La grève générale obtient le sursis du “coup judiciaire”

Le pouvoir du mouvement ouvrier a forcé Benyamin Netanyahou à reporter l’adoption de sa réforme judiciaire visant à prendre le contrôle sur la nomination des juges. Alors que Netanyahou et l’extrême droite gagnent du temps et se regroupent pour l’été, ce retrait partiel est accueilli par les masses avec une suspicion et une vigilance bien fondées.

Non à la création de la «Garde nationale»! Non au «coup d’État judiciaire»! À bas le gouvernement Netanyahou      – Ben-Gvir!

Pas de compromis avec le piétinement des droits!

Une grève politique générale sans précédent s’est développée après une nuit orageuse de manifestations dans le cadre de la lutte de masse contre le «coup d’État judiciaire». Sur fond de forte baisse du soutien au gouvernement, la grève n’a laissé à Netanyahou d’autre choix que d’effectuer un retrait tactique. Ce dernier s’efforce de préserver l’intégrité de sa coalition et de réorganiser son gouvernement pour sa prochaine offensive. 

Au terme d’une journée dramatique au cours de laquelle l’aéroport Ben Gurion et les ports ont été fermés, Netanyahou a fait pression sur le ministre de la Justice, Levin, et a conclu un accord avec le ministre de la «Sécurité nationale», Ben-Gvir. Réalisant que le mouvement de masse était capable de renverser le gouvernement qui se trouve dans une grave crise de légitimité, Levin et Ben-Gvir ont laissé tomber leur menace de démission pour s’entendre avec Netanyahou.

Netanyahou a tenté de gonfler l’importance de la manifestation de soutien organisée par la frange de droite dans son gouvernement. Il a continué d’insister sur le fait qu’il bénéficiait d’un «énorme soutien de la part du peuple». Tout au long de la crise politique des trois derniers mois, le mensonge selon lequel la faible majorité à la Knesset – qui lors des récentes élections générales représentait moins de 50% des voix – représente la «volonté du peuple» a été répété sans arrêt.

En fait, il s’agit d’une tentative de fournir une couverture démocratique au dangereux programme antidémocratique de la coalition corrompue entre le Likoud (parti de Netanyahou), la droite ultra-orthodoxe et l’extrême droite. Ce gouvernement impopulaire est confronté de front à une lutte de masse. Il cherche à s’emparer et à concentrer davantage de pouvoir entre ses mains. Il alimente une crise du coût de la vie, des inégalités et de la pauvreté, en plus de favoriser le piétinement des droits démocratiques. Il mène une escalade sanglante du conflit national pour défendre la dictature de l’occupation et de la colonisation.

Alors qu’en France les masses se battent et font grève contre un gouvernement qui attaque l’âge de la retraite et cache sa tyrannie sous un couvert démocratique, ici aussi le «déguisement» n’impressionne pas les personnes sorties pour manifester, bloquer les routes et faire grève.

Ces dernières semaines, le Likoud a plongé dans les sondages. Dans ce contexte, comme l’admet Israel Hayom (un quotidien de droite progouvernemental): 

Netanyahou a estimé à un moment donné qu’il n’était pas certain qu’il disposerait d’une majorité au Likoud pour faire adopter le changement dans la composition du comité pour la nomination des juges à une majorité de 61 voix à la Knesset (Parlement israélien). Il croyait jusqu’alors qu’une telle loi fondamentale devait être adoptée de la sorte. La chute de la loi en Plénum aurait toutefois entraîné l’effondrement de la coalition. Levin l’a également compris et a donc accepté de ne pas démissionner afin de préserver l’intégrité de la coalition.

Le projet législatif arrogant cumule plus de huit lois différentes et modifications de lois. Il a déjà été retiré de l’ordre du jour en raison d’une résistance de masse tenace. Le gouvernement a tenté de «régler» la situation en présentant un seul texte législatif lors de la session de la Knesset, celui qui propose de prendre le contrôle de la commission de nomination des juges. Mais il a sous-estimé l’intensité de l’opposition. 

Ce n’est que dimanche soir que Netanyahou a limogé le ministre de la Défense de son gouvernement. Il s’agit d’une démonstration de puissance prétentieuse qui vise à évincer les rebelles du Likoud et à continuer à aller de l’avant dans le processus de prise de contrôle sur la nomination des juges. Un jour plus tard, face à l’entrée en scène du puissant mouvement ouvrier, Netanyahou s’est retiré et a décidé de suspendre la législation dans le but d’empêcher les ministres de fuir un gouvernement en train de sombrer. 

