Manifeste pour un art socialiste : Bad Art

Cette année, Bad Art propose un supplément au magazine complet produit l’année dernière. Notre objectif est de commencer à travailler vers un programme de revendications pour les arts et de le lier à la lutte pour une société socialiste. Nous expliquons cela dans notre déclaration à l’intérieur de ce supplément.

C’est aussi le 80e anniversaire de deux documents très importants pour les socialistes. Le Manifeste : « Vers un art révolutionnaire libre » et le « Programme de transition », tous deux rédigés par le leader révolutionnaire Léon Trotsky.

Nous vous recommandons de lire ce supplément en même temps que les articles du numéro 2017 de Bad Art sur la révolution russe et les luttes dans les arts aujourd’hui – et le Manifeste lui-même, réimprimé dans ce numéro.

Nous continuons de faire appel à tous les artistes, les travailleurs et les jeunes qui s’intéressent à la lutte pour les arts afin qu’ils se joignent à cette lutte. Envoyez-nous vos idées et vos pensées, envoyez-nous des rapports sur vos luttes.

Vous pouvez nous joindre à editors@badartworld.net.

Vous pouvez également lire certains des articles fantastiques que nous avons publiés en ligne au cours de l’année passée, y compris la question importante : « Le Crowdfunding est-il le futur de l’Art ? »

Visitez badartworld.net pour lire notre réponse, et d’autres articles qui seront publiés sur diverses questions dans les arts aujourd’hui.

Les rédacteur·trice·s en chef de Bad Art sont tous et toutes des activistes et organisateur·trice·s politiques dans la lutte générale contre l’austérité et le capitalisme et pour le socialisme, avec de nombreuses responsabilités.

Cette année, nous n’avons pas eu les ressources nécessaires pour créer un magazine complet.

Nous espérons y remédier à l’avenir. Mais nous espérons que les articles que nous avons publiés jusqu’à présent, et la contribution de cette année à un programme pour les arts, font partie d’une conversation qui construit les forces nécessaires pour lutter pour les arts – et pour le socialisme.

80 ans après le Manifeste : « Vers un art révolutionnaire libre »
Une contribution à un programme pour les arts.

L’histoire est sur le point de s’accélérer. La crise financière mondiale a éclaté il y a dix ans. Tout comme les victimes d’accidents de la route, les travailleur·euse·s, les pauvres et les jeunes qui continuent à souffrir ont eu peu de réponses cohérentes, en grande partie à cause du manque de leadership audacieux de la part des syndicats et de nombreuses autres organisations de travailleur·euse·s et de gauche.

Mais maintenant, un sentiment est en train d’émerger : celui d’une alternative au système capitaliste qui a causé le krach. De nouveaux mouvements politiques se sont développés : Bernie Sanders aux États-Unis, Jeremy Corbyn en Grande-Bretagne, Jean-Luc Mélenchon en France, AMLO au Mexique ; mais aussi des mouvements sociaux pour les droits des femmes et contre l’austérité.

Sur les lieux de travail également se bat-on contre les licenciements, les bas salaires, la précarisation, la charge de travail élevée et l’externalisation.

Pendant ce temps, des bagarres éclatent dans les rangs des politicien·ne·s et des institutions du patronat – les menaces commerciales de Trump, les négociations du Brexit de la Grande-Bretagne et plus encore.

Il est possible d’accélérer considérablement le processus de démantèlement de l’ancien ordre capitaliste. Mettre en place un système qui fonctionne pour les classes ouvrières et moyennes, les jeunes et les pauvres – et pour les artistes et ceux qui veulent participer aux arts.

Le projet Bad Art lutte pour le socialisme : un monde basé sur la propriété publique, la planification démocratique de la production, la distribution et l’échange pour garantir l’abondance pour tous.

Nous croyons que seul un changement révolutionnaire socialiste peut y parvenir pleinement et pour toujours.

Période de révolution et Contre-révolution

Il y a 80 ans, le monde entrait dans une autre grande ouverture. Il y avait alors, comme aujourd’hui, un fossé entre ce qui était nécessaire pour vaincre la catastrophe capitaliste et la compréhension politique générale des travailleur·euse·s.

Cependant, pendant cette période de révolution et de contre-révolution, la conscience de classe et la compréhension socialiste au sens large se situaient à un niveau plus élevé qu’aujourd’hui dans la plupart des pays du monde.

