« Relance économique » en pandémie : Le projet de loi 61 démasque l’austérité à venir

Le gouvernement conservateur et nationaliste de François Legault a échoué son coup de force législatif visant à « relancer » l’économie du Québec. Il n’a pas réussi à faire adopter son projet de loi 61, qui vise à lui donner des pouvoirs extraordinaires afin d’accélérer des projets d’infrastructures qui seront réalisés par le privé. Le premier ministre promet de revenir à la charge cet automne. D’ici là, il continuera de diriger la province canadienne la plus éprouvée par la COVID-19 à coup de décrets austères, tout en bénéficiant de l’aide financière historique d’Ottawa.

Déposé le 3 juin, le projet de loi omnibus sur la relance de l’économie québécoise visait a « accélérer » la réalisation de 202 projets publics d’infrastructures en octroyant des pouvoirs exceptionnels au gouvernement. Ces projets étaient toutefois déjà prévus par le Plan québécois des infrastructures des 10 prochaines années, un plan mis au point avant la pandémie de la COVID-19. Les projets visés par le projet de loi 61 (PL61) concernent surtout la construction de nouvelles autoroutes ainsi que la rénovation et la construction de Centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD) , de « maisons des aînés » et d’hôpitaux. Certains projets prévoient aussi la rénovation et l’agrandissement d’écoles.

La réalisation d’une bonne partie de ces travaux est essentielle pour maintenir l’offre de services publics. Toutefois, le gouvernement de la Coalition avenir Québec (CAQ) propose d’accélérer leurs travaux en ouvrant une nouvelle boite de pandore néolibérale.

La première mouture du PL61 donnait au gouvernement des droits d’exproprier des terrains sans contestation possible. Les octrois de contrats publics pouvaient se faire sans appel d’offres. La reddition de compte était restreinte à une fois l’an et les ministres concernés pouvaient être placés hors d’atteinte des tribunaux. Le gouvernement provincial pouvait contourner plusieurs lois relatives à la qualité de l’environnement, à l’aménagement du territoire ainsi qu’à la protection des espèces menacées pour faire construire plus vite. Enfin, le PL61 étendait l’état d’urgence sanitaire pour une durée indéfinie, permettant ainsi au gouvernement de continuer à décréter les conditions de travail dans le secteur public.

Sauvé par la fin de session parlementaire

Comme le gouvernement a déposé le PL61 de manière tardive, il devait obtenir l’accord unanime des partis d’opposition pour l’adopter. Il a dû mettre de l’eau dans son vin pour faire avancer le projet. Autrement, il aurait tout simplement pu l’adopter grâce à sa majorité parlementaire.

Dans la nouvelle mouture du projet gouvernemental, les promoteurs ne peuvent plus simplement détruire un milieu naturel contre de l’argent. Ils devront d’abord chercher à éviter, puis à minimiser les impacts environnementaux avant de compenser financièrement. Ensuite, seules les villes pourront passer un contrat sans respecter les normes prévues par la Loi sur les contrats des organismes publics.

Le gouvernement a aussi convenu de limiter l’état d’urgence jusqu’au 1er octobre, période durant laquelle la 2e vague de la COVID-19 devrait déferler. Il a aussi acquiescé à supprimer l’article qui lui aurait permis d’échapper aux poursuites judiciaires dans l’exercice de cette nouvelle loi.

Le jeu des procédures a permis aux partis d’opposition de modifier puis de freiner l’adoption du PL61 à la clôture de la session parlementaire. Le gouvernement aura néanmoins les coudées franches pour faire adopter son projet de loi cet automne, à la reprise des travaux parlementaires. Les concessions de surface qu’il a accordées n’ont pas fondamentalement altéré la raison d’être du PL61.

La raison d’être du PL61, c’est compenser le plus rapidement possible les pertes de profits des grandes compagnies privées grâce à l’argent public.

L’accélération, une politique au service du privé

Le premier ministre Legault a répété en conférence de presse vouloir « accélérer pour les aînés ». Or, il semble que sa volonté de ne « pas perdre de temps » découle surtout des pressions du milieu des affaires.

