Carte comprenant les deux régions contestées d’Ukraine au Donetsk et à Louhansk (en brun)

Quelles perspectives pour le conflit ukrainien?

Carte comprenant les deux régions contestées d’Ukraine au Donetsk et à Louhansk (en brun)

La Russie reconnaîtra l’indépendance des deux régions contestées d’Ukraine – Donetsk et Louhansk. Les troupes russes agiront en tant que «gardiens de la paix». C’est une nouvelle étape extrêmement dangereuse de ce qui pourrait devenir la pire guerre que l’Europe ait connue depuis la Seconde Guerre mondiale.

Les fauteurs de guerre attisent l’hystérie depuis plus de trois mois maintenant. Les puissances occidentales ont annoncé que l’occupation russe de l’Ukraine commencerait le 16 février à 3 heures du matin, heure locale. À mesure que l’échéance approchait, les cris des bellicistes se faisaient de plus en plus forts et un certain degré de panique s’est installé en Ukraine. Le gouvernement a annoncé la mobilisation des troupes et des réservistes. Les compagnies aériennes ont cessé de voler, tandis que les places sur les vols encore actifs ont été multipliées par cinq – après tout, la guerre est toujours rentable pour certains! Quarante pays ont annoncé qu’ils évacuaient les familles des diplomates de Kiev – certains vers la ville de Lviv, en Ukraine occidentale. Vingt vols affrétés ont été organisés pour permettre aux VIP, aux oligarques et à leurs familles de fuir, tandis que l’aide et les équipements militaires affluaient en Ukraine.

 

Pendant ce temps, la population était invitée à «ne pas paniquer»!

 

À l’approche de l’échéance, un journal russe a commenté avec cynisme que «la guerre a été reportée». Plusieurs Ukrainiens et Ukrainiennes ont sans doute soupiré de soulagement à leur réveil mercredi. La porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, Maria Zakharova, a qualifié de «honteuses» les affirmations américaines concernant une attaque imminente. Elle a demandé aux médias de l’informer des futures dates d’une attaque russe contre l’Ukraine afin qu’elle puisse planifier ses vacances. Le 16 février, le Kremlin a déclaré avoir vaincu «l’hystérie suscitée dans le monde entier, qui n’est rien d’autre qu’une campagne d’information absolument sans précédent visant à provoquer et à alimenter les tensions en Europe».

 

Pourtant, les tensions continuent de s’intensifier. La Maison-Blanche affirme que l’invasion de l’Ukraine est imminente. Boris Johnson déclare que le Kremlin va s’emparer de tout le pays, et la ministre britannique des Affaires étrangères, Liz Truss, parle d’une prise de contrôle de l’Europe de l’Est par la Russie.

 

Le Kremlin a contredit ces affirmations, niant tout projet d’invasion. Le ministère russe de la Défense a diffusé des vidéos montrant des troupes et des équipements rentrant dans les casernes. Mais au lieu de renvoyer les troupes russes en Biélorussie «pour des exercices conjoints», il a été annoncé qu’elles resteraient pour de bon. La Russie poursuit ses manœuvres en organisant de nouveaux exercices de guerre au cours de la fin de semaine pour tester des missiles balistiques hypersoniques.

 

Les combats s’intensifient dans l’est de l’Ukraine

La fin de semaine a été marquée par de nouveaux signes inquiétants. La matinée de vendredi a commencé par des échanges d’artillerie le long de la frontière entre le territoire contrôlé par Kiev et les républiques contestées de l’est de l’Ukraine – les Républiques populaires de Donetsk et Louhansk (RPD/RNL). Comme le soulignent les résidents locaux, il ne s’agit pas d’une nouveauté puisque la guerre se poursuit depuis huit ans. Plus de 14 000 personnes ont perdu la vie, mais le développement de la situation est spectaculaire. Les observateurs de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) rapportent que les échanges de tirs ont eu lieu dans plus de 30 endroits. Plus tard dans la journée, la jeep du chef de la police de Donetsk a explosé devant son bureau. Un résident local a fait remarquer qu’il n’avait jamais vu des officiers aussi haut placés conduire une voiture aussi bon marché.

