Macron, inflation, récession: construire un rapport de force pour changer de société!

Manifestation «Stop Macron», 5 mai 2018 / Photo : Olivier Ortelpa (Wikimedia Commons)

La classe travailleuse et la jeunesse sont placées devant des énormes défis. L’inflation explose, les taux d’intérêt vont augmenter, le déficit budgétaire va gonfler et, pour Macron, tout cela signifie l’austérité, alors que notre pouvoir d’achat s’effondre déjà. Pour y faire face, la seule issue est de construire les luttes – dans la rue, les lieux de travail, les quartiers, les fac’ et les écoles – afin de renverser le rapport de forces entre travail et capital. C’est d’ailleurs également la meilleure manière non seulement d’élire à l’Assemblée Nationale une gauche dite «de rupture» qui représente la résistance de terrain, mais aussi d’établir une vigilance permanente vis-à-vis des forces composant la nouvelle union de la gauche (NUPES).

Après avoir créé la surprise du 1er tour des présidentielles en arrivant 3e, aux portes du second tour, avec un score de 22% des votants, Jean-Luc Mélenchon et la France Insoumise (FI) ont à nouveau surpris. Tout d’abord en boostant la campagne électorale pour tenter de gagner les législatives et faire élire Mélenchon Premier ministre, ensuite en unifiant les principales forces politiques à gauche de Macron au sein de la «Nouvelle union populaire écologique et sociale» (NUPES). Les attaques incessantes de la droite, de l’extrême droite et des médias dominants témoignent de la peur que la dynamique et l’espoir à gauche inspire à la classe dominante. Des points forts mais aussi de dangereuses faiblesses existent concernant cette «gauche de rupture», c’est-à-dire une gauche visant à casser la politique unilatéralement en faveur des riches et des patrons, mais hélas sans l’ambition d’en finir avec le capitalisme.

Les thèmes de gauche dominent les débats

Dans un contexte d’envolée des prix de l’énergie et des produits de première nécessité et de crise du pouvoir d’achat, la présence de la gauche – comportant de forts éléments de rupture avec le système – dans l’attention médiatique permet la présence des thèmes sociaux et écologiques à l’avant-plan des discussions. Et ce, en dépit des tentatives de Macron et Le Pen de détourner l’attention vers les questions «identitaires», pour tenter de briser la dynamique autour de Mélenchon.

Après des mois et des mois durant lesquels l’immigration et le sécuritaire ont dominé l’essentiel de l’actualité médiatique afin d’insérer la division et d’influencer l’issue des élections présidentielles, les thématiques sociales s’étaient finalement imposées à l’agenda à partir de fin février, contre la volonté des médias et partis dominants et sur base de l’augmentation fulgurante des prix. En s’appuyant sur les éléments de gauche de rupture de son programme, Mélenchon avait su convaincre une couche d’abstentionnistes. De son côté, Le Pen avait construit sa campagne en instrumentalisant les inquiétudes sociales pour paraître en rupture avec la politique de Macron.

Macron prétend maintenant avoir compris que son deuxième mandat doit être plus social et écologique. La nomination d’Élisabeth Borne au poste de Première ministre à la mi-mai vise à tenter de s’acheter un semblant d’image féministe, écologique et plus progressiste. Mais personne n’est dupe. Sans en avoir été membre, Borne a accompagné le PS depuis le début des années ‘90, en devenant même conseillère chargée des transports auprès du Premier Ministre Lionel Jospin entre 1997 et 2002 et directrice du cabinet de Ségolène Royal au ministère de l’Écologie en 2014. Elle fait partie de cette vague de membres et proches du PS qui a rejoint le parti de Macron en 2017 et est devenue Ministre des Transports puis Ministre «de la Transition écologique et solidaire». À travers toutes ses fonctions, Borne a joué un grand rôle dans l’ouverture du rail à la concurrence et dans le gaspillage de temps face à la crise climatique. Elle a refusé de concrétiser une politique ambitieuse de lutte écologique notamment via la gratuité et l’extension des chemins de fer. Nommée Ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion en 2020, elle a fait passer une réforme de l’assurance chômage synonyme de baisse des allocations pour plus d’1 million de chômeurs et chômeuses. Face à la présence des thèmes sociaux dans l’actualité et la dynamique derrière la gauche, il est possible qu’un nouveau gouvernement pro-Macron indexe les bas salaires et les retraites par exemple. Mais, fondamentalement, sa politique continuera à favoriser les riches. Une nouvelle profonde récession lui servira très tôt d’excuse pour balayer de telles mesures limitées.

