Hong Kong : Défaite écrasante du camp pro-gouvernemental aux élections de district

La lutte de masse doit maximiser l’effet de ces résultats électoraux historiques, faire de l’implication des travailleurs et travailleuses l’axe central du combat et se tourner vers les masses continentales.

Les élections des conseils de district qui se sont tenues le dimanche 24 novembre ont été une grande victoire pour le mouvement de protestation anti-autoritaire qui a commencé en juin dernier. Sans les manifestations de masse, qui font rage depuis près de six mois, il est clair que ce tremblement de terre n’aurait pas eu lieu.

5 000 manifestant·es ont été arrêté·es jusqu’à présent, dont environ un tiers de moins de 18 ans. La brutalité policière a été l’un des principaux moteurs des manifestations. Des milliers de personnes ont été hospitalisées et trois jeunes, dont un de 14 ans, ont été abattus à balles réelles. La violence policière n’a fait que croître ces dernières semaines.

Le décompte final aux élections des conseils de district est de 388 sièges (contre 126 auparavant) pour l’opposition pro-démocratique et 59 (contre 298 auparavant) pour le camp pro-Pékin. Cela signifie que les candidat·es pan-démocrates et les autres candidat·es de l’opposition ont remporté près de 90 % des sièges grâce au système majoritaire uninominal à un tour. Leur part des votes était de 60% contre 40% pour le camp pro-gouvernemental.

Des élections historiques

Le taux de participation a atteint un record de 71,2 %, ce qui éclipse le taux de 58 % enregistré lors des dernières élections au Conseil législatif (Legco) en 2016, qui constituait déjà un record. Par rapport aux dernières élections des conseils de district en 2015, où le taux de participation était de 47%, presque deux fois plus de personnes se sont rendu voter, soit 2,94 millions de personnes (en 2019) contre 1,47 million (en 2015). La plupart des bureaux de votes ont connu des files d’attente qui ont été jusqu’aux trottoirs une heure avant leur ouverture. Parmi ces électeurs·trices de la première heure se trouvaient de nombreux·euses jeunes, un revirement complet par rapport aux années précédentes.

Hong Kong n’est pas une démocratie. Son système politique permet d’élire les conseils de district, qui sont le niveau de gouvernement le plus bas, et la moitié des sièges du Conseil législatif (Legco) où les partisan·es du gouvernement disposent d’une majorité intégrée grâce à des circonscriptions dites fonctionnelles qui sont truquées et réservées principalement aux grandes entreprises. Le gouvernement, dirigé par un chef de l’exécutif approuvé par Pékin, ne peut être élu.

Les dirigeant·es pan-démocratiques bourgeois·es sont probablement aussi surpris que n’importe qui par les résultats actuels. Ils/elles ne contrôlaient aucun district et en contrôlent maintenant 17 sur 18. Seule l’île de Lantau (comprenant onze sièges non élus) est encore contrôlée par le camp pro-gouvernemental. Trois conseils de district sont passés d’un contrôle pro-Pékin à un conseil où aucun·e conseiller·ère pro-Pékin n’a été élu·e : Sai Kung, Tai Po et Wong Tai Sin. Ce dernier est un quartier ouvrier où les habitant·es se sont heurté·es à plusieurs reprises à la police et ont manifesté contre la brutalité policière et la forte utilisation de gaz lacrymogène au cours des derniers mois.

Les conseils de district ne sont pas des organes très importants, ils sont relativement impuissants. Ces élections ont été confrontées à une forte tradition conservatrice visant à dépolitiser les élections pour se concentrer uniquement sur des « questions locales ». Cela a toujours favorisé le camp pro-gouvernemental qui dispose d’énormes ressources financières et qui peut également mobiliser des « votes en bloc » grâce à divers mécanismes de favoritisme et de pots-de-vin et grâce à leur domination des réseaux traditionnels tels que les sociétés culturelles ayant des liens avec la Chine continentale.

Mais cette année, la tradition « non politique » de ces élections a été balayée par un climat de militantisme sans précédent. Ces élections sont devenues un référendum de facto sur le soutien aux manifestations antigouvernementales ou à la répression de plus en plus brutale du gouvernement. Les résultats ne laissent planer aucun doute quant à la position de la majorité des Hongkongais·es. Pour le gouvernement, l’establishment capitaliste pro-Pékinois et le régime dictatorial de Xi Jinping, il s’agit d’un revers humiliant.

