Irlande du Nord : Hôpitaux en grève!

Le 18 décembre dernier, 20 000 travailleuses et travailleurs du système de santé nord-irlandais étaient en grève pour de meilleurs salaires et conditions de travail. Du jamais vu depuis les années 1980. ALTERNATIVE SOCIALISTE a interviewé Patrick Lawlor, Vice-président de la Northern Ireland Public Service Alliance (NIPSA) et membre du Parti socialiste d’Irlande pour en apprendre davantage sur la crise du réseau de santé nord-irlandais.

Quel est l’état du système de santé en Irlande du Nord ?

Le système de santé en Irlande du Nord est en crise depuis de nombreuses années, conséquence directe d’une politique chronique et systématique de sous-financement et d’austérité salariale. Cette situation a entraîné la suppression de millions de livres sterling du budget de la santé de l’Assemblée régionale d’Irlande du Nord. Ces coupes font partie de la stratégie d’austérité des conservateurs de Westminster visant à faire payer aux travailleurs et travailleuses la crise financière de 2007-2008 causée par l’avidité des riches profiteurs et des grandes entreprises. Toutefois, ces réductions ont été mises en œuvre sans résistance par les partis politiques locaux, qui ont pleinement accepté le programme néolibéral de réduction et de privatisation du secteur public.

L’impact de ces attaques a causé une douleur et une souffrance écrasantes aux patients, aux patientes et au personnel pendant plus de 10 ans. En ce moment, pas un seul objectif clinique n’a été atteint dans toutes les grandes priorités de santé telles que le cancer, les services cardiaques et d’urgence et bien d’autres encore. Les chiffres officiels montrent de façon frappante que 108 582 personnes attendaient depuis plus d’un an leur premier rendez-vous à l’hôpital. Cela représente plus du tiers (35 %) du nombre total de 306 000 personnes actuellement inscrites sur les listes d’attente. C’est un record pour l’Irlande du Nord. Ça représente une augmentation de 8 % par rapport à l’an dernier.

Selon les statistiques du Conseil de la santé et de l’aide sociale local, le nombre de personnes attendant plus d’un an pour un premier rendez-vous en consultation externe a augmenté de plus de 3 000 en seulement trois mois entre juin et septembre 2019. Le nombre de personnes qui attendent plus d’un an pour une chirurgie est passé de 22 638 à 25 279.

Cette situation est devenue si grave que des milliers de patients et patientes à travers l’Irlande du Nord ont été contraints de payer leur traitement en privé. L’objectif du gouvernement est de saper la confiance et le soutien à un service de santé entièrement public et de l’ouvrir au secteur privé et au système de santé basé sur l’assurance.

Quelles sont les conditions de travail ?

L’environnement de travail actuel du personnel a atteint le point de basculement, soit une charge de travail irréalisable. Ce qui entraîne des problèmes de santé physique et mentale liés au travail qui ont un impact sur de nombreux travailleurs et travailleuses. Elles doivent travailler bien au-delà de leurs heures régulières, sans être payées, simplement pour maintenir les services. L’imposition du programme de réduction des services et d’austérité salariale a entraîné une crise de recrutement au cours de la dernière décennie. Il y a actuellement 7 000 postes vacants dans nos services de santé, sur un effectif de 60 000 personnes, soit un taux de postes vacants de plus de 10 % qui ne cesse d’augmenter !

Des milliers de livres de fonds publics ont donc été donnés à des agences de recrutement du secteur privé pour couvrir les postes vacants. Les dépenses des agences du secteur public ont augmenté de 160 % depuis 2015 et devraient atteindre 230 millions de livres sterling à la fin de 2019. Ce gaspillage d’argent dégoûtant et non justifié pourrait facilement contribuer à résoudre la crise du recrutement et de la formation dans notre service de santé.

Cependant, le recrutement ne peut être maintenu que si le personnel obtient la parité salariale avec ses collègues dans les régions d’Angleterre, d’Écosse et du Pays de Galles. Une décennie de primes de 1 % a vu une divergence des salaires dans le Service de santé public (NHS) pour les travailleurs et travailleuses qui font le même travail. En moyenne, une personne salariée du secteur de la santé en Irlande du Nord est moins bien rémunérée d’environ 2000 £ qu’une homologue d’autres régions. Il a été rapporté que de nombreux membres du personnel, y compris parmi le personnel infirmier, doivent régulièrement se rendre dans des banques alimentaires pour nourrir leur famille alors qu’ils ou elles luttent pour payer leurs factures. C’est dans ce contexte que s’explique l’explosion d’actions des travailleurs et travailleuses de la santé partout en Irlande du Nord, qui culmine avec la journée de grève du 18 décembre 2019.

