Le 1er Mai – 8. La «Fête du Travail››, une diversion des boss

La bonne entente devant régner entre le capital et le travail, La Patrie, 1909

Ce texte est tiré de la brochure de Claude Larivière Le 1er mai, fête internationale des travailleurs parue aux Éditions coopératives Albert Saint-Martin en 1975. Il s’agit d’une version corrigée de ce rare ouvrage consacré à l’histoire du 1er Mai au Québec.


À la suite des événements de Chicago, les patrons américains vont tout faire pour que le 1er mai passe à l’oubli!

Déjà, les ouvriers cigariers fêtent – depuis 1882 – le premier lundi de septembre en chômant et en organisant un défilé et un pique-nique. Pourquoi ne pas transformer cette fête de métier en « fête de travail », en « Labor Day »? C’est ainsi que, progressivement, l’État et les patrons ont détourné les travailleurs américains – canadiens et québécois – du 1er Mai, seule véritable fête internationale des travailleurs.

Le premier lundi de septembre 1886, les ouvriers cigariers montréalais célèbrent leur fête annuelle par un grand pique-nique à Elmwood Grove.

Avant de se rendre à cet endroit, les cigariers « accompagnés d’un grand nombre d’ouvriers des sociétés-soeurs ont parcouru en procession différentes rues de la ville. Les rues Saint-Laurent, Notre-Dame et Sainte-Catherine, qui se trouvaient dans les parcours, étaient richement pavoisées. La procession s’est mise en route dans l’ordre suivant: Musique de la Philarmonique du Mile-End, la Société des Cordonniers avec leur bannière, les tailleurs de pierre, les briquetiers, les plâtriers, les mouleurs, les tailleurs de cuir, les typographes et les cigariers. La Musique de la Cité marchait à la tête de la Société des Cigariers. Dans une voiture à deux chevaux avaient pris place MM. G.S. Warren, président de l’Union des Cigariers, J. Lafrance, vice-président, et Adélard Gravel…

Près de 2 000 personnes ont pris part à cette démonstration. Cette fête a une double signification, car tout en étant le pique-nique annuel des cigariers, c’est l’inauguration de la fête générale des ouvriers et c’est pourquoi la date du 6 septembre jour de congé choisie. C’est en effet aujourd’hui grand jour de congé aux États-Unis. C’est la fête des ouvriers et dans toute la grande République américaine, presque tous les ateliers sont fermés. Les ouvriers de notre ville veulent suivre l’exemple donné par nos voisins et, pour la première fois, on a vu aujourd’hui une réunion de plusieurs sociétés convoquées dans le but de s’unir pour célébrer tous les ans la fête du travail. »

En septembre 1887, les cigariers célèbrent de même leur fête. Le président du Conseil des Métiers et du Travail de Montréal, M. Maisonneuve, se joint à eux. En 1888, on commence à parler davantage de la fête du Travail que de la fête de cigariers: « De bonne heure, ce matin, la ville, principalement les quartiers ouvriers, se ressentait d’une animation extraordinaire… Bientôt, on vit circuler au milieu de la foule qui encombrait les rues des ouvriers d’un âge plus avancé, en redingote noire, avec chapeaux de soie, portant des insignes de diverses sociétés ouvrières… La procession s’est mise en marche sur la Craig, la rue Gosford et la rue Notre-Dame. En tête de la procession marchaient les ouvriers des fabriques de boîtes de montres… au second rang défilaient les tailleurs de pierre (au nombre de 500), l’Union des peintres, la Fraternité des Charpentiers, les typographes et les pressiers, les cordonniers, l’Union Canadienne des Briquetiers, l’Association des plâtriers, les Chevaliers du Travail de l’Assemblée Salaberry, l’Union des Mouleurs et les cigariers…

Dans leurs rangs, on remarquait plusieurs bannières sur lesquelles se lisaient des inscriptions comme les suivantes: Encouragez le travail honnête! Supprimez le travail des enfants!… La marche de la procession était fermée par le carrosse dans lequel avaient pris place M. Théophile Godin, président du Conseil Central des Arts et Métiers; M. George Warren, 3e vice-président de l’Internationale des Cigariers; M. George Gale, président de l’Union Typographique de Québec, et délégué des Chevaliers du Travail de la même ville; M. Martin Taley, aussi délégué des Chevaliers du Travail de Québec et conseiller municipal de la vieille capitale ». Plus de 4 000 travailleurs prirent part à ce défilé.

En 1889, le Conseil des Métiers et du Travail de Montréal prend l’organisation de la fête en mains. Cette fois « les patrons ont presque tous donné congé à leurs employés ». Dix mille ouvriers participent au défilé et au pique-nique. Le député ouvrier de Montréal-Est, Alexandre T. Lépine, prend la vedette. Progressivement donc, les organisations ouvrières montréalaises calquent leur attitude sur celle des syndicats américains.

Aux États-Unis, c’est en 1882 que l’assemblée générale des Chevaliers du Travail de New York propose que le premier lundi de septembre soit à l’avenir le jour des ouvriers. Le 5 septembre 1882, le Central Labor Union de New York célèbre pour la première fois cette fête en défilant dans les rues principales de la ville. Cette sortie publique, cette identification correspond à la nouvelle image que les Chevaliers veulent donner à leur organisation au sortir de sa phase « secrète ».

Par la suite, la manifestation se renouvelle annuellement jusqu’en 1887 alors que la législature de l’État de New York fait du Labor Day une fête légale. 1887, ce n’est pas par hasard: c’est juste après les événements de Chicago. Visiblement, l’encouragement des patrons et de l’État, qui donnent congé aux travailleurs en septembre plutôt qu’en mai vise à les distraire, à décourager le souvenir des martyrs encore frais. En 5 ans, de 1887 à 1892, la presque totalité des États américains consacreront, « patronneront » le Labor Day.

En 1890, 10 000 personnes participent au défilé de Montréal, suivi d’un pique-nique et de joutes sportives. Plusieurs notables commencent à fréquenter l’événement. En 1891, la Fête du Travail précède le congrès annuel du Conseil des Métiers et du Travail du Canada; 15 000 personnes participent au pique-nique dont un ministre, l’honorable Chapleau, et le maire de Montréal. La fête ouvrière a conquis ses titres de noblesse et même les bourgeois se flattent de goûter le soleil au champ de l’exposition, où se déroule le pique-nique…


par
Mots clés , , , .