Les formations de gauche en déclin en Europe

Président du gouvernement espagnol, Pedro Sanchez [à gauche] et le 2e vice président et ministre des droits sociaux, Pablo Iglesias, au Congrès. (Photo : Pool/Europa Press)

Partout en Europe, les formations larges de gauche comme Québec solidaire stagnent, entrent en crise ou échouent à relever les défis imposés par la situation de crise pandémique et économique actuelle.

Les bouleversements sociaux des dernières décennies ont permis de mettre les formations larges de gauche à l’épreuve, en particulier au lendemain de la dernière crise financière mondiale de 2007-08. Depuis de début des années 2000, les formations de gauche se sont frayé un chemin dans plusieurs parlements d’Europe. Certaines ont pris le pouvoir dans des villes (tel PODEMOS à Barcelone), d’autres dans des pays entiers (tel SYRIZA en Grèce). Plusieurs événements majeurs (ex. crise des dettes souveraines, migrations massives, crise de l’Union européenne) ont mis les formations de gauche face à la réalité du capital.

La trahison du gouvernement SYRIZA en Grèce – qui malgré un référendum rejetant le plan d’austérité de la troïka l’imposera quand même – marque un point tournant dans l’histoire de ces formations. Un autre point de non-retour est franchi avec l’entrée, à la fin 2019, de Unidas-Podemos dans un gouvernement de coalition fédéraliste et capitaliste mené par le PSOE1 en Espagne.

Face à l’escalade de la lutte des classes des dernières années, les formations de gauche ont néanmoins échoué à mener les combats nécessaires pour améliorer durablement les conditions de vie de la classe ouvrière. Pire encore, certaines ont capitulé et participé à appliquer le programme d’austérité, d’oppression nationale et de nationalisme des élites capitalistes. Leurs échecs et leurs victoires ont toutefois permis à la conscience de classe d’atteindre un autre niveau.

La situation diffère d’un pays à l’autre, mais de grandes tendances se dessinent depuis plusieurs années.

Des formations insuffisantes

Les partis de gauche ne sont pas issus majoritairement de la classe ouvrière et ne représentent pas uniquement ses intérêts. Elles ne sont pas réellement enracinées dans la classe ouvrière. Cela se reflète dans leur composition effective tout comme dans leur appui électoral. Partout, les forces petites-bourgeoises réformistes disposent d’une hégémonie sur leur direction ainsi que sur leur aile parlementaire. Le caractère partiellement petit-bourgeois des formations de gauche entraîne une action politique réformiste insuffisante pour faire face à la situation de crise actuelle.

Ces formations ont un caractère instable de par l’affrontement des tendances de classe en leur sein. Plusieurs font face à des crises et des scissions. Plusieurs ont connu une croissance très rapide suivie d’une décroissance tout aussi rapide. C’est notamment le cas de SYRIZA. En cinq ans, ce parti est passé d’une position gouvernementale à un effondrement presque complet.

Les directions idéalistes des formations de gauche ne veulent pas porter les luttes à un niveau d’intensité qui risquerait de leur faire perdre le contrôle. La confusion politique, le bas niveau des débats politiques et la faible démocratie interne engendrent une faible action politique des membres de la base. Cette insuffisance a été manifeste durant la pandémie de la COVID-19.

En Allemagne, la direction et l’aile parlementaire de Die LINKE ont pris un tournant encore plus modéré. Ce parti ne s’est pas posé en alternative à la coalition gouvernementale démocrate-chrétienne/libérale. Les leaders de Die LINKE ont préféré mettre de côté leur programme et leur action de terrain dans l’espoir de participer à un éventuel gouvernement de coalition avec les sociaux-démocrates et les Verts.

En conséquence, les électeurs et les électrices n’ont pas considéré Die LINKE comme une option pertinente lors des élections municipales de septembre en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Le parti a reculé de 0,8% pour s’établir à 3,8%. Ce score est derrière celui des populistes de droite qui ont quant à eux reculé à 5% des voix. De leur côté, les Verts – perçus positivement pour leurs politiques environnementales – ont connu une montée fulgurante, passant de 11,7% à 20%.