Dans le cadre de cet accord, Ben-Gvir s’est vu promettre que le gouvernement procéderait immédiatement à la création de la milice de la «Garde nationale» qui lui serait confiée. Rien de tout cela n’a été mentionné dans le discours de Netanyahou.

Dans le même discours de retrait tactique, Netanyahou a sauté sur l’invitation au «dialogue» de «Benny» Gantz. Il a indiqué clairement qu’il n’abandonnera pas le «coup d’État judiciaire» qu’il s’était engagé à suspendre jusqu’à la session d’été de la Knesset (mai – juillet). 

Entre-temps, la proposition de modification de la commission de nomination des juges a été préparée en possibilité d’être «techniquement» votée en plénum. En théorie, cela pourrait être fait dans les prochains jours, même si cela jouait contre  le gouvernement. Dans un tel scénario, le gouvernement serait confronté à une lutte de masse pour le renverser. 

Alors que Netanyahou et l’extrême droite gagnent du temps et se regroupent pour l’été, le retrait partiel du gouvernement ne génère pas l’illusion d’une victoire dans les masses. Il occasionne une suspicion et une vigilance bien fondées à l’approche des prochaines actions du gouvernement.

Grève générale

Dimanche soir, des dizaines de milliers de personnes ont participé à des manifestations spontanées et des barrages routiers à Tel-Aviv, Haïfa, Beer-Sheva, Jérusalem et ailleurs. La journée de lundi a commencé de façon dramatique par une grève générale sans précédent, qui a paralysé l’économie. Des centaines de milliers de travailleurs et de travailleuses ont fermé le secteur public, l’entreprise de télécommunications Bezeq, le fournisseur national d’eau Mekorot, la Discount Bank, la Bank Hapoalim et une longue liste d’autres banques et d’entreprises.

La fédération générale des syndicats Histadrut a également été rejointe par l’Association médicale israélienne (IMA). Les équipes médicales sont passées à un horaire de Chabbat (jour férié) à l’hôpital Ichilov de Tel-Aviv, au Bnei Zion à Haïfa, à Shaare Zedek et Hadassah à Jérusalem ainsi qu’aux services de santé Clalit et Meuhedet. 

Sur les quais, les ouvriers ne libéraient que des produits biodégradables et des médicaments. Les chemins de fer, Egged, Dan et la compagnie d’autocar Metropolin ont opéré partiellement, tout en assurant des services de transports publics, entre autres, pour la grande manifestation qui a eu lieu à Jérusalem. Le personnel de bord, les hôtesses de l’air et les stewards ont fermé les compagnies aériennes El Al, Israir et Arkia airlines. Les employé·es de l’Autorité aéroportuaire israélienne ont fermé l’aéroport Ben Gurion, provoquant l’annulation et le retard de dizaines de vols.

Le Conseil national des élèves des écoles a décidé de suspendre les cours de la 7e  à la 12e année. La direction universitaire a également annoncé l’annulation des cours la veille au soir. En outre, sous la pression de l’annonce de l’Histadrut, la Fédération des autorités locales d’Israël a également annoncé la fermeture des municipalités et des conseils locaux.

Au cœur de cette grève générale se trouve la puissante démonstration de force de la classe ouvrière dans la société, sans laquelle rien ne bouge. La grève est intervenue après de longues semaines au cours desquelles l’idée d’une grève générale était centrale dans le mouvement contre le «coup d’État judiciaire». Les travailleurs et les travailleuses des services sociaux ont créé des groupes d’action pour participer aux manifestations et ont même encouragé des mesures de grève.

L’idée s’est également reflétée dans des appels à une grève de protestation symbolique à l’échelle nationale, basée sur la participation individuelle, lors de jours d’action spécifiques. Cet appel s’est produit lorsque la direction de l’Histadrut a refusé pendant 12 semaines d’exprimer son soutien à la lutte ou même de prendre des mesures symboliques, supposément sur la base d’un agenda représentatif de la classe ouvrière. L’Histadrut est dirigée par Bar-David, qui prône une politique destructrice de paix industrielle qui restreint le travail organisé

Bar-David a facilité la tâche du gouvernement en suspendant la campagne sur le coût de la vie et en s’abstenant de mener une véritable lutte sur l’accord salarial dans le secteur public. Il s’est également abstenu de mener un débat démocratique et de préparer le terrain pour une action revendicative de quelque nature que ce soit, mise à part l’importante décision d’appeler à la grève générale à la dernière minute.