«Le Pen n’a pas été élue au pouvoir, et maintenant faisons en sorte que Macron n’y reste pas »

C’est avec ce mot d’ordre que la France Insoumise a lancé sa campagne pour imposer un gouvernement de «gauche de rupture» au président Macron en faisant élire une majorité alternative à l’Assemblée Nationale et imposer à Macron un gouvernement Mélenchon. L’idée de ce «troisième tour» électoral a eu le mérite de donner la perspective de la bataille suivante directement après la présidentielle – les législatives – tout en tentant de ne pas se limiter à un travail d’opposition et au contraire de chercher à appliquer des éléments de programme qu’un gouvernement pourrait se permettre de mettre en œuvre.

Cette approche a permis de poursuivre la mobilisation entre deux élections en reposant sur la dynamique de campagne et le résultat des présidentielles. La stratégie est d’essayer d’obtenir une majorité à l’Assemblée Nationale pour le programme défendu par la France Insoumise durant la campagne présidentielle lors des législatives des 12 et 19 juin. La possibilité existerait ainsi d’imposer une cohabitation au président Macron, qui se verrait obligé, contre sa volonté, de laisser ce gouvernement mener une politique de gauche.

Sur base de son score au 1er tour, la France Insoumise a scellé en 13 jours un accord pour une union de la gauche : la NUPES

Parallèlement à cet appel à l’élire Premier ministre, Mélenchon et la FI ont scellé un accord avec les 3 plus grandes formations situées à la droite de la FI et à la gauche de Macron: le Parti communiste français (PCF), Europe Écologie Les Verts (EELV) et le Parti socialiste (PS). L’enjeu principal était d’éviter qu’il y ait une concurrence entre les candidats de ces différentes formations, au 1er comme au second tour. Cela aurait potentiellement pu empêcher beaucoup de candidats FI et alliés d’atteindre le seuil de 12,5% des inscrits nécessaire dans chaque circonscription pour parvenir au 2e tour. Cette union vise à envoyer un maximum de députés à l’Assemblée Nationale, avec la possibilité que l’ensemble de ces députés soient majoritaires et puissent soutenir un gouvernement de gauche qui appliquerait un autre type de politique.

Dans les négociations qui ont mené à cet accord, la FI avait directement mis en avant les revendications programmatiques «non négociables», issues de son programme «l’Avenir En Commun», notamment: la retraite à 60 ans; l’allocation de 1063 euros par mois pour les jeunes; l’augmentation du SMIC de 15% (initialement 1400 euros net, maintenant monté à 1500 euros); le blocage des prix des produits de 1ère nécessité; la planification écologique (et la règle verte); l’abrogation de la loi Travail («El Khomri») mise en place sous Hollande; le rétablissement de l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune); 1 milliard d’euros contre les violences faites aux femmes; la 6e République et le référendum d’initiative citoyenne; le développement des services publics, refus de leur privatisation et de leur ouverture à la concurrence; et le rejet des règles européennes incompatibles avec ces propositions.

Il s’agit d’éléments programmatiques de gauche en rupture avec la politique actuelle, mais cependant hélas allégés d’une série de revendications importantes marquant une rupture plus importante, comme la sortie du nucléaire et certains points concrets nécessaires concernant les soins de santé, l’enseignement et les transports notamment. Plusieurs revendications ont aussi été rendues moins claires dans l’accord adopté par l’union de la gauche. Par exemple, le programme de la FI défend «d’assurer la gratuité» des cantines scolaires, tandis que l’accord de la NUPES ne parle que «d’aller vers la gratuité» de celles-ci.

