Hommage à ma mère, et aux infirmières

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La vie est aussi belle que cruelle. Tu as travaillé en hématologie, avec les cancéreux du sang, et finalement c’est une leucémie, un cancer du sang qui t’a emportée. Tu regrettais de devoir donner à tes patients ces poisons, comme tu disais. Ces chimiothérapies qui font des ravages dans tout le corps, assez – on espère – pour que la patiente survive, mais pas le cancer. Mais ton travail, c’était aussi d’accompagner les patients, les rassurer, les supporter, les aider à combattre leur solitude. 

Comme tu l’as fait avec ce patient qui n’est pas venu accompagné à son premier traitement parce que ses amis ne pouvaient supporter sa situation. Il a écrit un livre où il te mentionne, te compare à un ange qui apporte couleur et douceur dans cet hôpital beige, gris, triste. C’était bien avant qu’on vous nomme toutes des «anges gardiens». Il savait bien que vous êtes là aussi pour nous écouter, pour apaiser nos peurs, nos douleurs. Calmes et fortes dans la tempête de nos maladies.

Mais ce n’est pas parce que les infirmières sont des anges qu’elles sont au paradis. Tu as vécu le virage ambulatoire et les coupures en santé. Elles t’ont presque fait perdre ton travail. Tu as dû aller travailler aux urgences, tout à l’opposé de ton tempérament si serein, si doux, si patient. Mais le pire aux urgences c’était ta boss, qui faisait du harcèlement psychologique et de la manipulation. Hé oui, ça arrive même aux anges, dans ce système où on extrait le plus qu’on peut des travailleuses et de travailleurs. Il y en a qui auraient besoin d’aide psychologique, de congé de maladie, afin de se remettre sur pied et ne pas abuser des autres. Mais c’est plutôt toi, Maman, qui a eu besoin d’aide psychologique, d’un congé de maladie. Tu as su être calme et forte dans la tempête de la maladie de ta superviseure.

On t’a aussi envoyée sur l’équipe volante où tu changeais de poste tout le temps pour satisfaire aux besoins d’un hôpital mal administré, créé par des réformes faites pour économiser de l’argent, pas pour mieux traiter les patients, les patientes et les employé⋅es. On sait bien qu’on n’économise pas, au contraire, quand on coupe les coins ronds en santé. Tout ce que ça fait, c’est exploiter les travailleuses et travailleurs encore plus. Ça les force à faire plus avec moins. Dans ce temps-là, le gouvernement en profitait pour repayer sa dette, pour payer les intérêts à des grandes banques qui s’en mettent déjà plein les poches.

Être sur l’équipe volante, ça t’a aussi volé tes racines dans ton département d’orthopédie. Là, tu avais un collègue qui était probablement gai. Toutes les infirmières s’en doutaient, mais lui n’osait pas en parler. Il était si mal dans sa peau. On ne peut pas toujours apaiser les peurs et les douleurs des gens. Il était opprimé par une idéologie dominante qui nous dit que c’est mal d’être gai. La classe sociale qui domine notre société veut nous faire croire à son idéologie. Elle veut nous faire croire que son modèle d’organisation de la famille et des relations amoureuses et sexuelles est le meilleur. Elle veut nous faire croire ça, parce qu’elle s’en sert pour nous contrôler, nous garder à notre place. Il a fini par se suicider, ce collègue si malheureux. Ça a fait un trou, un manque dans ton équipe, dans ta vie, dans ton hôpital. Même les anges peuvent mourir. Même les anges sont sujets à des conditions de vie, des conditions de travail. On vit tous et toutes sur terre, prises dans cet engrenage où les ultra-riches nous mangent la laine sur le dos, où nos services publics sont sous-financés, où on marginalise les personnes de la communauté LGBTQIA+, les personnes racisées ou avec un handicap ou âgées. 

Maman, même après ta retraite tu as continué à recevoir certains paiements d’équité salariale. Mais tu n’en as pas profité longtemps, car à 65 ans tu es morte d’un cancer. Trop souvent des travailleurs et travailleuses, surtout ceux et celles à plus faible revenu, ne vivent pas longtemps après avoir pris leur retraite. On ne parle pas souvent de cela, mais l’espérance de vie dépend du revenu. Même dans un endroit avec un système de santé public… du moins s’il est sous-financé.

Tu as eu la chance de finir tes jours à la maison Michel-Sarrazin, un centre de soins palliatifs à but non lucratif, gratuit. Tu as été beaucoup plus confortable dans cet endroit à échelle humaine que tu l’aurais été dans un hôpital, où tu as passé énormément de temps dans ta vie. C’était à leur tour d’apaiser tes peurs, tes douleurs et les miennes. Mais ce centre ne peut accueillir que 15 patients et patientes à la fois et c’est le seul de ce type dans la région de Québec. Mais ça fait longtemps déjà que le cancer est la première cause de décès au Québec. À la place de donner assez de subventions aux soins pour les cancéreux et les cancéreuses, on donne trop de subventions aux grandes compagnies comme la fonderie Horne pour qu’elles continuent à polluer et à nous donner des cancers!

Le cancer de notre société, c’est le système capitaliste qui s’insère dans nos veines, dans nos cellules, dans nos écoles et nos emplois, dans nos infrastructures, dans nos relations. Exploitation au travail, sexisme, racisme, violences, harcèlement, homophobie… Je suis socialiste parce que j’ai appris de toi l’importance de s’occuper des gens, de les accompagner, les rassurer, les supporter, les aider à combattre leur solitude. Des besoins fondamentaux difficiles à combler dans ce système qui cherche le profit plutôt que de nous donner un système de santé bien subventionné, où on aurait le temps de bien traiter les gens.

J’ai trouvé mes façons à moi de faire comme toi, en politique plutôt qu’en soins infirmiers. Que ce soit aider des locataires harcelées par leurs propriétaires; supporter des personnes âgées qui vont se faire évincer; être solidaire des éducatrices de CPE ou des employé⋅es d’une grande chaîne d’épicerie sur le piquet de grève ou encore faire de l’éducation populaire en campagne électorale et dans un centre des femmes. C’est apporter un peu de couleur et douceur dans un monde beige, gris, triste. Comme toi j’essaie d’être calme et forte dans la tempête de la maladie de notre société.

Alors merci à ma mère et merci aux infirmières. Merci de m’inspirer, de m’avoir donné la force de pouvoir continuer. Chaque matin tu allais travailler, debout avant tout le monde, et parfois tu rentrais tard à cause du temps supplémentaire. Je t’ai vue travailler des soirs, des nuits, des fins de semaine, être de garde. Sans relâche. C’est à mon tour à travailler sans relâche, à travailler parfois les soirs, les fins de semaine, faire du temps supplémentaire avec Alternative socialiste. C’est pour apaiser les peurs et les douleurs de la société. C’est pour améliorer les conditions de vie des gens. Comme ton ancien patient l’a écrit dans son livre : merci pour tout, merci pour tous. Merci pour toutes.



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