Ford recule, mais le combat n’est pas terminé

L'une des centaines de manifestations organisées en Ontario vendredi et samedi à l'appui du SCFP / Photo : SCFP Ontario

En une semaine, le gouvernement conservateur de l’Ontario est passé d’une attaque en règle contre les droits syndicaux à un recul.

Le lundi 7 novembre a été une journée spectaculaire dans la grève du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) en Ontario. Le matin, la conférence de presse du premier ministre Doug Ford a indiqué qu’il serait disposé à retirer sa loi de retour au travail si le SCFP annulait sa grève et reprenait les négociations. La plupart des gens savaient que Ford venait de plier. Ce dernier a abandonné son intransigeante position envers la grève en quelques jours seulement. Lorsque le SCFP et d’autres directions syndicales ont tenu leur conférence de presse, ce point de vue a été confirmé. La direction du SCFP s’est réjouie des nouvelles venant du côté gouvernemental, scandant à l’unisson «So-So-So Solidarity».

Les travailleurs et travailleuses du SCFP, ainsi que les syndicats et organisations qui les soutenaient, ont forcé le gouvernement Ford à concéder l’abrogation du projet de loi 28 . Cette loi imposait aux travailleurs et travailleuses un contrat de travail inférieur à l’inflation et déclarait leur grève illégale. Trop souvent, les gouvernements fédéraux et provinciaux ont imposé des lois de retour au travail. Ces lois outrepassent les droits démocratiques des travailleurs et travailleuses qui sont garantis en théorie par la Charte canadienne des droits et libertés et qui sont confirmés par la Cour suprême. Trop souvent, les syndicats reculent sous cette menace et acceptent la législation. Cette fois, le SCFP, avec l’appui d’autres syndicats, s’est tenu debout.

Cela montre le pouvoir de la classe ouvrière et d’un mouvement ouvrier uni. La menace d’une grève générale et la volonté des autres syndicats de soutenir une grève générale ont effrayé le gouvernement Ford. Mais c’était une erreur pour le SCFP d’annuler la grève si tôt. Certes, Ford a accepté d’abroger la loi. Mais le SCFP est-il maintenant en meilleure position à la table de négociation? Les travailleurs et les travailleuses du SCFP n’ont aucune raison de faire confiance au gouvernement Ford ou de lui accorder le bénéfice du doute après avoir si effrontément attaqué leurs droits démocratiques. Le mouvement a eu un élan et un large soutien public. Il est clair que si la grève avait eu lieu, le syndicat aurait pu obtenir d’autres concessions de la part du gouvernement. Certes, ils peuvent reprendre la grève après un préavis de cinq jours, mais l’élan développé au cours de la dernière semaine a été interrompu et il pourrait être difficile de le retrouver.

La grève générale

Avant l’annonce de Ford, la conférence de presse du SCFP devait voir des représentants et représentantes du Congrès du travail du Canada (CTC), de la Fédération du travail de l’Ontario (FTO) et les directions d’autres syndicats des secteurs privé et public discuter de la mobilisation croissante du mouvement syndical contre le projet de loi 28 du gouvernement Ford. Deux sources de syndicats différents ont confirmé à CityNews que lors de cette conférence de presse, il y aurait «un appel à une grève générale en Ontario dans une semaine, le 14 novembre. Selon certaines sources, plusieurs syndicats sont prêts et les actions de grève vont s’intensifier jusqu’à une éventuelle grève générale». Au cours de la fin de semaine, il y a eu des annonces de dons importants au SCFP: 100 000$ de la part d’UNIFOR et 1M$ de la BC Teachers’ Federation (BCTF). Il y a eu des messages de soutien des fédérations syndicales québécoises comme la CSQ et la FTQ . La publicité de ces annonces aurait été un formidable stimulant pour le moral des grévistes, sachant que le trésor de guerre du syndicat gonflait.