Autre élément adouci par le temps et les négociations avec les autres partis: l’approche concernant l’Union européenne. Mélenchon a heureusement toujours été au-delà de «l’européanisme de gauche» aux ambitions limitées à vouloir petit à petit changer l’UE de l’intérieur. Il est illusoire de vouloir changer cette institution qu’est l’Union Européenne. L’UE est, depuis le début, un instrument non-démocratique aux mains de la classe dominante capitaliste pour défendre ses intérêts. Elle interdit par exemple de baisser la TVA à moins de 5% sur les produits de première nécessité ou encore de constituer des monopoles publics d’Etat sur certains biens ou services. La défense de la propriété privée des moyens de production et de la dictature des marchés est dans son ADN.

En 2017, Mélenchon défendait un «Plan A» (une rupture concertée avec les traités européens qui empêchent de mener une politique sociale et climatique) et un «Plan B» (la sortie de l’UE). Aujourd’hui, le «Plan B» est simplement de ne pas tenir compte des règles européennes incompatibles avec le programme. Pour défendre cette position de désobéissance aux traités, Mélenchon a évoqué les «2903 cas d’autres pays dans lequel il y a des infractions» et pour lesquelles «personne n’a rien dit», ou encore la «règle d’or» selon laquelle le déficit budgétaire public annuel ne doit pas excéder 3% du produit intérieur brut (PIB), qui aurait été violée 171 fois, dont 7 fois par l’Allemagne. Mélenchon a lui-même qualifié sa nouvelle approche de «moins agressive».

Mais si la «désobéissance» à certaines règles européennes (en particulier économiques et budgétaires comme le pacte de stabilité et de croissance, le droit de la concurrence, les orientations néolibérales de la Politique Agricole Commune, etc.) était clairement affirmée dans le communiqué conjoint entre EELV et la FI, les choses sont beaucoup plus floues dans le communiqué commun entre la FI et le PS.

Il faut être clairs: il faut non seulement rompre avec cette Europe du Capital, mais aussi directement défendre la construction d’une autre Europe, une Europe des travailleurs et des opprimés, à l’aide d’un programme socialiste basé sur la mobilisation par en bas pour s’attaquer au pouvoir de la classe dominante. Il est important de s’y préparer en expliquant dès maintenant cette nécessité, même si elle peut temporairement recevoir un écho plus limité.

La FI avait aussi émis une autre condition pour un accord avec les autres partis: qu’un accord devrait (plus ou moins) respecter l’état des forces des différentes formations au 1er tour des présidentielles. L’enjeu étant la répartition des 577 circonscriptions, chaque formation allant recevoir un «monopole» sur chacune d’entre elles pour éviter une concurrence.

La FI a ainsi signé un accord avec EELV (4,6% au 1er tour), le PCF (2,3%) et le PS, celui-ci n’étant pourtant pas invité aux premières négociations mais son énorme débâcle (1,7%) ne lui a pas laissé d’autre choix que s’y inviter. Selon ses propres dires, le NPA (Nouveau Parti anticapitaliste, 0,8%) a quitté les négociations en raison de la présence du PS mais aussi d’un désaccord sur la répartition des circonscriptions. LO (Lutte Ouvrière), de son côté, analyse à tort la période actuelle comme faite «de recul politique et de droitisation de toute la vie politique» et a choisi de rester à l’écart de cette «opération de rafistolage du réformisme». L’attitude du NPA et de LO, sur laquelle nous reviendrons plus bas, laisse un boulevard aux carriéristes, aux opportunistes et aux éléments droitiers qui vont renforcer toutes les faiblesses de la NUPES.

Tant sur le programme que sur le nombre de circonscriptions, le rapport de force est très favorable à la FI, et les formations sont finalement arrivées à ce partage du «monopole» sur les circonscriptions: 326 pour la FI, 100 pour EELV et alliés, 70 pour le PS et 50 pour le PCF (31 circonscriptions, en Corse et en outre-mer étant hors accord, ou faisant l’objet d’accords ultérieurs). Chaque composante de la NUPES aura la possibilité de former son propre groupe à l’Assemblée Nationale.

Tout cela en reste hélas encore pour l’instant à des négociations conclues au sommet, entre appareils qui, dans le cas du PS et d’EELV, ont été éduqués à la cogestion du système et en sont profondément infectés. Il serait extrêmement surprenant que ces derniers, dans une situation de crise, soient préparés à prendre les mesures qui s’imposent en choisissant sans la moindre équivoque le camp des travailleuses et travailleurs sur celui des patrons et du marché. Les partisans du capitalisme sauront à qui parler. La NUPES a été formée par des appareils, il faut la pousser plus loin en mobilisant l’enthousiasme qui, heureusement, ne manque pas parmi d’importants segments de la population.