Il a cédé à l’appel à la grève générale après plusieurs semaines à avoir insisté sur le fait que ce n’était pas nécessaire. Il n’y avait soi-disant aucune menace de la part du gouvernement envers la classe ouvrière (!) Il n’y avait aucun mandat pour cela, ce n’était pas le travail de l’Histadrut d’agir sur cet enjeu, etc.

En revanche, des organisations indépendantes composées d’équipes médicales, de travailleuses et de travailleurs sociaux et de psychologues publics ont protesté et même organisé un rassemblement devant l’Histadrut le 16 mars pour exiger une grève générale. Au même moment, des piquets de grève ont eu lieu devant la maison de Bar-David. Une pétition appelant à une grève générale a été lancée par des militantes et de militants syndicaux, dont plusieurs sont d’actuels ou d’anciens élu⋅es syndicaux.

La pression sur Bar-David montait. C’est en fait l’une des raisons pour lesquelles il s’est abstenu jusqu’au tout dernier moment de convoquer une réunion des directions syndicales au sein de la Histadrut pour discuter et décider des actions à prendre contre le «coup d’État judiciaire». Elle aurait dû avoir lieu dès le début du mouvement.

La direction de la Histadrut s’est accrochée à toutes les excuses possibles. Ses porte-parole ont exprimé un mépris irresponsable envers l’appel à la grève générale, tout en abandonnant la lutte. Entre autres choses, l’argument selon lequel tous les travailleurs et travailleuses ne soutiennent pas la lutte a été avancé. Comme si le rôle de la direction dans toute lutte était d’être une girouette et non d’aider à donner des réponses aux arguments qui sapent le mouvement de protestation et à mener une lutte basée sur les intérêts de la classe ouvrière.

L’argument juridique a également été ajouté au panier des excuses selon lesquelles une «grève politique» est illégale en Israël. C’est-à-dire qu’elle n’est pas «protégée», y compris dans les décisions de la Haute Cour. Quatorze jours de «réflexion» sont nécessaires avant d’appeler à l’action. Il n’y aurait aucune raison pour que le coup juridique entraîne un «conflit de travail», etc. Comme si la direction ne pouvait pas dire qu’il y a une attaque contre la classe ouvrière. Comme si toute prétention d’interdire une lutte sur cette question ne serait pas fondamentalement antidémocratique.

Ce que la bureaucratie de la Histadrut prétendait être impossible avec ses sermons condescendants s’est finalement produit et avéré efficace. Le ministre des Finances Smotrich a tenté pendant de nombreuses heures de faire appel auprès du Tribunal du travail, affirmant qu’il s’agissait d’une «grève sauvage». Mais même le bureau du procureur général s’est mis en grève. Il n’y avait personne pour le représenter. En un clin d’œil a été démontrée la puissance des bataillons lourds du mouvement ouvrier organisé. Ce moment formateur au cours duquel s’est menée une lutte politique contre un gouvernement prédateur ne peut être effacé de la conscience. Cela donne aussi un aperçu de la possibilité de remporter une victoire décisive face aux menaces gouvernementales.

Le soutien cynique des capitalistes à la grève

Bien entendu, l’impact de la grève sur l’économie a également nui aux profits des capitalistes. Elle a donc suscité l’opposition de l’Association des manufacturiers. Cependant, la majorité de la classe dirigeante capitaliste, de manière inhabituelle et hypocrite, a en réalité considéré cette grève comme «un moindre mal» pour elle. Elle l’a utilisé comme une arme apocalyptique contre un gouvernement qui n’a pas accédé à ses exigences d’arrêter la réforme juridique et les menaces de fuite des capitaux. 

Au cours des trois derniers mois, des individus fortunés, notamment issus des banques, du commerce et de la technologie, sont intervenus aux côtés d’éléments de l’élite sécuritaire, de l’appareil d’État et des partis d’opposition établis à la Knesset. Ils voient le gouvernement actuel comme des pyromanes qui menacent la stabilité de leur système, les relations internationales du capitalisme israélien, la stabilité de la machine à profit ainsi que le régime d’occupation. 

