En 1962, la «guerre d’Algérie», l’un des conflits anticolonialistes les plus longs et les plus sanglants, se terminait par la victoire des combattants algériens contre l’impérialisme français. L’Algérie était sous domination coloniale française depuis 132 ans. Elle était le «vaisseau amiral» de l’empire colonial français.
Une politique de ségrégation raciale et de dépossession massive des terres s’est faite au détriment des populations autochtones. La grande majorité des Algériens et Algériennes étaient maintenu·es dans une pauvreté écrasante et subissaient une discrimination salariale systématique, ce qui garantissait d’énormes profits aux grandes entreprises françaises.
Au début du conflit, en 1954, un million de colons européens – dont 79% étaient nés en Algérie – coexistaient avec neuf millions d’Algériens et d’Algériennes. Il existait également une importante communauté juive. Au sommet de l’échelle des colons se trouvaient une petite clique détenant le pouvoir économique et politique. L’écrasante majorité des colons, cependant, était pauvre. Dans les années 1950, leur niveau de vie moyen était inférieur de 20% à celui de la France.
Après la Seconde Guerre mondiale, le militantisme et les luttes nationalistes n’ont cessé de croître dans tout le pays, dans le contexte des luttes indépendantistes qui éclataient au niveau international. Cela a coïncidé avec des vagues sans précédent de grèves ouvrières et un désir massif de changement social. Dans de nombreux cas, ces conflits impliquaient des travailleuses et travailleurs algériens et français.
Le 1er novembre 1954, le FLN (Front de libération national) lança une série d’attaques de type guérilla dans différentes parties du territoire, en visant les bases de la puissance coloniale. Le FLN était une organisation nationaliste composée de militantes et militants radicaux qui, lassé·es du conservatisme et du réformisme croissants des forces nationalistes traditionnelles, avaient décidé d’ «allumer la mèche» d’une révolte générale contre la domination française.
L’armée française a répondu par une terreur systématique, impliquant l’incendie de villages, la création de camps de concentration de fortune, des exécutions sommaires et la torture pratiquée à grande échelle. Cette violence a mis en évidence le visage brutal du capitalisme français – la prétendue France des «droits de l’homme».
Les ondes de choc
Dès le début de la révolte coloniale, des dizaines de villes françaises furent touchées par des conflits sociaux explosifs tandis que des vagues de mutineries éclataient parmi les appelés refusant d’aller se battre pour l’ «Algérie française». Au fur et à mesure que la guerre avançait, le soutien au régime colonial a décliné à la vitesse de l’éclair. Les conséquences financières de la guerre commencèrent à créer un déficit budgétaire bientôt incontrôlable.
Mais la sauvagerie inégalée déployée sur le sol algérien par le régime autoritaire de Charles de Gaulle – qui avait pris le pouvoir en France par un coup d’État parlementaire en 1958 – s’est révélée incapable de mettre fin à la guerre.
L’offensive lancée par les troupes françaises en 1959 avait presque achevé l’ALN, la branche armée du FLN, en tant que force combattante. Mais le lourd tribut payé, politiquement et socialement, affectait directement la confiance et la capacité de la classe dirigeante française à poursuivre la guerre.
Les manifestations massives pro-FLN de décembre 1960, où les masses algériennes urbaines se sont déversées spontanément dans les rues en faveur de l’indépendance, à une échelle dépassant largement les prévisions du FLN, ont constitué un tournant. En outre, en avril 1961, la masse des soldats français s’est rebellée contre une tentative de coup d’État des généraux.
De Gaulle a dû lutter désespérément pour reprendre le contrôle de l’armée. À Blida (Nord), les conscrits se sont emparés de la principale base militaire, ont arrêté leurs officiers et ont hissé le drapeau rouge de la révolution!
De Gaulle savait qu’il devait agir sous peine de perdre le contrôle. À ce moment-là, la question est devenue celle de la gestion d’une retraite ordonnée de l’impérialisme français. C’est ce qui s’est finalement produit avec la signature des «accords d’Évian» entre le FLN et le gouvernement français en mars 1962, ouvrant la voie à une Algérie indépendante.
L’absence d’un parti prônant un programme pour l’unité de la classe ouvrière, en France mais aussi, de manière cruciale, en Algérie, a été un facteur clé dans la canalisation de la lutte anticoloniale sur des lignes nationalistes. Le Parti communiste algérien a perdu de plus en plus le soutien de l’opinion publique car sa direction se faisait l’écho de la politique du Parti communiste français – PCF.