La dynamique soulève une vague d’espoir pour l’application d’une politique de rupture avec Macron

Cet accord, signifiant une possibilité (même faible) de gouvernement de «gauche de rupture», a soulevé une vague d’espoir dans le pays, parmi les personnes de gauche, bien sûr, où existe une tendance spontanée à l’unité, mais aussi parmi des couches plus larges de la classe travailleuse et de la jeunesse qui ont été mobilisées dans la dynamique de la campagne de Mélenchon: dans les villes, surtout, y compris dans les quartiers pauvres à forte population d’origine immigrée, ainsi que dans les départements d’Outre-Mer.

Cette vague d’enthousiasme s’appuie sur la possibilité d’empêcher que le programme de Macron s’applique pour 5 années supplémentaires; d’empêcher la retraite à 65 ans et les 20 heures par semaine de travail forcé pour celles et ceux qui reçoivent des allocations, comme le prévoit Macron. Mélenchon parle d’un «réflexe de rassemblement face à un épisode annoncé de maltraitance sociale aggravée».

Début mai, 37% des personnes considéraient Mélenchon comme le premier opposant à Macron, contre 33% pour Le Pen. Au 1er tour des présidentielles, il avait de loin rassemblé le plus de suffrages parmi les jeunes de 18-24 ans et 25-34 ans (derrière l’abstention), et cet élan a même tendance à se renforcer vers les législatives : d’après un sondage réalisé début mai, 59% des 18-24 ans (hors abstentions) voteraient pour la NUPES (+9%), contre 13% tant pour Macron et alliés (-6%) que pour le Rassemblement National.

Pour se faire une idée du potentiel qu’a cette union (et en sachant que bien sûr ce ne sera pas une répétition mécanique), dans une projection basée sur les résultats des présidentielles, la NUPES serait 1ère dans 261 circonscriptions et qualifiée au second tour dans 471; Macron et ses alliés seraient 1ers dans 155 circonscriptions et qualifiés dans 448; et le Rassemblement National serait 1er dans 161 circonscriptions et qualifié dans 296.

Dans les sondages (mi-mai), la NUPES est créditée de 28 à 34% des voix, contre 24 à 27% pour Macron et ses alliés, 19 à 24% pour le Rassemblement National et 9 à 12% pour Les Républicains et alliés. Mais on ne peut en déduire réellement quelque chose en termes de circonscriptions gagnées, puisqu’il s’agit d’un scrutin à 2 tours.

Malgré ces sondages, ainsi qu’un sondage début mai qui montrait que 68% des personnes interrogées sont favorables à une cohabitation, le scénario d’une majorité NUPES n’est pas le plus probable, même si elle n’est pas à exclure, surtout si une dynamique de luttes sur les lieux de travail, dans la rue et dans les quartiers accompagne le processus vers les législatives. C’est plus probablement Macron et ses alliés qui arriveront à gagner le plus de circonscriptions, à la faveur des 2e tours, même s’ils devront peut-être se coaliser avec par exemple des députés Les Républicains (droite traditionnelle) pour obtenir une majorité absolue, ce qui risque d’ailleurs d’approfondir encore davantage la crise interne dans ceux-ci.

L’accord entraine de profondes divisions internes aux autres partis composants la NUPES

Ce rapport de force très favorable à la FI dans la NUPES ainsi que la base programmatique de «gauche de rupture» n’ont pas manqué de susciter des tensions à l’intérieur des autres formations. Dans le PCF, notamment avec ceux et celles qui, selon l’accord, ne peuvent être candidats dans leur circonscription. Dans EELV, tiraillé entre ses différents courants, reflétés par le résultat de la primaire de septembre gagnée par le représentant de l’aile libérale Yannick Jadot avec seulement 51% face à Sandrine Rousseau, qui portait un programme davantage social et écologique.