Dans ce cadre, la Troisième Internationale, bien qu’elle soit devenue un instrument de Staline et de l’élite bureaucratique du Kremlin, était un grand pôle d’attraction pour les travailleur·euse·s et inspirait partout des artistes et intellectuel·le·s, grâce à l’autorité de la Révolution russe.

Cependant, la Quatrième Internationale nouvellement fondée, représentant le socialisme révolutionnaire authentique et la démocratie ouvrière, était aussi un pôle d’attraction pour les travailleur·euse·s les plus avancé·e·s politiquement et les couches de la classe moyenne consterné·e·s par la dictature stalinienne, ainsi que par le capitalisme et le fascisme.

C’est dans ce contexte que Léon Trotsky, co-leader de la révolution russe, a rédigé le Manifeste de 1938 : « Vers un art révolutionnaire libre».

Il s’adresse aux artistes et écrivain·e·s les plus conscient·e·s de leur classe, et à une section de l’intelligentsia, ainsi qu’aux travailleur·euse·s et aux jeunes intéressé·e·s par les arts.

Bien sûr, à l’instar des bolcheviks de Lénine, la Quatrième Internationale de Trotsky visait à articuler et à lier les désirs et les revendications des travailleur·euse·s d’une manière qu’ils et elles puissent tou·te·s comprendre et organiser la lutte.

Son but était d’attirer tous les travailleur·euse·s combatif·ve·s, qu’ils et elles soient encore convaincu·e·s de la révolution ou non, dans la lutte avec le capitalisme. Mais il y avait aussi une ouverture pour gagner les artistes à cette lutte.

Destruction de l’Art par les Fascistes et les Staliniens

Les artistes inspiré·e·s par la promesse révolutionnaire de 1917 ont été repoussé·e·s à juste titre par la croissance étouffante du stalinisme qui emprisonna les arts dans un style et un contenu sanctionnés par la bureaucratie. Certain·ne·s étaient donc attiré·e·s par la lutte de principe de Trotsky.

Cette déclaration visait une partie de l’intelligentsia outragée par l’étouffement des arts par le fascisme d’une part et le stalinisme d’autre part. « Toute tendance progressiste dans l’art est détruite par le fascisme en tant que dégénérée. Chaque création libre est appelée fasciste par les staliniens. »

Le Manifeste cherchait à organiser cette colère, à « trouver un terrain d’entente sur lequel tou·te·s les écrivain·e·s et artistes révolutionnaires pourraient être réuni·e·s, afin de mieux servir la révolution par leur art et de défendre la liberté de cet art lui-même contre les usurpateur·trice·s de la révolution ».

Les bolcheviks avaient bien compris la valeur de l’art pour la société – relaté dans «Une lueur d’espoir révolutionnaire» dans le numéro 2017 de Bad Art.

Et Trotsky lui-même avait un grand intérêt et une appréciation critique de l’art et avait écrit sur la littérature et d’autres sujets artistiques – voir « Les racines sociales et la fonction sociale de la littérature » dans le numéro 2016 de Bad Art.

Trotsky, Breton, Rivera

Donc, avec le surréaliste français André Breton et le muraliste mexicain Diego Rivera – l’hôte de Trotsky en exil au Mexique – il a rédigé le Manifeste. Ceci a appelé les artistes à se joindre à la lutte contre le stalinisme et le capitalisme. « Nos objectifs : l’indépendance de l’art – pour la révolution. La révolution – pour la libération complète de l’art ! »

Nous l’avons également réimprimé intégralement dans le numéro 2017 de Bad Art, ainsi qu’avec un examen plus détaillé de son contexte historique.

Aujourd’hui toutefois, la situation est différente. Les artistes forment toujours une partie de l’intelligentsia, mais par rapport à 1938, les artistes viennent de – et restent ou finissent dans – beaucoup de milieux différents.

Ils et elles ne sont plus uniquement issus des couches moyennes et supérieures de la société. Il y a toujours eu de l’art populaire, bien sûr. Mais la personne qui vit, ou désire vivre, des arts ou pour les arts, apparaît de plus en plus dans les rangs de la classe ouvrière.

La nécessité d’un programme et l’approche transitoire

Mais il n’y a pas non plus aujourd’hui d’organisation mondiale avec l’autorité révolutionnaire de Léon Trotsky ou de la Quatrième Internationale qui puisse s’adresser directement aux artistes qui existent encore dans les couches supérieures de la société – sans parler de la masse des artistes ouvrier·ère·s et de la classe moyenne.

