Donald Trump entouré par les services secrets lors d'un rassemblement à Butler en Pennsylvanie, le 13 juillet 2024. Photo: Evan Vucci/AP

Tenter d’assassiner Trump aide la droite

La tentative d’assassinat de Donald Trump, à laquelle ont assisté des milliers de personnes lors d’un rassemblement, a été extrêmement choquante. Mais pas nécessairement surprenante. 

Pour les millions de personnes qui s’opposent profondément aux politiques de plus en plus à droite de Trump, le désespoir grandit à l’approche du 5 novembre. C’est d’autant plus vrai que l’establishment démocrate enfonce la candidature catastrophique de Biden au fond de la gorge de l’électorat. Le Parti démocrate refuse maintenant de prendre des mesures décisives pour le remplacer, même après son échec lamentable lors du débat du mois dernier.

Ces dernières semaines, les médias sociaux ont été envahis de messages mettant en garde contre le Projet 2025, un livre de droite rédigé notamment par plusieurs collaborateurs de Trump. Il détaille les plans d’une prise de pouvoir présidentielle autoritaire et d’une attaque massive contre les syndicats, les personnes opprimées et la gauche. Trump 2.0 sera plus organisé, plus à droite et plus dangereux pour les personnes opprimés, les travailleuses et les travailleurs que la première présidence Trump.

À l’heure où nous écrivons ces lignes, les médias n’ont pas encore révélé les motivations du tireur qui a tenté de tuer Donald Trump lors d’un rassemblement à l’extérieur de Pittsburgh. Un jeune homme utilisant une arme à feu pour exprimer son angoisse ou sa rage n’est, tragiquement, pas nouveau dans ce pays qui est inondé d’armes à feu, d’angoisse et de rage. Ce qui est nouveau, ou du moins nouveau au cours des dernières décennies, c’est la violence politique à l’encontre d’un candidat à la présidence. Cela nous rappelle la réaction de Malcolm X à l’assassinat de John F. Kennedy quant à l’effet boomerang de ses politiques: «Les poulets sont rentrés à la maison pour s’y percher». La calamité que représente l’élection présidentielle de 2024 reflète la profonde crise politique et sociale du capitalisme américain.

Quelle que soit la motivation spécifique du tireur, le terrorisme individuel est contre-productif et doit être totalement combattu par les travailleurs, les travailleuses et les jeunes de gauche. Il ne changera pas le cours politique de la droite. Il justifiera le renforcement de la répression et sèmera la confusion dans de larges couches de la population au lieu de les mobiliser.

Ce remake de la course présidentielle opposant l’extrême droite à la classe capitaliste libérale et à leurs porte-drapeaux gériatriques respectifs ressemblait jusqu’ici à une plaisanterie de très mauvais goût. Mais elle pourrait maintenant se transformer en cauchemar. Trump, toujours en quête de spectacle même lorsqu’il vient d’être touché par une balle d’AR-15, sera considéré comme un héros par l’aile droite. Et encore plus qu’avant, grâce à son poing provocateur brandi lorsqu’il a été évacué précipitamment de la scène, le visage ensanglanté. Il est difficile d’imaginer un contraste plus frappant qu’avec un Biden confus et ayant perdu ses moyens. Trump, qui bénéficie d’une attention positive alors que Biden a mis sa campagne en pause, est complètement aux commandes à l’approche des élections de novembre.

Le noyau dur de la base de Trump, déjà immergé dans de fausses théories du complot, sera encore plus excité contre la «gauche radicale». Les groupes d’extrême droite connus pour leur violence, comme les Proud Boys, ont été temporairement repoussés après que l’État les a poursuivis en justice à la suite de la tentative de coup d’État du 6 janvier 2020. Mais ils sont apparus lors des récents rassemblements de Trump. Il existe un risque réel que l’extrême droite organisée et les groupes fascistes soient galvanisés par cette attaque contre Trump, à la fois dans les urnes et potentiellement dans les rues. La droite au Congrès utilisera la fusillade pour justifier l’adoption de mesures répressives à l’encontre des protestataires de gauche et des syndicats. La polarisation politique, qui est déjà une caractéristique majeure de la société, va encore s’accentuer dans un contexte de tensions accrues.

Ce qui fonctionne ou non dans la lutte contre la droite

Il est important de faire le point sur les tactiques qui ont fonctionné et celles qui n’ont pas marché pour repousser la droite et l’extrême droite, ici et à l’étranger, à la fois lorsqu’elles sont au pouvoir et lorsqu’elles se mobilisent dans les rues. L’aile libérale de la classe capitaliste s’en est prise à Trump avec le Russiagate, l’affaire des pots-de-vin et plusieurs autres affaires judiciaires en cours depuis le 6 janvier 2020. Mais non seulement aucune de ces tactiques n’a eu l’impact souhaité par les libéraux, mais elles n’ont abouti qu’à une augmentation des dons de la part de la base de Trump. Avec la récente décision de la Cour suprême selon laquelle les présidents bénéficient d’une immunité présumée pour tout acte officiel, il n’est pas évident de savoir jusqu’où peuvent aller les procès intentés contre lui. Les démocrates et les partis similaires au niveau international ne peuvent pas arrêter Trump et l’extrême droite. Au contraire, leurs politiques ouvrent la voie à la réaction.

Ce qui a permis de repousser l’agenda de Trump au cours de son premier mandat, c’est l’action de masse dans les rues et le refus de travailler des travailleurs et des travailleuses de secteurs clés. Après l’entrée en vigueur de la loi interdisant l’entrée au pays de personnes musulmanes (imposée par Trump une semaine seulement après le début de son mandat), des manifestants et des manifestants se sont précipités dans les aéroports du pays. À l’aéroport JFK de New York, les chauffeurs et chauffeuses de taxis ont organisé un arrêt de travail. Avant la fin de la nuit, un juge de Brooklyn a suspendu l’ordre présidentiel, et l’administration Trump a été contrainte de revenir sur son interdiction des détenteurs de cartes vertes originaires de pays musulmans.

Dans un épisode qui a montré le pouvoir potentiel de la classe ouvrière, l’arrêt des activités  gouvernementale en 2018-19 par le gouvernement Trump, la plus longue de l’histoire, a pris fin après que la dirigeante du syndicat des agents et agentes de bord, Sara Nelson, a brandi le spectre d’une grève générale. Quand les agents et agentes de l’Administration de la Sécurité des Transports (TSA) ainsi que les contrôleurs aériens ont arrêté le travail en organisant leur absence (sick-out), cette menace a totalement bouleversé, en quelques minutes, les horaires et les profits des compagnies aériennes commerciales.

Ce sont les travailleurs, les travailleuses et les jeunes qui, en menant une action collective par le biais de manifestations et de grèves, ont le plus réussi à faire reculer le programme de Trump au cours de son premier mandat. Ce ne sont ni le parti démocrate au Congrès ni les actes individuels de violence ou de terreur. Un autre exemple a été le rassemblement de masse de 40 000 personnes à Boston en 2017 pour empêcher l’extrême droite de défiler après l’horrible nuit de Charlottesville, en Virginie. C’est là où la manifestante Heather Heyer a été brutalement tuée par un suprémaciste blanc. À la suite de la tentative d’assassinat de Trump, si l’extrême droite organise des rassemblements et des marches et que des sections de la gauche ne parviennent qu’à organiser de petites contre-manifestations, le risque de nouvelles violences sera réel. Comme toutes les expériences historiques l’ont montré, partout dans le monde, c’est une action de masse qui est nécessaire.

Comme un second mandat de Trump est désormais probable, il faut créer de nouvelles organisations larges de lutte – indépendantes du Parti démocrate – pour combattre la droite. Les syndicats doivent se préparer à se mobiliser contre les attaques de l’extrême droite qui vont s’abattre sur les personnes migrantes, LGBTQ+, les activistes de gauche et les syndicats eux-mêmes.

Alternative Socialiste est totalement opposée aux tactiques de terreur individuelle comme la tentative d’assassinat d’un milliardaire exploiteur et bigot comme Donald Trump. Non pas pour des raisons morales, mais parce que c’est une impasse politique et stratégique. Les travailleurs, les travailleuses et les jeunes se sont déjà battus avec succès contre Trump.

Maintenant nous devons le faire avec un niveau plus élevé d’organisation et de coordination. L’extrême droite organisée est dépassée par les millions de personnes qui s’opposent aux attaques contre les personnes migrantes, opprimées et les syndicats. Comme l’a écrit Léon Trotsky, le leader de la Révolution russe, en 1911, le terrorisme individuel «déprécie le rôle des masses», qui sont la force réelle pour arrêter la droite. Le rôle des masses sera le facteur-clé qui déterminera si une deuxième présidence Trump sera en mesure de faire passer son programme de droite vicieux ou s’il sera bloqué.

Pas de temps à perdre

La tentative d’assassinat aura tendance à enhardir Trump et la droite et à affaiblir l’establishment démocrate. Ce dernier peut difficilement continuer à condamner l’évolution de Trump vers l’autoritarisme en même temps qu’il fait des déclarations en faveur de Trump. À présent, les directions syndicales et les autres dirigeants et dirigeantes progressistes devraient entamer une riposte contre la droite en organisant des rassemblements contre Trump et en faveur d’une véritable alternative de gauche aux Démocrates.

Le projet de Bernie Sanders et d’autres démocrates de gauche de réformer le Parti démocrate a été un échec cuisant. Il s’est maintenant transformé en son contraire, alors que Sanders s’obstine à soutenir Biden malgré tous les faits qui indiquaient la défaite probable de Biden avant même la tentative d’assassinat. L’administration Biden, avec son cortège de promesses non tenues et ses tentatives pathétiques de convaincre un électorat surmené, sous-payé et endetté que l’économie va bien et que «l’Amérique est déjà grande» (America is already great), a été le plus grand bâtisseur du trumpisme et de la droite.

La classe ouvrière a besoin de son propre parti politique, indépendant des partis Démocrates et des Républicains dominés par les capitalistes. Un nouveau parti qui lutte pour un programme pro-ouvrier et anti-guerre, qui s’attaque également à l’oppression anti-immigration, raciste, sexiste et anti-LGBTQ. Un pas important dans cette direction serait que des dirigeantes et les dirigeants syndicaux progressistes comme Shawn Fain et Sara Nelson rompent avec le Parti démocrate et appellent le reste du mouvement ouvrier et des mouvements sociaux à les rejoindre. Un premier pas concret serait que Fain et Nelson convoquent une conférence réunissant les syndicats et les organisations progressistes pour discuter de la construction d’une alliance pour combattre la droite et prendre des mesures pour former un nouveau parti politique.

Nous appelons à un vote de protestation en novembre pour la candidature présidentielle indépendante de gauche la plus forte, Jill Stein ou Cornel West. Mais malheureusement, aucune d’entre elles n’est claire sur la nécessité d’un nouveau parti de masse. Néanmoins, les travailleurs, les travailleuses et les jeunes ne devraient voter pour aucun des deux partis du capitalisme. Ils sont la source de toute exploitation et oppression, et le terreau fertile pour la croissance de l’extrême droite.

Les assassinats n’offrent aucun moyen d’avancer. Nous avons besoin d’une révolution pour démanteler le système malade du capitalisme, nous débarrasser des serviteurs capitalistes comme Trump et Biden et transformer la société dans une optique socialiste.

Est-ce que voter pour le « moins pire » arrêtera Trump?

Il est difficile de croire que quatre années se sont écoulées depuis l’élection de 2020. Mais il est encore plus difficile de croire que peu de choses ont changé. Donald Trump et Joe Biden sont toujours les personnes les plus âgées à se présenter à la présidentielle américaine, battant leur propre record. Trump est toujours un odieux fraudeur animé des pires intentions à l’égard des travailleuses, des travailleurs et des personnes opprimés. Biden est toujours un centriste vétéran de l’establishment qui n’a pas grand-chose à offrir aux personnes qui l’ont alors élu dans un élan de désespoir visant à éviter le despotisme de droite.