Après l’organisation de la première manifestation à l’initiative de la gauche, ces individus ont détourné le mouvement et pris le contrôle de son agenda contre le projet gouvernemental. Le mouvement s’est alors développé comme un mouvement interclasse. Les chevaliers du capitalisme israélien et de l’occupation ne sont pas des «chevaliers de la démocratie». Il existe une contradiction fondamentale entre les aspirations des masses en lutte et celles des personnes qui se sont nommées au poste de «leaders de la protestation», de Bogie Yaalon au président du «Présidium du secteur des affaires israélien», Dubi Amitai, en passant par les PDG des banques. Les masses veulent freiner les attaques contre les libertés démocratiques et le déchaînement de l’extrême droite, tout comme le désespoir face à la situation actuelle, au coût de la vie, aux crises sociales et au conflit national sanglant. Pas les seconds.

Cependant, lors de la télédiffusion de l’annonce de la grève, Bar-David se trouvait aux côtés de Dubi Amitai et d’autres capitalistes. Soudain, alors qu’ils sont impuissants face au gouvernement, les capitalistes sont prêts à mettre de côté toutes les restrictions légales antidémocratiques sur les grèves, en particulier sur les grèves «politiques». De plus, ils sont obligés d’admettre le pouvoir décisif de la classe ouvrière dans la société. The Marker, un quotidien d’affaires, expliquait que «jusqu’à récemment, l’Histadrut luttait contre la hausse du coût de la vie. L’Histadrut a également pointé du doigt certains dirigeants d’entreprises qui étaient à ses côtés (lundi matin) et les a applaudis». Les capitalistes ont réalisé qu’ils n’avaient pas de meilleure option: « Wiesel (président de Fox, un groupe de vente au détail israélien) et les autres sociétés savaient que sans l’Histadrut, leur annonce d’une grève ne serait pas assez efficace».

Il est tout à fait clair pourquoi ceux que les médias de l’establishment qualifient de «chefs de l’économie» avaient besoin du pouvoir organisé de ceux et celles qui opèrent réellement l’économie. Toutefois, l’équation ne fonctionne pas dans l’autre sens. Ce n’est pas le retrait des capitalistes de leur travail qui paralyse l’économie. Le rôle de l’Histadrut n’est pas de travailler main dans la main avec eux, mais de dénoncer le soutien cynique des magnats et des entreprises qui versent des salaires de misère et augmentent les prix aux dépens de la classe ouvrière.

L’Histadrut est la plus grande organisation de travailleurs et de travailleuses de l’économie. Son poids est donc extrêmement important. Cependant, la bureaucratie de l’Histadrut, qui historiquement a été un bras de l’État et le plus grand employeur de l’économie, est structurée de manière ultra-centralisée. Elle étouffe tous les éléments de démocratie syndicale nécessaires à la promotion des intérêts et des luttes des travailleurs et travailleuses. Elle se considère jusqu’à aujourd’hui fondamentalement responsable des «intérêts de l’État», y compris de la régulation des relations de travail, plutôt que comme un instrument de lutte par et pour les travailleurs et travailleuses.

Durant son discours de déclaration de grève, Bar-David a consacré quelques mots sur la situation des travailleurs et travailleuses ordinaires et s’est prononcé contre le Forum Kohelet, un groupe de réflexion de droite d’inspiration thatchérienne. Mais il a placé la grève dans un contexte de fausse unité nationale avec les magnats, de l’unité entre les exploiteurs et les exploités, au lieu de dénoncer les magnats et les politiques qui leur profitent. Cela aurait pu aider à clarifier qu’il ne s’agit pas d’une lutte des «élites».

Selon un rapport de Kan, la Société de radiodiffusion israélienne, les messages diffusés lors de la conférence de presse ont même été coordonnés avec le bureau de Netanyahou, tout comme le moment de l’annonce de la grève. Il semble que le but de cette coordination était de réduire au minimum la durée de la grève et l’ampleur de l’affrontement avec le gouvernement. Or, l’hypothèse initiale était que la menace même ou le déroulement d’une courte grève arracherait à Netanyahou une annonce de retrait de sa réforme judiciaire.

«J’ai réalisé que cela prendrait une heure ou une heure et demie. Nous avons attendu la conférence de presse du premier ministre, qui n’a pas eu lieu», a déclaré Pinhas Idan, président du comité des employés de l’Autorité aéroportuaire, aussi membre du Comité central du Likoud. Il a annoncé lors de la conférence de presse que tous les départs seraient arrêtés.