Après les manifestations massives de vendredi à Queen’s Park (l’Assemblée législative provinciale) et dans les bureaux des députés provinciaux, le mouvement n’a pas faibli pendant le weekend. Il y a eu des centaines de manifestations et de rassemblements en appui au SCFP partout en Ontario. Il est évident que la majorité du public soutenait les travailleurs et travailleuses de l’éducation. Il y a eu de grandes manifestations à Toronto. D’autres actions étaient semi-improvisées, dont une organisée par un des auteurs de cet article. Voici un petit résumé pris sur son profil Facebook:

Donc, si vous avez suivi les choses, vous savez qu’il y a une importante grève des travailleurs et travailleuses de l’éducation de l’Ontario (SCFP) en ce moment. Hier, j’ai reçu un courriel de la Fédération du travail de l’Ontario, appelant les travailleurs et travailleuses à s’engager dans des actions de solidarité avec le SCFP. À savoir “Choisissez une intersection achalandée dans votre communauté ou un autre endroit très visible où il y a beaucoup de circulation piétonne. Présentez-vous de 12h à 13h. Apportez des bannières, des pancartes.” Nous vivons à proximité d’un carrefour très fréquenté, alors j’ai pensé pourquoi ne pas essayer? J’ai envoyé un message au groupe Facebook de notre condo annonçant le plan. Nous étions 6 à nous présenter. Pas mal pour la quantité de travail nécessaire. Beaucoup de klaxons et de pouces vers le haut. C’était plutôt bien.

Le public soutient les travailleurs et travailleuses

Selon un sondage Abacus réalisé les 4 et 5 novembre, 62% des Ontariens et Ontariennes croient que le gouvernement conservateur est responsable des fermetures d’écoles. Parmi les parents d’enfants scolarisé·es, le blâme est encore plus élevé, 68% d’entre eux et elles  affirment que le gouvernement Ford est responsable. La majorité écrasante des gens, 70%, souhaite que le gouvernement «négocie un accord équitable avec les travailleurs et travailleuses de l’éducation», plutôt que de continuer à imposer un accord salarial inférieur à l’inflation et à attaquer le droit de grève. «L’une des raisons pour lesquelles les Ontariens et Ontariennes veulent que le gouvernement provincial négocie une entente équitable avec le personnel de l’éducation est qu’environ la moitié pensent que ces travailleurs et travailleuses ne gagnent pas assez d’argent», a déclaré le PDG de la firme de recherche.

Alarmant pour le gouvernement Ford, mais révélateur de l’état d’esprit en Ontario, le sondage a également révélé que «près de la moitié des Ontariens et Ontariennes soutiennent que d’autres syndicats quittent le travail pour protester contre la gestion des négociations par le gouvernement Ford». Il existe un solide appui aux grèves de solidarité et même à une certaine forme de grève générale à l’échelle de la province.

Le combat n’est pas terminé : une opportunité pour une vraie victoire

Le SCFP, après avoir annulé sa grève, compte maintenant sur des négociations «normales» avec le gouvernement. Sauf qu’il n’y a rien d’ordinaire dans ce gouvernement, surtout en ce qui concerne la bonne foi dans les négociations avec les travailleurs et travailleuses. Avant la grève, le syndicat avait déjà réduit sa revendication salariale de 11,7% à 6%, ce que Ford a rejeté. Il se pourrait bien que Ford offre quelque chose de l’ordre de 3 à 4%. Si une telle «offre» est soumise au vote des membres du SCFP, elle devrait être rejetée. Les membres devraient dire à leur direction syndicale qu’elle doit se battre pour obtenir davantage.

Malgré l’annulation de l’action par la direction du SCFP et le ralentissement de l’élan, il y a toujours la possibilité d’un résultat positif. Une communication régulière avec les membres du syndicat sur l’état des négociations est d’une importance vitale, tout comme la pression pour une nouvelle date de grève lorsque le gouvernement arrivera avec son offre misérable. Si Ford fait une offre inférieure à l’inflation, le SCFP devrait s’appuyer sur la volonté du mouvement syndical et de la société en général afin de mobiliser pour des grèves de solidarité menant à une grève générale de 24 heures.

L’entente salariale conclue par le SCFP servira de norme pour tous les autres travailleurs et travailleuses du secteur public de l’Ontario. Il s’agit donc d’un combat pour tous les travailleurs et travailleuses. Il nécessite une mobilisation unie, une solidarité et une action coordonnée (contrairement à ce qui s’est passé en Colombie-Britannique).

Les travailleurs et travailleuses de l’éducation ont bien défendu leur cas et l’opinion publique est derrière eux et elles. Il est encore possible de faire avancer le mouvement. Son succès serait une bouffée d’oxygène pour les travailleurs et travailleuses du SCFP, les travailleurs et travailleuses de l’Ontario et l’ensemble du mouvement syndical canadien.


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