Pour atteindre et organiser les artistes – et les amateur·trice·s d’art de la classe ouvrière – il faut plus qu’une déclaration pour la liberté artistique. Nous avons besoin d’un programme.

En 1938, Trotsky a également rédigé « L’agonie du capitalisme et les tâches de la Quatrième Internationale », communément appelé le « Programme de transition », en tant qu’index des idées de base de la Quatrième Internationale.

L’approche de ces « exigences transitionnelles » était de prendre les exigences qui découlent des luttes quotidiennes des travailleur·euse·s et de les relier les unes aux autres et à la lutte pour le socialisme. Expliquer pourquoi cette lutte est nécessaire, comment les travailleur·euse·s peuvent la gagner et ainsi les attirer dans cette lutte.

Avec tout cela à l’esprit, Bad Art propose ici quelques grandes exigences transitoires : une contribution à un programme dans le domaine des arts.

Ces demandes ne sont pas un programme fini pour les arts, mais un premier pas dans une discussion dans cette direction. Et elles ne doivent être considérées que dans le contexte d’un programme général de transition pour le socialisme.

« Nos objectifs : l’indépendance de l’art – pour la révolution. La révolution – pour la libération complète de l’art ! »

____________________________________

Accès

  • Les arts doivent être enseignés comme un élément central dans toutes les écoles, pour un programme équilibré et complet comprenant des matières académiques, artistiques et pratiques de toutes sortes.
  • La gratuité de l’enseignement à tous les niveaux, y compris dans le domaine de la formation artistique et professionnelle
  • Entrée gratuite dans tous les musées et galeries, y compris les expositions temporaires spéciales. Pour des subventions des billets pour les événements artistiques et culturels et pour le contrôle démocratique des prix dans les lieux internationaux les plus coûteux comme Broadway et le West End.
  • Réduction de la semaine de travail sans perte de salaire, et lutte syndicale pour un salaire minimum qui soit un vrai salaire de subsistance, pour donner du temps et des moyens pour les loisirs.
  • Ateliers communautaires, lieux de répétition et d’exposition, gratuits ou très bon marché (frais nominaux seulement) dans tous les grands quartiers, proportionnellement à la taille de la population. Pour des instruments subventionnés, peintures et autres matériels artistiques.
  • Non au ‘payer pour jouer’ ! Supprimons tous les frais de représentation et d’exposition ! Un salaire ou des honoraires décents, décidés démocratiquement par les syndicats ou assemblées d’artistes, à payer pour tout travail artistique professionnel. Ceux et celles qui engagent et qui disent qu’ils et elles n’en ont pas les moyens : ouvrez les livres de compte pour qu’ils soient inspectés par les syndicats ou les assemblées d’artistes ! Non aux grandes entreprises qui paient par la publicité et l’exposition aux médias : pour une réelle rémunération ! Pour les petites entreprises qui luttent et se débattent comme nous : des subventions publiques pour couvrir nos coûts !
  • Augmentation massive du financement public des arts pour tous les types de projets artistiques, y compris des subventions de subsistance à la hauteur des besoins afin de permettre aux travailleur·euse·s et aux artistes de développer l’art en dehors des canaux et des institutions établis. Pour des décisions de financement fondées sur la maximisation de la variété, du développement, de l’offre et de la diversité, et non sur le modèle du profit ou sur les notions élitistes d’excellence.
  • Un programme de construction de salles de spectacles, y compris des théâtres, des salles de concert et des galeries d’art, géré et programmé par des comités élu·e·s de résident·e·s locaux·ales, de travailleur·euse·s et d’artistes, afin de combler les lacunes dans l’offre et d’apporter l’éventail complet des arts à tous.
  • Non à la gentrification ! Planifions démocratiquement les environnements urbains en fonction des besoins des résident·e·s et des travailleur·euse·s, et non des profits de l’industrie touristique vorace. Pour des contrôles des loyers décidés démocratiquement pour permettre aux artistes et aux travailleur·euse·s de vivre et d’améliorer les quartiers où ils et elles vivent.
  • Pour des arts démocratiques et communautaires dans chaque localité. Aménager des friches industrielles désaffectées en incluant des espaces pour les artistes, avec les ressources nécessaires pour les rendre sûrs et bon marché. Encourager les espaces artistiques communautaires de la classe ouvrière. Ouvrir les rues – pour des zones artistiques démocratiquement planifiées, avec des espaces pour les artistes de rue, les artistes graffeurs et autres, intégrés dans la communauté.
  • Nationalisons le « grand art » – les entreprises énormes de théâtre, de cinéma, d’édition et de télévision ; les maisons de disques et services de streaming ; les maisons de ventes aux enchères internationales ; les collections privées d’un milliard de dollars enfermées dans des coffres-forts – avec une compensation payée uniquement sur la base d’un besoin avéré. Non à la dictature de l’argent et des publicitaires ! Pour un accès équitable et démocratique pour tous les groupes de la société, sur la base du contrôle et de la gestion démocratiques des travailleur·euse·s. Pour le retour des trésors volés dans leur pays d’origine et le partage planifié des trésors du monde, sur la base de la démocratie ouvrière et de l’internationalisme.