Démocratie syndicale

La décision de mettre fin à la grève générale a été prise dans la soirée, quelques minutes après le discours de Netanyahou et sa promesse de suspendre la réforme judiciaire. Dans une interview accordée à Channel 13 TV, Bar-David a expliqué l’arrêt de la grève en disant que Netanyahou «arrête la législation et parle de dialogue. Ce sont deux choses que nous n’avions pas hier. Cela nous satisfait et cela signifie que nous arrêterons la grève parce que c’était le but de la grève». Bar-David a ajouté: «Si le premier ministre vient lors de la prochaine session et tente de légiférer de manière agressive, il trouvera la protestation et nous devant lui. Une législation sans consentement entraînera une grève immédiate». 

La menace d’une nouvelle grève générale est en effet très nécessaire. La récente grève doit être considérée comme une grève d’avertissement. Cependant, afin de renforcer le potentiel de succès de la lutte en général et des autres actions de grève, des préparatifs approfondis et une intensification continue de l’élan de la lutte de masse sont nécessaires. Le gouvernement le sait aussi. 

Par conséquent, une partie de ce que Netanyahou a tenté de réaliser en suspendant la législation a été de couper l’élan et d’anesthésier le mouvement. Aucun employeur ne veut négocier pendant une grève. Cela vaut pour Netanyahou, qui préfère entamer un «dialogue» pendant que le mouvement sur le terrain «change de vitesse» et que certaines parties se dispersent.

Bar-David, qui est connu pour être antigrève et hostile à la démocratie syndicale, prétend avoir pris lui-même les décisions concernant la grève et le moment d’y mettre fin. Il essaie généralement de cultiver une fausse impression selon laquelle le pouvoir du mouvement syndical est en fait le sien. Un tel comportement autoritaire, individualiste et ultra-centralisé, semblable à celui des PDG, transforme le reste des institutions de la Histadrut en un simple ornement. Il est également utilisé pour conclure des accords antidémocratiques au-dessus de la tête des travailleurs et des travailleuses.

Il aurait été plus utile et efficace que la décision de lancer un ultimatum au gouvernement et de déclencher une grève générale ait été prise sur la base de la conduite d’un processus démocratique dès la première étape des protestations, des discussions et de l’adoption de position. Ainsi, les mesures industrielles préliminaires nécessaires auraient pu être prises par une direction soi-disant préoccupée par les travailleurs et travailleuses, mais qui ne soutenaient pas la lutte. 

De même, la décision de mettre fin à la grève a dû être prise sur la base de discussions d’évaluation de la situation et d’un large vote démocratique, dans le cadre d’une position d’engagement à poursuivre la lutte. Quoi qu’il en soit, les discussions suite à la grève et à la poursuite de la lutte peuvent être entamées au niveau des milieux de travail et des syndicats, même sans attendre Bar-David. La lutte doit se poursuivre et se construire, y compris la menace d’une nouvelle grève générale si nécessaire.

La milice de Ben-Gvir et la menace de l’extrême droite

Lors de la prochaine réunion du cabinet, Netanyahou a promis à Ben-Gvir de décider de la création de la «Garde nationale». Cette dernière serait financée par des coupes généralisées dans les services sociaux! Non seulement Ben-Gvir a réussi à obtenir le feu vert de Netanyahou pour une milice sous son commandement, mais il a également clairement indiqué qu’en ce qui le concernait, il acceptait de «retirer le veto contre le report de la législation, en échange d’un engagement du premier ministre Benjamin Netanyahou que la législation sera soumise à la Knesset pour approbation lors de la prochaine session, si aucun accord n’est conclu pendant les vacances.» En d’autres termes, si le gouvernement ne parvient pas à obtenir l’accord des dirigeants de l’opposition à la Knesset pour poursuivre la législation antidémocratique sous quelque forme que ce soit, il tentera de légiférer selon la version originale.

Netanyahou n’a pas le plein contrôle de sa coalition. Simcha Rothman, présidente d’extrême droite de la commission Constitution, Droit et Justice de la Knesset, semble déterminée à utiliser toutes les ruses pour faire avancer les lois du «coup d’État judiciaire». En même temps, la demande de Ben-Gvir pour la création immédiate de la Garde nationale intervient après des semaines pendant lesquelles il a fait pression sur les dirigeants de la police pour qu’ils intensifient la répression contre les manifestations et les barrages routiers.