Mais c’est bien sûr dans le PS que les tensions sont les plus explosives, entre la direction autour du Premier secrétaire Olivier Faure et les éléments les plus à droite et les plus carriéristes (du moins parmi ceux qui n’avaient pas encore quitté le PS ces dernières années), particulièrement dans l’entourage de François Hollande, le président prédécesseur de Macron. Au sein de la direction du PS, l’accord a été approuvé à 57% contre 35% (sur 292 votants). La majorité se veut critique à l’encontre de la politique menée sous Hollande, comme l’exprime Stéphane Troussel, l’un des Secrétaires nationaux: «un quinquennat marqué par le CICE et le pacte de stabilité sans aucune contrepartie en termes d’emplois, de salaires, de conditions de travail, c’est une de nos difficultés. Le débat nauséabond sur la déchéance de la nationalité, c’est une de nos difficultés. La Loi Travail, c’est une de nos difficultés.» La nouvelle période dans laquelle nous sommes entrés sur le plan mondial, qui rompt avec l’ère du néolibéralisme – «l’âge du désordre», où les multiples crises du capitalisme entraînent un processus de polarisation sociale et politique de plus en plus profond – pousse une majorité au PS à devoir être critique sur ses politiques passées.

Sous le mandat de Hollande, ceux qui à l’intérieur du PS s’opposaient à sa politique étaient appelés les «frondeurs»; aujourd’hui les frondeurs sont devenus les «éléphants» du PS dans l’entourage de Hollande. L’ancien Premier secrétaire Jean-Christophe Cambadélis, qui appelle à l’autodissolution du parti dans un Congrès de refondation à l’automne, a averti qu’avec une victoire de Mélenchon, «on se retrouvera dans la situation de la Corée du Nord». Jean-Marc Ayrault et Bernard Cazeneuve, deux anciens Premier ministres sous Hollande s’y sont fortement opposés, le 2e quittant même le parti à la suite de l’accord. Le premier fédéral PS de Bourgogne-Franche-Comté a déclaré: «Ce que veut Mélenchon, c’est que le PS soit le sucre dans le café et qu’il se dissolve».

Des candidatures dissidentes ont directement été annoncées de la part de frustrés de l’accord, particulièrement du PS. La présidente de la région Occitanie (Sud-Ouest) et ex- secrétaire d’Etat Carole Delga et l’ancien ministre Stéphane Le Foll veulent rassembler toutes les candidatures «frondeuses» du parti, d’ailleurs menacées d’exclusion. Rappelons qu’il y a à peine 10 ans, le PS venait de gagner les élections à tous les échelons, des municipales aux présidentielles…

En réponse au lancement de la NUPES, Macron a créé sa propre union de partis: «Ensemble», qui rassemble son parti Renaissance (ex-LREM) et ses alliés Horizon et MoDem. Il a aussi lancé une campagne pour tenter d’attirer les éléments du PS et des Verts qui rejettent l’accord. L’un des dirigeants de Renaissance, Stanislas Guerini, a ainsi invité les «sociaux-démocrates» déçus par le PS «qui a renié ses convictions pour quelques circonscriptions».

Certains dissidents vont en effet quitter le parti, d’autres seront exclus, mais beaucoup d’autres vont tout simplement se taire, et attendre d’abord d’avoir une position élue après les législatives, puis un moment plus propice pour essayer de renverser le rapport de force interne.

Car certains candidats dans l’accord de la NUPES ne portent clairement pas cette rupture avec la politique menée ces dernières décennies. C’est notamment le cas de Cécile Untermaier, députée PS sortante de la circonscription de la Bresse, qui avait prévu de rejoindre les rangs de Macron. Ce n’est pas qu’au PS qu’il existe des candidatures de ce type. Parmi les alliés d’EELV, on trouve Les Nouveaux Démocrates (LND), un parti formé par des parlementaires élus dans le camp de Macron en 2017, qui investira notamment le député sortant Aurélien Taché, sous les couleurs de la NUPES. Il n’est pas étonnant qu’il y ait, à juste titre, des candidatures dissidentes issues du mouvement social. C’est notamment le cas de Raphaël Arnault, du mouvement antifasciste Jeune Garde, dans la 2e circonscription de Lyon (probablement la grande ville française où l’extrême droite est la plus active sous toutes ses formes), face à un candidat NUPES issu de Génération Ecologie qui a été député macroniste entre 2017 et 2020.

