1936. En Allemagne, les nazis sont au pouvoir et une politique anti-ouvrière brutale est menée. En Belgique aussi, l’extrême-droite fait une percée lors des élections du 24 mai 1936. En Espagne et en France, ce sont des gouvernements de gauche, mais qui – entre autres, sur insistance de la Russie stalinienne – refusent de casser avec le capitalisme et restent ainsi pris en entaille par la crise capitaliste. La colère est grande et cherche à s’exprimer.
Une vague de grèves spontanées de la base
Lors de la campagne électorale en Belgique, deux militants du syndicat socialiste des transports BTB-UBOT (Union Belge des Ouvriers du Transport) ont été assassinés par des militants d’extrême-droite: Albert Pot et Theofiel Grijp. Une grève de 24 heures le jour de leurs funérailles était insuffisante aux yeux de nombreux militants. Cette violence mortelle n’était pas seule visée. Les salaires ne suivaient pas l’augmentation des prix et les conditions de vie des travailleurs étaient mises à mal depuis des années.
La direction du BTB s’est vue contrainte, sous pression de la base – avec, entre autres, une bagarre devant les locaux du BTB au Paardenmarkt – d’appeler à une grève avec pour revendications centrales: la semaine des 40 heures, une augmentation salariale générale, un salaire minimum de 32 francs par jour et six jours de congés payés annuels. Les leaders syndicaux ont reconnu que la grève débordait la direction.
La grève s’est ensuite étendue à d’autres secteurs : les réparateurs de bateaux, le secteur du diamant… et à partir du 9 juin, les mines de charbon, le secteur du métal, etc. La FN-Herstal (Fabrique nationale Herstal, fabrique d’armes belge) a été occupée par le personnel; la première grande occupation d’entreprise de l’Histoire sociale belge, à l’initiative de militants combatifs qui s’étaient insurgés pendant le mouvement de grève de 1932.
Les centres de gravité du mouvement se trouvaient à Anvers, Liège et dans le Borinage. Les militants avaient répondu à l’unisson aux tentatives de division communautaire par le slogan: «Mon prénom est flamand ou wallon, mon nom est ouvrier.» Le nombre de grévistes est monté à un demi-million. Le gouvernement s’est vu contraint, pour la première fois dans l’Histoire nationale, de se concerter avec les directions syndicales et les employeurs.
Gouvernement et patronat doivent faire des concessions
Si le gouvernement et les employeurs ont fait des concessions en 1936, ce n’était pas par sens social, mais parce qu’ils avaient le couteau de la grève sous la gorge.
Une augmentation de salaire de 7 à 8% a été obtenue, ainsi que l’instauration d’un salaire minimum légal, de la semaine de 40 heures dans les mines et le droit à 6 jours de congés payés. Dans plusieurs secteurs, des commissions paritaires ont été instaurées pour la première fois (pour la concertation entre employeurs et travailleurs). Les dirigeants syndicaux nationaux ont proposé de reprendre le travail à partir du 24 juin, mais la grève s’est encore poursuivie à plusieurs endroits.
Le 8 juillet 1936, la loi sur les congés payés était une réalité. Des actions ont cependant encore été nécessaires pour qu’elle soit appliquée dans tous les secteurs. Les actions de grève qui ont conduit à l’obtention des congés payés ont fait des blessés et même un mort: une femme de Quaregnon est tombée sous les balles de la gendarmerie qui tirait arbitrairement suite à des confrontations précédentes avec les grévistes.
Comment la gauche peut-elle se construire dans les mouvements?
Des militants de gauche – dont des activistes du Parti Communiste de Belgique (PCB), mais aussi d’autres courants, ont connu une influence croissante durant cette période. De son côté, la social-démocratie était dans le gouvernement et entendait y rester après les élections. Des leaders syndicaux alliés – certains siégeaient au parlement au nom du Parti ouvrier belge (POB) – freinaient aussi des quatre fers.
Après la scission du PCB en 1928 (lorsque les partisans de Trotsky ont été exclus) et le choc de la récession économique, la gauche était très affaiblie. La grève de 1932 a marqué un tournant avec une augmentation du poids syndical des militants de gauche. Sur le plan politique, cela s’est limité à une timide croissance du PCB.
La radicalisation des années précédant 1936 a surtout bénéficié, sur le plan politique, à la base du POB. Le plan De Man, un programme se limitant à des réformes par la voie parlementaire, a suscité un grand espoir de changement. Trotsky a proposé d’émettre une critique politique de ce Plan, mais aussi de montrer à une couche d’ouvriers la plus large possible que, tant que la bourgeoisie tente de contrecarrer le Plan, nous lutterons à leurs côtés pour les aider à traverser cette expérience. Nous partagerons avec eux toutes les difficultés de la lutte, mais ce que nous ne partagerons pas, ce sont les illusions qui y sont liées. La critique du Plan ne devait pas mener à l’augmentation de la passivité des ouvriers en donnant une prétendue justification théorique, mais au contraire à renforcer les forces révolutionnaires.
Un petit groupe de trotskistes belges, surtout organisés à Charleroi, a construit à la base du POB un front unique. Ils collaboraient avec le courant de gauche Action Socialiste qui a vite été placé devant un choix: une cassure révolutionnaire ou l’acceptation du capitalisme. Spaak, entre autres, a choisi la dernière option et a été récompensé par des postes de ministre et la fonction de secrétaire général de l’OTAN. Sous la houlette de Walter Dauge et l’influence de trotskistes, une partie a choisi la cassure révolutionnaire avec le capitalisme. Ce groupe a été exclu du POB et a formé le Parti Socialiste Révolutionnaire avec environ 800 membres et une implantation et influence dans le Hainaut. Ainsi, Dauge a obtenu une majorité aux élections communales à Flénu, le roi a alors refusé de le nommer bourgmestre.
La défaite en Espagne et le fait que le mouvement français ne s’est pas développé ont fait que la phase ascendante de la lutte des classes a été stoppée en 1936. Cela a offert plus d’espace aux développements contre-révolutionnaires. Cela a, avec la guerre qui approchait, rendu difficile la consolidation de la nouvelle organisation trotskiste en Belgique.
Le mouvement offensif de 1936 a mené à une victoire. De plus, cela a amené la question d’alternatives politiques. Le prestige international de l’Union soviétique a aussi fait que c’est surtout le PCB qui a tiré profit de ce mouvement. Mais les trotskistes aussi ont pu devenir un facteur d’importance, là où ils répondaient audacieusement à la radicalisation et aux mouvements de masse sans faire de concessions sur leur détermination programmatique.