En fait, il est possible que la seule chose importante qui ait changé sur la scène électorale américaine soit le peu de gens qui ont foi en Biden, ou du moins qui font preuve d’un optimisme prudent envers lui. Non seulement Biden a présidé à une augmentation considérable du coût de la vie, mais il a également réduit les sources d’aide financière aux travailleuses et travailleurs en mettant fin aux programmes pandémiques, tels que le crédit d’impôt pour les enfants et l’extension du chômage. C’est le président sous lequel le jugement Roe v Wade a été renversé, qui a brisé la grève des cheminots et qui n’a pas réussi à réduire sérieusement l’endettement des ménages ou à élargir l’accès aux soins de santé, comme il l’avait promis.

Plus récemment, les jeunes se sont révoltés contre Joe Biden en raison de son soutien indéfectible à Israël, financé par des milliards de dollars en fonds publics. Cela a sans aucun doute encouragé le premier ministre israélien Benyamin Netanyahou dans son assaut génocidaire de plusieurs mois contre Gaza. Cette situation a été aggravée par le fait que Biden s’est prononcé en faveur de la répression policière extrême contre les manifestations étudiantes le mois dernier.

Il est difficile de trouver quelqu’un qui soit enthousiaste à l’idée de voter pour Joe Biden. Seules 28% des personnes qui vivent aux États-Unis estiment qu’il est un «bon» ou un «grand» président, 50% estiment qu’il est «mauvais» ou «terrible». Les jeunes sont écœuré⋅es par les choix offerts, 63% d’entre eux et elles se déclarent insatisfaits des options proposées. Il est probable que la plupart des jeunes ne voteront pas en novembre. Mais pour ceux et celles qui prévoient voter pour Biden cet automne, l’attitude la plus courante est de «se boucher le nez» avant de voter pour lui afin d’empêcher une prise de pouvoir par le «pire» des deux maux: Donald Trump.

Mais cette approche est-elle réellement efficace pour empêcher la droite de prendre le pouvoir?

Qui est responsable du trumpisme?

Ces dernières années, nous avons assisté à la montée d’un populisme de droite brutal (et même d’idées carrément fascistes) dans le monde entier. En Argentine, aux Pays-Bas, en Grèce, au Brésil et ailleurs, les politiciens et les politiciennes d’extrême droite ont pris de l’importance.

Ce n’est pas une évolution naturelle de la société que de se rapprocher de plus en plus de la droite. La montée de ces idées est directement liée à des crises plus larges du système. Lorsque l’establishment politique ne parvient pas à résoudre de manière significative les problèmes majeurs auxquels est confrontée la majorité de la société, le soutien à des idées plus radicales – y compris des idées tout à fait réactionnaires – peut croître. Aux États-Unis, en 2016, c’est précisément l’incapacité du Parti démocrate à répondre aux besoins des travailleurs, des travailleuses et de la classe moyenne pendant les années Obama qui a permis à Trump de séduire de manière démagogique des millions de personnes dont le niveau de vie baissait depuis des années.

Depuis l’élection de Biden en 2020, Alternative socialiste a soutenu qu’à moins qu’une alternative de gauche sérieuse aux Démocrates ne soit construite, l’espace pour Trump et son populisme de droite bien à lui continuerait à croître.

Il ne fait aucun doute que Trump représente un désastre pour les classes populaires. Il est, à bien des égards, plus destructeur que Biden dans l’immédiat. Son imprévisibilité pourrait avoir des résultats désastreux sur la scène mondiale dans le contexte de la nouvelle ère de guerres qui a émergé depuis qu’il a quitté ses fonctions.

Mais alors pourquoi, si Trump est si mauvais, certains des groupes démographiques les plus marginalisés des États-Unis ont-ils décidé de le soutenir plutôt que Biden?

Le soutien à Trump parmi les personnes noires a considérablement augmenté depuis 2020. Lors de cette élection, seuls 4% des électrices et électeurs noirs le soutenaient. Mais au cours des quatre dernières années, ce chiffre a augmenté de 19%, selon un sondage du New York Times. Ce chiffre est encore plus élevé parmi la population latino, avec 39% de soutien à Trump, battant les 34% de Biden.

À première vue, cela n’a pas de sens, étant donné les clins d’œil de Trump aux suprémacistes blancs et le fait qu’il attise constamment le sentiment d’hostilité à l’égard des personnes immigrées. Mais la suppression par Biden des programmes d’aide financière, son refus de soutenir un salaire minimum fédéral de 15$/h et son incapacité de faire face à l’augmentation rapide du coût de la vie ont un impact viscéral sur les communautés de couleur pauvres. Nombreuses sont les personnes qui, pour des raisons découlant de leur expérience concrète, n’ont tout simplement pas l’impression que leur situation s’est améliorée sous la présidence de Joe Biden.

En bref, en ne proposant pas de véritable alternative au programme de la droite, la présidence de Biden a renforcé la position de Trump à bien des égards.

De plus, les immenses échecs de Biden ont permis à Trump de faire campagne contre lui. Trump n’est pas un ami de la population de Gaza et a récemment fait une déclaration encourageant Israël à «finir le travail». Qu’à été sa réponse lorsqu’un chant «Joe le génocidaire» a éclaté lors d’un de ses rassemblements? Un haussement d’épaules et un «ils n’ont pas tort» qui a déclenché les acclamations de la foule.

Grâce à Biden, Trump peut se présenter comme le candidat anti-guerre, notamment en ce qui concerne la guerre en Ukraine, de plus en plus impopulaire. C’est un énorme obstacle pour le mouvement anti-guerre actuel, qui doit se battre pour se différencier du nationalisme America-first de la droite.

Les jeunes, les travailleuses et les travailleurs se sont investis corps et âme pour faire élire Joe Biden en 2020 afin de chasser Trump du pouvoir. Mais leurs efforts ont été trahis par Biden et sa politique indéfectible envers l’establishment. Elle a donné à Trump un énorme élan. Voter pour Biden en 2024 ne résoudra pas plus le problème.

Le combat le plus important se situe bien au-delà de l’élection de novembre. Il réside dans la construction d’un parti de la classe ouvrière dans lequel les travailleuses, les travailleurs et les jeunes peuvent participer démocratiquement. Un parti composé par ces personnes, les syndicats et les mouvements sociaux. C’est la voie qu’il faut emprunter pour éviter de s’enfoncer davantage dans le marais du droitiste de Trump.

Comment neutraliser un menteur

Alors comment neutraliser la politique de Trump?

Trump est le modèle du populiste de droite réussi. Sa principale compétence consiste à juger une foule et à lui dire exactement ce qu’elle veut entendre. Il se plie généralement aux impulsions de la gauche et de la droite, sans se soucier de savoir si on lui reproche ou non d’avoir menti par la suite. Qui s’en soucie de toute façon, considérant que ses adversaires ne tiennent jamais leurs promesses électorales?

Mais cette stratégie ne peut pas fonctionner contre quelqu’un qui se bat véritablement dans l’intérêt des travailleuses et des travailleurs. Si une candidature présidentielle sérieuse ne se contentait pas seulement de parler de la protection de la sécurité sociale et du Medicaid (assurance maladie), mais menait plutôt une campagne active pour taxer les riches afin de financer les services sociaux – s’aliénant volontairement les grandes entreprises pour construire un mouvement de la classe ouvrière – cela mettrait en évidence la longue escroquerie de Trump. Trump ne pourrait pas se présenter comme un candidat anti-guerre à côté de quelqu’un qui a réellement fait campagne pour mettre fin aux guerres et à l’aide militaire américaine. Il serait contraint soit de soutenir matériellement les revendications, à l’encontre de sa politique réelle, soit d’admettre qu’il n’est pas sérieux.

Le fait de voter, élection après élection, pour l’option du moindre mal demeure une mauvaise option qui ne nous a pas rapprochés de la défaite de la droite. En fait, cela a permis à la droite de devenir beaucoup plus effrayante.

Voter pour Biden n’est pas «un pas dans la bonne direction», même si l’on reconnaît que ce pas est insuffisant. C’est un pas de plus dans la spirale descendante qui renforce l’extrême droite. Le meilleur choix pour les classes populaires et les jeunes lors des élections de 2024 n’est pas Biden. C’est une candidature indépendante avec un vrai programme pour la classe ouvrière.

Les candidatures indépendantes de Cornel West et de Jill Stein ont toutes deux fait campagne contre l’aide militaire américaine à Israël et pour la fin du massacre à Gaza. Stein a d’ailleurs été arrêtée par la police lors d’un campement étudiant en avril. Ces deux campagnes doivent se battre pour impliquer le plus grand nombre possible de travailleuses et de travailleurs afin de mettre sur pied une infrastructure de campagne capable de rassembler des milliers de volontaires, pas simplement des centaines. Voter pour l’une ou l’autre de ces candidatures, même si elles ont des faiblesses, est une grande amélioration par rapport à la stratégie ratée qui consiste à voter pour Biden.

Si Trump gagne en novembre, ce ne sera pas la faute des travailleuses et des travailleurs qui n’ont pas pu se résoudre à voter pour Biden. Ce sera la faute des démocrates. Les démocrates ont échoué à chaque occasion où ils devaient faire quelque chose pour améliorer la vie des travailleuses et travailleurs des États-Unis en plus d’avoir approuvé la destruction et la mort de personnes innocentes à l’étranger.

  • Nous appelons à un vote de protestation pour Jill Stein ou Cornel West, les candidatures indépendantes de gauche les plus viables.
  • S’il y a un autre débat, tous les candidats, y compris RFK Jr, Stein et West devraient être sur la scène.
  • Les principaux syndicats qui ont soutenu Biden devraient immédiatement annuler leur soutien et soutenir un candidat pro-ouvrier comme Stein ou West.
  • Organisez des manifestations de masse lors de la Convention nationale du Parti démocrate à Chicago contre les Démocrates et leur guerre génocidaire contre Gaza!
  • Les syndicats, les mouvements sociaux et les organisations anti-guerre, les groupes religieux progressistes et les groupes de jeunes devraient s’associer pour organiser une assemblée de masse afin de fonder un nouveau parti pour la classe ouvrière.
  • Des rassemblements de masse dans tout le pays le 20 janvier, jour de l’investiture, pour montrer immédiatement que la classe ouvrière est unie contre les politiques pro-entreprises et pro-guerre de celui ou celle qui siégera à la Maison Blanche.
  • Il y en a assez du système politique capitaliste bipartisan et de toute l’exploitation et l’oppression qu’il engendre. Rejoignez Alternative socialiste pour construire le mouvement socialiste!

 

Bloquer l’extrême droite dans la rue et dans les urnes!

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Eric Williams, Toussaint Louverture et CLR James

L’essor du capitalisme et l’émergence du racisme

Tiré de la brochure Class and Race: Marxism, Racism and the Class Struggle rédigée par le Workers and Socialist Party (ISA en Afrique du Sud) et publiée le 5 octobre 2015

Partie 1. Introduction

Le racisme n’est pas le résultat d’une friction raciale «inévitable» entre les personnes blanches et noires. Il est maintenu par la structure de classe de la société capitaliste. En effet, le capitalisme lui-même est responsable de la naissance du racisme. Avant le capitalisme, la discrimination contre tout un peuple, basée sur des préjugés permanents d’ascendance prétendument inférieure, de couleur de peau ou d’autres caractéristiques physiques et mentales, n’existait pas. Historiquement, le racisme est apparu pour justifier la traite transatlantique d’esclaves, une énorme source de profits pour la classe capitaliste naissante. Une fois apparu, le racisme a été modelé et adapté pour justifier les intérêts économiques changeants de la classe capitaliste dans ses conquêtes coloniales. Le racisme est devenu une partie de l’arsenal idéologique du capitalisme contre la classe ouvrière révolutionnaire. La seule façon de comprendre pourquoi le racisme existe est de suivre les flux et reflux, les rebondissements et des changements de cap de la lutte des classes. Cela nécessite une analyse marxiste.