Un accord et une campagne qui comportent des points forts, mais aussi des faiblesses dangereuses

D’ailleurs, si l’enthousiasme lié à l’espoir est palpable parmi des couches larges en ce moment, il n’est pas partagé par tous et toutes à gauche et dans les quartiers populaires notamment.

Dans la Contre-Matinale du Média TV du 11 mai, la militante Zouina parlait de l’appel «On s’en mêle» qui, dans les quartiers populaires, avait décidé de mener campagne pour Mélenchon. A l’approche des législatives, elle y disait: «On a du mal à digérer les alliances avec le PCF, avec le PS, avec les Verts, avec tous ceux qui ont participé à faire qu’on est là aujourd’hui, à une grande trahison, à un dérapage vers le racisme. C’est difficile à accepter ces alliances, mais elles se font sur base d’un programme et elles se font pour que l’assemblée nationale demain soit investie majoritairement par des députés de gauche». Elle pointait également le fait que plusieurs militants et militantes des quartiers populaires qui auraient pu être candidats à ces législatives n’ont pas été retenus, notamment parce qu’il a fallu laisser de l’espace aux nouveaux alliés de la FI.

Il est vrai qu’avec cette union, cette campagne s’adresse davantage à des logiques d’appareils de partis et moins à certaines couches qui ont pourtant fait la réussite de la campagne vers les présidentielles. Beaucoup de jeunes et de travailleurs et travailleuses, particulièrement parmi les plus précarisés et opprimés, considèrent à juste titre que le PS, même «purgé» de ses éléments les plus à droite, et de grandes parties d’EELV, voire même au sein du PCF, font partie du problème et donc pas de la solution. Au niveau municipal, les majorités au pouvoir qui comprennent PS, EELV et PCF ne mènent pas une réelle politique de rupture. Et surtout, ils ont mené la politique néolibérale dans les gouvernements Jospin entre 1997 et 2002 et sous Hollande entre 2012 et 2017. Ils sont partie prenante dans les succès électoraux des Le Pen en 2002 et 2017. On va difficilement battre Macron et le Pen en s’alliant avec ceux qui ont appliqué la politique qui leur a ouvert la voie…

Cette campagne comporte pourtant un grand intérêt et réveille un espoir. Elle est basée sur un programme de rupture, même amoindri, et un rapport de force interne à la NUPES très favorable à la «gauche de rupture», avec une (même faible) possibilité d’un gouvernement qui n’ira certes pas assez loin, mais dans la bonne direction. Elle investit en tant que candidats des figures très importante de la lutte, comme Rachel Keke, porte-parole des grévistes de l’hôtel Ibis Batignolles qui a permis l’an passé, après plus d’un an de lutte, d’obtenir une revalorisation des qualifications et des salaires, la prise en compte des heures supplémentaires et une prime de repas. Mais si des points forts sont clairement présents, la campagne et cette union comportent des faiblesses. Il y a une atténuation du programme de rupture et de ce qu’il représente, et la vigilance face aux dangers internes et externes doit être fortement accentuée, particulièrement par l’organisation de la lutte par en bas contre Macron et son monde.

Quelle attitude de la part de la gauche dite révolutionnaire?

LO et le NPA auraient pu jouer un rôle à cet égard, mais ces formations (tout particulièrement LO) ont choisi de rester à la marge, comme si les situations idéales tombaient du ciel et que le travail dans la lutte de classe ne démarre pas de la situation telle qu’elle se présente, en repérant les difficultés qui existent, mais sans se cacher derrière et en décelant également comment saisir et pousser le potentiel de l’avant.

Comme dit précédemment, le NPA a finalement claqué la porte des négociations de la NUPES: «au fur et à mesure des discussions avec les autres forces politiques, l’équilibre politique de la coalition s’est modifié progressivement, atténuant le caractère de rupture avec les politiques libérales qui faisait sa force». Le NPA dénonce l’accord «problématique» avec le PS et de nombreux éléments d’EELV «qui ne représentent pas une rupture avec le libéralisme», et il n’a de fait pas tout à fait tort, même si nous estimons quant à nous que le centre de gravité de la NUPES reste à l’heure actuelle largement favorable à la «gauche de rupture».