 

Lundi, une réunion télévisée du Conseil de sécurité russe, clairement mise en scène, a eu lieu. L’un après l’autre, les hauts responsables ont appelé à la reconnaissance des deux républiques contestées, la RPD et la RPL. Lorsque le Procureur général a dépassé les bornes en déclarant qu’il soutenait l’appel à l’adhésion de la RPD et de la RPL à la Fédération de Russie, il a été corrigé par Poutine, qui a déclaré qu’il n’en était pas question. Nous discutons simplement de la reconnaissance de l’indépendance des deux républiques.

 

Plus tard dans la soirée, Poutine est apparu à la télévision pour «s’adresser à la nation». Au cours d’un retour historique d’une demi-heure remontant au 9e siècle, il a expliqué comment l’Ukraine faisait partie de la Russie. Dans une partie importante de son discours, il a attaqué Lénine et les bolcheviks qui, a-t-il dit, «ont créé l’Ukraine moderne en utilisant des méthodes très brutales par rapport à la Russie elle-même en la séparant, en lui arrachant une partie de son territoire historique». Selon Poutine, Staline l’a cependant  «ramenée dans l’URSS […] à la veille et après la « Grande guerre patriotique » [Seconde Guerre mondiale]». Poutine a ensuite soutenu l’approche stalinienne de la question nationale après la Révolution russe. Staline a alors tenté de mettre en place la Fédération socialiste de Russie avec une Ukraine subordonnée à la Russie, en opposition à la formation de l’URSS par Lénine avec une Ukraine comme partenaire égal.

 

Il a ensuite décrit la vague de corruption qui s’est emparée de l’Ukraine, l’absence de démocratie, et ce qu’il a appelé le coup d’État d’inspiration occidentale qui a pris le pouvoir en 2014. Il s’est plaint que les personnes au pouvoir organisent un harcèlement, une véritable terreur contre ceux et celles qui s’opposent à ces «actions anticonstitutionnelles». Les politiciens et politiciennes, les journalistes et les activistes sont ridiculisé⋅es et humilié⋅es publiquement. Les villes ukrainiennes sont frappées par une vague de pogroms et de violence, une série de meurtres impunis. Beaucoup de gens, en regardant ce discours, se demanderont s’il ne parle pas plutôt de la Russie elle-même!

 

Il a terminé en annonçant que la Russie reconnaît désormais officiellement l’indépendance et la souveraineté de la RPD et de la RPL. Les troupes russes ont reçu l’ordre de se rendre dans les deux républiques en tant que «gardiens de la paix». En quelques heures, il a été signalé que des chars russes étaient déjà à Donetsk.

 

Il s’agit d’un développement extrêmement dangereux. Un haut diplomate américain a suggéré hier que «l’arrivée de troupes russes dans la région du Donbass ne serait pas nouvelle». Mais c’est remarquablement naïf. Il est déjà clair qu’il y aura un conflit sur les frontières des «républiques indépendantes».

 

Ni la RPD ni la RPL n’occupent l’ensemble des anciennes régions de Donetsk et de Louhansk. Dans le cas de Donetsk, plus de 40% des 4 millions d’habitants et habitantes ainsi que les deux tiers de la zone restent sous le contrôle de Kiev. Leonid Kalashnikov, haut responsable de la Douma russe et membre du Parti communiste, a appelé les troupes à prendre le contrôle de l’ensemble des deux régions. Si le rôle des «gardiens de la paix» est de confronter les troupes ukrainiennes à la ligne de front actuelle pour qu’elles s’emparent de ces régions au complet, le risque d’une escalade dramatique de la guerre est bien réel.

 

Reste-t-il un espoir pour la diplomatie?

Après la conférence de Munich sur la sécurité qui s’est tenue en fin de semaine, les négociations diplomatiques peuvent se poursuivre, mais il est presque certain qu’il est maintenant trop tard pour faire une différence. À l’annonce de Poutine, la première réaction du président français Emmanuel Macron et du chancelier allemand Olaf Scholz a été d’exprimer leur déception, tout en espérant que les négociations pourraient se poursuivre.

 

Pendant la conférence de Munich, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a exprimé un réel mécontentement face à l’inaction occidentale. Depuis le début, les États-Unis ont essayé de présenter un front uni avec l’Union européenne (UE) contre la Russie. Ils ont dû surmonter la résistance allemande face à la menace de sanctions économiques contre le flux du gazoduc Nord Stream 2. Lors de la rencontre, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a félicité la ministre allemande des Affaires étrangères et membre du parti vert Annalena Baerbock pour avoir agi de manière coordonnée et complémentaire, tandis que le chancelier Scholz a promis que l’Allemagne avait besoin:

 

d’avions qui volent, de navires qui peuvent prendre la mer, de soldats qui sont équipés de manière optimale pour leurs tâches dangereuses – ce sont des choses qu’un pays de notre taille, qui porte une responsabilité très spéciale en Europe, doit pouvoir se permettre. Nous le devons aussi à nos alliés de l’OTAN.

