De Depardieu à Macron, la riposte anti #Metoo à la sauce française

Depuis août 2018, 4 plaintes pour viols et agressions sexuelles ont été déposées contre Depardieu. Médiapart a également publié 13 témoignages de femmes l’accusant de violences sexuelles. L’affaire a refait surface à la suite d’une émission de Complément d’Enquête (France 2) consacrée aux propos racistes, sexistes et pédocriminels de Depardieu en Corée du Nord. La veille de sa diffusion, une des plaignantes, l’actrice Emmanuelle Debever, s’est suicidée.

Le sexisme de Depardieu est connu de longue date. Sophie Marceau n’a jamais caché les raisons de son refus de tourner à ses côtés depuis les années ’80. Dans une interview de 1978, il avait expliqué avoir commis « trop de viols pour les compter » en se justifiant ainsi : « Je veux dire, ça n’existe pas le viol. C’est seulement une fille qui se met dans la situation qu’elle désire. La violence n’est pas commise par ceux qui perpétuent l’acte, mais par les victimes elles-mêmes, celles qui permettent que cela arrive. » Quand le Time avait ressorti l’entretien en 1991, il avait persisté : « Mais c’était tout à fait normal dans ces circonstances. Cela faisait partie de mon enfance ».

Commentant ce dont elle avait été témoin, Sophie Marceau a déclaré : « Il ne s’en prenait pas aux grandes comédiennes, plutôt aux petites assistantes », maquilleuses, techniciennes, jeunes actrices à leurs débuts, etc. Un schéma souligné sans surprise dans les diverses accusations : les relations de pouvoir entraînent des abus de pouvoir. C’est au cœur des dénonciations de #Metoo. Et si aujourd’hui agressions et harcèlement sont beaucoup moins tolérés, ceux qui profitent de ces positions de pouvoir tentent de reprendre la main et de protéger leur entre soi, une tendance visible partout dans le monde.

La défense de Depardieu, une aubaine pour la droite

Une immonde tribune en défense de Depardieu a été signée par 55 artistes. Elle déclare notamment : « Lorsqu’on s’en prend ainsi à Gérard Depardieu, c’est l’art que l’on attaque ». Rien de moins. En aprenant que l’initiative de la tribune venait de l’extrême droite (un proche d’Éric Zemmour par ailleurs éditorialiste au magazine d’extrême droite Causeur) plusieurs signataires se sont ensuite désolidarisés. Cela n’enlève toutefois rien au fond du texte qu’ils et elles ont approuvé et, d’autre part, ces « regrets » proviennent surtout de la vague de protestations d’une ampleur inédite qui a suivi.

Macron y a vu une belle controverse capable de servir de contre-feu à la loi immigration – votée grâce à l’extrême droite qui revendique une « victoire idéologique » – tout en caressant dans le sens du poil un électorat plus âgé et conservateur. Dans un entretien télévisé au lendemain direct de ce vote, il a lui-même exigé d’être  interrogé au sujet de Depardieu et n’a pas hésité à parler de « chasse à l’homme » avec des propos dénigrants pour les plaignantes qui ont eu le courage de parler.

Macron est friand de telles provocations diviseuses et de différences de traitement manifestes. D’un côté, il fait interdire le port de l’abaya à l’école suivant une vision rétrograde et sexiste de la laïcité de l’État (qui promeut la séparation de la religion et de l’État, pas de se mêler de ce que portent les jeunes filles), de l’autre, il célèbre l’Hanoukka à l’Élysée. De cette façon, tant l’islamophobie que l’antisémitisme sont attisés, haine et discorde sont distillées à la base de la société, parmi la classe travailleuse.

Ces provocations visent à détourner la colère de la crise du pouvoir d’achat, des pénuries dans les services publics, de l’accès difficile au logement, etc. ainsi qu’à dévier l’attention de la force du mouvement de grèves et de manifestations de masse de la première moitié de l’année 2023 en défense des retraites. C’était d’ailleurs l’objectif réel de la « loi immigration et asile », mais son adoption a été considérablement plus complexe et chaotique que ce que Macron prévoyait. Suivant la stratégie de la fuite en avant qu’il affectionne tant, il a décidé d’aller surfer sur une autre vague réactionnaire pour à nouveau détourner l’attention.

Ce n’est qu’un début, continuons le combat!

Dans le monde du cinéma et de la culture, il y aura un avant et un après. Plus de 8000 artistes ont signé en 48h une tribune sur « Cerveaux non disponibles ». On peut y lire :

Comme toujours dans les affaires de violences sexistes et sexuelles à l’égard des femmes, la « présomption d’innocence » pour l’agresseur sonne comme une « présomption de mensonge » pour les femmes qui témoignent contre lui. (…) Comme l’écrit Elvire Duvelle-Charles dans l’ouvrage « Moi aussi », l’idée que certaines femmes puissent porter préjudice à l’image d’un honnête homme suscite plus de réactions et d’effroi que l’idée que les femmes violées n’obtiennent pas justice, exception faite du 0,6% des viols qui sont condamnés.

Elle se clôt en soulignant que se réfugier derrière le « laissons faire la justice », ou le pathétique « il faut séparer l’homme de l’œuvre », « c’est accepter de mettre son propre jugement de côté. C’est estimer que nous n’avons aucun rôle à jouer dans l’évolution de notre société. Que nous ne pouvons pas aider et soutenir les victimes. » Et ce serait une erreur, nous sommes bien d’accord.

Nous devons poursuivre le combat. Le 8 mars arrive, la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, c’est déjà demain. À travers le monde, il y aura des actions et des manifestations féministes, une dynamique internationale d’action collective que nous souhaitons la plus massive possible. Cette unité dans la lutte est la meilleure façon qui soit de changer les mentalités et, surtout, de construire le rapport de forces dont nous avons besoin pour en finir avec cette société capitaliste qui repose sur les relations de pouvoirs, les inégalités, l’exploitation et les oppressions.


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