Le Conseil du patronat estime depuis la fin avril que l’ensemble des activités économiques aurait dû reprendre, alors que le Québec connaissait son pic de décès au coronavirus. De son côté, la Fédération des chambres de commerce souhaite que les mesures du PL61 « puissent devenir permanentes » et qu’elles deviennent applicables à l’ensemble du secteur privé. L’alliance de l’immobilier, formée par les quatre plus importantes associations de l’industrie de la construction et de l’immobilier commercial, partage la même position.

Soyons clairs, le PL61 n’est pas un plan de sortie de crise. Il n’implique aucun investissement supplémentaire pour les secteurs publics qui en ont immédiatement besoin: la santé et les services sociaux, le logement abordable et le transport collectif. Peu importe sa mouture, le PL61 bénéficie d’abord et avant aux firmes privées de génie-conseil qui s’occuperont des travaux et aux grandes compagnies de construction qui les réaliseront.

L’accélération des projets d’infrastructure vise à sécuriser le plus rapidement possible leurs contrats et leurs profits, même si cela signifie nuire à notre santé, polluer notre environnement et gérer l’argent public de manière arbitraire et opaque.

Opportunité de corruption et de collusion

La plupart des organismes de surveillance – de la protectrice du citoyen au comité de suivi de la commission Charbonneau – ont reconnu que le PL61 ouvre la porte au crime organisé, à la corruption et à la collusion.

Les décennies de coupures dans les services publics, en particulier dans le personnel d’ingénierie du Ministère des Transports du Québec (MTQ) et des municipalités, ont conduit à une perte d’expertise interne en termes d’évaluation de projet. Cette situation est à l’origine des scandales de corruption ayant touché le secteur de la construction durant les dernières années.

La journée même où le président du Conseil du trésor, Christian Dubé, présentait le PL61 en conférence de presse, la vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, publiait un rapport estimant que le MTQ est trop souvent incapable d’évaluer correctement la valeur des contrats qu’il octroie.

Les « allègements » de procédures du PL61 risquent de replonger le Québec dans un nouveau cycle de collusion. Le premier ministre lui-même a reconnu la partisanerie derrière son projet de loi: les projets d’infrastructures choisis l’ont été en fonction du poids électoral de la CAQ au Québec!

Contourner les lois pour rétablir le profit privé

La CAQ tente de profiter de la crise actuelle pour en revenir aux belles années du néolibéralisme, voire à celles du libéralisme sauvage des années 30 sous Maurice Duplessis. Ce type d’économie « libérée » au maximum des contraintes de l’État ne sert ultimement qu’à une chose: garantir la profitabilité des grandes compagnies.

La tentative du gouvernement québécois de contourner les lois environnementales en temps de pandémie s’inscrit dans une tendance canadienne. À titre d’exemple, le gouvernement fédéral de Justin Trudeau a annoncé au début juin qu’il exempte tous les forages d’exploration pétrolière réalisés en milieu marin, au large de Terre-Neuve, du processus d’évaluation environnementale. Même approche en Alberta où le gouvernement a suspendu sa réglementation environnementale, dont la reddition de compte des compagnies privées.

L’austérité n’est pas une sortie de crise

Du côté des secteurs public et parapublic, l’État du Québec est actuellement en négociation avec les syndicats représentant leurs employé·es en vue du renouvellement des conventions collectives 2020-2025. Le maintien de l’État d’urgence sanitaire jusqu’au 1er octobre permettra au gouvernement de garder le contrôle total sur leurs conditions de travail. La politique d’arrêtés ministériels pourra se continuer d’ici là.

La ministre de la Santé et des Services sociaux, Danielle McCann, pourra aller de l’avant dans ses plans de régime minceur. Que ce soit la modulation des primes de risques ou le recalcul des horaires du personnel, tout est bon pour minimiser les dépenses gouvernementales en temps de pandémie!

