Les contradictions du Morena s’aggravent à l’approche des élections de 2024

Les appels à l’unité reflètent les craintes de la direction quant à l’éclatement du parti.

Les élections de juin dans l’État de Mexico et celui de Coahuila marquent un nouveau recul de la droite et une nouvelle « victoire amère » du Morena (acronyme du Mouvement de régénération nationale, parti issu du mouvement social et créé à l’initiative d’Andrés Manuel López Obrador). Le parti a remporté l’État de Mexico mais a perdu le poste de gouverneur de l’État de Coahuila, comme cela était attendu. Ces élections représentaient la dernière ligne droite vers l’élection présidentielle de 2024. On peut les considérer comme un thermomètre de la situation politique au niveau national. Elles ont d’une part reflété le mécontentement de millions de Mexicaines et Mexicains à l’égard des gouvernements corrompus du PRI (Parti révolutionnaire institutionnel, ancien parti hégémonique au pouvoir durant 70 ans et dont l’Etat de Mexico était le dernier bastion) en démontrant que ce parti pouvait être battu sur son propre terrain. Mais ces élections ont également démontré que la marque « Morena » est insuffisante à elle seule, ce que la défaite subie à Coahuila met clairement en évidence.

Victoire dans l’État de Mexico, désastre annoncé à Coahuila

Contrairement aux explications de certains au sein du Morena concernant l’échec de Coahuila, celui-ci n’est pas fondamentalement dû à la rupture de l’alliance électorale par Ricardo Mejia Berdeja, qui s’est finalement présenté sous les couleurs du Partido Del Trabajo (Parti des Travailleurs). Il suffit de rappeler qu’il n’a obtenu que 13% des voix, contre 21% pour Armando Guadiana Tijerina (candidat du Morena) et 57% pour Manolo Jiménez, le candidat de l’alliance conclue entre le PRI, le PAN (Parti action nationale, parti conservateur qui a dirigé le Mexique de 2000 à 2012) et le PRD (Parti de la révolution démocratique, parti social-démocrate né d’une scission du PRI). En d’autres termes, même les voix de Mejia Berdeja et de Guadiana réunies – soit 34% – n’auraient pas suffi à battre Jiménez. Cela exprime clairement un problème sous-jacent : la désarticulation du Morena à Coahuila et son incapacité à représenter une véritable alternative pour la classe travailleuse de l’État.

Dans l’Etat de Mexico, la candidate du Morena au poste de gouverneur, Delfina Gómez, l’a emporté avec 52% des voix, la candidate du PRI, Alejandra del Moral, n’a quant à elle obtenu que 44%. A Coahuila, le candidat du Morena Armando Guadiana Tijerina est un ancien membre du PRI et propriétaire d’une mine de charbon. Les médias de droite l’ont à peine critiqué, contrairement à Delfina Gómez, enseignante et ancienne secrétaire à l’éducation publique, violemment attaquée dans les médias pour des actes de corruption présumés. La différence de traitement et ce qu’elle implique sont évidents.

Cependant, le triomphe de Delfina n’est pas en soi une garantie pour les habitants de l’État de Mexico. Il faudra affronter le vieil appareil du PRI ancré dans la bureaucratie mais aussi les hésitations de celles et ceux qui, au Morena, n’ont pas confiance dans la force du mouvement social et optent plutôt pour des manœuvres dans les institutions. Il faudra encore se méfier des personnages louches de l’équipe de Delfina, tels que Higinio Martínez, ancien membre du PRD et ancien président municipal de Texcoco, identifié par le Frente de Pueblos en Defensa de la Tierra comme l’un des responsables de la répression de la révolte des paysans d’Atenco en 2006, qui avaient notamment causé 2 morts.

La bataille pour la candidature à la présidence au sein du Morena

La dernière ligne droite avant l’élection présidentielle de 2024 sera pleine d’événements politiques qui marqueront la prochaine période de la lutte des classes au Mexique. Non seulement en raison de la faillite totale de la droite, mais aussi en raison des luttes internes qui se développent au sein du Morena entre différentes factions qui, en public, semblent « plus unies que jamais ». Les « corcholatas » (ceux qui concourent pour être le candidat présidentiel du Morena) font ouvertement campagne depuis un an pour participer au scrutin national pour la candidature officielle du parti en 2024. Marcelo Ebrad, Ricardo Monreal, Adan Augusto López et Claudia Sheinbaum sont les favoris du scrutin. Ce sont les candidatures qui disposent du plus de poids politique au sein du parti. Cependant, les apparences sont trompeuses et les candidats ont multiplié les manœuvres au cours des dernières semaines.