En France, des discussions participatives au sein de La France insoumise (FI) ont eu lieu dès le début de la pandémie. L’envergure de cette bonne initiative a toutefois diminué avec le temps. La direction de la FI en est finalement revenue à sa stratégie axée sur les grandes figures. Les militantes et les militants de la base n’ont pas été intégrés dans le processus de décisions démocratique du parti.

De son côté, le Parti du Travail de Belgique (PTB) a ouvert ses rangs à une nouvelle couche de militants et de militantes, notamment grâce aux assemblées mensuelles démocratiques. Ses initiatives militantes et sa critique de la gestion gouvernementale a fait monter le parti à 15% d’appui en Wallonie, selon les sondages. Même si le parti a gagné en influence, son fonctionnement demeure toutefois grevé par son héritage stalinien. Les instances témoignent d’une faible démocratie interne dans laquelle les cadres et les permanents de l’appareil du parti décident de tout.

En Espagne, Unidas Podemos (UP)2 fait partie de la coalition gouvernementale du PSOE depuis décembre 2019. Contrairement aux promesses des leaders, l’évaporation des structures militantes au profit de l’intégration institutionnelle de UP a entraîné une chute de l’appui électoral (de 21% à 12%) et une perte de la moitié de ses sièges entre les élections de 2016 et celles de 2019.

UP a d’ailleurs expérimenté une scission à sa gauche tout juste avant la pandémie. La section du Secrétariat unifié de la 4e Internationale en Espagne, le groupe Anticapitalistas, a quitté UP en critiquant le fait qu’il «manque une opportunité extraordinaire de promouvoir des réformes de grande envergure et de générer un autre rapport de force».

Anticapitalistas a également souligné la «centralisation des pouvoirs et des décisions entre les mains d’un petit groupe de gens liés aux fonctions d’élus et au Secrétaire général». Cette scission témoigne à nouveau de l’échec du populisme de gauche, dont Podemos est la référence centrale en Europe. La chute de la gauche radicale espagnole pourrait s’accentuer en faveur d’autres forces perçues comme étant davantage «anti-système», tel le parti d’extrême droite VOX.

Malgré les différences entre les formations de gauche, la volonté de contrôle des directions engendre une approche directive (top/down) et un régime peu démocratique dans la plupart d’entre elles. Cela peu même aller jusqu’à l’expulsion de tendance trop critique, comme l’a expérimenté notre ancien groupe portugais expulsé du Bloc de gauche.

Cette volonté de contrôle entraîne une attitude méfiante envers les mouvements de mobilisation large de la base. Les formations de gauche ont souvent peu de mobilisations à leur actif. De manière générale, leur soutien aux grèves ou aux protestations demeure une forme de solidarité passive. Elles mettent plutôt l’accent sur le travail électoral.

En revanche, la FI est la formation de gauche ayant le plus axé son travail sur les mobilisations de masse. Ce travail étalé sur plusieurs années lui a permis de s’ancrer dans le milieu syndical, en particulier dans la CGT3 à Marseille.

Les phénomènes entourant le passage de Jeremy Corbyn à la tête du Labor Party britannique ou les deux courses de Bernie Sanders à l’investiture du Parti Démocrate des États-Unis se sont apparentés à ceux des formations de gauche. Contrairement à ces dernières, les deux politiciens ont misé sur la mobilisation massive des supporters et les liens avec les mouvements sociaux en lutte.

Cet élément a été très fort lors de la campagne électorale de Corbyn en 2017, mais beaucoup moins en 2019, donnant ainsi de l’espace à la droite. Dans le cas de Sanders, ses campagnes ont eu un effet énorme sur le développement des luttes, notamment celles entourant Black Lives Matter (BLM), Medicare for All ou le salaire minimum à 15$/h. Faute d’avoir emprunté jusqu’au bout la voie de l’organisation autonome de la classe ouvrière, ces deux politiciens ont été évincés et ont capitulé face à l’establishment capitaliste de leur parti respectif.