Le FLN a cherché à prendre le pouvoir par la force militaire, avec une armée essentiellement basée sur la paysannerie et la population urbaine défavorisée. De manière significative, les six fondateurs du FLN étaient tous issus d’une élite rurale appauvrie par le colonialisme; leur monde était l’Algérie rurale et aucun d’entre eux n’avait eu d’interaction prolongée avec le mouvement ouvrier.
Au lieu d’orienter leurs efforts vers la construction d’un combat commun à tous les travailleurs et travailleuses et les pauvres, et d’essayer de diviser les colons européens sur une base de classe – y compris en donnant des garanties à la minorité européenne que ses droits seraient respectés – la plupart des dirigeants du FLN avaient une vision purement nationaliste, et n’avaient aucun programme pour développer le pays une fois l’indépendance obtenue.
Leurs méthodes consistaient notamment à bombarder des lieux publics fréquentés par des civils européens de la classe ouvrière et de la classe moyenne. Ces actions ont contribué à diviser les travailleuses et travailleurs algériens et non algériens, et à pousser les colons en masse dans les bras de la réaction pro-coloniale. À l’automne 1962, 99% des colons européens avaient quitté le pays par crainte de représailles, ce qui a constitué l’une des plus grandes migrations de population du XXe siècle.
Aucune solution
Malgré le courage et l’héroïsme de plusieurs combattant·es et sympathisant·es pro-FLN, leurs efforts n’ont pas abouti aux changements qu’ils et elles avaient espérés et pour lesquels ils et elles s’étaient battu·es.
Après l’indépendance, le régime qui a pris le pouvoir en Algérie était un État à parti unique sous la coupe d’une puissante machine militaire. Cette situation était le résultat direct des structures et des méthodes militaires adoptées par les dirigeants du FLN.
En effet, la participation massive et démocratique de la classe ouvrière – la seule force collective capable de renverser le capitalisme et de construire le socialisme – était considérée par la bureaucratie militaire émergente du FLN avec suspicion et comme une menace pour son propre pouvoir.
En équilibre entre le capitalisme et le stalinisme, le régime algérien a pu maintenir pendant un certain temps un «cap à mi-chemin», impliquant des nationalisations partielles qui ont contribué à développer les infrastructures, la santé et l’éducation. Mais à la suite de la chute du bloc stalinien, il s’est déplacé plus à droite et a adopté des privatisations massives et des contre-réformes néolibérales qui ont conduit à un profond désastre pour la masse de la population.
L’Algérie aujourd’hui
Aujourd’hui, malgré ses riches réserves de pétrole, la plupart des Algériens et Algériennes sont privé·es de tout semblant de conditions de vie décentes. Pour la majorité des Algériens et Algériennes, dont le pays est miné par la pauvreté, la corruption et la violence, l’anniversaire de l’indépendance n’a guère de raison d’être célébré.
La capitale, Alger, a été classée parmi les villes les moins viables du monde. Le «Code de la famille», notoirement rétrograde, consacre le statut de mineure à vie des femmes. Les élections sont falsifiés, les conditions de logement sont épouvantables, les abus policiers généralisés.
La génération post-indépendance constitue désormais la grande majorité de la population et n’éprouve que de la colère envers l’élite corrompue au pouvoir.
À la lumière des récentes luttes de masse qui ont embrasé la région nord-africaine, le temps est venu pour cette nouvelle génération de réapprendre les leçons de la lutte pour laquelle environ un million de leurs ancêtres ont sacrifié leur vie.
La gauche française
La vision dominante de la question algérienne au sein de la SFIO «socialiste» (section française de la Deuxième Internationale) peut être résumée par les mots d’un député SFIO qui déclarait : «Nous voulons que les hommes d’Algérie soient plus libres, plus fraternels, plus égaux, c’est-à-dire plus français.»
L’un des points essentiels sur lesquels la Troisième Internationale, communiste, se différenciait de la Deuxième Internationale était son soutien inconditionnel aux luttes de libération nationale contre le colonialisme. Mais la dégénérescence stalinienne de la Russie soviétique avait mis en lambeaux ces principes.
Alors que dans les années 1920, le Parti communiste français (PCF) avait joué un rôle de premier plan dans l’organisation de l’opposition à la guerre franco-espagnole du Rif au Maroc, dans les années 1950, ce parti était devenu un appendice soumis à la diplomatie stalinienne, défendant la «défense nationale», les alliances avec les forces pro-capitalistes et tentant de freiner les luttes ouvrières et anticoloniales.
Malgré le militantisme indépendantiste de nombre de ses membres et sympathisants, le PCF a voté, en 1956, en faveur des «pouvoirs spéciaux» accordés au gouvernement dirigé par le «socialiste» Guy Mollet, intensifiant la répression en Algérie et envoyant des centaines de milliers de conscrits sur le champ de bataille.