Le 1er Mai – 4. Les Chevaliers du Travail

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Ce texte est tiré de la brochure de Claude Larivière Le 1er mai, fête internationale des travailleurs parue aux Éditions coopératives Albert Saint-Martin en 1975. Il s’agit d’une version corrigée de ce rare ouvrage consacré à l’histoire du 1er Mai au Québec.


En 1882, les Chevaliers du Travail s’implantent à Montréal. L’organisation qui remplit le triple rôle de mouvement syndical (en cherchant à améliorer les conditions de travail), politique (en suscitant et en appuyant des candidatures ouvrières), et populaire (par la promotion de l’action coopérative), connaît chez nous un assez grand succès. Aux États-Unis, le mouvement connaît une expansion phénoménale entre 1884 et 1886: ses membres passent de 71 000 à 730 000! Cela s’explique par la victoire syndicale des Chevaliers après une grève dans les chemins de fer. C’est la première fois, aux États-Unis, qu’une organisation ouvrière nationale se mesure au grand capital et obtient des résultats satisfaisants.

Comment imposer les 8 heures aux patrons?

En 1881, des Chevaliers commencent à revendiquer la journée de 8 heures afin de réaliser les articles 1 et 2 de leur déclaration de 1878. Il est proposé que le premier lundi de septembre 1882, « pour les ouvriers de ce pays, sera l’occasion d’exiger que 8 heures constituent la journée légale de travail ». Terrence Powderly fait rejeter la résolution en prétextant que les Chevaliers n’imposent rien, mais cherchent à obtenir des résultats par la négociation et l’arbitrage. La résolution revient toutefois en 1882 et 1883.

En 1884, les ouvriers font inscrire en 21e principe à leur déclaration: « Raccourcir la journée de travail, en refusant de travailler plus de 8 heures par jour ». Aucune date n’est cependant fixée pour réaliser cet objectif. À travers l’opposition continue de Powderly face à une revendication populaire devant conduire à une action de masse, il faut voir son refus d’assumer la tâche de mouvement dévolu par la classe ouvrière américaine à l’Ordre des Chevaliers du Travail. Powderly regrette la croissance trop grande des Chevaliers dont le leadership risque de lui échapper. Ce petit-bourgeois cultivé rêve d’une organisation docile, pacifique et conciliante. Le sens de la lutte ouvrière lui échappe totalement.

En marge de l’Ordre, des syndicats de métiers existent. Ils ne recrutent que quelques dizaines de milliers de membres et s’occupent essentiellement d’améliorer les conditions de travail des ouvriers. En octobre 1884, devant l’incapacité des membres de l’Ordre d’imposer à Powderly le choix d’une date pour déclencher une action de masse, les syndicats de métiers réagissent. Ils décident que « 8 heures constitueront la journée légale de travail à compter du 1er mai 1886. » Comme ces syndicats n’ont pas les moyens (organisations nationales, membres) pour réaliser cet objectif, on fait appel aux Chevaliers du Travail… dont la direction ne répond évidemment pas. Mais certaines sections locales des Chevaliers endossent la lutte et acceptent de déclencher une grève générale le 1er mai 1886.

Powderley, qui croit que tout progrès pour les travailleurs viendra grâce à des pressions sur les membres du Congrès américain, réagit en publiant une circulaire secrète condamnant l’agitation faite autour de la journée de 8 heures et dénonçant l’usage des drapeaux rouge et noir lors des assemblées ouvrières. Il propose plutôt que chaque section locale des Chevaliers écrive un « essai » sur la journée de 8 heures et que ces « essais » soient publiés pour célébrer l’anniversaire de naissance de George Washington!

Powderly, humaniste chrétien redoute l’influence des anciens partisans marxistes de la Première Internationale, qui utilisent l’arme de la grève dans leur action syndicale. Il voit en McGuire, Strasser et Gompers des concurrents dangereux et perçoit leurs syndicats de métiers comme des menaces à l’existence de l’Ordre. Et puis, il y a des socialistes qui poussent à l’action politique ouvrière que condamne Powderly (« il suffit de sensibiliser les députés pour qu’ils nous soient sympathiques, » dit-il). Enfin, il y a la menace des anarchistes qui préconisent l’action de masse afin de développer leur dialectique « violence ouvrière-répression ».

Powderly est un « américain » qui refuse d’admettre que les États-Unis sont un pays d’immigrants dont la classe ouvrière est travaillée par les courants idéologiques issus des pays de ces immigrants. Ce qu’il fit pour arrêter le « mouvement de 8 heures » reflète sa crainte que la grande presse capitaliste (qui fabrique l’opinion publique américaine et influence les représentants et sénateurs) cesse de lui procurer l’appui dont il a besoin pour les réformes qu’il proposera en vue d’améliorer le sort de la classe ouvrière.

Malgré les pressions de Powderly, à mesure que la date du 1er mai 1886 se rapproche, le nombre de sections locales de l’Ordre qui désobéissent et décident la grève générale augmente. Le Grand-Maître de l’Ordre s’affole au début de 1886. Il ordonne l’arrêt du recrutement, car les nouveaux membres sont tous fortement en faveur de la grève générale. Il condamne l’usage de la grève et interdit toute participation au mouvement du 1er mai 1886. Comme nous le verrons, ces directives ne serviront guère.


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