De nouvelles complications pour le PCC

Cela soulève également de nouvelles complications pour le gouvernement et le PCC qui tentent de mettre un terme à la crise politique. À la suite de la quatrième réunion plénière du PCC à la fin du mois d’octobre, il était clair que Pékin exerçait des pressions sur le gouvernement et la police de Hong Kong pour qu’ils traitent plus impitoyablement les manifestant·es et principalement les jeunes parmi eux/elles. Une variante locale du « 4 juin » – le massacre de Tienanmen de 1989 – était prévue, peut-être avec des méthodes moins meurtrières, mais en tout cas avec l’objectif clair de mettre fin aux manifestations avec autant de force. Ce plan n’est plus possible à court terme.

Le PCC est maintenant confronté à un nouveau problème. Dans le cadre du système électoral truqué de Hong Kong, où seulement 1 194 électeurs·trices choisissent le/la chef·fe de l’exécutif, les conseils de district disposent de près de 10 % des voix. Auparavant, ces 117 votes étaient contrôlés par le camp pro-Pékin. Maintenant, les pan-démocrates contrôlent les 117 votes. Cela peut être source de nouvelles complications pour Pékin pour la prochaine « élection » d’un·e chef·fe de l’exécutif. Selon certaines rumeurs, cela pourrait être en 2020 afin de remplacer Carrie Lam pour un « nouveau » visage moins détesté.

Au cours des six derniers mois de lutte de masse, le gouvernement a fait de multiples erreurs de calcul, à commencer par le retrait de la loi sur l’extradition. Carrie Lam, la cheffe de l’exécutif qui est une véritable catastrophe ambulante, a avoué que ses « erreurs » ont causé « d’énormes ravages ». Après la débâcle des élections du conseil de district, Carrie Lam a affirmé qu’elle va « réfléchir sérieusement » au message des électeurs·trices. Personne ne doit se faire d’illusion! La dictature chinoise interdit toute retraite politique significative, c’est pour cela que le gouvernement de Lam est devenu un « grand déstabilisateur » qui a enragé la population avec sa brutalité et son arrogance.

Le régime de Xi craint que toute faiblesse ou disposition à faire des concessions à Hong Kong n’incite les masses continentales à s’organiser et à se soulever en faveur de leurs propres revendications. Les problèmes auxquels sont confrontés les travailleurs·euses et les jeunes chinois·es sont similaires à ceux propres à Hong Kong : bas salaires, emplois précaires, horaires de travail inhumains, logements inabordables, pollution suffocante et régime dictatorial qui persécute toute opposition.

Carrie Lam 

Le maintien des élections pour les conseils de district est une autre erreur de calcul monstrueuse de la part du gouvernement de Carrie Lam et de ses partisan·es. Ils/elles ont débattu jusqu’au tout dernier moment de l’opportunité d’annulation les élections (un coup d’Etat de facto) mais ont craint que cette manœuvre ne suscite une sympathie renouvelée pour le mouvement de protestation tout en augmentant la pression internationale. Ils/elles se doutaient bien qu’ils/elles auraient un mauvais résultat, sans imaginer que le désastre puisse avoir cette ampleur. Aujourd’hui, comme on pouvait s’y attendre, une file de « perdant·es » pro-gouvernementaux·ales condamnent Carrie Lam pour leur avoir fait perdre leurs positions politiques et avoir créé la plus grande crise dans le camp pro-Pékin depuis la rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997.

Le principal parti pro-Pékin, la DAB (Democratic Alliance for the Betterment and Progress of Hong Kong), a été décimé, ne remportant que 21 sièges contre 119 lors de l’élection précédente. Son dirigeant, Starry Lee, a proposé de démissionner, mais il a été persuadé de rester en place puisque personne ne veut le poste. La FTU (Fédération des syndicats) n’a remporté que 4 sièges, contre 27 en 2015, ce qui signifie qu’elle n’est plus le deuxième plus grand parti du camp pro-Pékin, étant même dépassée de 5 sièges par le petit Parti libéral.

Ce résultat est un coup dur pour le gouvernement et un sérieux revers pour le régime du PCC. Cela aura des répercussions jusqu’à l’intérieur de la Chine, tant sur le terrain que dans la lutte pour le pouvoir au sein du régime lui-même. La propagande nationaliste antidémocratique anti-Hong Kong chauvine de Pékin a toujours prétendu que les manifestations anti-gouvernementales n’étaient soutenues que par une minorité de la population. La meilleure censure d’Internet au monde n’empêchera pas les résultats électoraux de pénétrer et de se faire connaître en Chine, ce qui peut miner considérablement la propagande de l’État contre le mouvement.

