Une personne meurt de faim toutes les 48 secondes en Afrique de l’Est à cause de la combinaison mortelle des guerres, du capitalisme et du réchauffement climatique.
Après la famine de 2011 en Somalie, l’élite des puissances mondiales a dit «plus jamais ça». Mais aujourd’hui, la catastrophe se reproduit, et encore plus de personnes risquent de mourir de faim. La faim dans le monde augmente à un rythme alarmant en raison de la combinaison toxique des guerres, du réchauffement climatique, du capitalisme et des grands propriétaires de terres, ainsi que des niveaux «apocalyptiques» actuels d’augmentation des prix des denrées alimentaires et du choc sur l’approvisionnement alimentaire provoqué par la guerre en Ukraine. La guerre exacerbe la spirale des prix mondiaux des aliments et des carburants.
Mais avant même que la Russie n’envahisse l’Ukraine, le monde était déjà confronté à une crise d’insécurité alimentaire et les prix des denrées alimentaires à travers le monde, qui sont en hausse depuis la mi-2020, n’avaient jamais été aussi élevés. La crise s’aggrave également en raison de la croissance mondiale du protectionnisme alimentaire.
Le problème n’est pas qu’il y ait trop de gens à nourrir. La production alimentaire actuelle est suffisante pour nourrir tous les habitants et habitantes de la planète. Le problème est, comme même l’ONU doit l’avouer, «l’accès et la disponibilité de la nourriture, qui sont de plus en plus entravés par de multiples défis, notamment la pandémie de COVID-19, les conflits, le changement climatique, les inégalités, la hausse des prix et les tensions internationales. Les populations du monde entier subissent les effets dominos de défis qui ne connaissent pas de frontières».
Ce qui empêche de nourrir les affamé·es et de réaliser la redistribution mondiale nécessaire, c’est le mode de production capitaliste qui repose sur la propriété et le contrôle privés des moyens de production, des ressources, des richesses et de la distribution ainsi que sur la barrière que représente l’État-nation. C’est particulièrement le cas aujourd’hui, alors que le capitalisme est devenu de plus en plus parasitaire et pourrait être qualifié de «capitalisme du désastre».
«Les conditions actuelles sont bien pires que lors du printemps arabe en 2011 et de la crise des prix alimentaires de 2007-2008, lorsque 48 pays ont été secoués par des troubles politiques, des émeutes et des protestations», a récemment averti le directeur exécutif du Programme alimentaire mondial, le PAM, David Beasley.
L’Afrique de l’Est
L’Afrique de l’Est est la région du monde la plus durement touchée, où la crise de la faim est extrêmement aiguë. Le nombre d’enfants souffrant de malnutrition aiguë sévère en Éthiopie, au Kenya et en Somalie a augmenté de plus de 15% en l’espace de cinq mois. «On estime que 386 000 enfants en Somalie ont désormais désespérément besoin d’un traitement contre la malnutrition aiguë sévère qui met leur vie en danger – dépassant désormais les 340 000 enfants qui avaient besoin d’un traitement au moment de la famine de 2011.» Une explosion de la mortalité infantile est imminente dans la Corne de l’Afrique, a averti l’UNICEF le 7 juin.
Une personne est susceptible de mourir de faim toutes les 48 secondes en Éthiopie, au Kenya et en Somalie, pays ravagés par la sécheresse. Le nombre de personnes souffrant de faim extrême dans ces trois pays a plus que doublé depuis l’année dernière, passant de plus de 10 millions à plus de 23 millions aujourd’hui. Et ce, dans un contexte de dette écrasante qui a plus que triplé en moins de dix ans – de 20,7 milliards de dollars en 2012 à 65,3 milliards de dollars d’ici 2020 – aspirant les ressources de ces pays au détriment des services publics et de la protection sociale, selon un nouveau rapport d’Oxfam et Save the Children (Dangerous Delay : The Cost of Inaction, publié le 18 mai 2022).
L’Afrique de l’Est a été frappée par la pire et la plus longue sécheresse depuis 40 ans, après une quatrième saison consécutive de précipitations inférieures à la moyenne. La dernière pluie saisonnière, en mars-mai de cette année, a été minime.
La saison des pluies de mars-mai 2022 semble devoir être la plus sèche jamais enregistrée, dévastant les moyens de subsistance et entraînant une forte augmentation de l’insécurité alimentaire, hydrique et nutritionnelle. On estime que 3,6 millions de têtes de bétail sont mortes au Kenya (1,5 million) et en Éthiopie (2,1 millions). Dans les zones les plus touchées de Somalie, on estime qu’un animal sur trois a péri depuis la mi-2021. Et il y a un grand risque que même la prochaine saison des pluies, d’octobre à décembre, soit un échec. (Organisation météorologique mondiale, OMM, 31 mai).