 

Mais derrière les discours sanguinaires de personnalités comme Johnston, les appels de Zelensky à lancer des «sanctions préventives» contre la Russie sont restés lettre morte.

 

L’attention s’est ensuite portée sur le président français Emmanuel Macron. Pendant la conférence de Munich, il a annoncé avoir reçu des «garanties personnelles» du président Poutine. Ce n’est pas la première fois, bien sûr, qu’un dirigeant mondial revient d’une conférence à Munich en revendiquant de telles garanties. L’ancien Premier ministre britannique Neville Chamberlain l’a fait en 1938 après avoir rencontré Adolf Hitler. Le ministre britannique de la Défense a parlé de «l’odeur de Munich», laissant entendre que le résultat était une répétition de l’«apaisement» d’avant la Seconde Guerre mondiale. Au moins, Macron n’a pas brandi un morceau de papier. Néanmoins, la prochaine étape prévue devrait être un retour au «format Normandie» – celui des négociations entre la France, l’Allemagne, l’Ukraine et la Russie sur la mise en œuvre de Minsk 2 et le statut de la RPD/RPL. S’il existe aujourd’hui la moindre possibilité d’un accord diplomatique, ce sera dans ce sens.

 

Il sera loin d’être facile de parvenir à un accord. La Russie utilisera l’occupation militaire des deux républiques pour exercer une pression énorme sur Kiev, même si elle n’empiète pas davantage sur le pays. Zelensky, quant à lui, subira d’énormes pressions pour ne pas céder. Mais l’existence même de la RPD et de la RPL empêchera l’Ukraine de rejoindre l’OTAN ou l’UE. Les États qui ne peuvent garantir leurs propres frontières ne sont pas acceptés.

 

Souffrances en Ukraine orientale

Les personnes vivant en RPD et en RPL sont actuellement les plus touchées par la crise. Au cours de la fin de semaine, les chefs de guerre prorusses ont annoncé la mobilisation de leurs forces de défense et l’évacuation des femmes, des enfants et des personnes âgées vers la Russie. Des dizaines de milliers de personnes ont fui pendant la nuit, mais ont dû dormir dans des autobus vétustes par des températures allant sous zéro. Plusieurs ont le sentiment d’avoir été poussé·es par la panique à partir inutilement. Une mère de famille a raconté qu’on l’avait persuadée de partir avec ses enfants, sans même avoir le temps d’en parler à son mari.

 

Pendant ce temps, les politiciens russes sont cyniquement déconnectés de la réalité. Alors que la télévision russe couvre l’arrivée de bus remplis d’enfants réfugiés et de grands-mères en larmes en provenance de l’est de l’Ukraine, des députés suggèrent que ces personnes soient logées dans les appartements de celles qui sont mortes de la COVID-19. D’autres proposent que les employé·es de l’État perdent leur 13e salaire mensuel (une prime de fin d’année destinée à compenser les mauvais salaires) pour payer cette mesure. Les personnes qui se remettent de maladies graves sont renvoyées des hôpitaux et les foyers étudiants sont repris pour accueillir les personnes réfugiées.

 

De nombreux rapports émanant de la RPD/RPL suggèrent un grand scepticisme à l’égard des autorités. Des personnes s’adressant anonymement à la presse affirment que les attaques sont exagérées et se plaignent de ne pas pouvoir parler ouvertement au téléphone, sachant qu’elles sont écoutées. L’une d’entre elles a fait le commentaire suivant : «Les nantis, les hommes d’affaires, les banquiers et les bandits – ils ont tous fui en 2014». D’autres parlent d’une guerre attisée par les politiciens.

 

Les intérêts des Ukrainiennes et des Ukrainiens ordinaires sacrifiés

L’Ukraine risque d’en subir les conséquences pendant des mois, voire des années. Les entreprises étrangères ont fui et la fièvre de la guerre a entraîné une fuite de capitaux de 15 milliards de dollars, une somme qui fait oublier l’aide financière d’un peu plus de 2 milliards de dollars promise par les États-Unis et l’UE la semaine dernière.