L’approche marxiste

Pour les marxistes, toutes les idées, y compris le racisme, sont en fin de compte le reflet des conditions sociales. Cette approche matérialiste signifie que les idées doivent être examinées en tant que produits du développement historique. Essayer de comprendre une idée sans approche matérialiste, c’est comme examiner l’ombre indépendamment de l’objet qui la projette. Pour comprendre véritablement le racisme, il est nécessaire d’examiner les circonstances historiques spécifiques qui l’ont créé et qui l’ont maintenu et modifié jusqu’à nos jours.

Les conditions sociales les plus fondamentales à examiner sont les relations entre les classes sociales. Ces classes se créent en fonction de la manière dont la société organise la production. Différentes manières d’organiser la production donnent naissance à différentes classes sociales. L’histoire a connu différentes formes de société de classes. Mais la caractéristique commune est une classe dirigeante minoritaire qui exploite la majorité des personnes qui travaillent en expropriant (c’est-à-dire en volant) le surplus de richesse créé par leur travail. Il s’agit de la division fondamentale dans la société.

Différents systèmes de croyances (ou d’idées) émergent pour justifier la position de la classe dominante et persuader les masses d’accepter leur exploitation. Différentes formes de société de classe nécessitent différentes idéologies pour les justifier. Cependant, l’histoire des soulèvements d’esclaves, des révoltes paysannes et des luttes révolutionnaires de masse de la classe ouvrière à notre époque montre que la classe dirigeante ne réussit jamais que partiellement à tromper les classes qu’elle exploite.

Mais ce n’est pas seulement la lutte des classes entre la classe dominante et la majorité exploitée qui a de l’importance. Les luttes entre factions concurrentes de la même classe dirigeante ou entre deux classes d’exploiteurs différentes jouent également un rôle important dans le développement de la société et des idéologies qui en découlent. Par exemple, la concurrence entre les différentes classes capitalistes impérialistes aux 20e et 21e siècles ou la lutte entre la classe capitaliste montante et la classe dirigeante féodale en déclin aux 17e, 18e et 19e siècles.

Ce sont les intérêts contradictoires des différentes classes qui constituent la véritable base sociale sur laquelle se forment les préjugés raciaux, la discrimination et l’oppression. Dans les luttes entre les classes, les différences de «race», mais aussi de genre, d’âge, de sexualité et de religion prennent souvent une forme antagoniste qui conduit aux idéologies correspondantes de racisme, sexisme, âgisme, homophobie et préjugés religieux. Le grand marxiste Friedrich Engels a longuement traité des racines de l’oppression des femmes dans la société de classes et des préjugés sexistes qui en découlent. Des auteurs ultérieurs ont montré comment des préjugés homophobes sont apparus au 19e siècle sur la base de la forme de la famille dans la société capitaliste.

Cependant, le pouvoir du marxisme en tant que méthode d’analyse ne réside pas dans un matérialisme simpliste déclarant que les intérêts économiques sont toujours reflétés comme des idées et des idéologies de manière grossière et évidente. Le pouvoir du marxisme réside plutôt dans son matérialisme dialectique.

L’approche dialectique consiste à examiner l’évolution des conditions sociales comme des processus et des interactions. Cela signifie que le marxisme reconnaît que les idées et les idéologies peuvent elles-mêmes interagir avec les forces économiques qui les ont créées à l’origine, ajoutant ainsi des couches de complexité aux conditions sociales. Engels a expliqué les nuances que la dialectique apporte au marxisme en tant que méthode d’analyse lorsqu’il a écrit:

D’après la conception matérialiste de l’histoire, le facteur déterminant dans l’histoire est, en dernière instance, la production et la reproduction de la vie réelle. Ni Marx ni moi n’avons jamais affirmé davantage. Si, ensuite, quelqu’un torture cette proposition pour lui faire dire que le facteur économique est le seul déterminant, il la transforme en une phrase vide, abstraite, absurde. La situation économique est la base, mais les divers éléments de la superstructure – les formes politiques de la lutte de classes et ses résultats, – les Constitutions établies une fois la bataille gagnée par la classe victorieuse, etc., – les formes juridiques, et même les reflets de toutes ces luttes réelles dans le cerveau des participants, théories politiques, juridiques, philosophiques, conceptions religieuses et leur développement ultérieur en systèmes dogmatiques, exercent également leur action sur le cours des luttes historiques et, dans beaucoup de cas, en déterminent de façon prépondérante la forme. Il y a action et réaction de tous ces facteurs au sein desquels le mouvement économique finit par se frayer son chemin comme une nécessité à travers la foule infinie de hasards (c’est-à-dire de choses et d’événements dont la liaison intime entre eux est si lointaine ou si difficile à démontrer que nous pouvons la considérer comme inexistante et la négliger). Sinon, l’application de la théorie à n’importe quelle période historique serait, ma foi, plus facile que la résolution d’une simple équation du premier degré1.

Le commentaire d’Engels est la clé pour comprendre ce qui peut autrement apparaître comme des contradictions dans l’évolution historique du racisme. Pour une fois, une idée ou une idéologie, même un préjugé, peut prendre une certaine vie propre dans certaines limites. Sous le poids de l’inertie historique, les idées peuvent persister bien au-delà de leur «date de péremption». Par exemple, s’il n’est pas possible de naître raciste, il est possible de naître dans une société raciste et d’être élevé dans l’acceptation des préjugés créés par les conditions sociales d’une période passée. De même, les idées et les idéologies peuvent acquérir un nouveau contenu en raison du changement des conditions sociales, même si le langage dans lequel elles s’expriment reste inchangé. Des idées qui étaient progressistes à une époque de l’histoire peuvent devenir réactionnaires à une autre époque, car elles sont adaptées pour servir les intérêts de différentes classes. Différentes idéologies peuvent s’entremêler. C’est le cas du racisme et du nationalisme, en particulier dans les conditions sociales des 19e et 20e siècles. Seul le marxisme peut faire face à de telles contradictions en se fondant sur le véritable fil conducteur de l’évolution des conditions sociales, et non sur les ombres idéologiques qu’elles projettent.

Le marxisme peut accueillir et expliquer pourquoi des sections de classes sociales, sous certaines conditions, peuvent soutenir des idéologies qui ne correspondent pas à leurs intérêts fondamentaux. Marx a observé que «les idées de la classe dominante sont aussi, à toutes les époques, les idées dominantes». Cela signifie que le contrôle de la société par la classe dirigeante lui donne les moyens d’imposer partiellement des idéologies qui reflètent ses intérêts à la société en général. Dans les bonnes conditions historiques, les idéologies raciste et nationaliste de la classe dirigeante peuvent réussir à créer des divisions parmi la classe ouvrière et les pauvres, et les empêcher de s’unir contre leur exploiteur commun, la classe capitaliste.

Lénine a décrit comment la phase impérialiste du capitalisme et son expansion coloniale ont créé les conditions sociales permettant aux classes capitalistes européennes «d’acheter» des sections de la classe ouvrière européenne. En encourageant la formation d’une «aristocratie ouvrière» privilégiée, cette couche de la classe ouvrière a soutenu de manière opportuniste des politiques coloniales racistes comme base de son privilège. Aujourd’hui, cette idée est régulièrement déformée pour décrédibiliser toute la classe ouvrière européenne. Mais même durant le 19e siècle que Lénine a décrit, au plus fort de la domination coloniale, Lénine a souligné que seule une partie de la classe ouvrière a succombé à cette corruption. Il a expliqué en outre que la contradiction entre le soutien d’une idéologie qui ne correspondait pas en réalité aux intérêts fondamentaux de la classe ouvrière était «rendre l’opportunisme encore plus incompatible avec les intérêts généraux et vitaux du mouvement ouvrier»2.

La faiblesse de la méthode bourgeoise

La capacité du marxisme à mettre en lumière les conditions sociales qui créent et nourrissent le racisme peut être démontrée davantage en le comparant aux faiblesses des tentatives d’explication du racisme par les universitaires de la bourgeoisie (c’est-à-dire capitalistes). Les qualifier de bourgeois ou bourgeoise n’est pas une insulte pour ces auteurs et autrices, mais une description de la faiblesse de leur méthode d’analyse.

Cette faiblesse peut se résumer à l’incapacité de placer systématiquement l’examen des conditions sociales, en particulier les relations de classe, au centre de l’analyse. Alors que les universitaires de la bourgeoisie plongent dans les profondeurs de l’histoire, ces personnes commencent à traiter le racisme lui-même comme un phénomène ahistorique. En d’autres termes, comme quelque chose qui a toujours existé, plutôt que comme quelque chose qui a été mis en place dans certaines conditions sociales à un moment précis de l’histoire. Cela signifie qu’elles ne peuvent pas rendre compte de l’émergence de nouvelles idées et de nouveaux préjugés ou des circonstances qui les amènent à changer de forme. L’approche bourgeoise est en fin de compte plus descriptive qu’analytique, incapable de trouver le véritable fil conducteur qui relie la forme évolutive du racisme dans des conditions sociales changeantes et dans la lutte des classes. Il est donc crucial qu’elles ne puissent pas indiquer les tâches nécessaires pour mettre fin au racisme.

Les personnes qui affirment que le racisme est un préjugé profondément «blancs», porté par toutes les personnes «blanches» indépendamment du temps et du lieu, traitent également le racisme comme un phénomène ahistorique. Sans une explication historique de la façon dont les personnes «blanches» en sont venues à avoir des préjugés racistes, il faut supposer que ces préjugés ont dû rester dormants durant les périodes historiques où les masses de «Blancs» et de «Noirs» ne se sont jamais rencontrées et n’ont jamais entendu parler de l’existence des unes et des autres.

Partie 2. ​L’essor du capitalisme et l’émergence du racisme

Le racisme a été créé par les conditions sociales en Europe alors que le capitalisme commençait son long développement. À partir du 15e siècle, le développement de la traite transatlantique d’esclaves a amorcé un long processus qui allait cristalliser les préjugés racistes. Mais le racisme n’est pas né automatiquement au moment où les marchands portugais blancs protocapitalistes sont entrés sur le marché ouest-africain des esclaves noirs dans les années 1440. Il a fallu plusieurs siècles de croissance de la classe capitaliste pour que le racisme acquière sa forme la plus développée, le suprémacisme blanc. À chaque étape de ce long processus sur plusieurs siècles, les contours des idées racistes ont été affinés et renforcés avec la poursuite par la classe capitaliste de ses intérêts économiques, principalement sa lutte pour contrôler la main-d’œuvre, son approvisionnement et ses marchés. Les intérêts économiques spécifiques, les stratégies de classe nécessaires pour les satisfaire et les idéologies nécessaires pour les justifier se sont modifiés avec les différentes phases du développement capitaliste. La clé de voûte pour comprendre le racisme consiste à identifier ces intérêts économiques changeants et les flux et reflux de la lutte des classes qui en découlent.

Mais avant d’examiner comment les intérêts économiques de la classe capitaliste ont créé et entretenu le racisme, il est nécessaire d’examiner brièvement le caractère des préjugés et de la discrimination dans la société féodale dont le capitalisme est issu.

Les préjugés et la discrimination avant le capitalisme

Les conditions sociales nécessaires à la naissance des idées de «race» et de «nation» étaient absentes des sociétés féodales qui ont précédé le capitalisme en Europe. L’idée que les préjugés fondés sur l’ascendance et la couleur de la peau pouvaient être à la base d’une discrimination permanente était incompatible avec les intérêts de la classe dirigeante féodale et contredisait les idéologies qui légitimaient leur domination.

