Ne laissons aucune place aux populistes réactionnaires !

Manifestation anti-masques du 23 août à Québec / photo : Patrice Larouche

La situation mondiale nous a projeté dans un contexte unique. Des personnes diamétralement opposées sur le spectre politique, de gauche comme de droite, se retrouvent à combattre les mêmes gouvernements. Toutefois, peu s’en prennent à la cause profonde de nos problèmes de société : le capitalisme !

La pandémie a accéléré l’écroulement de la confiance populaire envers les institutions de la démocratie bourgeoise. Des médias de masse aux partis politiques, en passant par les syndicats et la communauté scientifique, ces institutions déjà fragilisées le sont encore davantage. Comment certaines personnes en sont-elles rendues là dans leur méfiance ? Quelle en est réellement la cause ? Comment doit-on analyser la situation politique, sociale et économique actuelle pour arriver à donner un sens à nos luttes et décortiquer le réel de la fabulation ?

La vague du populisme de droite

Une vague populiste de droite a déferlé à travers le monde durant les dernières décennies. Elle a porté au pouvoir des chefs politiques qui contrastent avec l’establishment politico-économique habituel. Mais ces derniers sont aussi affamés que les précédents. Ces leaders se livrent aux pratiques capitalistes les plus malignes, sans aucune vergogne ni aucun scrupule. Nous avons vu des personnages comme Vladimir Poutine en Russie, Donald Trump aux États-Unis, Boris Johnson au Royaume-Uni, Jair Bolsonaro au Brésil… et François Legault au Québec !

L’ascension de Legault comme premier ministre fait suite à celle de Mario Dumont et de l’Action démocratique du Québec (ADQ) dans les années 2000. L’ADQ est devenue l’opposition officielle à l’Assemblée nationale en 2007 dans la foulée des débats sur les accommodements raisonnables. Ce débat xénophobe monté de toute pièce a été intensifié par la panique généralisée contre le terrorisme islamiste, alimentée par les médias et le gouvernement américain. En 2012, l’ADQ fusionne pour devenir la Coalition avenir Québec (CAQ) dirigée par Legault. La concurrence de la CAQ tire définitivement le Parti québécois sur le terrain du nationalisme identitaire.

Vers un nationalisme identitaire

Durant les années 2010, les guerres impérialistes et les troubles climatiques liés à l’exploitation des ressources naturelles entraînent les plus grands flux migratoires de l’histoire. Les gouvernements bourgeois y répondent par des politiques réactionnaires anti-immigration.

La frange la plus nationaliste des indépendantistes du Québec épouse alors une approche de défense de l’identité linguistique et culturelle « de souche ». Dans la foulée du printemps érable 2012, la création d’un nouveau parti indépendantiste appelé Option nationale (ON) et l’élection d’un gouvernement minoritaire du Parti québécois (PQ) donne de l’espoir aux nationalistes de gauche.

Or, le gouvernement de Pauline Marois s’engouffre dans la xénophobie avec son ineffable projet de Charte des valeurs. Ce projet lui fera perdre les élections de 2014 au profit du Parti libéral du Québec (PLQ). Les leaders péquistes suivants connaissant une succession d’échecs de plus en plus retentissants, au fur et à mesure que la CAQ séduit par son populisme de droite.

ON connaît une débandade lorsque son premier chef et fondateur, Jean-Martin Aussant, se désiste en pleine montée en 2013. Le parti stagne jusqu’à ce que des négociations mènent la frange de gauche d’ON à se fondre dans Québec solidaire cinq ans plus tard. Entre temps, la rue s’est tranquillement vidée de ses militants et militantes indépendantistes. Elle a laissé place à des groupuscules d’extrême droite. Les Québécois et Québécoises qui votaient majoritairement pour le PQ ont décidé, face à l’incapacité de ce dernier à mettre de l’avant un vrai projet enthousiasmant pour l’indépendance nationale, de se rabattre sur la CAQ.

En comparaison, la CAQ semble mettre des coudées plus franches sur ses aspirations nationalistes en s’en prenant aux personnes et coutumes venant de l’étranger. Les groupes qui ont vu le jour durant cette période — telle La Meute — ont mis de l’avant les politiques discriminatoires de la CAQ. Ils ont été le « bras militant » de la CAQ pendant ses premiers pas dans l’arène politique.

L’empire médiatique de Québecor a aussi su tirer profit de la corde sensible de la culture et des valeurs québécoises. Sa couverture du débat sur les accommodements raisonnables a pavé la voie à l’élection de l’ADQ. La même approche sensationnaliste a participé à la montée d’un sentiment islamophobe qui a culminé avec l’adoption de la loi sur l’interdiction des signes religieux dans la fonction publique par la CAQ en 2019. Mais la pandémie de la COVID-19 est venue changer le cours de l’histoire.