D’autres facteurs pourraient encore jouer en faveur du régime pour tenter de reprendre le contrôle de la situation. Une partie des dirigeant·es pan-démocratiques sera sensible aux pressions du régime et des capitalistes pour désamorcer le mouvement de protestation. Le plus grand vainqueur des élections au sein du bloc pan-démocratique est le Parti démocrate, avec 91 sièges (contre 43 la dernière fois). Ce parti a l’habitude de conclure des accords en coulisse avec les représentants du PCC et de freiner la lutte pour les droits démocratiques.

Le président de ce parti, Wu Chi-wai, a d’ailleurs déclaré : « La division de la société doit être gérée avec prudence ». Il y a un réel danger que les politicien·nes du compromis pan-démocratique – largement marginalisé·es par la lutte de masse jusqu’à présent – tentent d’utiliser leurs positions renforcées lors des élections pour revendiquer une plus grande influence et réclamer un passage de l’action de masse à la « négociation ». Cela signifierait un retour à l’approche et à la stratégie ratées des luttes précédentes. Le mouvement peut repousser cette menace avec une organisation démocratique de la lutte au niveau local, comme nous l’expliquons ci-dessous.

Construire la lutte

Le mouvement de masse de Hong Kong doit s’intensifier et faire valoir l’avantage politique que ces élections ont procuré – une injection géante d’énergie nouvelle. Pour vaincre la dictature chinoise, qui est le seul moyen de remporter les cinq revendications du mouvement et de mettre fin à l’autoritarisme à Hong Kong, un mouvement exclusivement basé sur Hong Kong ne suffit pas.

La lutte doit s’étendre à la Chine continentale en établissant des liens avec les travailleurs·euses et les jeunes opprimé·es – une force que le PCC craint plus que tout – et en faisant appel à la solidarité dans le monde entier. Cela signifie la solidarité des travailleurs et travailleuses ordinaires et en particulier de ceux et celles qui luttent héroïquement contre une oppression similaire du Chili à l’Iran en passant par la Catalogne. Nous ne devons entretenir aucune illusion envers Trump ou dans d’autres politiciens capitalistes aux États-Unis ou en Europe. Leur attitude envers la Chine et Hong Kong est dictée par des accords commerciaux plutôt que par des droits démocratiques. Ils représentent la voie rapide vers la trahison et la défaite.

L’étonnant tsunami électoral de Hong Kong est l’occasion de relancer la lutte de masse, qui a grand besoin d’un changement de direction pour gagner. La lutte doit être basée sur la classe des travailleurs et travailleuses, la force sociale la plus efficace pour paralyser et renverser un régime autoritaire. La mise en place de comités démocratiques – sur les lieux de travail, dans les écoles et dans les communautés locales – pour organiser le mouvement de manière plus solide et efficace est également une priorité absolue.

Il est donc nécessaire d’adopter une nouvelle approche politique pour lier la lutte démocratique à la lutte pour les droits des travailleurs·euses et des pauvres, car l’un ne peut gagner sans l’autre. Il s’agit d’élargir les cinq revendications pour y intégrer les besoins des travailleurs·euses et de la jeune génération : un programme d’urgence pour la construction de 100 000 logements sociaux par an, une augmentation spectaculaire des salaires, un système de retraite universel et une journée de travail de huit heures.

Briser le pouvoir des milliardaires

Les magnats capitalistes, dont le gouvernement autoritaire sert les intérêts, ont toujours résisté à ces exigences. Nous voulons le droit d’élire un gouvernement, au suffrage universel à partir de 16 ans, mais nous devons aussi prendre le contrôle démocratique des grandes entreprises et des banques, qui bloquent tout progrès social et concentrent la richesse de la société dans les mains d’une élite minuscule, dans une plus large mesure encore que presque toute autre économie au monde. Une étude récente montre que les 50 milliardaires les plus riches de Hong Kong ont une richesse combinée de 300 milliards de dollars US (le PIB de Hong Kong est de 362 milliards de dollars US). Les superprofits des magnats de Hong Kong sont possibles grâce au système autoritaire de Hong Kong et de la Chine.

Ceux et celles qui sont d’accord avec ces propositions pour renforcer la lutte anti-autoritaire devraient rejoindre Socialist Action, le CIO à Hong Kong. Nous faisons campagne pour la formation d’un nouveau parti de la classe ouvrière, unissant toutes les couches opprimées dans la lutte contre le capitalisme et la dictature, à Hong Kong, en Chine et dans le monde.

Déclaration de Socialist Action (CIO – Hong Kong)


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