Selon le rapport d’Oxfam et de Save the Children, une aide et une assistance d’une valeur de 4,4 milliards de dollars seraient nécessaires pour subvenir aux besoins de 30 millions de personnes en Éthiopie, au Kenya et en Somalie. Cette somme équivaut à un demi-point de pourcentage des dépenses militaires annuelles des États-Unis, ou à la moitié seulement de ce que le géant pétrolier Shell a versé à ses actionnaires en dividendes au cours des six premiers mois de l’année.
Les capitalistes font obstacle à l’action
Le capitalisme et les politiques gouvernementales empêchent les ressources existantes d’être distribuées à ceux et celles qui en ont besoin. Le Fonds des Nations unies pour l’enfance, l’UNICEF, vient de recevoir un cinquième de l’argent dont il dit avoir besoin pour nourrir les affamé·es et fournir de l’eau potable.
Les gouvernements des pays riches réduisent l’aide ou l’utilisent comme un moyen d’«humanitarisme conditionnel» pour leurs propres objectifs et intérêts. Les fonds d’aide sont pillés afin de financer une augmentation des dépenses militaires. Le gouvernement allemand a décidé d’augmenter les dépenses militaires au détriment de l’aide, tandis que tous les gouvernements de Scandinavie ont utilisé les fonds d’aide pour financer les coûts supposés des réfugié·es ukrainiens et ukrainiennes – ce qui fait par exemple du gouvernement suédois le plus grand bénéficiaire de sa propre aide au développement.
Au Royaume-Uni, malgré la crise aiguë, «les chiffres publiés dans le rapport annuel du Foreign, Commonwealth and Development Office (FCDO) l’année dernière ont révélé que l’aide directe du Royaume-Uni et l’aide prévue pour l’Éthiopie sont passées de 241 millions de livres en 2020/21 à 108 millions de livres en 2021/22, soit une réduction de 55%; l’aide au Kenya est passée de 67 millions de livres à 41 millions de livres, soit une réduction de 39%; et l’aide à la Somalie est passée de 121 millions de livres à 71 millions de livres, soit une réduction de 41%. (The Guardian 22 mai)
La crise climatique
Les gouvernements des pays capitalistes les plus riches ont fait plusieurs promesses de lutte contre le changement climatique et se sont engagés à «aider» les pays pauvres à s’adapter aux changements climatiques, mais n’ont jamais tenu leurs promesses. Cela ne fait qu’ajouter l’insulte à l’injure, car le monde sera confronté à environ 560 catastrophes par an d’ici 2030, contre 350 à 500 catastrophes par an au cours des 20 dernières années, à cause du changement climatique et de l’impasse du capitalisme.
Le coût économique des événements météorologiques extrêmes pour la seule année 2021 a été estimé à 329 milliards de dollars à l’échelle mondiale, soit la troisième année la plus élevée jamais enregistrée. Cela représente près du double de l’aide totale accordée par les nations riches au monde en développement cette année-là. (Oxfam 7 juin)
Le besoin d’aide et d’assistance immédiate est urgent, mais la résolution de la crise nécessite de lutter pour un changement révolutionnaire – pour la justice climatique, la redistribution mondiale et un monde démocratique et socialiste.
Comme en 2011, les sonnettes d’alarme indiquant que l’Afrique de l’Est se dirige vers une nouvelle famine ont depuis longtemps retenti haut et fort. Dès le milieu de l’année 2020, des avertissements de sécheresse ont été lancés en Afrique de l’Est, et les prévisions à long terme faites à l’époque indiquaient une aggravation constante de la sécheresse en raison de la réduction des précipitations. La pandémie est venue aggraver encore la crise qui se développait.
L’Afrique de l’Est met en lumière la profonde inégalité de la crise climatique. C’est l’une des régions les moins responsables de la crise climatique – émettant collectivement moins de 0,05% du CO2 mondial – et pourtant, au cours de la dernière décennie, elle a été frappée à plusieurs reprises par des chocs liés au climat. D’ici à 2030, plus de 100 millions de personnes dans les pays à revenu faible ou intermédiaire pourraient passer sous le seuil de pauvreté en raison de la fréquence accrue des phénomènes extrêmes et de la crise climatique. La crise climatique va à la fois exacerber les conflits existants et réduire la capacité des populations à faire face à ses effets. L’exposition accrue aux chocs creuse également les inégalités au sein des communautés, supprime la croissance économique et compromet l’impact des efforts de réduction de la pauvreté à long terme. Alors que le niveau des besoins en 2022 est stupéfiant, la dernière analyse de l’UNDRR (United Nations Office for Disaster Risk) indique que le pire reste à venir, écrit le rapport Dangerous Delay2 : The Cost of Inaction.