Le 1er juin dernier, le ministre des Finances, Éric Girard, a d’ailleurs dévoilé en entrevue à Radio-Canada qu’après les déficits importants causés par la crise actuelle, son gouvernement « va rapidement se mettre sur une trajectoire de déclin de la dette ». En clair, la CAQ prépare le grand retour de l’austérité, celle-là même qui est à l’origine de la catastrophe de la COVID-19 au Québec.

Épicentre de la COVID-19 au Canada

En date du 14 juin, plus de 5 222 personnes sont mortes de la COVID-19 au Québec, soit 64% de tous les décès au Canada. Le Québec compte pour plus de 54% de tous les cas d’infections au pays (53 952/98 787), bien qu’il ne compte que pour 23% de sa population. Plusieurs facteurs ont été avancés pour expliquer la plus grande prévalence de la COVID-19 au Québec: retour des vacances de la relâche, âge de la population, santé de la population, etc.

D’autres, à commencer par le directeur de la Santé publique du Québec, Horacio Arruda, tentent de masquer la gestion catastrophique de la crise en personnifiant le coronavirus comme une bête qui rôde et peut frapper à tout instant.

Mais l’hécatombe dans les CHSLD a forcé tout le monde à se rendre à l’évidence. Des décennies d’austérité budgétaire et de course au profit effrénée ont engendré un manque de personnel critique, des conditions de travail et des salaires minables, une désuétude des infrastructures, un manque de place, des services dysfonctionnels et même la présence de criminels notoires comme propriétaires de CHSLD privés.

Au moins 85% des personnes décédées de la COVID-19 au Québec résidaient dans un CHSLD (privé ou public) ou une résidence privée pour aîné·es. Plus de 200 de ces établissements sont toujours touchés par l’épidémie. Les conditions de travail des personnes préposées aux bénéficiaires (PAB) – responsables des soins de base – sont si basses que seulement 38% d’entre elles font toujours ce travail après 5 ans. Avant la pandémie, le réseau de santé et des services sociaux connaissait déjà un manque à gagner d’environ 6 400 PAB par année.

Appelées en renfort, les Forces armées canadiennes ont produit un rapport le 27 mai sur l’action de leurs 1 350 militaires ayant œuvré dans 25 CHSLD québécois. Le rapport pointe du doigt les politiques désastreuses des gestionnaires. Il souligne leur difficulté à gérer les zones de contamination, leur laxisme à implanter une utilisation correcte des équipements de protection et leur manque de personnel.

L’hécatombe du privé

Ce n’est pas un hasard si le nombre de décès et d’infections à la COVID-19 se concentre dans les CHSLD complètement privés. Même si ces derniers ne représentent que 9,7% de tous les CHSLD, ils constituent près du tiers des établissements présents sur la « liste rouge » gouvernementale, c’est-à-dire les endroits où plus de 25% des résidents et résidentes sont infectés.

Déjà en 2012, le vérificateur général du Québec a sonné l’alarme quant à la gestion catastrophique des CHSLD. Malgré les rapports accablants, les plaintes étouffées et les grèves pour de meilleures conditions de travail en CHSLD, le gouvernement caquiste a tout misé sur la préparation de places en hôpital pour affronter le coronavirus. Cette stratégie s’est avérée catastrophique.

Avec le nombre de cas et de décès qui diminue en juin, le gouvernement Legault fait passer le déconfinement en vitesse supérieure. Le PL61 soulève l’enjeu d’un retour général et sécuritaire au travail, autrement dit d’un véritable plan de sortie de crise sanitaire, écologique et économique.

Davantage vulnérables à une 2e vague

Bien que la courbe d’infections a été aplatie et que le nombre de cas et de décès reliés à la COVID-19 diminue, les travailleurs et les travailleuses n’ont toujours pas de données fiables sur la contagion ni sur les stocks d’équipements de protection individuelle. La pénurie de personnel en santé est pire qu’avant: 5 000 travailleurs et travailleuses sont infectées et de nombreux autres sont en arrêt de travail pour épuisement. Les urgences de la plupart des hôpitaux de Montréal demeurent dangereusement près de leur capacité maximale ou au-dessus.