Liberté

  • Non à toute censure ! A bas l’ingérence politique de l’État dans l’art ! Mettons fin à la censure, à l’intimidation de la police et au harcèlement. Pour le droit de produire de l’art critique de la société – pour le droit de produire toutes sortes d’art. Les artistes qui produisent des œuvres ouvertement réactionnaires doivent toutefois s’attendre à ce que les syndicats d’artistes et de travailleur·euse·s et les socialistes s’y opposent.
  • Mettons fin à l’intimidation et au harcèlement sexuel – Weinstein : plus jamais ça ! Prenons le pouvoir pour embaucher ou licencier loin des impresarios ! Pour la propriété publique des plus grandes entreprises artistiques sous le contrôle et la gestion démocratiques des travailleur·euse·s. Pour que l’investissement public crée plus d’emplois dans le domaine des arts. Pour un salaire décent pour tou·te·s et des allocations et subventions sans contrainte.
  • Mettons fin aux stéréotypes et à la persécution de tous les groupes opprimés. Non à la discrimination fondée sur le sexe, l’appartenance ethnique, la sexualité ou toute autre forme d’oppression. Supprimons toutes les lois et pratiques qui renforcent ou permettent cela. Luttons pour les ressources et l’accès démocratique pour que tous et toutes puissent raconter leurs histoires.

Organisation

  • Artistes, allez voir les ouvrier·ère·s et travailleur·euse·s ! Pour que les artistes soutiennent toutes les luttes de nos frères et sœurs travailleur·euse·s, et les appellent à les soutenir dans nos propres luttes. Pour que les artistes construisent et participent à des syndicats et à des partis de travailleur·euse·s.
  • Pour des syndicats combatifs. S’il existe un véritable syndicat pour votre travail, rejoignez-le. Là où ses dirigeant·e·s ne mènent pas une riposte, exigez-le. Lorsque ce leadership agit comme un obstacle, il faut s’organiser pour le changer.
  • Pour des collectifs de lutte. Cherchez aussi d’autres artistes et travailleur·euse·s qui luttent comme vous. Formons des campagnes collectives qui peuvent mettre en avant des demandes pour améliorer la situation. Appliquons les tactiques des manifestations, des lobbies, des boycotts et des grèves pour les réaliser. Luttons pour sauver tous les services artistiques ! Combattons pour gagner plus ! Coordonnons avec Bad Art – envoyez-nous des rapports !
  • Pour des partis ouvriers de masse. Pour des partis ouvriers démocratiques dans chaque pays qui visent à rassembler les luttes de tous les travailleur·euse·s, les artistes, les jeunes et les opprimé·e·s. Le capitalisme est la cause commune de nos malheurs – pour que ces partis adoptent un programme de combat, socialiste !
  • Pour le socialisme ! Pour la fin du capitalisme partout dans le monde, pour la fin de toute l’exploitation et l’oppression qui l’accompagne. Remplaçons-le par une société basée sur la propriété publique des banques et des grands monopoles, sous le contrôle et la gestion démocratique des travailleur·euse·s, par un plan socialiste de production. Pour une véritable démocratie ouvrière et pour l’internationalisme !

Pour nous contacter
badartworld.net
Audio: soundcloud.com/badartworld
Instagram: badartnetwork
Facebook: facebook.com/badartworldnet

Groupe de discussion Facebook (en anglais) : ‘Bad Art’ – et plusieurs groupes locaux
Poésie: le groupe Facebook ‘Revolting Poetry’

Supplément du journal Bad Art. Rédacteurs/rédactrice: Niall Mulholland, James Ivens, Rob MacDonald, Natalia Medina.


par