Le 11 juin, un accord général, signé par le Conseil national du parti et les quatre candidats a défini les règles et les mécanismes du scrutin du 28 août au 3 septembre. Parmi les accords, on trouve : la démission de la fonction publique au plus tard le 19 juin, la tenue d’une réunion générale du Conseil national du parti et des quatre candidats, qui définit les règles et les mécanismes de vote du 28 août au 3 septembre. Pour sa part, Obrador a annoncé que les résultats du scrutin seraient annoncés le 6 septembre, définissant ainsi le candidat présidentiel du Morena. Ces accords reflètent les craintes suscitées par les ruptures et les différends sur la question de sa succession au cours des derniers mois. Ce n’est donc pas un hasard si le slogan du parti pour le mois de septembre est « Unité et mobilisation ».

Bien que le processus de vote soit une tentative de mettre fin aux pratiques anti-démocratiques des partis de l’ancien régime, caractérisé par le « dedazo », selon lequel le président sortant choisissait lui-même son successeur, il ne s’agit pas d’une méthode démocratique mais d’un concours de popularité. L’élection du candidat du Morena devrait être un droit démocratique des membres du parti, mais sa paralysie après le triomphe électoral de 2018, ainsi que l’absence de mise à jour du registre des membres, n’ont fait que démontrer le manque de démocratie interne. Dans ce contexte, c’est une garantie pour toutes sortes de coups bas et de manœuvres.

Ainsi, les accords secrets et les tractations en coulisses qui révèlent les contradictions inhérentes au Morena et à son projet de transformation du pays n’ont pas tardé à se manifester. Le plus clair d’entre eux est la tentative de brouiller le processus par l’ancien secrétaire général du Morena, Yeidkol Polevnsky. Quelques jours à peine avant que le Conseil de Morena ne se mette d’accord sur le fait qu’il y aurait quatre pré-candidats pour le sondage, Yeidkol s’est présenté aux médias comme la cinquième option, dans une tentative évidente de torpiller le processus de vote.

Malheureusement, au-delà des profils personnels des candidats, le programme du prochain gouvernement n’a pas été défini. Bien que le secrétaire général du Morena, Citlalli Hernández, ait insisté lors de la réunion du Conseil du 11 juin sur le fait que le programme était fondamental, il n’y a eu que peu de réponses à cet appel. Cela n’est pas surprenant étant donné le processus de bureaucratisation du Morena et le manque d’initiatives visant à démocratiser le parti. Un autre exemple est l’accord du Conseil du 11 juin, dans lequel il a été établi que les candidats n’auraient pas de réunion publique pour débattre de leurs propositions, de peur de créer des divisions. Cela va précisément à l’encontre du rôle des débats politiques, des idées et des programmes en tant qu’élément central de la promotion d’une candidature qui attire de larges sections des masses laborieuses.

Construire une alternative de gauche pour les masses laborieuses

Le Morena est à l’agonie, la bureaucratie a pris le dessus et la base est démoralisée et désorientée. S’il est certain que le Morena gagnera les élections générales l’année prochaine, cela ne signifie pas que tout sera résolu. Les appels à l’unité reflètent les craintes de la direction de voir le parti se disloquer, ce qui pourrait se produire après septembre prochain et de manière plus accélérée l’année prochaine. Ce ne serait pas nouveau, puisque c’est ce qui s’est passé avec les nouvelles formations de gauche comme Podemos dans l’État espagnol ou le PT au Brésil, qui, sous la pression de leurs politiques conciliantes, ont fini par provoquer des scissions à droite et à gauche.

Dans ce contexte, les révolutionnaires doivent expliquer ces contradictions et redoubler d’efforts pour construire une alternative de combat pour les masses laborieuses, qui jettera un pont vers les millions de membres et de sympathisants du Morena qui considèrent Claudia Sheinbaum, malgré son programme limité, comme une alternative de gauche. La tâche consiste à construire un programme de lutte qui aide le mouvement à développer ses revendications, pour l’amélioration des conditions des travailleurs, en les reliant à la nécessité d’une rupture avec le capitalisme et d’une transformation socialiste de la société.


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