Le 13 novembre dernier, la députée socialiste Ruth Coppinger a brandi son string en pleine séance du parlement national irlandais, le Dáil. Cette nouvelle a fait le tour du monde. Or, les médias de masse ont peu parlé des motivations et des conséquences politiques de ce geste. Alternative socialiste a rencontré Ruth en Belgique durant le mois de décembre 2018.
Qu’est-ce qui vous a poussé à montrer vos sous-vêtements au Dáil?
L’enjeu des sous-vêtements renvoie à un procès pour viol dans la ville de Cork, en automne dernier. Durant le procès, la victime, une jeune femme de 17 ans, a été discréditée par l’avocate de la défense pour avoir porté un string durant les événements. L’accusé a finalement été acquitté.
Ce retournement dans l’affaire Cork a déclenché une colère sociale. Le fait d’avoir blâmé la victime renforce les mythes voulant que les viols surviennent à cause du comportement des victimes.
Au Socialist Party (section irlandaise du CIO), nous avons une forte tradition d’intervention sur les enjeux femmes, comme le droit à l’avortement et les violences faites aux femmes. Comme nous avons un droit de parole au Dáil toutes les deux semaines, nous avons sérieusement discuté avec les camarades de Solidarity (la bannière sous laquelle Ruth est élue) d’une sortie où je pourrais utiliser un string sans banaliser l’enjeu du viol. Cette intervention au Dáil nous a permis d’appeler à manifester contre le blâme des victimes et à joindre les actions de ROSA, la campagne féministe socialiste du Socialist Party.
Quels ont été les résultats?
Le vidéo de mon intervention a eu un énorme impact au niveau national et international. L’événement a été couvert par les grands médias de dizaines de pays. Plus de 500 personnes ont manifesté devant le tribunal de Cork, dont plusieurs ont laissé leurs sous-vêtements sur les marches de l’immeuble. Plus de 500 autres personnes ont manifesté à Dublin, tandis que 250 l’ont fait à Belfast, 50 à Limerick et 40 à Galway. Le hashtag #ThisIsNotConsent, accompagné d’images de strings, s’est répandu dans les médias sociaux. Nous voulions souligner à quel point une femme doit être héroïque pour s’engager dans un procès pour viol. Nos actions ont permis de mettre la question du consentement à l’ordre du jour.
La suite des choses nous a permis de mettre plusieurs revendications de l’avant. Par exemple, la nécessité de sortir l’Église des hôpitaux et des écoles d’Irlande, de mettre sur pied un programme d’éducation sexuelle basé sur le consentement, d’obtenir l’égalité salariale, le contrôle des loyers ou encore la construction de logements publics abordables.
L’affaire de Cork est-elle un cas isolé?
Non. En avril 2018, une femme a été blâmée de la même manière lors du procès pour viol qu’elle a intenté à des joueurs de rugby d’Ulster. Des milliers de personnes ont manifesté dans toute l’Irlande après l’acquittement des joueurs. Nous vivons dans un système capitaliste où les femmes ont un statut inférieur. Cela se reflète dans les mythes sur le viol et le blâme des victimes qui sont monnaie courante au sein des institutions de l’État, comme la police et les tribunaux. Dans la société en général, le capitalisme contribue à promouvoir une culture de sexisme, qui à son tour contribue à entretenir ces mythes et à blâmer les victimes.
Depuis la crise de 2007, il y a une épidémie de violences faites aux femmes sur l’ensemble du globe. Une femme est tuée par son conjoint tous les trois jours. Le statut inférieur des femmes bénéficie aux capitalistes. Selon OXFAM, les services de soin donnés gratuitement par les femmes du monde représenteraient 10 billions de dollars s’ils étaient payés. Avec la montée de l’extrême droite et l’emprise de la religion, il y a un retour vers des rôles plus traditionnels pour les femmes. Le capitalisme n’a jamais réussi à réduire l’écart de rémunération entre les hommes et les femmes. Il aurait fallu 100 ans pour le combler au rythme où allaient les réformes en 1977. Aujourd’hui, avec l’austérité, on parle plutôt de 217 ans! Ces conditions matérielles désavantageuses maintiennent les femmes dans un statut inférieur.
Comment combattre ce sexisme du système?
En Irlande, comme ailleurs dans le monde, la vague de révolte des femmes a besoin d’une approche féministe socialiste. Le système capitaliste est incapable d’en finir avec les inégalités, l’exploitation et les oppressions. Le mouvement de lutte des femmes doit être lié avec le combat de toute la classe des travailleurs et des travailleuses, unies autour d’un programme socialiste, afin de réaliser l’égalité pour toutes et tous.
En Irlande, le référendum sur l’abrogation du 8e amendement de la constitution (l’interdiction de l’avortement) et l’obtention du droit d’avorter jusqu’à 12 semaines constitue une victoire historique pour les femmes, mais aussi pour toute la classe laborieuse. Il s’agit d’un énorme coup porté à l’Église catholique et à l’État capitaliste irlandais.
En novembre, les employé·es de Google du monde entier, y compris à Dublin, ont organisé une grève dans le cadre d’une action mondiale contre le harcèlement sexuel, l’inégalité de revenu et la discrimination raciale. Partout, les employé·e·s peuvent s’organiser sur leur lieu de travail contre le harcèlement sexuel. Le mouvement syndical a un rôle essentiel à jouer dans de telles campagnes.
Quelles sont les prochaines étapes de la lutte?
Lors de ma sortie au Dáil, nous avons appelé, en collaboration avec ROSA, à une journée de protestation mondiale le 8 mars 2019. Nous proposons aux syndicats, aux associations étudiantes ainsi qu’aux groupes féministes et LGBTQ des manifestations, des débrayages ainsi que la nécessité d’organiser une grève mondiale contre les inégalités sexistes. Comme lors de la journée internationale de lutte contre la violence faite aux femmes du 25 novembre dernier, nous appelons tout le monde à se mobiliser pour un monde socialiste et féministe!
Entrevue avec Julien D.