C’est ce qu’a reflété le discours de Zelensky lors de la Conférence sur la sécurité de Munich cette fin de semaine. Il a parlé de l’Ukraine comme du «bouclier de l’Europe», mais s’est plaint que depuis 2014, l’OTAN et l’UE refusent de l’accepter comme membre. Il a averti que le «format Budapest» (l’accord de 1994 en vertu duquel l’Ukraine a renoncé aux armes nucléaires en échange de garanties de sécurité) avait laissé le pays sans armes et sans sécurité. Dans ce cas, a-t-il dit, «nous serons libérés de nos obligations». Il poursuit :

Si on nous dit tous les jours qu’il y aura une guerre demain, que se passera-t-il dans le pays à part la panique? Qu’adviendra-t-il de notre économie? Vous nous dites: réalisez des réformes, améliorez votre gestion, luttez contre la corruption – et alors nous vous aiderons. Mais à nos frontières, il y a 150 000 soldats. Peut-être devriez-vous faire quelque chose à ce sujet avant d’exiger que nous fassions quelque chose?

 

Une nouvelle guerre froide

La situation actuelle s’inscrit dans le cadre de la polarisation et du réalignement croissants du monde entre les intérêts impérialistes américains et chinois. L’OTAN a renforcé sa présence en Europe de l’Est, avec des bases en Pologne, en Roumanie et dans les trois États baltes. Ils ont tous une frontière avec l’ancienne Union soviétique. Douze mille soldats de l’OTAN soutiennent le quart de million de personnels local dans ces pays. Depuis 2016, le ministère américain de la Défense a envoyé une aide militaire d’une valeur de 1,65 milliard de dollars à l’Ukraine, tandis que le Royaume-Uni a envoyé 1,7 milliard de dollars depuis 2020. D’autres puissances de l’OTAN, comme le Canada, la France et la Turquie, ainsi que les pays baltes, ont également apporté leur aide, mais à une échelle bien moindre. Pendant les tensions actuelles, l’OTAN a rapidement envoyé davantage d’unités et d’équipements en Ukraine et chez ses voisins. Il s’agit d’une conséquence réelle de la politique intransigeante de l’administration Biden, qui désigne la Chine comme le «principal concurrent», et la Russie comme «le plus dangereux».

 

Les efforts de Biden pour persuader l’Allemagne et la France de présenter un front uni se heurtent à leurs intérêts. En effet, si une guerre totale se développe, il y aura une crise économique et une vague massive de personnes réfugiées. L’Allemagne dépend de la Russie pour son approvisionnement en énergie, notamment en gaz. Des sanctions économiques entraîneront des pénuries en sources d’énergie et une hausse massive des prix pour les consommateurs d’Europe. C’est en partie pour cette raison que les États-Unis ont poussé l’UE à diversifier ses fournisseurs d’énergie, afin qu’elle soit moins dépendante de la Russie. L’Allemagne a subi des pressions pour retirer son soutien au gazoduc sous-marin Nord Stream 2, qui attend sa certification finale avant de débuter ses opérations.

 

Dans ce contexte, les États-Unis ont retiré de manière inattendue leur soutien au gazoduc de la Méditerranée orientale, qui aurait permis un transit d’énergie direct d’Israël et du Moyen-Orient vers l’Europe. Il semble que cela ait été fait pour apaiser la Turquie, car son président Recep Tayyip Erdoğan a exprimé son soutien ouvert à l’Ukraine dans cette crise. Il offre une voie détournée pour transférer des armes à Kiev. Une usine de fabrication de drones turcs a déjà été construite à Kiev.

 

Après avoir crié au loup pendant des semaines, la Maison-Blanche a doublé la mise, prédisant des opérations sous «faux pavillon» par les Russes comme prétexte à une invasion. La stratégie militaire du Kremlin comprend la conduite d’une «guerre hybride» – l’utilisation combinée de la guerre électronique, de mercenaires privés (Moscou pourrait nier les avoir embauchés), de l’ingérence politique et de provocations. Il n’est pas le seul à le faire. Les forces impérialistes américaines, britanniques, françaises et autres pratiquent depuis longtemps de telles méthodes. Leur utilisation en coulisses, cependant, rend difficile l’analyse de qui a fait quoi, quand et où. Le dangereux mélange de bellicisme occidental et de cyberguerre russe a créé une situation qui sera bientôt impossible à contrôler.