Dans la société féodale, la religion catholique chrétienne était le prisme idéologique dominant reflétant les conditions sociales. L’idéologie catholique justifiait la «politique intérieure» féodale d’un ordre social hiérarchique fixe en déclarant qu’elle était ordonnée par Dieu. Tout le monde naît à sa place dans la vie, du roi, des seigneurs jusqu’aux paysans. Avant le capitalisme en Europe, il n’y avait pas d’État-nation. Le féodalisme était composé de petites entités politiques réunies sous un monarque ou un empereur lointain. La masse de la population paysanne, liée à un petit lopin de terre pour la vie, sans mobilité, sans alphabétisation, sans l’existence d’un commerce à grande échelle ou d’un média de masse, ne disposait pas des conditions sociales nécessaires au développement d’une conscience nationale. Non seulement l’absence d’une conscience nationale empêchait la classe dirigeante féodale de s’appuyer sur le nationalisme pour justifier son pouvoir, mais cela aurait été généralement impossible, car la langue et la culture de la classe dirigeante étaient souvent différentes de celles des personnes qu’elle dirigeait.

Il a fallu le développement des rapports sociaux capitalistes et l’essor de la classe capitaliste pour exercer une pression vers la formation d’États-nations. La nécessité d’un marché national important était l’élément principal permettant à la classe capitaliste de développer l’envergure de la production afin d’accroître sa richesse. Une fois ce processus engagé, il a stimulé les idéologies nationalistes à y correspondre.

Au cours de l’évolution du capitalisme, le racisme et le nationalisme s’entremêlent de plus en plus. Des conflits sur le caractère de la nation surgissent. Qui doit être inclus et qui ne doit pas l’être? Quelle est la langue nationale? Quelle est la religion de la nation? À quoi ressemble le peuple de la nation? De telles considérations ont donné naissance à des préjugés nationalistes et même racistes qui engendrent de la discrimination lorsqu’il n’y a pas de réponses simples.

Dans la société féodale, la doctrine catholique de l’«universalisme» a justifié la «politique étrangère» féodale d’expansion à travers la conquête. Cette doctrine soutient que tous les peuples, quelle que soit leur ascendance ou la couleur de leur peau, sont de potentiels chrétiens et chrétiennes à convertir. Il était du devoir des dirigeants chrétiens d’essayer de les faire entrer dans leur giron. Cette doctrine justifiait les intérêts économiques de la classe dirigeante féodale qui ne pouvait accroître son pouvoir et sa richesse que par la conquête de nouvelles terres et des masses paysannes qui leur étaient liées par la naissance. La forme d’exploitation de la société féodale considère ces deux éléments comme inséparables. C’est pourquoi la conversion religieuse des populations conquises était exigée pour faire la quadrature du cercle entre la justification idéologique de la conquête et la nécessité de maintenir les paysans et les paysannes sur les terres.

Les conditions sociales de la société féodale et les intérêts de la classe dirigeante féodale ont donné aux préjugés et à la discrimination précapitalistes une expression en termes religieux. Le fait d’avoir les «mauvaises» croyances religieuses et de les exprimer dans des pratiques culturelles différentes était la seule base de discrimination. Mais il était possible d’y échapper par la conversion religieuse. En effet, les intérêts de la classe dirigeante féodale exigeaient une telle conversion. Cette forme de discrimination et de préjugés religieux temporaires était tout ce dont la classe dirigeante féodale avait besoin pour justifier la poursuite de ses intérêts. L’ascendance ou la couleur de la peau d’une personne ne pouvait pas devenir la base d’une discrimination permanente.

Dans sa lutte pour devenir la nouvelle dirigeante de la société, la classe capitaliste allait nécessairement détruire les idéologies féodales qui justifiaient l’ancienne société. Le déchaînement par le capitalisme de nouvelles forces économiques et de nouvelles formes d’exploitation allait créer les conditions sociales pour de nouvelles formes de préjugés et de discrimination. Vous trouverez ci-dessous un aperçu de la manière dont certaines des phases clés du développement de la société capitaliste ont donné naissance au racisme et l’ont développé au fil des siècles.

La discrimination fondée sur l’ascendance

Un tournant crucial dans le développement du racisme a été l’affaiblissement de la doctrine catholique de l’universalisme et le développement de l’idée que la «mauvaise» religion pouvait être transmise par la descendance. Ce tournant s’est produit dans l’Espagne du 15e siècle. À ce moment, les populations juives et musulmanes ont été confrontées à un «choix»: être expulsées de la société ou converties au christianisme. Cependant, lors de ce changement de cap, les personnes qui se sont converties ont continué à subir des discriminations en raison de leur «mauvais sang».

Ce petit changement dans l’idéologie, si fatidique pour l’histoire du monde, tire ses racines dans les conflits de classes qui ont surgi dans le processus de transition de l’Espagne vers le capitalisme et dans sa consolidation en tant qu’État-nation. Les «nouveaux chrétiens» convertis étaient concentrés parmi les marchands protocapitalistes, dont la richesse et le pouvoir augmentaient. Les propriétaires terriens féodaux en déclin, jaloux de la richesse monétaire des marchands, ont utilisé leur contrôle des institutions politiques féodales contre leurs rivaux de classe. Des lois ont été promulguées, excluant les nouveaux chrétiens des fonctions publiques, des fonctions ecclésiastiques, de l’adhésion aux organisations professionnelles ainsi qu’aux guildes de commerce et d’artisanat. L’intention des propriétaires terriens dans cette lutte n’était pas de détruire les nouveaux chrétiens, mais de renforcer leur propre pouvoir politique afin de prendre part à l’économie monétaire croissante que les marchands dominaient. Ces nouvelles lois constituaient plutôt des menaces contre les marchands non coopératifs et n’étaient utilisées que de manière sélective.

Pour que les propriétaires fonciers puissent poursuivre avec succès leur lutte de classe contre les marchands, il était nécessaire qu’ils maintiennent une base de discrimination même lorsque les marchands «choisissaient» la conversion religieuse. Ils ont trouvé la réponse en s’appuyant sur l’idée préexistante, mais jusqu’alors limitée, de «sang noble». Cette période a également vu la consolidation de l’État-nation espagnol à partir du féodalisme espagnol en déclin, une étape cruciale dans le développement du capitalisme. C’est ainsi l’alignement des forces de classe qui a dicté ce que l’Espagne devait être: une nation chrétienne hispanophone renforçant la discrimination contre les «nouveaux chrétiens».

Cette forme précoce de discrimination raciste et de protonationalisme, fortement teintée d’idées religieuses, a constitué le début d’une longue histoire de mélange entre ces deux idéologies jumelles. Les luttes de classes de l’Espagne du 15e siècle ont ajouté de nouvelles et importantes couleurs idéologiques à la toile de la lutte des classes. L’impulsion de ce racisme précoce a été donnée par les forces économiques créées par le capitalisme. Mais cette arme idéologique n’était pas celle des capitalistes en plein essor, mais plutôt des propriétaires terriens féodaux en déclin. Cela ne fait que souligner la relation complexe entre les conditions sociales, les idées et les idéologies. Car, au fur et à mesure qu’elle grandit, la classe capitaliste exploite ces graines idéologiques semées durant cette période de décadence féodale pour faire avancer ses propres intérêts de classe. L’ironie de l’histoire, c’est que les marchands nouvellement convertit au christianisme en Espagne et au Portugal ont été les premières victimes d’une forme de racisme, alors qu’ils étaient les pionniers de la traite transatlantique d’esclaves qui allait donner naissance au racisme anti-noir des siècles suivants.

Les capitalistes réinventent Dieu

La doctrine catholique de l’«universalisme» n’a pas fait le poids face aux intérêts économiques croissants de la classe marchande protocapitaliste qui a été la première à pratiquer la traite d’esclaves dans l’Atlantique à partir du milieu du 15e siècle. Des siècles de débats théologiques ont suivi sur la moralité de l’asservissement de personnes noires potentiellement converties. Cependant, en Europe du Nord, en particulier en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, les marchands capitalistes en plein essor ont opéré une rupture plus décisive avec l’Église catholique. Ils ont réinventé le christianisme pour refléter leurs propres intérêts de classe dans le nouveau credo du protestantisme.

La classe capitaliste montante a lutté pour mettre fin aux restrictions féodales d’une société  devenue une entrave à son accumulation de richesses et à son aspiration au pouvoir politique. Le protestantisme a armé la classe capitaliste montante d’une arme idéologique pour attaquer les idées qui ont justifié la hiérarchie sociale féodale telle qu’ordonnée par Dieu. Contrairement au contrôle social étroit exercé par l’Église catholique, l’idéologie protestante a encouragé la possibilité d’une relation personnelle avec Dieu sans l’intermédiaire de la hiérarchie catholique. Cette «démocratisation» du christianisme signifie que tous les aspects de l’idéologie catholique sont désormais sujets à débat. Les nouvelles sectes protestantes ont proliféré, critiquant la prétendue divinité de la société féodale à partir de nouvelles interprétations, souvent concurrentes, de la Bible.

La secte protestante calviniste a reflété de la manière la plus directe les intérêts économiques de la classe capitaliste montante. Friedrich Engels l’a décrite comme «adaptée à la plus audacieuse des bourgeoisies de son temps». Les idées calvinistes de «prédestination» et «d’appel de Dieu» ont fait de l’accumulation de richesses la vertu la plus élevée signifiant la faveur de Dieu.

L’Afrikaner Broederbond, qui s’est donné pour mission de consolider une classe capitaliste afrikaner en Afrique du Sud dans la première partie du 20e siècle, était basé sur le calvinisme. Plusieurs décennies plus tard, un credo similaire a émergé en Afrique dans diverses églises de «prospérité». Ces églises reflètent les aspirations économiques de la nouvelle classe moyenne et les espoirs de la classe ouvrière et des pauvres. Cependant, elles ont poussé la «démocratisation» du christianisme par le protestantisme à des extrêmes absurdes. Elles se forment autour de «prophètes» charismatiques individuels dont l’enrichissement personnel est le signe de la faveur divine de la congrégation!

Il est clair que la nouvelle idéologie capitaliste protestante n’a pas conduit en soi au racisme. Le racisme est apparu grâce à des forces situées ailleurs dans la société. Mais le protestantisme a éliminé l’«universalisme» catholique. Il a agi comme une rupture idéologique dans le développement de formes non religieuses et permanentes de préjugés et de discrimination. C’est pour cette raison qu’il est important de décrire les transformations du christianisme par rapport à l’évolution historique du racisme. Avec la prolifération de différentes sectes protestantes basées sur une «relation directe» avec Dieu, il est beaucoup plus facile pour les personnes chargées d’«interpréter» l’Écriture ou de recevoir la «révélation» de refléter les préjugés de leur époque et les intérêts de classe de leurs congrégations.

Cela explique le phénomène par ailleurs contradictoire du soutien historique de différentes sectes protestantes à l’esclavage des personnes noires et à d’autres formes de discrimination raciste à certains moments de l’histoire, et à leur opposition à ces pratiques à d’autres moments. Les débats au sein des Églises protestantes réformées néerlandaises en Afrique du Sud sous l’apartheid sont un exemple de l’importance de ce changement de la superstructure idéologique de la société en faveur du racisme. Avec les flux et reflux de la lutte des classes, le soutien universel initial à l’apartheid s’est finalement effondré en un fouillis d’appui, d’opposition et de tout ce qui se trouve entre les deux.

La traite transatlantique d’esclaves et la création du racisme anti-noir

L’intérêt économique majeur ayant créé les conditions sociales pour l’émergence du racisme anti-noir est la traite transatlantique d’esclaves. Mais l’histoire de l’esclavage en général n’est pas l’histoire du racisme. L’esclavage dans la Grèce et la Rome antiques n’était pas fondé sur la couleur de la peau. Dans ces sociétés, des personnes de toutes les couleurs de peau pouvaient être réduites en esclavage. Le racisme n’a pas pu naître sur cette base multiraciale.

Au début de la période capitaliste, l’esclavage a conservé son caractère multiracial. Les premiers navires de marchands d’esclaves sont arrivés en Afrique dans les années 1440. Ils ont commencé à faire un peu de troc avec les dirigeants ouest-africains en échange d’esclaves noirs. Ce commerce a existé en parallèle de la pratique ouest-africaine de prise d’esclaves en temps de guerre, du commerce transsaharien d’esclaves établi de longue date sous le contrôle des musulmans nord-africains et de l’esclavage continu de personnes blanches dans certaines régions d’Europe.