Le nouveau corps armé ne sera pas subordonné au commandant de la police. Il pourrait certainement être utilisé par Ben-Gvir pour réprimer plus brutalement les manifestations, parallèlement à l’objectif principal du chef du parti «Pouvoir juif»: réprimer les protestations des citoyennes et citoyens palestiniens d’Israël.

Dans la nuit de lundi à mardi, on a vu devant le barrage spontané de la rue Kaplan à Tel-Aviv un mélange de brutalités policières et d’attaques de l’extrême droite. Au même moment, à Jérusalem, des équipes de télévision de Kan Arabic et des journalistes de Channel 13 et de Walla ont été attaquées à la fin du rassemblement de droite organisé pour les colons. Par ailleurs, un chauffeur de taxi palestinien impliqué dans la scène a réussi à échapper à une attaque de supporters de La Familia (mouvement de supporters de football d’extrême droite), qui aurait pu se terminer par un lynchage. Ce soir-là, des dizaines de colons ont de nouveau attaqué le village palestinien de Huwara et ont tenté d’incendier des maisons avec leurs occupants.

En position de faiblesse, Netanyahou a également appelé l’extrême droite à relever la tête et à descendre dans la rue. Le soutien aux manifestations antigouvernementales est infiniment plus important que le soutien public à l’extrême droite. Mais si les manifestations de rue contre le projet gouvernemental diminuent considérablement, l’extrême droite tentera de conquérir la sphère publique.

Le danger est particulièrement grave à la lumière de l’escalade du conflit national par le gouvernement. La lourde répression militaire contre les masses palestiniennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, ainsi que les démolitions de maisons, le harcèlement policier et une série de provocations nationalistes et religieuses reçoivent un coup de pouce de l’extrême droite au sein du gouvernement pendant le ramadan et à l’approche de Pessah.

Les éléments de l’establishment ont réussi à inculquer au mouvement de terrain une «compétition patriotique» avec le gouvernement. Elle comprend un flot organisé de drapeaux israéliens et des messages attisant l’approche du «diviser pour mieux régner» utiles dans l’oppression nationale. 

Cependant, il y a aussi une aversion clairement répandue envers l’extrême droite dans les manifestations. Les syndicats et les mouvements de gauche peuvent et doivent intervenir dans ce mouvement pour faire avancer une lutte intercommunautaire contre l’ensemble du programme du gouvernement capitaliste de Netanyahou et de l’extrême droite.

À bas le gouvernement Netanyahou – Ben-Gvir

Le gouvernement est extrêmement faible et l’autorité de Netanyahou est au plus bas. Il n’a cependant pas été vaincu et s’efforce de se réorganiser. Il profitera de tout recul du mouvement sur le terrain. Désormais, les préparatifs pour la poursuite de la lutte contre les attaques du gouvernement devraient également inclure une réflexion sur les conclusions à tirer de cet épisode. 

Pendant ce temps, Gantz tend la main à Netanyahou. Des négociations officielles s’ouvrent à la résidence du président entre les représentants du gouvernement et les représentants de «Yesh Atid» et des partis du «Camp d’État». Ces dernières semaines, le mouvement sur le terrain a exprimé un large sentiment contre tout compromis sur les composantes du projet judiciaire. Parallèlement, il a exprimé un désir d’élargir les droits, en particulier ceux des femmes et des LGBTQ+, ainsi qu’une opposition à la réaction nationaliste-religieuse. 

Le capital financier, l’élite de l’industrie de la sécurité et les partis de l’establishment sont ouverts, à un degré ou à un autre, au «dialogue» avec le gouvernement Netanyahou. Ils s’efforcent de parvenir à un «compromis» qui inclura la mise à jour des règles du jeu constitutionnel afin d’ouvrir une voie stabilisatrice au système. Qu’une telle démarche implique ou non, en guise de concession, une certaine extension des droits légaux non inclus dans les Lois fondamentales, ne marquerait pas un véritable pas en avant dans la résolution des problèmes brûlants de la société. Or, ces problèmes sont à l’origine de la crise politique des dernières années. Cette crise est entrée dans une phase sévère sous le gouvernement actuel.

