.

L’IA crée également une nouvelle catégorie de travail à la carte. La révolution actuelle de l’IA ne provient pas d’algorithmes mieux conçus, mais de l’énorme croissance des données au cours de la dernière décennie qui sont utilisées pour entraîner les réseaux neuronaux. Bien que ChatGPT ait été entraîné sur des données essentiellement gratuites, voire piratées, d’autres entreprises d’IA pourraient avoir besoin d’embaucher des travailleurs et travailleuses pour générer des données à l’avenir. En outre, le processus de formation intègre des «travailleurs fantômes» qui effectuent des tâches subalternes, comme la classification d’images, pour quelques sous par tâche. Au Kenya, des travailleurs ont débarrassé ChatGPT de tout contenu offensant pour moins de 2$/h. Les données sont la matière première de l’IA, et le travail fantôme lié à l’IA ne fera que croître à mesure que l’IA consommera des ensembles de données de plus en plus importants et qu’une économie stagnante obligera les travailleurs et travailleuses à s’engager dans les emplois précaires de l’économie des plateformes numériques.

Cela dit, pour que les entreprises soient incitées à adopter l’IA, celle-ci doit globalement permettre d’économiser sur la main-d’œuvre. Cela signifie que même en comptant les travailleurs fantômes, moins de personnes seraient nécessaires pour produire la même quantité de travail. Les effets de l’IA sur la hausse du chômage peuvent être temporairement masqués par les booms économiques. Les entreprises qui ont besoin d’honorer davantage de commandes garderont des travailleurs et des travailleuses, en plus de les associer à l’IA pour augmenter leur productivité. Un mouvement syndical fort, avec une colonne vertébrale composée de militants et de militantes du plancher, peut lutter contre les suppressions d’emplois et la déqualification. Mais en période de récession économique, les patrons des entreprises qui produisent trop utiliseront le travail économisé par l’IA pour licencier des masses de personnes. C’est ce qui est arrivé au secteur manufacturier avec la robotique. Lorsque les patrons ont introduit la robotique dans la seconde moitié du 20e siècle, des syndicats forts et des booms économiques ont atténué le nombre d’emplois perdus. Les licenciements massifs ont eu lieu lorsque les récessions ont mis à nu l’étendue de la surproduction capitaliste, comme lors des récessions de 2001 et de 2008, qui n’ont pas été déclenchées par la robotique.

L’introduction de la robotique est une bonne leçon pour les travailleurs et travailleuses concernant l’évolution de l’automatisation dans le cadre du capitalisme. Mais c’est aussi une technologie qui a mûri pendant plus d’un demi-siècle. ChatGPT est une technologie immature avec de profondes limitations technologiques. Les menaces fallacieuses des patrons de remplacer les employé⋅es de bureau par l’IA comme ils ont remplacé les ouvriers et ouvrières d’usine par des robots reflètent davantage leurs intentions que leur capacité à le faire. On ne sait pas si ChatGPT sera la première étape d’une révolution de la productivité par l’IA ou s’il rejoindra les lunettes à réalité augmentée, les livraisons autonomes par drones et les voitures autoconduites dans la poubelle des promesses technologiques ratées du capitalisme.

Quel est l’avenir de l’IA?

Ce qui est clair, c’est que la recherche sur l’IA est une autre course dans la «nouvelle guerre froide» entre les États-Unis et la Chine. La classe dirigeante capitaliste des deux pays utilise l’IA comme un insigne de prestige scientifique, comme un moyen de rivaliser économiquement et d’outiller leurs armées. La construction de l’IA nécessite de grandes quantités de ressources informatiques et constitue un aspect majeur de la lutte pour la suprématie des microprocesseurs.

Actuellement, les États-Unis ont l’avantage en raison de leur avance historique et parce que les restrictions à la liberté d’expression y sont moins nombreuses qu’en Chine. Il aurait été difficile de former un logiciel comme ChatGPT sur l’internet chinois censuré, et par conséquent beaucoup plus petit, contrôlé par la dictature du Parti communiste chinois.

