La frustration des profs devra se traduire en lutte !

Manifestation au Arizona Capitol, 3 mai 2018 à Phoenix (Photo : Ross D. Franklin)

Depuis les dernières années, les travailleurs et les travailleuses du secteur de l’éducation se mettent en action. Leurs actions militantes s’organisent parfois de manière autonome, à partir des réseaux sociaux. En ces temps de crise, pourquoi et comment militer pour réellement améliorer nos conditions de travail ?

En 2018, des dizaines de milliers d’enseignant·es de Caroline du Nord — un État républicain — ont entamé des grèves illégales sans le support direct de leur syndicat. Ce mouvement s’inscrit dans la continuité de #RED4Ed lancé en Virginie occidentale — tout aussi républicaine — pour de meilleurs salaires et conditions de travail.

En Ontario, en décembre 2019, 60 000 travailleurs et travailleuses du domaine de l’éducation sont sortis de leur école pour former des lignes de piquetage.

Le 1er mai 2015, une dizaine de syndicats d’enseignant·es de cégeps ont débrayé de manière illégale, contre l’avis de leur centrale syndicale. Ces personnes ont lancé un message clair au gouvernement libéral de l’époque en joignant la plus grande journée de perturbation économique depuis une décennie. Quand elles le veulent, ces personnes sont pleinement capables de s’organiser et de faire reculer un gouvernement.

Cinq ans plus tard, la situation de crise a fait empirer les problèmes du monde de l’éducation. Les militant·es de l’enseignement seront-ils à la hauteur des nouveaux défis ?

Comprendre la portée du problème

En réponse aux demandes du Syndicat des professeurs et professeures de l’Université du Québec à Montréal (SPUQ), la direction de l’UQAM a déclaré en juin dernier : « Tout le monde a été affecté par la pandémie, tout le monde a été débordé de travail supplémentaire, en commençant par nous, à la Direction ». Belle excuse pour ne pas répondre aux exigences des profs ! Toutefois, l’UQAM reconnaît implicitement que la pandémie n’est pas un problème individuel, mais bien systémique. C’est la seule perspective qui explique pourquoi on retrouve les mêmes problèmes dans tous les pays capitalistes.

En Belgique, par exemple, l’infrastructure scolaire est sous-financée depuis plus de 25 ans. Leurs classes manquent de chaises et de bureaux. Il y fait trop chaud ou trop froid. Parfois, il pleut dans les classes. En mai, 1/3 de leurs écoles n’ont pas pu respecter les règles de sécurité de manière acceptable. Depuis, peu d’améliorations ont eu lieu.

À New York, le gouvernement municipal a décidé de couper le budget des écoles de 700 millions de dollars avant la pandémie. Ce montant menace l’emploi de 9 000 enseignants et enseignantes. Le chancelier scolaire de la ville, Richard Carranza, est allé jusqu’à dire que sans financement additionnel de la part du gouvernement fédéral, des écoles devront fermer. Rien n’est moins sûr qu’une rentrée sécuritaire.

Dans le reste du Canada, on peut voir les mêmes tendances. En Nouvelle-Écosse, le président du syndicat des enseignants a envoyé une lettre au gouvernement pour retarder la rentrée tellement l’état de leurs écoles est chaotique. Le gouvernement l’a ignoré sans grande surprise. Pour l’agente de la santé provinciale de la Colombie-Britannique, Dre Bonnie Henry, un seul mètre de distanciation est suffisant. De plus, les élèves n’ont pas besoin de porter des masques.

Du côté de l’Ontario, Ford dit qu’il veut des classes plus petites, mais sans dire comment financer le tout. C’est d’autant plus ironique qu’il y a seulement 8 mois, Ford a voulu augmenter la moyenne d’étudiants et d’étudiantes par classe de 22 à 28.

Au Québec

Le Québec est la première province au Canada à ouvrir les portes de ses écoles pour la rentrée. En une seule semaine, 80 nouveaux cas de COVID-19 ont été rapportés. Au moment d’écrire ces lignes, il y aurait plus de 427 écoles et centres de formation professionnelle touchés. On parle d’environ un établissement sur dix.

En fait, nous avons la province avec le plus de cas de COVID-19 au Canada, malgré notre population plus petite que celle de l’Ontario. Le premier ministre François Legault et ses ministres font tellement une mauvaise job qu’ils nous obligent à envier le gouvernement de Doug Ford. On mérite mieux.

Cette situation n’est pas tombée du ciel. Ce sont les décisions gouvernementales du passé qui nous rattrapent. On peut bien réduire la taille des classes et nettoyer les bureaux après chaque période, sauf que si la ventilation est inadéquate, les taux d’infection grimperont. Au Québec, plus de la moitié de nos écoles sont en mauvaise condition. Plusieurs classes ne peuvent même pas ouvrir leurs fenêtres ou n’ont aucun système de ventilation. En réponse à cette situation, Legault veut construire huit écoles et en rénover huit autres. Le niveau primaire compte à lui seul 1 700 écoles. À ce rythme, nos enfants ne sont pas près de bien respirer !

Le Québec est en pénurie de professeur·es depuis maintenant plusieurs années. Le nombre d’élèves par classe augmente de manière régulière, tandis que les inscriptions au baccalauréat en enseignement baissent depuis 2015. Cette pénurie s’explique en partie à cause de la dévalorisation des salaires du corps enseignant. De 1981 à 2004, son pouvoir d’achat aurait baissé d’environ 20 %. On peut aussi comprendre qu’avec les coupures en éducation, surtout en infrastructure, les conditions de travail ont empiré.