La lutte doit désormais se poursuivre contre la légitimité même du gouvernement Netanyahou et de l’extrême droite, et en appelant à son retrait. Cependant, le bloc des partis du «changement» ne constitue pas une alternative. Leur dernier gouvernement capitaliste de statu quo a déclenché des crises qui ont aidé Netanyahou et l’extrême droite à former le gouvernement actuel. 

Pendant ce temps, Netanyahou subit des pressions internationales. Mais il n’abandonne pas pour autant ses visites à ses alliés du gouvernement d’extrême droite italien. La montée actuelle des éléments d’extrême droite est l’un des symptômes de l’ère multicrise du système mondial. De la France à l’Iran, de l’Afrique du Sud à la Tunisie, des protestations des jeunes Palestiniens et Palestiniennes contre la dictature de l’occupation et de la pauvreté au mouvement contre le «coup d’État judiciaire», les luttes pour les droits s’organisent contre un système capitaliste en crise. 

Ce système est précipité dans l’intensification des oppressions, des inégalités, de la dévastation environnementale et des guerres. Le faible gouvernement de Netanyahou, dans lequel il est lui-même retenu captif par l’extrême droite, est l’expression d’une crise systémique profonde. La base instable du capitalisme et de l’occupation se traduit par une intensification de l’instabilité politique. Face à l’agenda du bloc Netanyahou et du bloc Lapid-Gantz, il est nécessaire de promouvoir une alternative politique sous la forme d’un nouveau parti large, qui s’appuie sur une lutte de classes intercommunautaire et un programme de changement socialiste.

La récente grève générale, sur fond de lutte de masse, a été la démonstration de force la plus puissante des syndicats depuis des années. On peut la comparer aux grèves générales tout à fait symboliques organisées par les dirigeants de l’Histadrut en 2017 (pour protester contre les licenciements dans les usines Teva), ainsi qu’en 2011 et 2012 (contre le travail sous contrat). Cette fois, le génie de la lutte des classes s’est échappé, ne serait-ce que pour un instant, de la bouteille.

Bien que certains capitalistes l’aient vu comme une arme qui répondait à leurs besoins contre le gouvernement, il a fourni un aperçu, petit, mais tangible, du pouvoir potentiellement décisif du monde du travail organisé et de la classe ouvrière en général dans la société. Un autre indice, venant d’une autre direction, a été fourni il y a moins de deux ans par la «grève pour la dignité» palestinienne de mai 2021. Elle a, entre autres, entraîné la fermeture de chantiers de construction. C’est un pouvoir potentiellement capable non seulement de bloquer et d’obtenir des résultats face aux employeurs et aux gouvernements, mais aussi de provoquer un changement profond dans la société. Une alternative politique socialiste basée sur la classe ouvrière est nécessaire pour tracer l’horizon d’une véritable alternative aux gouvernements de crise capitalistes des partis de l’establishment.

Et après?

Il est important qu’une série d’organisations impliquées dans le mouvement de protestation déclarent que la lutte doit continuer et que de nouvelles manifestations contre la création d’une milice contrôlée par Ben-Gvir doivent être préparées. Cependant, s’il existe une large couche de personnes déterminées à poursuivre la lutte jusqu’à l’annulation de la législation et même contre le gouvernement en général, au stade actuel, ces personnes ne sont pas suffisamment organisées par rapport aux éléments de l’establishment capitaliste. Ces derniers se présentent comme les porte-parole de la lutte qui, de leur point de vue, vise en fin de compte à protéger l’establishment existant. 

Ils font partie du problème et non de la solution. Il est possible de renforcer le niveau d’organisation avec le développement de réseaux de protestation comme ceux des travailleuses et travailleurs sociaux, des «blouses blanches» (campagne initiée par les médecins) et par la formation de comités d’action supplémentaires pour celles et ceux qui sont intéressés à s’impliquer au niveau local ainsi que dans les lieux de travail et les établissements d’enseignement. 

Il est également possible de promouvoir une coordination démocratique et intercommunautaire des luttes à un niveau national sur la base des élu·es des différentes organisations. Renforcer la tendance à l’organisation peut également aider à préparer les manifestations, y compris en organisant l’autodéfense si nécessaire. L’organisation peut surtout permettre de développer un large débat politique sur les grandes lignes et les objectifs des protestations ainsi que sur l’alternative politique nécessaire pour contrer l’agenda destructeur de ce gouvernement du Forum Kohelet et des nationalistes messianiques.


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