La stratégie du gouvernement nous dirige tout droit vers une 2e vague d’infections, probablement en automne. Ottawa vient tout juste de prolonger la durée de la Prestation canadienne d’urgence à 24 semaines. Or, il y a fort à parier que les différents paliers de gouvernement soutiendront que les coffres « sont vides » cet automne. Sans les programmes publics de stimulation de la consommation privée, les gouvernements capitalistes n’auront qu’une seule option pour « relancer » l’économie: couper dans les salaires, les conditions de travail et les emplois.

Entre l’austérité et l’argent de l’État

Le gouvernement Legault a le beau jeu pour maintenir la ligne de l’austérité. L’essentiel de l’aide financière octroyée depuis le début de la pandémie aux entreprises et aux personnes ayant perdu leur revenu provient d’Ottawa. Déjà à la mi-mai, le gouvernement fédéral a annoncé 154 milliards de $ en aide directe. Il s’agit du programme de sauvetage économique le plus colossal de l’histoire du pays.

Lors de la crise financière de 2008, le gouvernement conservateur de Stephen Harper s’était contenté d’injecter 40 milliards de $ sur deux ans. Quant à lui, le gouvernement québécois s’en est essentiellement tenu à des investissements en infrastructure.

Douze ans plus tard, la nouvelle crise économique – accélérée par la pandémie – présente une gravité inégalée dans l’histoire. Avec le confinement, le taux de chômage au Québec est passé de 4,5% en février à 17% en avril. La province a enregistré la baisse de l’emploi la plus prononcée au Canada (-18,7% ou -821 000) durant la même période. La fermeture de tous les chantiers de construction le 23 mars a eu un impact significatif sur ces données.

Retour au travail hâtif

Cela n’a pas empêché le gouvernement Legault d’opter pour le même type de stratégie de relance que Jean Charest en 2008, mais en la bonifiant d’une aide indirecte de 2,5 milliards de $ aux entreprises. La CAQ a surtout misé sur des politiques agressives de retour au travail, sans consultation des travailleurs et des travailleuses concernées.

Les premières mesures de reprise des activités économiques ont été décrétées à la mi-avril, en pleine ascension du nombre de cas de COVID-19, et malgré les recommandations de plusieurs scientifiques.

Les mines ont redémarré le 15 avril tandis que la construction résidentielle a repris 5 jours plus tard. Début mai, le commerce de détail a repris ses activités graduellement à l’extérieur de la grande région de Montréal. Déjà 90% des travailleurs et travailleuses de la construction étaient de retour à la mi-mai, soit une semaine avant la réouverture complète des chantiers. Les écoles primaires, les services de garde et le secteur manufacturier ont aussi repris leurs activités à la mi-mai.

Selon l’Institut de la statistique du Québec, la reprise a effectivement permis au taux de chômage de baisser à 13,7% et à l’emploi de grimper en mai, mais à quel prix? Commentant les mesures de déconfinement de la fin avril, le Dr Arruda a déclaré espérer que « pas trop de gens vont mourir ». Depuis, plus de 2 700 décès se sont rajoutés au funeste bilan.

Sortir du cycle de l’austérité

Il existe une alternative au cycle austérité/sauvetage par l’État/austérité. Renflouer les poches du privé avec l’argent public à chaque crise n’est pas une solution durable, bien que cela semble être le seul horizon des parlementaires et des directions des centrales syndicales.

Certes, une sortie de crise passe par des réinvestissements massifs en santé et dans les services sociaux. Toutefois, pour sortir définitivement de la crise actuelle, l’État doit créer des emplois écologiques et de qualité par la prise de contrôle de toutes les compagnies privées liées à la production de matériel et de services médicaux essentiels. Ces compagnies, tout comme celles des autres secteurs clés de l’économie, doivent être placées sous la gestion des travailleurs et des travailleuses qui y œuvrent. Une planification démocratique générale de la production est la seule manière de répondre durablement aux vrais besoins de la population.

Pour en savoir plus, consultez notre programme de lutte.

 


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