 

L’impérialisme russe

Les politiques du Kremlin se sont également durcies au cours de la dernière décennie. Lorsqu’il se plaint aujourd’hui de l’expansion de l’OTAN en Europe de l’Est, il oublie que pendant la première décennie du mandat de Poutine, il a «coopéré» avec l’OTAN. Le Kremlin l’a même autorisé à utiliser une base aérienne en Russie comme point de passage vers l’Afghanistan. Lors de sa première élection, Poutine a même évoqué la possibilité que la Russie rejoigne l’OTAN! En 2019, cependant, la Russie est entrée en concurrence directe avec l’OTAN. Après avoir renforcé sa position au niveau mondial en Syrie et en Afrique centrale, elle a accru son influence en Biélorussie et au Kazakhstan. Le plus inquiétant pour l’impérialisme américain est que la coopération sino-russe s’intensifie. Pendant les jeux d’hiver de Pékin, le président chinois Xi Jinping et Poutine ont signé un nouvel accord pour que la Russie augmente ses approvisionnements en énergie à la Chine en échange d’une opposition commune à de nouvelles «révolutions de couleur».

 

Les photos des longues discussions à la table de Poutine, d’abord avec Macron, puis avec le ministre des Affaires étrangères russe Sergey Lavrov et le ministre de la Défense russe Sergey Shoigu au bout d’une table encore plus longue, sont révélatrices de l’atmosphère dans laquelle le Kremlin prend désormais ses décisions! Depuis le début de la pandémie, Poutine est isolé de la société. Les conseils qu’il reçoit sont de plus en plus déséquilibrés. Lavrov, lors de sa rencontre, a rendu compte des discussions avec Macron et d’autres. Il a déclaré que, bien qu’aucun progrès n’ait été réalisé sur les principales demandes de la Russie, notamment le recul de l’OTAN aux frontières de 1997, il y a eu des développements intéressants dans d’autres domaines. Lavrov a déclaré qu’il y avait encore de la place pour la diplomatie, mais que si Poutine le voulait, il devrait aller de l’avant avec la reconnaissance de la RPD et de la RPL.

 

Une décision formelle de reconnaître les deux républiques a été adoptée par la Douma d’État, à l’initiative du Parti communiste connu pour être réactionnaire. Alors que de nombreux députés du parti au pouvoir ont voté en faveur de la résolution, la position du Kremlin a été de prendre note de la décision, de suggérer que les députés de la Douma reflètent l’opinion publique et de laisser à Poutine le soin de décider de la date de signature de la proposition.

 

Malgré son caractère autoritaire, le régime doit tout de même tenir compte du fait que les Russes accepteront ou non une guerre pour l’Ukraine. 2022 n’est pas 2014, lorsqu’une vague patriotique massive a résulté de la prise de contrôle de la Crimée. Aujourd’hui, la plupart des Russes n’ont pas le cœur à une guerre contre l’Ukraine. Ils et elles sont aux prises avec une baisse de leur niveau de vie, une inflation galopante et, avec la pandémie, plus d’un million de «morts en trop» en Europe de l’Est. La méfiance à l’égard de tout ce que dit le gouvernement s’accroît. Des rapports font état d’une opposition à une invasion totale, même dans les rangs de l’armée et des services spéciaux.

 

Poutine peut être heureux d’avoir le soutien de Pékin, mais si une guerre prolongée épuise les ressources économiques, il pourrait bien devoir demander à Xi de le renflouer.

 

La position des socialistes sur l’Ukraine

Cette situation démontre ce que nous disions il y a 30 ans. Lorsque l’Union soviétique s’est effondrée, ni les économies nationales ni les droits nationaux et démocratiques des habitants et habitantes de la région ne seraient protégés par la restauration du capitalisme.

 

Les socialistes ne doivent pas prendre parti entre les différentes puissances impérialistes. Il ne nous appartient pas de juger les affirmations des Russes selon lesquelles c’est l’armée ukrainienne qui a déclenché les tirs d’artillerie. Ni les affirmations de Kiev (reprises par la Maison-Blanche) selon lesquelles les forces des républiques contestées sont les responsables, que ce sont des opérations sous «faux pavillon» visant à justifier une invasion russe. Il est également possible que les attaques n’aient pas été sanctionnées par le Kremlin, mais que les dirigeants réactionnaires des deux républiques les aient organisées pour pousser la Russie à intervenir.