L’amateurisme de la CAQ en pandémie

Tout au long de cette pandémie mondiale, les gouvernements se sont mis sur un pied de guerre en imposant le confinement. La CAQ s’est dévoilée comme complètement incapable de fournir des mesures de protection nécessaires pour les travailleurs et travailleuses de la santé, des directives claires sur la gestion de la crise sanitaire et de fournir des tests de dépistage en quantité suffisante pour isoler rapidement les personnes contaminées.

Legault, probablement très conscient que son électorat de base s’appuie majoritairement sur la liberté individuelle et la déréglementation, a dû marcher sur des œufs pendant trois mois pour suggérer fortement des mesures sanitaires sans jamais les imposer. De plus, considérant l’absence de réserve stratégique provinciale d’équipement de protection et le manque de préparation d’un plan sanitaire clair, le gouvernement a d’abord dû minimiser l’importance du port du masque pour camoufler son manque de stock.

Bien que les données n’étaient pas encore unanimes concernant l’utilité du port du masque, l’expérience des pays asiatiques et les avertissements de différents organismes de santé publique auraient dû faire en sorte que le gouvernement se prémunisse, au minimum, de l’équipement nécessaire pour le personnel de la santé. Une gestion sérieuse aurait entraîné des mesures de prévention rapides en fonction des besoins sanitaires, plutôt qu’une improvisation et un déconfinement agressif pour sauver les profits des grandes compagnies et des petites (qui sont vampirisées par les grandes).

L’accélération de la récession est due à l’entêtement des gouvernements bourgeois, à la solde des multinationales, de continuer à tirer l’argent des poches des travailleurs et travailleuses, plutôt que de récupérer la richesse des plus riches de la société. Ce qui nous attend au retour de la vie « normale », c’est le retour aux mesures d’austérité. Le gouvernement, par ses mesures économiques exceptionnelles, dit avoir épuisé une bonne partie des surplus budgétaires hérités des décennies d’austérité libérale. La CAQ prétend que la deuxième vague de coronavirus risque de vider les coffres de l’État.

La mauvaise gestion de Legault a exacerbé la méfiance de toute une couche de la population envers lui. La pensée magique irresponsable, les mensonges sur l’état de la situation des stocks et les contradictions dans les mesures sanitaires imposées ont choqué beaucoup de monde. Toute une frange de petits boss sur la corde raide conteste les mesures sanitaires parce qu’elles leur font perdre des profits. La droite radicale complotiste et libertarienne a tôt fait de canaliser tout ce ressentiment.

Legault s’enfarge et la complosphère s’anime

Legault est allé dans la zone interdite des libertariens. Celle de l’imposition d’une loi qui brime la liberté individuelle, soit le port obligatoire du masque dans les lieux publics ! Pour les regroupements anti-masques, les complotistes et la droite libertarienne, Legault, notre « mononcle » national, est maintenant un malfrat à la solde de puissances occultes qui veulent nous retirer nos libertés.

Ce discours est tenu par les mêmes personnes qui le soutenaient pour ses politiques anti-immigrations et antivoile il y a peu de temps. Pour elles, la perte de confiance envers les institutions politiques est maintenant totale. Il n’y a plus aucune science qui tienne, surtout si elle est utilisée pour nous imposer le port du masque pour la protection des autres. Il s’agit maintenant d’une vaste conspiration globale visant à nous asservir.

Les théories de conspiration n’ont jamais eu autant la cote. Que ce soit l’omnipuissant Bill Gates manigançant pour rendre le vaccin obligatoire, les connexions douteuses entre la COVID-19 et les antennes 5G en passant par la puce RFID, tout y passe, rien ne va plus. La complosphère prend des proportions inquiétantes. Des manifestations anti-masque de plusieurs centaines de personnes ont eu lieu partout au Québec durant l’été. La plus grande à Montréal a rassemblé plus de 10 000 personnes. Les organisateurs de ces manifestations ont connu très peu d’obstacles dans leur entreprise.

Cette situation démontre à quel point l’esprit critique qui aurait pu se développer a plutôt laissé la place à toutes sortes de théories indémontrables. La gauche bien pensante, plutôt que d’exposer les liens entre la gestion désastreuse de la pandémie et les élites capitalistes qui l’ont piloté, a préféré mépriser les milliers de personnes mobilisées derrière les anti-masques.

Cynisme, idéalisme et colère : les armes du populisme de droite

Le cynisme envers les institutions bourgeoises et l’approche de la gauche tournée vers les belles idées — plutôt que vers la réalité matérielle des gens — a créé les conditions pour que fleurissent les théories conspirationnistes farfelues. Cette mouvance conspirationniste est alimentée principalement par une droite radicale qui profite de l’ignorance d’une frange de la classe ouvrière. Au final, ces forces de droite tentent de rediriger la colère des travailleurs et travailleuses envers les élites afin qu’elle serve à défendre les intérêts des entreprises privées opposées aux mesures sanitaires.

