Occupation de l'hôtel de ville de Seattle

Seattle en révolte: Quand on se bat, on gagne!

Coupure dans le budget de la police, interdiction qu’elle utilise des armes chimiques, taxation des grandes compagnies: les victoires s’accumulent à Seattle dans la foulée du mouvement #JusticeForGeorgeFloyd et de la crise sociale actuelle. Le rôle crucial joué par la conseillère et membre de Socialist Alternative Kshama Sawant montre comment une lutte de terrain combinée avec une position d’élue permet de faire déboucher les revendications des mouvements sociaux et ouvriers.

#JusticeForGeorgeFloyd

Le samedi 30 mai, des manifestations de masse ont éclaté à Seattle afin de demander justice dans l’affaire George Floyd, assassiné par des policiers à Minneapolis cinq jours plus tôt. Les manifestants et manifestantes se sont immédiatement butées à la même violence policière que celle subie par les autres personnes manifestant partout aux États-Unis.

Seattle est une ville avec un lourd passé de violence policière et de racisme systémique. Les loyers très élevés poussent d’une manière disproportionnée les personnes racisées hors de la ville ou dans la rue, où ils subissent la répression policière. Les protestations du début juin ont mené à l’occupation d’une zone du quartier de Capitol Hill pendant presque un mois.

CHAZ et lutte contre la brutalité policière

Après une semaine de manifestations, la police a été chassée de son bâtiment du East Precinct, le 8 juin. Ce dernier est devenu l’épicentre d’une occupation, la Capitol Hill Autonomous Zone (CHAZ). La CHAZ s’est étendue sur six coins de rue, en plein coeur du quartier LGBT, jusqu’à son démantèlement par la police le 1er juillet.

Les protestations ont conduit à d’importantes victoires contre la brutalité policière et le racisme systémique grâce au soutien d’une représentante de la classe ouvrière au conseil municipal, Kshama Sawant de Socialist Alternative.

Le 9 juin, l’équipe de Sawant a organisé une rencontre publique dans la zone de protestation. Plus de 2 000 personnes y ont assisté. Plusieurs activistes, syndicalistes de la base et leaders communautaires et religieux ont discuté des revendications du mouvement ainsi que la nécessité de continuer à organiser une lutte multiraciale de masse pour obtenir des gains concrets. Une synergie a pu s’établir entre la représentation politique de Sawant et le mouvement.

Occupation de l’hôtel de ville et revendications

Les personnes rassemblées se sont ensuite dirigées vers l’hôtel de ville auquel Sawant leur a donné accès. Les militants et militantes y ont tenu une brève assemblée stratégique sur les revendications concrètes à défendre pour aller de l’avant. Les trois demandes ayant obtenues le plus de résonance ont été :

  • la réduction de 50% du budget de la police et la réinjection de cet argent dans les communautés;
  • l’abandon de toutes charges contre les manifestants et manifestantes;
  • la taxation d’Amazon pour stopper l’embourgeoisement et financer le logement abordable.

Le 15 juin, Sawant et une centaine de personnes ont poussé le conseil municipal a adopter à l’unanimité une interdiction des armes chimiques de contrôle des foules ainsi que de l’utilisation de dispositifs d’étranglement par la police de la ville. Depuis, Socialist Alternative (SA) revendique la libération de tous les manifestants et manifestantes arrêtées ainsi que la mise sur pied d’un conseil de surveillance communautaire élu ayant les pleins pouvoirs sur l’embauche et le licenciement de la police.

Par la suite, Sawant a déposé un projet au conseil municipal exigeant la diminution d’au moins 50% du budget du département de la police de Seattle (200M$) au profit des communautés. Le 13 juillet, la mairesse Jenny Durkam a toutefois annoncé des coupures de 76M$ dans la police, dont l’objectif est de transférer certaines responsabilités à d’autres départements. Il s’agit d’un recul quant au projet initial de coupures de 50% exigé jusqu’ici par Sawant, les manifestant·es et la majorité du conseil municipal. Ce dossier demeure en développement.