 

Ce qui est important, c’est le droit de l’Ukraine d’être un État indépendant. L’Alternative socialiste internationale défend ce droit de manière inconditionnelle. Toutes les troupes impérialistes, qu’elles viennent de Russie ou de l’OTAN, doivent être retirées immédiatement d’Ukraine et d’Europe de l’Est. Pour réduire la tension, les troupes russes qui se trouvent actuellement le long de la frontière devraient retourner dans leurs casernes.

 

Depuis que l’Ukraine est devenue indépendante (soit depuis l’effondrement de l’Union soviétique), son élite dirigeante et les oligarques qui la soutiennent ont entraîné le pays dans un conflit entre les puissances économiques mondiales. Les ressources naturelles du pays, les banques et les grandes entreprises doivent être retirées des mains des oligarques et des multinationales et devenir propriété publique sous le contrôle démocratique des travailleuses et des travailleurs.

 

En même temps, l’Ukraine doit respecter les droits de ses propres minorités et régions. Il convient de rappeler que ce sont les tentatives du gouvernement de l’après-Euromaïdan (mouvement qui a mené à la chute du président prorusse Ianoukovytch en 2014) de restreindre les droits linguistiques russes ainsi que la crainte d’une partie de la population face à la croissance de l’influence de l’extrême droite qui ont créé le mécontentement initial que le régime russe a ensuite exploité. Les droits linguistiques doivent être respectés. Si une minorité ou une région souhaite l’autonomie, voire la sécession, elle doit avoir le droit de le faire. Mais toute décision doit être prise sans aucune présence militaire, et lors de votes démocratiques, contrôlés par la population locale.

 

Nous ne pouvons faire confiance à aucune des puissances impérialistes. L’Occident a démontré à maintes reprises – en Irak, en Syrie, en Serbie, en Libye et ailleurs – qu’il n’est pas le garant de la démocratie ou de la souveraineté. Il défend les intérêts de la classe capitaliste qu’il représente. La Russie non plus n’est certainement pas un défenseur du peuple «slave» qu’elle prétend soutenir. Ses propres actions contre le peuple russe lui-même le démontrent. L’État russe agit pour soutenir les intérêts de l’oligarchie russe, tout comme l’Occident. Ses «troupes de maintien de la paix» ne sont pas en Ukraine pour «maintenir la paix», mais pour défendre les intérêts économiques et politiques de l’élite dirigeante russe.

 

Les socialistes doivent s’exprimer et appeler à un mouvement de masse anti-guerre et anti-impérialiste. Ce n’est peut-être pas la tâche la plus facile, car beaucoup d’activistes qui se seraient opposé·es aux attaques impérialistes contre des pays comme l’Irak sont maintenant divisé·es. Certaines personnes soutiennent la Russie et la Chine dans leur opposition à l’impérialisme américain. D’autres s’opposent à l’agression russe et soutiennent pleinement l’Ukraine et ses bailleurs de fonds impérialistes.

 

Cependant, en tant que socialistes, nous ne pouvons pas soutenir l’une ou l’autre des puissances impérialistes qui se disputent le sort de l’Ukraine. Son destin en tant que pays indépendant, libre de toute intervention extérieure, ne peut être confié à l’élite dirigeante du capital occidental ou russe. Seule une lutte unie de la classe ouvrière contre les fauteurs de guerre de chaque pays peut créer la situation dans laquelle l’Ukraine peut être véritablement indépendante.

 

La classe ouvrière ukrainienne devra jouer un rôle majeur à cet égard. Si elle s’organise pour défendre les foyers et les emplois contre les attaques militaires, si elle veille à ce que la lutte ne soit pas détournée vers des lignes nationalistes ou procapitalistes, mais qu’elle unit toutes les travailleuses et les travailleurs d’Ukraine indépendamment de leur nationalité ou de leur langue, elle pourra lancer un puissant appel à la solidarité aux travailleuses et aux travailleurs de Russie, d’Europe et des États-Unis. Ainsi unies, la classe ouvrière et la jeunesse peuvent mettre fin au cauchemar de la guerre, garantir le droit à l’autodétermination et ouvrir la voie à une société nouvelle, démocratique et socialiste.


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