La différence entre les marchands portugais et leurs premiers concurrents était que les premiers représentaient la classe capitaliste montante et les seconds les vestiges d’anciennes formes sociales que le capitalisme allait bientôt balayer. Cette classe de marchands protocapitalistes allait réinventer l’esclavage. En le mettant en œuvre dans les Amériques nouvellement conquises, ils l’ont transformé en une vaste entreprise capitaliste. Ce n’est que sur la base de l’esclavage capitaliste que les conditions sociales ont été créées pour l’émergence du racisme anti-noir en rendant l’esclavage, pour la première fois, exclusivement noir.

Mais cela prendra de nombreuses années. Le premier navire de l’Atlantique à transporter des esclaves noirs a quitté l’Afrique en 1510. Cinquante esclaves noirs ont été emmenés sur l’île d’Hispaniola (aujourd’hui Haïti et la République dominicaine), sous contrôle espagnol. Cette «innovation» a eu lieu parce que les populations autochtones – qui ont été les premières à être asservies et mises au travail forcé dans les nouvelles mines d’argent et d’or ainsi que dans les nouvelles plantations de tabac et de sucre – sont mortes trop rapidement des maladies véhiculées par les Européens. Jusqu’au 17e siècle, la traite des esclaves dans l’Atlantique est restée intermittente et à petite échelle par rapport à ce qui allait suivre. Les conditions sociales pour un racisme anti-noir général et omniprésent n’étaient pas encore suffisamment prêtes.

La clé pour comprendre l’ampleur de la traite négrière atlantique est la demande de main-d’œuvre des nouvelles colonies américaines qui, à leur tour, dépendaient du développement du capitalisme en Europe et de la création de nouveaux marchés. Un tournant s’est produit au 17e siècle lorsque le sucre est devenu la principale culture commerciale dans les Caraïbes et en Amérique du Sud. Cela a rapidement accéléré le besoin de main-d’œuvre, qui a été le plus facilement satisfait par l’importation de main-d’œuvre noire d’Afrique.

Au cours des deux siècles suivants, plus de douze millions de personnes noires ont été réduites en esclavage et envoyées en Amérique. Elles en sont venues à constituer une vaste population d’esclaves. Leur statut d’esclave, le dernier échelon de l’échelle sociale, est devenu inséparable de la couleur de leur peau. C’est ce qui a créé les conditions sociales du racisme anti-noir. Comme l’historien marxiste Eric Williams l’a décrit dans son livre, British Capitalism and British Slavery, «les traits de l’homme, ses cheveux, sa couleur et son dentifrice, ses caractéristiques “sous-humaines” si largement invoquées, n’étaient que les rationalisations ultérieures pour justifier un simple fait économique: que les colonies avaient besoin de main-d’œuvre et avaient recours à la main-d’œuvre noire parce qu’elle était la moins chère et la meilleure».

Le racisme anti-noir s’est alors matérialisé et n’était pas prêt de disparaître. Il existe dans les colonies et dans les métropoles qui bénéficient de son existence. Lorsque l’esclavage a pris fin tout au long du 19e siècle, Williams a constaté que cela n’a pas permis d’éradiquer les préjugés racistes qu’il a créés. Il a déclaré: «les idées [le racisme] fondées sur ces intérêts [l’esclavage] continuent bien après que les intérêts aient été détruits et font leur vieil effet, ce qui est d’autant plus malicieux que les intérêts auxquels ils correspondaient n’existent plus». Mais il ne s’agit pas simplement d’une inertie de l’histoire. Malgré la fin de la traite négrière atlantique, le capitalisme a besoin du racisme pour justifier de nouveaux intérêts économiques.

La voie du racisme en Amérique du Nord

Dans des conditions sociales différentes, le développement de l’esclavage et du racisme anti-noir a pris un chemin différent dans les colonies nord-américaines. Après l’échec de tentatives similaires d’asservissement des populations autochtones, les propriétaires terriens nord-américains se sont ensuite tournés vers la main-d’œuvre blanche sous contrat pour résoudre leur pénurie de main-d’œuvre. Être engagé dans un contrat d’indenture signifiait travailler comme esclave pendant une période pouvant aller jusqu’à sept ans avant d’être libéré. Au cours des 150 années qui ont précédé la fin du 18e siècle, jusqu’à 250 000 personnes d’origine anglaise, irlandaise, allemande et d’autres personnes blanches appauvries ont été envoyées dans les colonies nord-américaines pour y être engagées sous indenture. Mais le taux de mortalité dû au surmenage et aux mauvais traitements, sans parler de la facilité et de la fréquence avec lesquelles la période d’indenture était prolongée, a entraîné beaucoup de personnes à mourir en esclavage.

Tout au long de cette période, il y a également une arrivée constante de personnes noires achetées à des marchands d’esclaves. Cependant, il n’y a pas de système d’esclavage en tant que tel en Amérique du Nord. À leur arrivée, ces esclaves noirs sont convertis en serviteurs sous indenture et intégrés dans le système de travail existant. Le fait d’être noir ne les qualifie pas encore automatiquement comme des esclaves. Certaines personnes ont même vécu et obtenu la liberté et devenaient elles-mêmes maîtres de serviteurs sous indenture.

Dans les champs des plantations, des serviteurs noirs et blancs sous indenture ont travaillé côte à côte. La misère partagée et le sens de la solidarité de classe ont empêché l’émergence du racisme entre ces personnes exploitées. Au sein de la classe dirigeante, des préjugés se sont développés pour justifier le traitement brutal des serviteurs sous indenture, qu’ils soient noirs ou blancs. Tous ces gens ont été déshumanisés et considérés comme des «saletés et des déchets». Un racisme explicitement anti-noir ne servait à rien dans ces conditions sociales et n’a donc pas vu le jour. Mais cela va se produire au cours de la lutte des classes.

Un tournant décisif dans le développement du racisme anti-noir en Amérique du Nord est survenu en 1676 avec la révolte de Bacon, en Virginie. Lors de ce soulèvement contre des propriétaires terriens aristocratiques, des serviteurs noirs et blancs sous indenture, des fugitifs, des travailleurs libres sans terre et de petits fermiers se sont unis. La rébellion a été brutalement écrasée. Selon un récit de l’époque, le dernier groupe de rebelles tués, qui a choisi de se rassembler par solidarité de classe et de se battre jusqu’au bout, comprenait «80 nègres et 20 Anglais». C’est précisément ce qui a terrifié la classe dirigeante.

Après la répression de la révolte de Bacon, la classe dirigeante, anticipant le régime d’apartheid de plusieurs siècles, a entrepris de créer une couche intermédiaire privilégiée pour servir de tampon social à son pouvoir. La ligne de démarcation potentielle était apparente au 17e siècle en Virginie comme elle l’était en Afrique du Sud à la veille de l’apartheid: les personnes blanches devaient être consciemment séparées des noires. La situation juridique des serviteurs blancs sous indenture a été améliorée. Leur donner des coups de fouet a été interdit. À la fin de la période d’indenture, les personnes blanches devaient recevoir «du maïs, de l’argent, un fusil, des vêtements et 50 acres de terre» pour leur permettre de participer à l’ordre social existant.

Pendant ce temps, les serviteurs noirs sous indenture ont perdu tous leurs droits. Le travail sous indenture est devenu un esclavage à vie. Dans les grandes plantations, les personnes blanches et noires ont été ségréguées dans des habitations séparées. Pour mieux les distinguer, les personnes blanches recevaient des vêtements de qualité supérieure et un travail plus facile. Elles ont été forcées d’intégrer leur «supériorité», car les préjugés racistes étaient sciemment encouragés. Pour la première fois, l’anglais a été explicitement défini comme un symbole de «blanchitude» dans un nouvel entrelacement entre racisme et nationalisme.

Avec l’établissement de l’esclavage noir et plus tard la culture du coton dans le Sud, les conditions sont réunies pour le développement du système esclavagiste du sud des États-Unis. L’idéologie raciste qui s’est développée sur cette base a survécu longtemps après la fin de l’esclavage dans le sud, en 1865. Anticipant à nouveau le régime d’apartheid, l’année 1876 a vu l’introduction des lois de ségrégation raciste de Jim Crow dans le Sud, qui vont survivre jusque dans les années 1960.

La science moderne invente la «race»

Comme il a été mentionné plus haut, la religion a été le seul prisme idéologique à refléter les conditions sociales de la société féodale. Si le capitalisme a modifié la religion pour refléter ses propres intérêts, il a également stimulé de nouvelles façons de voir et de comprendre le monde qui allaient entrer en concurrence avec la religion. Le développement de la méthode scientifique moderne d’observation et d’expérimentation durant la «révolution scientifique» du 16e siècle a permis à l’Humanité de faire d’énormes progrès dans sa compréhension du monde. Mais la lutte des classes a inévitablement trouvé un écho dans les nouvelles sciences.

Durant les débuts de la science moderne, la classe capitaliste a trouvé un nouveau cadre pour établir des préjugés et justifier la discrimination raciale: la nouvelle idée de «race». La mise au point de cette idée a reflété les inégalités sociales existantes à l’époque, non pas une quelconque inégalité «naturelle». Au début du 18e siècle, les tentatives de scientifiques tels que Carl Linnæus qui visaient à classifier la nature selon une hiérarchie, avec les humains au sommet, ont à leur tour conduit à des tentatives pour classifier de manière hiérarchique les différences entre les êtres humains. Dans les colonies hispano-américaines, les catégories raciales de l’apartheid ont été anticipées avec le système des «castas». Plus de 100 «hiérarchies» humaines différentes et détaillées ont été alors élaborées. Elles ont contenu jusqu’à 16 classifications différentes basées sur la couleur de la peau et la descendance. Cependant, les conditions sociales ont empêché les castas de devenir une base rigoureuse de ségrégation.

Les inégalités raciales, mais aussi les inégalités de classe, étaient désormais justifiées comme découlant d’un ordre «naturel». Si elles sont «naturelles», il est donc justifié qu’elles continuent. Le terrain idéologique a ainsi été préparé pour l’arrivée des théories pseudoscientifiques sur la race, celles-là mêmes qui serviront de base aux formes les plus monstrueuses de racisme suprémaciste blanc durant les 19e et 20e siècles.

La tromperie du libéralisme

Ironiquement, les idées des Lumières concernant la raison et les droits individuels défendues durant la Révolution française constitueront un nouveau développement idéologique à partir duquel le racisme se renforcera dans la société capitaliste. Ces idées se sont développées comme position alternative à partir de laquelle la classe capitaliste a pu justifier sa lutte de classe contre le féodalisme. En réalité, ce ne sont pas les «droits de l’homme» qui ont été défendus, mais les droits de la classe capitaliste. Aucun droit n’a été plus important que le droit à la propriété privée. Mais pour rallier toutes les classes à la bannière des capitalistes dans leur lutte contre le féodalisme, ces droits ont dû être posés en termes révolutionnaires et s’appliquer à tout le monde de la même façon.

Suite à sa victoire contre le féodalisme, la classe capitaliste n’a eu aucune intention d’être cohérente avec son idéologie révolutionnaire. Elle n’a eu aucun désir de partager son nouveau pouvoir politique avec la classe ouvrière, et encore moins de sacrifier l’immense source de profits qui dépendait de la traite des esclaves dans l’Atlantique et de l’esclavage des personnes noires en Amérique. La classe capitaliste a continué d’empêcher la classe ouvrière et les esclaves des colonies d’obtenir des droits politiques afin de maximiser leur exploitation. Le besoin s’est fait sentir d’élaborer des idéologies pour fixer les limites de ce qui était auparavant présenté comme des droits «universels». Le racisme déjà développé sur le dos de la traite des esclaves de l’Atlantique est renforcé et développé pour justifier l’exclusion des personnes noires de la nouvelle «liberté» capitaliste.