Est-ce que seul le personnel infirmier et sorti le 18 décembre?

Il n’est pas déraisonnable de dire que l’action du 18 décembre a abouti à l’une des plus grandes grèves dans la santé en Irlande du Nord depuis les années 1980. Il a été rapporté que 20 000 travailleurs et travailleuses (dont 15 000 du personnel infirmier) sont sortis en grève de 12 à 24 h dans toutes les zones et départements. L’action de grève a impliqué tous les groupes de travailleurs et travailleuses : nettoyage, services alimentaires, transport, ambulances et soins infirmiers. Ce fut également une grève historique pour le Royal College of Nurses (RCN) qui est sorti en grève pour la première fois en 103 ans d’existence. Cet événement en soi illustre la colère et le militantisme des travailleurs et travailleuses de la santé, leur confiance et la force de leur propre pouvoir ont été transformées en une approche sans compromis.

Comment la population a-t-elle réagi?

Il ne fait aucun que le conflit des travailleurs et travailleuses de la santé bénéficie d’un appui massif dans toutes les collectivités. Les attaques contre les grèves dans les commentaires antisyndicaux et conservateurs facilités par les médias grand public ont été ignorées dans toutes les communautés ouvrières. Cela a été illustré pendant la grève du 18, lorsque les gens de la région ont régulièrement visité les piquets de grève pour manifester leur soutien. Beaucoup de personnes ont apporté du café, du thé, des sandwiches, etc.

Comment le Parti socialiste d’Irlande (section d’Alternative socialiste internationale) est-il intervenu dans le mouvement, avant et après le 18 décembre?

Les militants et militantes du secteur de la santé du Parti socialiste ont joué un rôle clé dans la promotion et la conduite de l’action syndicale dans plusieurs domaines. Les camarades des syndicats de la santé ont mené des discussions au sein de leurs syndicats et parmi les travailleurs et travailleuses de la santé en général. Les camarades ont mis de l’avant une stratégie syndicale et politique pour gagner la lutte.

Nous avons plaidé pour la participation de tous les syndicats à ces grèves afin d’en maximiser l’impact. Nous pensons qu’une coordination maximale est nécessaire dans cette bataille. C’est-à-dire non seulement au sommet, mais à tous les niveaux, y compris les comités intersyndicaux sur les lieux de travail. Il faut s’assurer que le conflit est contrôlé démocratiquement par la base. Il est également nécessaire de renforcer la coordination lorsqu’il s’agit d’actions autres que la grève, afin de dissiper toute confusion qui pourrait exister dans les lieux de travail où il y a plusieurs organisations syndicales.

Le Parti socialiste en Irlande est intervenu sur de nombreux piquets de grève massifs ce jour-là avec un bulletin spécialement créé pour les travailleurs et travailleuses de la santé. Notre député irlandais élu, Mick Barry, a visité les piquets de grève pour apporter son soutien et sa solidarité. De nombreux jeunes camarades ont également profité de cette occasion pour intervenir pour la première fois dans une action syndicale majeure. Nous produisons actuellement notre 3e bulletin des travailleurs et travailleuses de la santé. Nous sommes optimistes quant à la possibilité de développer des liens avec de jeunes travailleurs et travailleuses qui recherchent une véritable alternative politique socialiste.

Quelle est la prochaine étape ?

Il est probable, compte tenu de la pression exercée et des possibilités d’action, qu’un accord salarial révisé sera proposé et peut-être accepté par le personnel. Toutefois, il est également reconnu que ce différend ne concerne pas seulement les salaires, mais aussi les conditions de travail et la qualité des services. Une victoire sur les salaires ne fera qu’accroître cette demande et verra cette campagne se recentrer sur la défense de notre service de santé public et l’opposition à la privatisation. Il sera essentiel de mobiliser le soutien de la communauté pour construire une telle campagne. Il est maintenant crucial que le Congrès irlandais des syndicats organise des rassemblements et des manifestations de masse dans toute l’Irlande du Nord, en lien et en coordination avec des manifestations de masse similaires dans toutes les autres régions, pour défendre notre service national de santé.

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Cette semaine, les travailleuses et les travailleurs doivent se positionner sur la première offre du gouvernement visant à atteindre la parité salariale avec les autres régions de Grande-Bretagne. Pour le moment, les journées de grèves sont suspendues. La direction du syndicat Unison recommande d’accepter l’offre, mais la direction de NIPSA recommande de rejeter l’offre. À suivre…


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