Taxer Amazon pour du logement abordable

Dès le départ, Sawant et SA ont souligné que les coupures dans la police ne seront pas suffisantes pour financer adéquatement les écoles, les logements, les emplois, etc. Taxer les compagnies qui font leurs mégaprofits en imposant des conditions de travail misérables est une nécessité pour s’attaquer au racisme systémique. Cette mesure est nécessaire pour faire de Seattle une ville abordable pour tout le monde, en particulier pour les communautés racisées surreprésentées dans les emplois à bas salaire.

Seattle est l’une des villes américaines où les loyers sont les plus élevés du pays. Plus de 12 000 personnes y sont sans domicile fixe. Les travailleurs et travailleuses racisées ont été massivement éjectés des quartiers centraux vers le sud et les banlieues. En parallèle, Seattle accueille les sièges sociaux des plus grandes compagnies du monde telles Amazon, Microsoft et Starbuck.

Il n’est pas surprenant que la campagne Tax Amazon de SA a connu un fort engouement au sein du mouvement Black Lives Matter et à la CHAZ. Cette campagne s’active depuis 3 ans pour la construction de logements abordables publics financés par une taxe sur les grandes compagnies. Thème de la campagne de réélection de Sawant en 2019, Tax Amazon a été relancée en janvier 2020 comme une coalition d’organisations du monde du travail et des communautés.

La campagne puise son succès du fait que les revendications mises de l’avant par Sawant sont représentatives des luttes de terrain. En organisant la lutte au sein de structures démocratiques larges, les activistes ont l’opportunité de discuter et voter leurs priorités collectivement.

La pression du mouvement fait pencher la balance

Durant le mois de juin, l’énergie explosive de milliers de personnes a été canalisée dans un mouvement soutenu pour taxer les plus grandes entreprises dont le siège social est basé à Seattle. Les militants et militantes ont réussi a cumuler les 30 000 signatures requises pour faire de cette taxe une question référendaire en novembre prochain. Ces signatures ont principalement été récoltées lors des manifestations.

Le 6 juillet, la pression du mouvement a finalement obligé le conseil municipal a adopter une taxe de 200M$/an ponctionnée sur le 3% des plus grandes entreprises de la ville afin de financer du logement abordable. Il s’agit d’une grande avancée. Le montant d’argent est quatre fois supérieur à celui proposé par la première taxe Amazon. Cette dernière a été adoptée puis honteusement abrogée en 2018 sous la pression de Jeff Bezos et d’Amazon. Elle correspond toutefois à moins de la moitié du 500M$ réclamé initialement par les conseillères Kshama Sawant et Tammy Morales (progressiste).

La nouvelle taxe est une victoire historique pour la classe ouvrière de Seattle et surtout pour les personnes racisées. Elle fait écho à la campagne victorieuse pour un salaire minimum à 15$/h de 2014. Et, comme pour cette campagne, la prochaine étape consiste à étendre la lutte à la grandeur des États-Unis. En revanche, elle démontre aussi la réalité de la lutte politique. À chaque étape il faut se battre contre la résistance de la classe capitaliste, représentée, entre autres, par Bezos à Seattle. Sans mobilisation de masse, les politiciens et politiciennes plient systématiquement devant la menace du pouvoir des grandes compagnies.

Ces victoires montrent à quoi ressemble la solidarité de la classe ouvrière dans une ville. La présence d’une élue redevable uniquement aux travailleurs et aux travailleuses permet d’établir un rapport de force politique en faveur des mouvements sociaux et ouvriers. Les stratégies socialistes et marxistes de Socialist Alternative prouvent leur efficacité à Seattle depuis la première élection de Sawant, en 2014.

Quelles leçons tirer pour le Québec?

Le racisme systémique, les bas salaires et la pénurie de logements abordables nuisent également aux travailleurs et aux travailleuses du Québec. Au-delà des appels à se mobiliser autour de principes généraux ou de valeurs, les opportunités de lutter pour des revendications qui touchent concrètement la vie des gens ne manquent pas. En fait, plus le capitalisme est en crise, plus les inégalités s’accentuent!