Mais cela n’a pu que partiellement réussir. La classe ouvrière et les esclaves ont pris la classe capitaliste au mot. Les esclaves de couleur noire à Saint-Domingue se sont rebellé·es pour soutenir la Révolution française qui, à ses débuts, a trouvé son soutien le plus énergique parmi les masses ouvrières. L’opposition instinctive des masses françaises à l’esclavage a été décrite par l’historien marxiste C.L.R. James dans son livre sur la révolution haïtienne:

Et dans ces quelques mois où elles [les masses] s’approchèrent le plus près du pouvoir, elles n’oublièrent pas les Noirs. Le Peuple les considérait comme des frères, et il haïssait  les vieux propriétaires d’esclaves, suppôts de la contre-révolution, comme si c’était des Français qui avaient souffert sous leur fouet. Ce n’était pas seulement de Paris, mais aussi celui de la France entière. «Domestiques, paysans, ouvriers, journaliers agricoles», tous, partout, manifestaient une haine vigoureuse de «l’aristocratie de la peau». Il n’était pas rare de voir des gens si profondément affligés du sort des esclaves qu’ils cessaient de boire du café, comme s’il était imprégné du sang et de la sueur d’hommes ravalés à la brute. Aux nobles et généreux travailleurs de France […] c’est à ces hommes qu’ira le souvenir reconnaissant et affectueux des fils de l’Afrique et des amis de l’humanité – et non aux bavards libéraux français ni aux hypocrites «philanthropes plus 5%» des chambres britanniques3.

L’opposition opportuniste de la classe capitaliste à l’esclavage, qui s’est imposée au début pour gagner le soutien de la classe ouvrière à sa révolution, a été renversée à la première occasion. Les anciennes et anciens esclaves de Saint-Domingue ont été contraints de poursuivre leur lutte, désormais contre les forces du nouveau gouvernement capitaliste de la France. Les anciennes et anciens esclaves ont été victorieux et ont réussi à établir la première république noire de l’histoire avec la création d’Haïti en 1804.

Colonialisme et capitalisme monopolistique

Tout comme les personnes d’Afrique n’ont pas été réduites en esclavage parce qu’elles étaient noires, l’Afrique n’a pas été colonisée au 19e siècle parce que ses habitantes et habitants étaient noirs. Les justifications racistes du colonialisme sont le reflet idéologique d’un processus économique plus fondamental. Le racisme anti-noir est déjà bien établi au 18e siècle. À la veille de la «ruée vers l’Afrique» des années 1870, 90% de l’Afrique n’est pas colonisée par l’Europe.

Lénine, dans L’Impérialisme, stade suprême du capitalisme, souligne qu’en Grande-Bretagne, la puissance dominante de l’époque, «entre 1840 et 1870, les dirigeants politiques bourgeois du pays étaient contre la politique coloniale, considérant l’émancipation des colonies, leur détachement complet de l’Angleterre, comme une chose utile et inévitable4». Cela est dû au fait que la doctrine du «libre-échange» et de la «libre concurrence» correspond aux intérêts économiques de la classe capitaliste à ce stade. Ce n’est pas le cas du colonialisme.

Mais la poursuite du développement du capitalisme en Europe a conduit à la montée du capitalisme monopoliste. La concurrence «libre» a été dépassée. Le capital industriel et bancaire s’est concentré et a fusionné dans ce que Lénine a décrit comme le «capital financier». L’exportation de ce capital financier vers de nouveaux marchés est devenue vitale pour les intérêts de la classe capitaliste. La concurrence entre les puissances capitalistes afin d’obtenir des marchés pour leurs propres capitaux financiers ainsi que pour assurer le contrôle des matières premières s’est intensifiée. En conséquence, l’hypocrisie du libéralisme a conduit au nationalisme et au colonialisme. Lénine a expliqué qu’il «est donc hors de doute que le passage du capitalisme à son stade monopoliste, au capital financier, est lié à l’aggravation de la lutte pour le partage du monde5». La lutte entre les classes capitalistes nationales européennes concurrentes est ainsi devenue la force motrice du colonialisme.

Le fait que le racisme anti-noir existait déjà a simplement évité à la classe capitaliste d’avoir à l’inventer. Mais comme toujours, les nouveaux intérêts économiques exigent que le racisme s’y adapte. Les idées suprématistes blanches et les théories pseudoscientifiques de la race sont apparues pour justifier la conquête coloniale non seulement des personnes noires en Afrique, mais aussi des peuples d’Asie. Si les classes capitalistes blanches européennes doivent dominer les peuples du monde entier, il est plus facile d’affirmer la «supériorité» de leur propre «race» plutôt que les «infériorités» spécifiques de toutes les autres «races». De telles idées n’étaient pas entièrement nouvelles. Mais la nécessité de justifier le colonialisme s’est développée et les a fait progresser vers de nouveaux sommets. De vastes régions du monde seront gouvernées ainsi que leurs habitantes et habitants exploités sur la base de ces idées. Par conséquent, les luttes de libération nationale dans le monde colonial du 20e siècle ont acquis un caractère de lutte antiraciste. C’est particulièrement le cas avec les expressions idéologiques qu’incarnent les idées africanistes et les autres nationalismes noirs, idées conformes aux intérêts d’une élite noire en devenir.

L’essor de la classe ouvrière et la réaction du nationalisme

Comme il est mentionné plus haut, les idéologies nationalistes ont émergé en Europe en raison des intérêts économiques de la classe capitaliste. Le nationalisme est une arme idéologique essentiellement progressiste aux mains de la classe capitaliste dans sa lutte contre la classe dominante féodale. Cependant, dès que la classe capitaliste a atteint le pouvoir politique dans la majeure partie de l’Europe, elle a dû immédiatement s’opposer à son nouvel ennemi ouvrier. Même pendant la Révolution française de 1789 et les Révolutions de 1848 en Europe, les revendications des masses ouvrières se sont révélées être de plus en plus en contradiction avec les intérêts de la classe capitaliste avec laquelle elles étaient généralement encore en alliance contre la société féodale. Avec le mouvement chartiste des années 1840 en Grande-Bretagne, avec la publication du Manifeste du parti communiste en 1848, avec le tout premier État ouvrier qu’est l’éphémère Commune de Paris de 1870 et avec la montée du syndicalisme, la classe ouvrière démontre la véracité de l’argument de Marx selon lequel le capitalisme crée ses propres fossoyeurs.

Le nationalisme réactionnaire est devenu crucial pour la classe capitaliste afin de justifier les inégalités de classe et l’exploitation de classe en Europe. C’est le complément du racisme justifiant quant à lui l’exploitation dans les colonies. De plus en plus, les deux s’entremêlent. Face à l’appel révolutionnaire de la classe ouvrière à la solidarité de classe, à la lutte de classe et à l’internationalisme, la classe capitaliste oppose la solidarité nationale et raciale, les luttes des nations et le nationalisme. Les racines du racisme et du nationalisme au sein des conditions sociales capitalistes ont été mises à nu par l’émergence du mouvement ouvrier révolutionnaire. Ce dernier a été contraint de surmonter ces deux idéologies dans sa lutte pour une société qui serait organisée selon ses propres intérêts de classe — une société socialiste. Le marxisme est l’idéologie la plus conforme aux intérêts réels de la classe ouvrière et donc la plus cohérente dans son opposition au racisme.

Le remodelage de l’arme idéologique du nationalisme par la classe capitaliste a donné vie à tout un potentiel de préjugés raciaux et ethniques nationalistes afin de combattre son nouvel adversaire ouvrier. Les idées racistes développées au cours des siècles et les idéologies suprémacistes blanches colonialistes ont pu fusionner avec le nationalisme et offrir une nouvelle apparence à l’armure idéologique réactionnaire du capitalisme.

La forme la plus extrême de réaction capitaliste contre la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière est apparue au 20e siècle sous la forme du fascisme. Il est apparu dans le sillage immédiat de la victoire de la classe ouvrière durant la Révolution russe de 1917 et durant les mouvements révolutionnaires pour le socialisme qui ont balayé l’Europe. Combiné à la crise capitaliste de la Grande Dépression des années 1930, le fascisme a constitué le dernier coup de dés pour une classe capitaliste désespérée au seuil de la perte de pouvoir. La tâche principale du fascisme a été de briser le pouvoir de la classe ouvrière organisée. L’habillage idéologique de cette réaction capitaliste fusionne un suprémacisme blanc raciste extrême, un nationalisme impérialiste expansionniste et un antisocialisme virulent.

Une histoire de lutte

Les masses exploitées, les esclaves et la classe ouvrière ont surmonté les divisions racistes tout au long de l’histoire du capitalisme et du développement qu’il a fait subir au racisme. Leurs luttes contre la division des capitalistes et l’exploitation de classe leur ont permis d’attaquer la base sur laquelle repose le racisme. La première révolte d’esclaves de couleur noire a eu lieu 12 ans seulement après l’arrivée des premiers esclaves noirs à Hispaniola. Dix ans plus tard, des esclaves autochtones et noirs se sont révoltés ensemble sur la même île. Toute l’histoire de l’esclavage en Amérique est une histoire de révoltes d’esclaves.

Il a déjà été mentionné l’unité des esclaves de couleur noire et blanche durant la rébellion de Bacon ainsi que la réussite de la révolution haïtienne, soutenue par la classe ouvrière blanche de France. La classe ouvrière européenne a également joué un rôle important dans l’abolition de la traite des esclaves dans l’Atlantique ainsi que durant la guerre civile aux États-Unis, événement qui a mis fin au système d’esclavage dans le Sud. Les révolutions coloniales en Afrique et en Asie au 20e siècle ainsi que le mouvement des droits civils aux États-Unis ont poursuivi ces luttes pour l’autodétermination et l’égalité véritable. La classe ouvrière a soutenu ces luttes, partout où elle a été organisée sur la base d’idées marxistes et socialistes correspondant à ses intérêts réels. Lorsqu’elle ne l’a pas fait, cela a été le résultat de politiques conscientes de divisions et de domination de la part de la classe capitaliste.

[…]

Race ou classe sociale?

Les catastrophes des deux guerres mondiales du 20e siècle se sont exprimées à travers les idéologies racistes et nationalistes décrites plus haut. Après ces guerres, la politique «officielle» des classes capitalistes impérialistes (dont les prédécesseurs ont créé le racisme) a consisté à défendre un antiracisme hypocrite. Dans le monde entier, le racisme et les inégalités raciales du 21e siècle tirent leurs racines matérielles dans la nature même du capitalisme en tant que système d’inégalité de classes. Les inégalités raciales sont une de ses formes d’expression. Tant que la société restera divisée en classes, les conditions sociales du racisme subsisteront.

L’intensité du racisme et son utilisation comme moyen de discrimination continueront à fluctuer avec les crises du capitalisme et de la lutte des classes. La classe capitaliste continuera à s’appuyer sur le racisme comme outil idéologique réactionnaire afin de diviser la classe ouvrière pour mieux régner. Cette capacité des capitalistes est limitée seulement par le niveau d’organisation et la combativité de la classe ouvrière. Des combinaisons cruelles et bizarres d’idées réactionnaires et de préjugés appartenant à la «foule infinie de hasards» d’Engels continueront à être lancées. Les récentes violences xénophobes en Afrique du Sud entrent dans cette catégorie. En l’absence totale de direction de la classe ouvrière, les préjugés racistes et nationalistes les plus réactionnaires de la société capitaliste ont été repris et portés par une partie des masses opprimées, en colère contre la pauvreté, le chômage et les inégalités.

Laquelle est la plus importante? La «race» ou la classe sociale? Cette question est fréquemment posée dans les débats et les discussions politiques en Afrique du Sud. S’appuyant sur leur compréhension ahistorique du racisme, les nationalistes noirs affirment généralement qu’il s’agit de la «race». Mais les marxistes devraient débuter leur raisonnement en remettant en question les prémisses de cette question. Oui, pour les marxistes, la classe a la primauté. Mais cela n’exclut pas que la «race» ait une importance et une signification énormes dans les relations de classe et la lutte des classes. Car c’est dans l’interaction dialectique entre la classe et la «race» que le racisme est né, et c’est dans l’interaction dialectique entre la classe et la «race» que le racisme acquiert toutes ses formes modernes. C.L.R. James a fait remarquer que, pour les marxistes:

La question des races est subordonnée à celle des classes, et il est désastreux de concevoir l’impérialisme en termes de races. Cependant, c’est une erreur de négliger le facteur racial, de la traiter comme une question purement accessoire – une erreur seulement moins grave que d’en faire le facteur fondamental6.