Alors que l’Afrique de l’Est a été frappée par des sécheresses extrêmes dues au réchauffement climatique, quatre terribles tempêtes tropicales ont balayé Madagascar en autant de semaines au début de cette année et l’Afrique du Sud a été frappée par des inondations. Dans toute l’Afrique, l’insécurité alimentaire est en hausse. L’Afrique de l’Ouest est frappée par la pire crise alimentaire de la décennie, avec 27 millions de personnes souffrant de la faim. Ce chiffre devrait passer à 38 millions en juin prochain – un nouveau record historique et une augmentation de 25% par rapport à l’année dernière.
Si les tendances dangereuses actuelles se poursuivent, 100 millions de personnes supplémentaires auront basculé dans l’extrême pauvreté d’ici 2030 en raison de conditions météorologiques extrêmes et de catastrophes liées au climat.
La guerre en Ukraine signifie la famine en Afrique. La quasi-totalité du blé et de l’huile de tournesol importés par l’Afrique de l’Est provient d’Ukraine ou de Russie. La guerre a fait exploser les prix de ces produits. Le prix du blé a augmenté de 20% et en Éthiopie, le prix de l’huile de tournesol a augmenté de 215%. La Somalie importait à elle seule 92% de son blé de Russie et d’Ukraine, mais les lignes d’approvisionnement sont désormais bloquées.
Soudan et Somalie – Crise et héritage de l’impérialisme
Au Soudan, la guerre en Ukraine, conjuguée aux mauvaises récoltes, au régime militaire et aux conflits armés récurrents, risque de doubler le nombre de personnes souffrant de la faim. Le Soudan importe plus de la moitié de son blé d’Ukraine et de Russie, et le prix d’une tonne de blé, qui représente un cinquième de l’apport calorique total, est aujourd’hui 180% plus élevé qu’il y a un an. Parallèlement, les prix élevés du carburant frappent les boulangeries.
Malgré la crise, ce n’est pas de la nourriture, de l’eau potable et des médicaments que l’administration Biden a décidé d’envoyer en Somalie, mais des troupes américaines, 500 soldats.
Les opérations militaires américaines en Somalie, qui ont débuté dans les années 1990 et étaient censées constituer un effort humanitaire contre la faim, se sont soldées par des combats de rue désastreux dans la capitale somalienne, Mogadiscio, en octobre 1993, qui ont tué des centaines de Somaliens et Somaliennes, y compris des civil·es. 19 soldats américains ont été tué·es et 73 blessé·es et deux hélicoptères Black Hawk ont été abattus. La bataille qui s’est déroulée à Mogadiscio a duré deux jours et est devenue un moment décisif pour l’impérialisme américain, donnant naissance au «syndrome somalien» consistant à ne pas franchir «la ligne de Mogadiscio» et à risquer de perdre davantage de prestige et la vie de soldats américains.
L’intervention militaire américaine et onusienne en Somalie a été un échec et n’a pas empêché les islamistes d’al-Shabab de continuer à terroriser la population.
Les États-Unis essaient de combattre al-Shabab par la force militaire depuis 15 ans, et cela n’a pas fonctionné – cela a peut-être même prolongé le conflit (Sarah Harrison de l’International Crisis Group au New York Times le 16 mai).
Plus récemment, Al-Shahab semble avoir réussi à soumettre de nouvelles zones de terres en Somalie, qui risque de devenir un nouvel Afghanistan, où les niveaux de sécurité alimentaire ont chuté à une vitesse terrible, laissant la moitié de la population confrontée à une faim aiguë.
Seule la lutte contre le capitalisme peut mettre un terme à des crises sans fin
Comme toujours, les masses africaines paient le prix le plus lourd pour les crises et les guerres de l’impérialisme mondial. Seule une lutte unie des travailleurs et travailleuses et des pauvres contre les politiques de division et de domination de l’impérialisme et du capitalisme pour une transformation socialiste internationale du continent peut tracer un chemin loin de l’oppression, du pillage et des désastres qui font de la vie un cauchemar sans fin sur le continent africain.