D’autre part, la stagnation économique américaine a engendré une bulle technologique spéculative qui surestime les réalisations de l’IA et menace de nuire à la recherche en cas d’implosion de la bulle. L’engouement pour ChatGPT survient au moment où une autre tendance de l’IA, les voitures autonomes, est discréditée. Les deux utilisent des réseaux neuronaux et sont confrontés aux mêmes limites. Conduire une voiture, comme la plupart des tâches humaines, exige une certaine dose de sensibilité qui ne pourrait être reproduite même après un investissement de 100 milliards de dollars dans la technologie de la conduite autonome.

La recherche en IA paie également le prix de l’utilisation de l’apprentissage automatique. Les modèles d’IA sont devenus des «boîtes noires», leur fonctionnement interne complexe devenant de plus en plus difficile à analyser et à ajuster pour leurs concepteurs et ingénieurs humains. L’algorithme de prise de décision des modèles d’IA, qui est créé directement à partir de données au lieu d’être conçu par des humains, est tellement fantaisistes que les chercheurs ne comprennent pas comment ils fonctionnent! La recherche sur l’IA ne progresse pas régulièrement vers la sensibilité. En fait, ces modèles de boîte noire sont si difficiles à corriger ou à améliorer que de nombreux experts qualifient l’apprentissage automatique d’art noir.

Le socialisme et l’IA

Malgré les obstacles à la recherche sur l’IA, la classe dirigeante continuera à investir dans ce domaine. Les capitalistes des États-Unis et de Chine espèrent que l’IA pourra compenser la perte de main-d’œuvre due aux décès de travailleurs et de travailleuses durant la pandémie de COVID-19, à la vague de résignation post-pandémique et à la baisse des taux de natalité. La classe capitaliste des deux pays espère également que l’IA pourra atténuer la perte de productivité causée par le découplage d’une économie mondiale intégrée, en rendant les travailleurs et travailleuses plus efficaces.

La menace que l’IA fait peser sur nos moyens de subsistance suscite une opposition croissante à l’automatisation. Toutefois, le conflit ne se situe pas entre l’IA et les êtres humains, mais entre les gens qui travaillent et les patrons qui utilisent l’IA pour nous exploiter davantage, déqualifier nos emplois ou nous licencier au nom du profit.

Les socialistes soutiennent les travailleurs et les travailleuses qui s’organisent contre les réductions d’effectifs et pour des salaires plus élevés. Les emplois de cols blancs, qui seront touchés de manière disproportionnée par l’IA, sont particulièrement vulnérables à l’automatisation en raison du faible taux de syndicalisation. Les personnes qui travaillent ont les meilleures chances de se défendre si elles se regroupent au sein d’organisations comme les syndicats et luttent pour des contrats solides. Les socialistes proposent également une compréhension marxiste de l’IA qui peut mettre les arguments technologiques à la disposition de la classe ouvrière. Lorsqu’un patron menace des travailleurs et des travailleuses d’automatisation, ces personnes doivent comprendre les limites de l’IA pour savoir quand le patron bluffe.

L’IA est une technologie productive susceptible d’engendrer de réelles avancées. Mais le capitalisme pervertit l’IA en un outil destiné à discipliner et à accroître l’exploitation des gens qui travaillent. Le patronat récolte les bénéfices d’une productivité accrue, tandis que les personnes qui travaillent sont licenciées ou poussées vers le travail fantôme pour alimenter l’IA. Dans une société socialiste, où les travailleurs et travailleuses ont la garantie de bien gagner leur vie, l’IA peut être utilisée pour les libérer afin que ces personnes puissent s’adonner à leurs intérêts ou bénéficier d’une retraite anticipée.

Les écrivains, les écrivaines et les artistes pourraient utiliser l’IA pour générer des œuvres stylisées pour leurs supporteurs et expérimenter de nouveaux styles. Pour faire de l’IA et du progrès technologique un bien sans équivoque pour les travailleurs et travailleuses, nous avons besoin d’une transformation socialiste de la société.


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