Lors d’une assemblée du comité intersyndical de Québec solidaire tenue à l’école secondaire Père Marquette en 2018, des enseignants et des enseignants nous ont confié des histoires absolument pathétiques. On parle de professeurs d’art sans lavabo, de surveillantes sans assurances ni protection qui se font agresser par des étudiants. On parle du manque de reconnaissance du travail hors cours et de l’argent investi par les enseignants et enseignantes, de leur propre poche, pour acheter les effets scolaires manquant à leurs cours.

L’éducation et le capitalisme

On ne peut pas comprendre la logique des coupures incessantes en éducation sans comprendre le rôle que l’éducation possède dans notre système économique capitaliste. Même si les dirigeants et dirigeantes nous disent actuellement agir dans l’intérêt de nos enfants, leur priorité est en fait de « relancer l’économie ».

L’éducation tient trois rôles.

  • Reproduire la main-d’œuvre qualifiée ;
  • Reproduire l’idéologie libérale qui reflète les intérêts de classes des élites capitalistes dirigeantes ;
  • Permettre aux parents d’aller travailler afin d’assurer l’accumulation de profits au patronat.

Si vous vendez votre force de travail pour survivre, vous ne faites pas partie de l’élite capitaliste !

Nos gouvernements doivent écouter ce que les classes possédantes veulent. Sinon, ils n’auront pas les ressources nécessaires pour gagner leurs élections. Lorsque des gens se présentent en politique pour défendre les intérêts des travailleurs et travailleuses, comme Socialist Alternative à Seattle, ils peuvent s’attendre à absolument tous les coups bas et tous les millions des Jeff Bezos de ce monde pour les arrêter.

Cette contre-attaque des élites s’exprime aussi à travers le soutien des médias privés qui occupent la majorité de notre paysage médiatique. Ici aussi, gagner le respect et le soutien des médias privés se fait en jouant le jeu des élites. Parler trop fort ou dire des choses trop radicales entraîne rire et dérision. Les syndicats qui osent se battre subissent le même sort.

Nos syndicats, nos outils de lutte

On ne peut pas affronter un système au complet de manière individuelle. C’est pourquoi les syndicats occupent, en tant qu’organisations autonomes et démocratiques de la classe ouvrière, une place centrale dans notre stratégie de résistance. Plusieurs d’entre eux sont déjà en action.

Le conseil syndical du SPUQ se bat pour aider les professeur·es ayant des enfants à charge et qui doivent rester chez eux, à enseigner et enseigner à distance tout en même temps. Il se bat aussi pour que leur direction reconnaisse la surcharge de travail causée par la COVID-19. Il réclame une augmentation de 25 % du budget des auxiliaires d’enseignement et un fond de 2 500 $ par professeur·es.

En mai dernier, 97 % des 11 500 membres de la FSE-CSQ ont refusé l’offre patronale. 98 % de leurs enseignants et enseignantes demandent des améliorations dans les quatre domaines suivants :

  • Composition de la classe et services aux élèves en situation de handicap ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage ;
  • lourdeur de la tâche ;
  • rémunération (dont une majoration de l’échelle de traitement pour TOUS les enseignants et enseignantes) ;
  • précarité et entrée dans la profession.

Sans surprise, l’État employeur n’a pas changé ses positions depuis. Québec n’est même pas revenu à la table de négociation.

La FAE a déposé un recours en Cour supérieure afin d’obtenir du gouvernement plusieurs documents ainsi que la mise en place d’un mécanisme de dépistage accéléré de la COVID-19. Le syndicat parle aussi des normes de distanciation qui ne sont pas respectées ainsi que le masque qui n’est pas obligatoire.

Revendiquer et gagner, ensemble

Ces exemples démontrent le travail que font nos syndicats pour nos jeunes. Cependant, pour réellement gagner, il faudra plus. Alternative socialiste propose ces pistes d’action pour transformer nos luttes en victoires.

L’absence de Front commun à la direction des centrales syndicales participe à atomiser les luttes syndicales. Toutefois, l’action d’un syndicat représente le niveau politique et l’énergie de sa base militante.

Les syndiqué·es du secteur de l’éducation doivent réaliser qu’ils ont tout à gagner de l’amélioration des conditions de travail des autres syndiqué·es des services publics et parapublics. Toutes ces personnes peuvent s’unir, de la base, à travers des revendications communes et concrètes. Pour cela, il faut commencer par se parler, dans des comités d’action, de nos réalités, de nos revendications et des stratégies possibles pour les gagner.

Les syndiqué·es du secteur de l’éducation et de la santé se battent contre le même système capitaliste, souffrent de la même dévalorisation et du même manque de financement. Une fois mise en contact, ces travailleurs et travailleuses peuvent se soutenir mutuellement dans leurs actions de mobilisations en allant aider et en assistant aux événements des autres.

Le financement des services publics est un problème politique. Les structures démocratiques locales et régionales de Québec solidaire peuvent être investies par les syndicats et leurs membres afin de servir d’outil de mobilisation des communautés et de lutte contre les pouvoirs en place. Il est ainsi possible d’aller chercher un appui plus large aux revendications des employé·es du secteur public.

Nous avons un très grand potentiel de lutte si nous travaillons ensemble. Arrêtons d’accepter de vivre dans une société qui priorise le profit sur la santé et la vie humaine !

Si vous êtes d’accord avec nos orientations, impliquez-vous avec nous !


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