Quiconque souhaite comprendre l’histoire du racisme doit examiner si le marxisme est en mesure de découvrir et d’expliquer son véritable développement historique. Nous pensons que oui. Mais le marxisme ne tente pas d’expliquer le racisme simplement comme un exercice mental. Il tente plutôt d’être un guide d’action dans la lutte pour un avenir socialiste. Si le marxisme est capable d’exposer les véritables fondements de classe du racisme, alors il est nécessaire d’en tirer toutes les conclusions et de rejoindre la lutte de la classe ouvrière pour le socialisme comme seul moyen d’éradiquer les véritables fondements capitalistes du racisme.


1. Friedrich Engels, Lettre à Joseph Bloch, 1890
2. Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, 1916
3. C.L.R. James, Les Jacobins noirs. Toussaint Louverture et la Révolution de Saint-Domingue, Éditions Amsterdam, Paris, 2017, p.179-180
4. Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, 1916
5. Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme, 1916
6. C.L.R. James, Les Jacobins noirs. Toussaint Louverture et la Révolution de Saint-Domingue, Éditions Amsterdam, Paris, 2017, p.322-323

Bakou : Le Premier Congrès des Peuples d’Orient

En 1920, le premier congrès anticolonial de l’histoire s’est tenu dans la ville portuaire de Bakou, en Azerbaïdjan, à l’initiative des bolcheviks après le triomphe de la révolution socialiste en Russie. Des centaines de communistes et de révolutionnaires de différentes régions d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient y ont participé. Les délégués, originaires des anciennes colonies […]

Grève de 1936 en Palestine

Leçons de l’histoire de l’oppression des masses palestiniennes

Contre l’impasse de l’impérialisme, l’issue de la classe travailleuse
C’est un véritable enfer qui continue de s’abattre sur Gaza. En à peine plus de trois mois, approximativement 1,5% de la population a été tuée, pourcentage similaire à celui des personnes qui ont trouvé la mort en France durant les cinq ans qu’a duré la Seconde guerre mondiale. Parmi les morts, environ 75% de femmes, enfants et vieillards.

Après 43 jours passés dans les hôpitaux du nord de la bande de Gaza, Ghassan Abu Sitta, un chirurgien britannico-palestinien spécialisé dans les blessures de guerre, a expliqué que l’intensité de l’offensive israélienne dépasse tout ce qu’il a déjà connu précédemment à Gaza, en Irak, en Syrie, au Yémen ou encore au sud-Liban. «C’est la différence entre une inondation et un tsunami, l’ampleur est complètement différente», a-t-il commenté à l’agence de presse AFP.

Il assure également avoir soigné des brûlures au phosphore blanc, une arme chimique proscrite par le droit international à la blessure très caractéristique puisqu’elle «continue de brûler jusqu’aux parties les plus profondes du corps, jusqu’à atteindre l’os.» L’ONG britannique Save the Children a indiqué qu’en trois mois de bombardement, l’armée israélienne avait tué à Gaza un nombre d’enfants supérieur à celui des enfants tués chaque année depuis 2019 dans toutes les zones de conflit du monde. Le prétexte officiel du gouvernement israélien «d’éradiquer» le Hamas est parfaitement grotesque.

C’est d’autant plus hypocrite que le Hamas a longtemps été favorisé par les autorités israéliennes et le Mossad, les services secrets extérieurs israéliens, dans le but d’affaiblir le Fatah de Yasser Arafat et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Quand, en 1981, le gouvernement égyptien a expulsé des dizaines de militants islamistes égyptiens après l’assassinat du dictateur El-Sadate (tué notamment en raison de son rapprochement avec Israël), Ariel Sharon, ministre de la Défense de l’époque, les a autorisés à s’installer à Gaza. Nombre d’entre eux seront ensuite dirigeants du Hamas et du Djihad islamique.

Peu après, Israël a autorisé (il serait même question d’un soutien matériel) la construction de l’immeuble de l’Association islamique dont les membres allaient régulièrement saccager les bureaux du Croissant rouge palestinien, proche du Parti communiste et de l’OLP. Pour le journaliste Charles Enderlin «La bienveillance israélienne ira jusqu’à juguler l’opposition aux islamistes. Les étudiants qui osent leur porter la contradiction au cours de débats publics se retrouveront derrière les barreaux1 Le soutien aux fondamentalistes islamistes afin de saper celui dont disposent les forces de gauche ou nationalistes figurait en bonne place dans les manuels de la CIA et de ses alliés. En Afghanistan, c’est la même logique qui a poussé les États-Unis à soutenir avec enthousiasme le développement des talibans. Des fondamentalistes religieux aux narcotrafiquants, l’impérialisme a créé de nombreux monstres de Frankenstein à travers le monde.

Dans l’espoir d’obtenir elles-mêmes une part du gâteau, les élites régionales ont accepté l’oppression impérialiste. La Jordanie avait manœuvré pour accaparer la Cisjordanie, le roi Abdallah payant de sa vie en 1951 sa rivalité avec l’indépendantisme palestinien. Israël a reçu des renseignements cruciaux d’Hassan II du Maroc (avant la guerre des six jours) et d’Hussein de Jordanie (avant la guerre du Kippour). À la suite des accords d’Oslo (1993), la direction de l’OLP a accepté de devenir le sous-traitant de l’occupation israélienne. À l’exception de l’Iran, les régimes de la région ont peu à peu normalisé leurs relations avec l’État israélien tandis que les Nations unies consolidaient l’occupation.

Le droit du peuple palestinien à l’autodétermination n’était réellement à l’ordre du jour que lorsque la lutte de masse l’imposait. Ce fut le cas lors de la grève générale de 1936 et de la première Intifada (1987-93). À chaque fois, les masses se sont organisées à partir de la base et ont pu compter sur une solidarité régionale et internationale croissante.

Plus fondamentalement, il est évidemment impossible d’en finir avec les violences sans en finir avec le régime d’occupation et avec l’oppression des masses palestiniennes. La responsabilité en incombe bien sûr à l’État sioniste d’Israël, mais également aux puissances impérialistes ainsi qu’aux régimes dictatoriaux arabes de la région.

L’autodétermination palestinienne sabotée par les grandes puissances et les élites régionales depuis plus d’un siècle

Avant même la fin de la Première guerre mondiale, la France et le Royaume-Uni se sont entendus, avec l’aval de la Russie tsariste, sur le dépeçage de l’Empire Ottoman et l’extension de leur domination coloniale. En mai 1916 déjà, les accords secrets Sykes-Picot prévoyaient de découper le Proche-Orient en plusieurs zones d’influence ou d’administration directe, contrairement aux promesses d’indépendance faites au porte-parole de la nation arabe, le chérif Hussein.

Si ces accords secrets ont été révélés au grand jour, c’est grâce à la révolution russe de 1917. Le premier décret du pouvoir soviétique, le décret sur la paix, avait proclamé l’opposition à toute diplomatie secrète impérialiste. Pour la première fois, une loi proclamait l’égalité de toutes les nations et leur droit à l’autodétermination. Les actes ont suivi avec l’octroi de l’indépendance à la Finlande, à la Pologne et à d’autres pays précédemment intégrés de force dans l’Empire de Russie.

Les accords Sykes-Picot ont été qualifiés par Lénine de «traité de brigands coloniaux». Parmi les documents trouvés figurait une carte traversée de traits de crayon à papier: le prélude à la balkanisation impérialiste de toute la région. C’est Trotsky, en sa qualité de Commissaire du Peuple aux Affaires étrangères, qui a publié le traité dans les journaux soviétiques en novembre 1917 avant que la nouvelle ne fasse également grand bruit à l’étranger.

Les États-nations du Moyen-Orient tels que nous les connaissons aujourd’hui furent dessinés en 1920, à la conférence de San Remo, en fonction des intérêts stratégiques et financiers des impérialismes français et britannique. C’est à cette date que la Palestine s’est retrouvée placée sous mandat britannique. Les terribles bains de sang et horreurs qui affectent toujours aujourd’hui les masses de toute la région découlent directement de là. Les premiers coupables sont à chercher à Londres, Paris et Washington.

Pour tenter de garder leur contrôle de ce découpage arbitraire, les peuples, notamment juifs et arabes, ont été montés les uns contre les autres, à l’image de l’Inde où les Hindouistes ont été opposés aux Musulmans. C’est de cette façon que l’impérialisme s’est toujours imposé: diviser pour mieux régner.

La force de la résistance par en bas: la grève générale de 1936

Hélas, sur place, les dirigeants du mouvement ouvrier sont rentrés dans ce jeu désastreux. En mars 1936, le trotskyste américain Félix Morrow écrivait à ce sujet:

En Palestine aussi, une réorientation décisive du prolétariat juif est nécessaire. Dirigés par le Mapai2, les travailleurs juifs ont poursuivi la fausse politique de chercher à construire une patrie juive sous le capitalisme. Au nom de cette illusion, ils se sont éloignés de plus en plus de leurs alliés naturels, les paysans et les ouvriers arabes. Dans l’unité permanente au sein de l’Agence juive3, ces soi-disant dirigeants socialistes-sionistes ont pratiqué la collaboration de classe la plus grossière avec la bourgeoisie juive; ils se sont prosternés devant l’impérialisme britannique; ils ont brandi des slogans chauvins de travail juif pour les Juifs seulement et d’achat de produits fabriqués par les Juifs seulement; ils ont réduit les salaires pour faire face à la concurrence arabe au lieu de s’unir avec les Arabes dans des syndicats uniques; ils ont dressé des piquets de grève là où les Juifs osaient employer de la main-d’œuvre arabe. Ils ont rendu infiniment plus facile la tâche des classes dirigeantes arabes, qui ont transformé le mécontentement de l’ouvrier arabe pour en faire le vecteur d’émeutes antijuives.

Ce qu’il faut, si les masses juives veulent faire un pas réel vers une Palestine libre, si les masses juives ne veulent pas être massacrées par une attaque arabe généralisée, c’est mettre fin à la collaboration avec l’impérialisme britannique et la bourgeoisie juive, et se tourner vers l’unité avec les masses arabes. La lutte des Arabes et des Juifs contre l’impérialisme britannique est un slogan qui sera combattu non seulement par les sionistes, mais également par les propriétaires terriens et la bourgeoisie arabes.4

Un mois plus tard éclatait la grande grève de 1936, qui dura 6 mois et mobilisa les masses palestiniennes contre la colonisation, mais aussi pour l’arrêt de l’immigration juive. Des soulèvements anticoloniaux se développaient dans toute la région et, en Syrie, une grève générale venait d’arracher au Mandat français des concessions dans le sens de l’accession à l’indépendance. Mais les dirigeants de la société palestinienne désiraient utiliser les masses comme simple moyen de pression sur l’Angleterre pour obtenir des concessions aux classes supérieures arabes. Celles-ci préféraient largement l’éclatement de révoltes armées (comme ce fut le cas en 1921, 1929, 1933 et 1935) qui ne menaçaient pas leur exploitation des masses pauvres.

La grève prit de court les sionistes, les Britanniques et surtout les chefs palestiniens eux-mêmes. Pendant six mois, les masses palestiniennes ont vécu une organisation et un pouvoir propres, détachés de l’État mandataire. Le mouvement de grève s’est apaisé en octobre et, à partir de là, les éléments de lutte armée ont résolument pris le dessus, y compris entre clans arabes eux-mêmes, jusqu’en 1939, quand l’impérialisme britannique a cédé des concessions limitées pour attirer la population arabe dans son camp dans la guerre contre l’Allemagne nazie.