Dans ce chaos de fakes news et de propagande, tirant dans toutes les directions, sauf la bonne, un phare de lucidité est nécessaire. Beaucoup de formations et de personnalités de gauche ont jeté la serviette durant la pandémie. Au Québec, Québec solidaire (QS) s’est rallié docilement derrière la CAQ dès la déclaration de l’état d’urgence sanitaire. Certains membres de QS même ont traversé la clôture pour rejoindre les manifestations anti-masques. Les porte-parole de QS ont toutefois été très vocaux en juin, lors de la tentative manquée de la CAQ de faire passer son projet de loi 61 pour l’accélération de travaux d’infrastructure.

Le PL61 a soulevé une indignation généralisée à gauche, notamment en raison des contournements aux règles environnementales ou de transparence en matière d’octroi de contrats. La droite radicale et complotiste s’est aussi opposée au PL61 en raison des pouvoirs exceptionnels que le gouvernement tente de maintenir pour imposer ses décisions arbitraires, notamment l’imposition du port du masque. Lors d’une manifestation à Québec contre le PL61 devant l’Assemblée nationale, un groupe de gauche s’est retrouvé à manifester au même moment qu’un groupe de droite.

La session parlementaire reprendra à la mi-septembre. Legault est déjà prêt à retenter sa chance avec une nouvelle mouture de son projet de loi. Il profitera probablement de sa majorité parlementaire pour adopter un nouveau projet avec la même substance.

Comment se démarquer des populistes ?

Le bon moyen de couper l’herbe sous les pieds des réactionnaires, qui conduisent la classe ouvrière dans les bras des entreprises privées, c’est de présenter des revendications concrètes, palpables et qui touchent le plus grand nombre de travailleurs et travailleurs. Augmenter le salaire des employé·es de la santé en montant fixe plutôt qu’en pourcentage, donner de l’équipement de protection adéquat à toutes les travailleuses et travailleurs, etc. Ce sont des éléments ancrés dans le milieu de travail qui ont des impacts réels et durables dans les conditions de travail et de vie des travailleurs et travailleuses.

Ensuite, il y a les mesures plus générales, par exemple la nationalisation sous contrôle démocratique des CHSLD et des résidences pour personnes âgées privées, le financement des services publics par la taxation et l’imposition des riches et grandes entreprises, ou encore la saisie de l’argent des paradis fiscaux.

On sait qu’il y a des milliards de dollars qui fuient hors des coffres de l’État québécois, avec la bénédiction du fédéral. Ces montants devraient servir à financer les services publics afin de les rendre plus accessibles, de meilleure qualité et gratuits. Or, les gouvernements, au lieu de prendre l’argent où il se trouve réellement, pigeront encore dans les poches des travailleurs et des travailleuses. Dès que la pandémie se résorbera, tout le monde sera frappé par l’austérité alors que plusieurs n’auront pas repris leur emploi et que d’autres resteront encore longtemps sur l’assurance-emploi.

Organisons-nous !

Comme on l’a vu, QS n’a pas su prendre le leadership au moment où le Québec en avait le plus besoin. Le parti a fait confiance à la CAQ et s’est contenté de la critiquer timidement pour finalement prendre des vacances durant l’été. Ce même été qui a connu des dizaines d’actions des employé·es du milieu de la santé, des étudiants et étudiantes de l’étranger, des sans statuts et des manifestations de masse contre le racisme et les violences sexuelles.

Certains syndicats ont été lents à emboîter le pas pour avancer de meilleures revendications salariales. Mais nous avons vu à plusieurs reprises des exemples patents de comment les travailleurs et travailleuses ont pris les choses en main, avec les moyens du bord. Poussé·es dans des situations extrêmes, dépourvu·es de l’aide du gouvernement, de leur employeur ou même de leur syndicat — des centaines de personnes se sont organisées par leurs propres moyens, parfois au péril de leur propre vie.

Les manifestations anti-masque sont une expression de la colère des gens qui en ont assez de se faire manipuler et de se faire mentir. Ne pas s’occuper des gens qui se questionnent en ces temps cruciaux risque de nous coûter cher à long terme. Cela risque de se traduire par une récupération dévastatrice des organisations ou des regroupements réactionnaires, complotistes et d’extrême droite… les trois se confondant désormais sous la bannière du refus du port du masque.

Alternative socialiste (AS) est présent sur le terrain pour rencontrer les gens dans leur milieu de travail, peu importe où. AS est là pour aider les travailleurs et travailleuses à prendre conscience qu’ensemble, nous pouvons avoir un rapport de force plus fort que les élites ne se l’imaginent. Même si les directions des syndicats et des partis de gauche ne font pas leur travail correctement, il est possible de s’organiser pour réellement défendre nos intérêts et revendications communs.

Il est plus nécessaire que jamais de construire un parti de masses des travailleurs et travailleuses afin de renverser la source du problème, le système capitaliste. Il a démontré clairement son incapacité à gérer les crises actuelles, qu’elles soient écologiques, économiques, politiques ou sanitaires.


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