Le NPA indique s’être également retiré des négociations à cause du trop petit nombre de circonscriptions qui lui étaient accordées (5), et le fait que ne leur étaient pas laissée une circonscription de Gironde pour tenter d’y faire élire Philippe Poutou à l’Assemblée Nationale. Un tel renfort aurait été le bienvenu pour la NUPES, c’est vrai. Mais si on peut comprendre la frustration du NPA, il faut de suite ajouter que l’attitude du parti de Besancenot et Poutou cette dernière décennie n’a en rien préparé le terrain pour une entente.

Le PSL/LSP a bien sûr davantage de proximité programmatique avec le candidat Poutou qu’avec le candidat Mélenchon. Mais tout comme en 2012 et 2017, il ne s’agissait pas d’aborder les élections présidentielles sous l’angle d’une candidature ‘pour exister’. Une candidature ne servant qu’à promouvoir un programme et des idées peut avoir un intérêt à certains moments. Mais la question était ici de savoir comment renforcer la lutte des classes et permettre de profiler au mieux la nécessité d’un changement de société.

La candidature de Mélenchon portait un programme de rupture, augmentant la conscience de classe, s’adressant à des couches très larges et tentant de les mobiliser, et qui était en plus capable d’atteindre le second tour de l’élection. Ce programme de rupture à gauche et cette campagne étaient un pas en avant, sur lequel une formation anticapitaliste pouvait s’appuyer pour faire des propositions constructives, participer à la construction du rapport de force sociétal et mettre en avant une alternative socialiste au système capitaliste.

Le NPA, ainsi que LO et le PCF, se sont laissés prendre au piège du pessimisme et ont préféré présenter et maintenir une candidature «pour exister» plutôt que de renforcer la dynamique de la campagne de Mélenchon. Ils portent une très lourde responsabilité dans le faux choix du 2e tour Macron vs Le Pen laissé aux électeurs. Un appel de vote et un désistement dans la dernière ligne droite de la campagne aurait mobilisé non seulement une partie de leurs électeurs mais aussi davantage d’abstentionnistes. Une nouvelle occasion a été ratée – pourtant l’expérience de 2017 était là – et l’enjeu était maintenant de ne pas rater la suite.

Il était possible d’entrer dans la dynamique de la NUPES, pas seulement pour y apporter un soutien critique, mais aussi pour y stimuler la nécessité de la lutte et la vigilance par en bas. Cela aurait placé le NPA dans une bien meilleure position pour appeler à la création de comités de vigilance de base contre toute possibilité de trahison sur le programme, en faisant appel et en lançant des propositions d’action aux groupes locaux de l’Union Populaire qui avaient mené la campagne de Mélenchon pour la présidentielle par exemple et en cherchant à impliquer des syndicalistes de la base, des activistes du logement, des militants sans-papiers et toutes celles et ceux qui cherchent à en finir avec la politique pour les riches. Une telle dynamique, orientée vers les travailleurs et travailleuses et les jeunes en lutte a le potentiel d’imprimer la pression nécessaire pour maintenir un programme de rupture et pousser vers la sortie les éléments les plus droitiers et carriéristes. Et dans le cas d’une trahison des intérêts des travailleurs et des opprimés, si le NPA avait rejoint la NUPES, il aurait encore été temps de sortir de cet accord et de prendre une autre initiative ambitieuse avec d’autres déçus d’un virage droitier de la NUPES.

La classe dominante est à l’offensive contre Mélenchon et la NUPES – mais ce n’est rien comparé à ce qui arriverait en cas de victoire

Ce n’est pas seulement de l’entourage de Hollande que les attaques contre la NUPES arrivent. Elles sont aussi brutales de la part de la droite et de l’extrême droite, aidés par les médias dominants, et témoignent de la peur de voir gagner une gauche dirigée par la France Insoumise, et potentiellement même former un gouvernement.