Durant toute cette période, le Parti communiste palestinien suivait les ordres de Moscou où, en raison de l’isolement de la révolution dans la seule Russie économiquement arriérée et détruite, la bureaucratie avait usurpé le pouvoir. Dans les colonies, la politique stalinienne dictait de suivre docilement les dirigeants nationalistes. Chaque politicien arabe était considéré comme un «combattant sérieux contre l’impérialisme britannique» même si certains d’entre eux avaient pris contact avec l’Allemagne nazie. Les pogroms commis contre les Juifs en Palestine étaient analysés comme autant de «poussées révolutionnaires».

Après la Seconde guerre mondiale, Staline et l’Union soviétique ont opéré un zigzag en soutenant le Plan de partage de la Palestine présenté à l’ONU en novembre 1947, non seulement de façon diplomatique mais aussi via des livraisons d’armes tchécoslovaques ainsi qu’en favorisant l’émigration des Juifs et Juives du bloc de l’Est en constitution. La bureaucratie stalinienne estimait alors qu’il s’agissait du plus sûr moyen d’affaiblir la Grande-Bretagne.

L’impérialisme permet la création de l’État d’Israël

L’intensification des persécutions contre les juifs, la montée du fascisme et l’horrible massacre industrialisé de l’Holocauste ont eu un impact considérable sur les consciences et le débat sur l’État d’Israël. Une grande contradiction existait entre la nécessité pratique d’émigrer pour des millions de Juifs et le manque d’options en termes de destination.

Nos prédécesseurs britanniques du Revolutionnary Communist Party (RCP) se sont opposés au projet. Ils expliquaient en août 1946 dans leur journal Socialist Appeal: «cela soulèverait invariablement le violent antagonisme des Arabes en Palestine et dans tout le Moyen-Orient. L’antisémitisme serait simplement transféré de l’Europe vers les pays arabes. (…) Les impérialistes ferment leur porte mais ils veulent à tout prix décider pour les Arabes.»

A titre d’exemple, entre 1940 et 1948, les États-Unis n’ont accueilli en tout et pour tout que 57 000 Juifs et Juives d’Europe. Pourtant, en 1947, un sondage mettait en avant que 50% des survivants et survivantes des camps de concentration désiraient s’y rendre plutôt qu’en Palestine.5 Le RCP continuait:

La sainte horreur avec laquelle les puissances alliées ont considéré l’extermination des juifs se révèle totalement hypocrite. Si Staline avait représenté les intérêts véritables du socialisme, il aurait affirmé la volonté de l’URSS d’accueillir les réfugiés désirant trouver un abri en Russie, puisqu’il y a pénurie de main d’œuvre. Mais les frontières de l’URSS restent hermétiquement fermées. De même, la Grande-Bretagne et l’Amérique, malgré leurs énormes richesses et leurs ressources, ne sont pas préparées à donner le droit démocratique d’asile à ceux qui le demandent. Ces pays proposent, au contraire, le palliatif de la Palestine.

En novembre 1947, la Palestine historique ne comptait plus qu’un tiers de Juives et de Juifs, répartis à l’époque sur 14% du territoire. Le Plan de partage de l’ONU prévoyait que la population juive reçoive 55% du territoire. Cette solution signifiait évidemment le déplacement forcé de centaines de milliers de Palestiniens et Palestiniennes. Ce fut la Nakba, en 1948, la «catastrophe»: 85% des villages palestiniens ont été vidés de leurs habitants et habitantes. Dans de nombreux cas, même après la reddition du village, ces personnes ont été tués par balles. Au total, plus de 700 000 Palestiniennes et Palestiniens ont été chassés de chez eux. Aujourd’hui encore, des familles vivent dans des camps de réfugiés aux conditions épouvantables. Pour survivre, l’État juif devait être surmilitarisé et devenir un instrument de l’impérialisme. C’est ainsi que le crime de l’antisémitisme a conduit au crime du sionisme, un crime contre le peuple palestinien.

Quelle stratégie pour la libération palestinienne?

Nos précurseurs se sont opposés à la création de l’État israélien en Palestine il y a 70 ans, prévoyant qu’il n’apporterait pas la sécurité aux Juives et aux Juifs et qu’il serait synonyme de souffrance pour les Palestiniennes et les Palestiniens. À la veille de la Nakba, une série de grèves avait pourtant transcendé les frontières communautaires, culminant dans une puissante grève générale en 1946 à laquelle ont participé 30 000 travailleuses et travailleurs d’origine juive et arabe. Les grévistes criaient des slogans tels que «L’unité des travailleurs juifs et arabes est la voie de la victoire». Cette démonstration de force avait mis en évidence le potentiel de développement de la lutte des classes au-delà des tensions nationales.

Le Plan de partage, la guerre et la nouvelle situation qu’elle a créée ont radicalement coupé court à cette tendance à la lutte commune, comme le souhaitaient d’ailleurs les dirigeants sionistes et arabes qui estimaient que cela menaçait leurs privilèges et leur autorité.

Au cours des décennies qui ont suivi, une conscience nationale israélienne s’est développée. La grande majorité de la population est désormais née en Israël et il y existe une classe dirigeante disposant de l’une des forces militaires les plus puissantes et les plus lourdement armées du monde. Mais à ses côtés existe également une classe ouvrière israélienne forte de millions de personnes, qui a le pouvoir potentiel de défier et d’éliminer ses exploiteurs capitalistes sionistes.

La stratégie des organisations palestiniennes a beaucoup reposé sur l’implication des régimes arabes de la région. Quand peu de temps après la création du parti nationaliste et laïc Fatah, l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) a été lancée en 1964, ce fut à l’initiative de la Ligue Arabe et autour du projet panarabiste du président égyptien Nasser. Les organisations à la gauche du Fatah se sont essentiellement retrouvées à sa remorque sans défendre de politique ou de stratégie basée sur une indépendance de classe. Quand la guerre des six jours éclatera en 1967, Israël attaquant l’Égypte avec l’accord des États-Unis, l’objectif des dirigeants israéliens était d’affaiblir cette unité arabe. Les élites dirigeantes arabes étaient toutefois déjà fortement divisées, l’impérialisme avait manœuvré pour les monter les unes contre les autres au point de ne plus partager qu’une condamnation rhétorique d’Israël.

Peu de temps après, en 1973, la guerre du Kippour a, elle aussi, été perdue par la coalition arabe, l’Égypte reconnaissant même officiellement Israël et s’engageant sur la voie de la collaboration avec Israël. Cela perdure encore aujourd’hui, notamment avec la fermeture de sa frontière avec la bande de Gaza. Ce fut la fin du projet panarabiste. Peu à peu, les régimes autocratiques arabes en sont venus à considérer que leur intérêt propre était lié au statu quo dans lequel Israël poursuit son projet de colonisation tandis que les États arabes ignoraient la cause palestinienne.

Mais la stratégie des «alliés» régionaux est restée, elle se prolonge encore aujourd’hui avec l’alliance entre l’Iran, pourtant chiite, et le Hamas sunnite. Un des objectifs fondamentaux derrière l’attaque du Hamas du 7 octobre était d’ailleurs de bloquer le processus de normalisation entre Israël et les régimes arabes de la région. Parallèlement à cette stratégie, l’OLP s’est lancé dans une campagne d’attentats, d’actes de piraterie et de prise d’otages, tout particulièrement à partir de la fin des années 1960.

Ce qui a véritablement mis en difficulté le régime israélien, ce fut la première Intifada (1987-1993). Notre camarade irlandais Peter Hadden, dont l’approche sur la question nationale a été forgée sur l’expérience des «Troubles» en Irlande du Nord, commentait ainsi les événements: «les manifestations de masse et les grèves ont ébranlé l’État israélien à un degré que 25 années de terrorisme de l’OLP n’ont pas réussi à atteindre.» Mais, à l’image de la grève générale de 1936, il manquait au mouvement de masse de 87-93 un programme et une direction orientés vers un changement de système. Cela a ouvert la voie à la mascarade des Accords d’Oslo en 1993, où le Fatah a repris la main par crainte de voir une direction alternative émerger des comités de bases nés de l’Intifada. C’est ce manque qu’il convient de combler aujourd’hui.

Il est évident que l’action de masse ne va pas venir dans un premier temps de Gaza, noyée sous un déluge de bombes. Mais la résistance internationale a un rôle à jouer. En 1982, durant l’invasion israélienne du Liban pour déloger l’OLP de Beyrouth, qui a notamment conduit au massacre de Sabra et Chatila, les protestations internationales ont mis pression sur le plus proche allié de l’État israélien, les États-Unis, qui ont considéré de stopper la livraison d’armes à Israël.6 Reagan avait dit au gouvernement israélien que l’opinion était «contre nous». Le régime israélien n’écoutera pas la colère internationale, mais il est sensible à ce soutien de l’impérialisme étasunien. Cela pourrait redonner un souffle aux masses palestiniennes.

Le socialisme et la résolution des conflits nationaux

Sur une base capitaliste, ni un ni deux États n’offrent une solution à l’oppression nationale. Dans le contexte capitaliste du Moyen-Orient, une «solution à deux États» signifie la création d’un État fantoche néocolonial pour les Palestiniennes et les Palestiniens sans véritable indépendance nationale ni solution des problèmes fondamentaux auxquels sont confrontées les masses palestiniennes. La libération nationale est indissolublement liée à la libération sociale.

La Palestine est minuscule et ne peut exister qu’en tant que partie d’une totalité économique mondiale. L’objectif à viser, c’est la fin du «régime de Sykes-Picot» qui ne servait que les intérêts de l’impérialisme. La lutte de masse de la classe travailleuse et des pauvres doit redessiner toute la région en respectant le droit à l’autodétermination des peuples et les intérêts de chaque communauté (arabes, amazighs, kurdes, juives). C’est pourquoi nous défendons la construction d’une fédération socialiste volontaire du Moyen-Orient reposant sur des structures étatiques démocratiques nées des mobilisations de masse, à partir de comités démocratiques de lutte, pour en finir avec la trahison des aspirations nationales et sociales par des élites autocratiques. Cela devra être lié à la collectivisation des richesses et grands moyens de production de la région afin d’assurer l’épanouissement de chacun et de la société dans son ensemble.

Au sein de celle-ci, nous défendons de lutter pour deux États palestinien et israélien socialiste, avec droit au retour dans des conditions de vie décente pour les millions de personnes réfugiées qui vivent actuellement en dehors de Palestine, ce qui nécessitera l’extension du territoire de Palestine et e démantèlement des colonies en Cisjordanie. Il s’agit d’une étape nécessaire pour garantir la construction de la confiance nécessaire pour aller plus loin dans la collaboration volontaire. Ce n’est qu’à cette condition que la paix dans la région et la prospérité pour tous seront possibles.


1. Quand Israël favorisait le Hamas, par Charles Enderlin, Le Monde, 3 février 2006, disponible sur lemonde.fr
2. Parti des travailleurs de la terre d’Israël, disparu en 1968 par sa fusion avec le Parti travailliste israélien.
3. Organisation sioniste créée en 1929 sous le nom d’Agence juive pour la Palestine pour être l’exécutif de l’Organisation sioniste mondiale en Palestine mandataire britannique.
4. Felix Morrow, For a Socialist Policy on Palestine, marxists.org
5. Alain Gresh et Dominique Vidal, Palestine 47 un partage avorté, Editions complexes, Bruxelles 1987.
6. When Push Comes to Shove: Israel flouts U.S. diplomacy with an attack on Beirut, TIME Magazine, 16 août 1982
7. Peter Hadden, Palestinian youth revolt, Militant Irish Monthly, février 1988

DUNE 2 : science, magie et élitisme

Le film Dune: deuxième partie est une expérience de cinéma incroyable. La série Dune est en train de devenir une référence cinématographique en science-fiction. Mais ces films, comme toute production artistique, sont le produit d’un contexte social. Comment reproduisent-ils les relations sociales actuelles? Comment ces films défendent-ils les intérêts des capitalistes les ayant financés? Pour […]