Sommes toute, le bilan des formations larges de gauche fait apparaître une série d’opportunités manquées. L’action politique des formations de gauche offre à la classe ouvrière très peu de situations où elle peut bâtir sa confiance en elle à travers la lutte. Or, la situation de crise actuelle du capitalisme favorise le développement d’une conscience critique face au capitalisme. Cette dernière se bute aux limites et solutions réformistes des partis de gauche.

Leurs contradictions et leurs échecs répétés à défendre les intérêts des travailleurs et travailleuses soulignent la nécessité de créer une force politique de classe autonome et résolue à combattre les capitalistes. Contrairement aux formations de gauche, un tel parti de classe ne doit pas dépendre de l’argent et des ressources de l’État, tout comme il doit être indépendant des compagnies capitalistes.

Des formations incontournables

Or, il serait erroné de penser que tout cela sonne le glas définitif des formations larges de gauche. En 2020, la classe ouvrière est de nouveau confrontée à une crise du capitalisme sans avoir de parti à elle. Les attentes générales demeurent très basses. Comme rien à leur gauche ne semble crédible à la classe, il reste encore de beaux jours à certaines formations de gauche.

Globalement, la conscience de classe n’a pas atteint le niveau requis pour que son avant-garde forge son propre parti. Les mouvements de masse historiques de l’année 2019 (Hong Kong, Chili, Liban, France, etc.) n’ont pas accouché de nouvelles formations politiques de classe. Contrairement à ce que ces soulèvements de masse auraient pu laisser croire, les couches qui tirent des conclusions socialistes le font moins rapidement que nous le pensions. Les solutions centristes et réformistes sont toujours à l’essai.

Toutefois, les confrontations majeures des dernières années ont favorisé un renouveau certain, mais modeste, de la conscience de classe. Un tournant majeur s’est opéré avec la crise de 2007-08 depuis la trajectoire morose des années 1990. Un nouveau virage s’opère avec la crise de 2020. Cette fois, le rôle de la classe ouvrière est mis en évidence par la pandémie. Les travailleuses et les travailleurs essentiels sont bien ceux et celles qui font fonctionner la société, contrairement aux parasites issus des banques et des multinationales.

Si la conscience de classe augmente, la conscience socialiste aussi. Si cette conscience n’entraîne pas encore de larges pans de jeunes, de travailleurs et de travailleuses à joindre un parti marxiste révolutionnaire comme Alternative socialiste, de nouvelles opportunités s’offrent continuellement à nous. Comme les mouvements de masses de 2019 l’ont prouvé, les classes populaires sont prêtes à aller beaucoup plus loin et plus vite que les formations de gauche le proposent.

Dans bien des pays, ces formations de gauche constituent une étape vers la représentation politique autonome de la classe ouvrière. Elles demeurent un véhicule électoral crédible pour exprimer le ras-le-bol du système pour de larges couches de la classe ouvrière. Toutefois, le développement d’une critique du système, des riches, de la répression de l’État bourgeois, de l’oppression galopante des femmes ou encore de l’effet de la pollution sur le réchauffement climatique – couplée aux effets de la crise actuelle – crée la base pour que de nouvelles couches de personnes se tournent vers les idées socialistes.

Considérant l’instabilité économique et politique du capitalisme, il est possible que les solutions réformistes soient rapidement testées dans certains endroits du monde. Leur échec pourrait laisser la place à la construction de forces politiques beaucoup plus radicales.

Les forces réformistes d’aujourd’hui ne sont même pas capables d’obtenir des réformes sérieuses et durables. Les limites de ce réformisme permettent de soulever rapidement une conscience socialiste et d’intervenir avec des revendications socialistes. Et pour y arriver, construire nos propres forces révolutionnaires demeure notre principale tâche. C’est uniquement avec un noyau solidement formé de marxistes révolutionnaires que nous serons en mesure de reconstruire des mouvements de classe plus larges.


1. Parti socialiste ouvrier espagnol mené par Pedro Sanchez
2. Coalition électorale qui regroupe notamment Podemos, Izquierda Unida (IU) et Equo
3. Confédération générale du travail


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