Mais les attaques patronales actuelles ne sont rien à côté de ce qui arrivera de sa part en cas de victoire de la NUPES et d’un gouvernement Mélenchon. La politique que voudrait appliquer un tel gouvernement recevra immédiatement en réponse une «grève du capital», un sabotage tout azimut de chaque tentative de mener une politique de «gauche de rupture». On entendra la droite crier que «Mélenchon veut endetter la France» – et sans la construction d’un rapport de force sociétal pour contrer ses arguments, elle pourrait gagner, notamment en faisant reculer la NUPES. C’est ce qui est arrivé à SYRIZA en 2015 – dans un pays comme la Grèce qui n’est pas du tout du même niveau économique que la France. 6 mois après avoir formé son gouvernement, SYRIZA a dû abdiquer et a été réduite à devoir appliquer une politique favorable aux intérêts de la classe dominante grecque et européenne.

Sans ce rapport de forces, la réponse patronale rendra très difficile l’application concrète du programme de «gauche de rupture» (même limité) de la NUPES si les moyens ne sont pas saisis. Le rétablissement de l’ISF, la mise sur pieds de pôles publics dans certains secteurs-clés de l’économie (à côté d’entreprises privées), ou encore l’attente de retombées favorables suite à une politique de stimulation de la demande: non seulement ces mesures seront difficiles à appliquer, mais en plus elles seront largement insuffisantes pour mener une politique qui réponde réellement aux besoins.

L’exemple de la Grèce et du gouvernement SYRIZA a on ne peut plus clairement illustré que le camp du capital est capable de choisir le risque d’un désastre économique plutôt que d’assister à l’essor d’une alternative politique de gauche. Face à tout cela s’imposent l’arme de la nationalisation sous contrôle des travailleurs des entreprises qui menacent de licenciements collectifs ou de délocalisation de même que celles du contrôle des flux de capitaux et du monopole d’Etat sur le commerce extérieur.

Ce ne seront que de premières étapes vers la nationalisation des secteurs-clés de l’économie, particulièrement le secteur financier et bancaire, mais aussi de l’énergie – ce qui permettra de réellement pouvoir bloquer les prix, mais aussi de financer et concrétiser la nécessaire planification écologique. Et, pour répondre aux attaques de la classe dominante, un contre-pouvoir doit être mobilisé : un appel à la classe travailleuse et la jeunesse ailleurs en Europe: «suivez-nous!», pour créer un rapport de force sociétal permettant d’appliquer les mesures nécessaires.

Construisons un véritable rapport de force sociétal par la lutte

S’il est bien sûr aussi électoral, le 3e tour doit avant tout être social: créer un rapport de force sociétal conséquent en faveur de la classe travailleuse et la jeunesse. Un tel rapport de forces se crée via la lutte, sur les lieux de travail, dans la rue et dans les quartiers. Il faut plus offensivement se tourner vers le mouvement ouvrier organisé, dont la force n’est plus à démontrer – rappelons-nous des mouvements syndicaux massifs contre la Loi El Khomri en 2016 et contre la réforme des retraites en 2019. Et en même temps, cette union de la gauche ne laisse aujourd’hui plus d’excuse aux directions syndicales pour entrer dans la bataille!

Une lutte de grande ampleur pour accompagner cette campagne vers les législatives, c’est ce qui permettrait de mobiliser suffisamment de potentiels abstentionnistes; d’assurer la plus grosse victoire possible aux élections. Cela permettrait aussi d’appliquer un programme de «gauche de rupture», si une majorité de députés est là – face à la réaction de la classe dominante; et, sinon, de pouvoir utiliser la plateforme parlementaire et la visibilité médiatique comme force d’appui pour les luttes de notre camp, pour riposter contre chaque attaque qu’un gouvernement aux ordres de Macron cherchera à faire passer et pour créer ce rapport de force favorable, sur lequel les travailleuses et travailleurs ainsi que la jeunesse pourront s’appuyer dans chacune de leur lutte. Et c’est ça qui est le plus important.

Cela permettrait aussi de créer une vigilance permanente par en bas contre les trahisons inévitables des éléments les moins orientés vers une rupture au sein de la NUPES. Et cela permettrait d’apercevoir le potentiel qu’il y a pour un réel changement de système: l’établissement d’une société socialiste démocratique, qui permette l’application d’un programme social et écologique ambitieux, où les moyens de production sont collectivement planifiés et orientés vers nos besoins et ceux de notre planète.


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