Ici aussi, des mouvements de luttes s’organisent au sein des communautés. Nous disposons du même potentiel de changement qu’à Seattle. Mais pour y parvenir, nous avons besoin de construire des mouvements de manière stratégique dont les objectifs sont clairs, concrets est gagnables. Prendre le temps de décider démocratiquement et de respecter la volonté majoritaire, faire signer des pétitions même en pandémie, récolter de l’argent, occuper des lieux, etc. Mais ce travail est essentiel pour contrer la résistance et le pouvoir de l’argent. Il s’agit de bâtir la confiance des gens à prendre en charge leur propre avenir.

Toutes les luttes pour la justice sociale permettent aux travailleurs et aux travailleuses de se demander : pourquoi ne pas décider nous-mêmes pour qui et comment la société devrait fonctionner? Toute réforme qui bénéficie à la classe travailleuse fait diminuer les profits des grandes compagnies. Pas surprenant que Donald Trump peste sur Twitter contre la «gauche radicale» de Seattle! Cela signifie que de telles réformes sont constamment menacées d’être renversées.

Cette menace nous oblige à être à la hauteur des combats que l’on entreprend. Comme à Seattle, les boss et leurs parlementaires d’ici feront tout pour éviter que l’on s’en prenne aux entrepreneurs, aux propriétaires ou à leurs privilèges d’élu·es.

Savoir qui défendre

Il n’y a donc rien à attendre de partis comme Projet Montréal. Face au scandale du profilage racial du service de police, la ville espère enrayer le racisme par l’éducation. Pourquoi ne pas réallouer une partie du budget de la police dans les services communautaires des quartiers où vivent les personnes racisées et marginalisées? Pourquoi ne pas impliquer ces communautés dans ces réformes? Il y a fort à parier que l’argent destiné à la répression ainsi qu’à militariser la police soit coupé! De ce point de vue, les initiatives pour définancer la police sont intéressantes. Elles rateront toutefois la cible si elles se limitent à faire pression sur des partis politiques qui sont beaucoup plus prompts à réprimer les mouvements sociaux qu’à les représenter.

De plus, Projet Montréal encourage la construction de condos de luxe destinés à la spéculation immobilière depuis des années. C’est moins risqué que de récupérer directement cet argent des poches des grands propriétaires afin de construire les dizaines de milliers d’unités de logements abordables publics nécessaires pour répondre aux besoins actuels.

Du côté de Québec solidaire (QS), sa direction fait tout pour obtenir une visibilité médiatique positive pour ses député·es. La direction cherche à séduire les personnes en détresse, tout en maintenant un discours acceptable pour les puissants. Pas surprenant que durant les grands rassemblements entourant le meurtre de George Floyd, le parti s’est contenté de faire adopter une motion au parlement. Cette dernière culmine avec une demande faite au gouvernement Legault de présenter un plan de lutte au racisme et à la discrimination «dans les meilleurs délais».

QS n’a exigé aucune mesure concrète. Le parti n’a pas fait appel à ses propres membres. Il est évident que pour changer la société de manière significative, il nous faut établir un rapport de force face aux riches et aux puissants. Les gains réalisés à Seattle nous démontrent qu’un parti socialiste qui a des liens forts avec les luttes de terrain obtient ses propres victoires du rapport de force qu’exerce le mouvement de la base sur les structures de l’État. Se limiter à l’unique avenue du parlementarisme poli en revient à choisir sa propre défaite. C’est une stratégie inacceptable pour un parti qui se dit «de la rue».

Une militance sur le terrain!

La stratégie de communication politique de QS l’a coupé de la réalité des gens qu’il prétend défendre. Évoluant uniquement du côté de l’Assemblée nationale, QS échoue à influencer sérieusement et à jouer un rôle d’organisation politique dans les mouvements sociaux et ouvriers québécois. Les luttes et les victoires sociales n’émanent pas de tempêtes d’idées, de brillants cerveaux universitaires ou de discussions avec le premier ministre. Elles se bâtissent sur le terrain, avec les gens ordinaires.

Contrairement à Projet Montréal, QS possède une structure démocratique locale que les militants et les militantes sérieuses peuvent utiliser afin d’organiser des luttes concrètes dans leurs communautés. C’est de cette manière qu’un parti peut apprendre et rester connecté à la réalité et aux besoins des travailleurs et des travailleuses. Les membres d’Alternative socialiste travaillent dans cette direction depuis des années. Si lutter et gagner vous intéresse, contactez-nous!


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