Vers une vaccination obligatoire?

Photo : Dado Ruvic / Reuters

La question de la vaccination obligatoire est débattue dans plusieurs pays. Qu’ont à dire les socialistes sur cette question délicate?

De grandes manifestations ont secoué la France et son président Macron, qui veut mettre en place une vaccination obligatoire minimalement pour le personnel de la santé et des services sociaux, des services d’incendie et un certain nombre d’autres professions. Les comptes rendus selon lesquels 100 000 personnes ont participé à une manifestation et 160 000 à une autre indiquent que la question ne préoccupe pas seulement les adeptes de théories conspirationnistes grossières ou les gens d’extrême droite. Des travailleurs et des travailleuses de la santé, des syndicalistes et des gilets jaunes ont participé activement aux manifestations. La question de la vaccination obligatoire est débattue dans de nombreux pays. Qu’ont à dire les socialistes sur cette question délicate?

Nous défendons le droit de se faire vacciner pour tous et toutes 

Il faut commencer par l’évidence : la grande majorité des gens sur cette planète attendent désespérément de se faire vacciner. Même dans les pays les plus riches, toutes les personnes qui veulent une piqûre dans le bras ne peuvent pas l’obtenir, sans compter les millions ou plus exactement les milliards de personnes du monde néocolonial. Moins d’une personne sur cinq est vaccinée au Brésil, moins d’une sur dix en Inde – deux pays où le nombre de décès est dramatique.

Alors que la question de la vaccination obligatoire est soulevée par de nombreux gouvernements – principalement dans les pays impérialistes – comme une tâche essentielle dans la lutte contre la pandémie, la même attention n’est pas accordée à la question bien plus importante de savoir comment produire et distribuer les vaccins à toutes les personnes qui en ont besoin et qui les réclament à travers le monde. L’incapacité à garantir un niveau élevé de vaccination à l’échelle mondiale augmente le risque de mutation du virus. Cela peut rendre le coronavirus plus résistant aux vaccins existants dans les pays où les revenus sont plus élevés.

Un scepticisme qui résulte des échecs à répétition

Nous ne soutenons pas les fausses affirmations de l’extrême droite et d’autres tendances qui ignorent les preuves scientifiques et affirment que les vaccins ne sont pas efficaces. Dans la partie du monde la plus développée, au moins 14 maladies potentiellement mortelles – dont la polio et la variole – ont été quasiment éliminées grâce à la vaccination.

En même temps, nous comprenons pourquoi le scepticisme à l’égard des vaccins et l’hésitation quant à leur utilisation atteignent déjà des niveaux importants dans de nombreux pays. Cette attitude se mêle à une colère et à une méfiance légitimes à l’égard du pouvoir en place et face aux grandes compagnies en général.

L’année dernière, les politiciens et les politiciennes ont ignoré la nécessité d’assurer des conditions de travail sécuritaires, en particulier dans le secteur de la santé qui manque de personnel et de fonds. Ce sont maintenant ces mêmes politiciens et politiciennes qui font pression pour la vaccination. L’ouverture totale de la Grande-Bretagne de Boris Johnson, mise en scène sous la forme d’une «Journée de la liberté», n’est que le revers de la médaille des projets de vaccination obligatoire de la France de Macron. En Russie, où le taux d’acceptation des vaccins est très faible, les employeurs ont reçu l’ordre de s’assurer que 80% des employé·es ont été vaccinés ou ont contracté le virus afin d’avoir le droit de licencier sans salaire les employé·es qui refusent. En juillet, le chancelier autrichien Sebastian Kurz a résumé cette attitude en déclarant que désormais, la COVID-19 est une question privée étant donné la disponibilité du vaccin.

De cette manière, les politiciens et politiciennes capitalistes tentent de détourner la responsabilité des échecs structurels de leur système de contrôle de la pandémie en faisant de cette question une responsabilité purement individuelle.

Dans ce contexte, les méthodes de vaccination obligatoires sont susceptibles de créer une réaction négative importante qui rendra l’objectif de vaccination de masse encore plus difficile à atteindre.

Le profit avant la santé

Dès le premier jour de la pandémie, les gouvernements ont tenté d’empêcher les confinements ou d’en limiter la portée afin que les entreprises puissent fonctionner aussi normalement que possible. S’il est vrai que dans le secteur des services, de nombreuses petites entreprises ont dû fermer, les grandes compagnies, de nombreux grands bureaux et l’industrie en général ont maintenu leur production. Une étude britannique a montré que pour les personnes travaillant dans l’industrie, le risque de mourir de la COVID-19 était plus de 4 fois supérieur à celui du reste de la population.

Au cours de l’année, les gouvernements n’ont pas réussi à organiser des classes plus petites, à assurer une ventilation correcte ou davantage de personnel dans les secteurs de l’éducation et de la santé. Ils ont laissé les personnes âgées mourir dans des maisons de soins privées, sans personnel ni équipement adéquats. Aujourd’hui, leurs échecs se poursuivent. Dans de nombreux pays, ils ne peuvent même pas organiser des tests de dépistage massifs gratuits et facilement accessibles. Dans d’autres pays où le dépistage est gratuit, des propositions sont faites pour y mettre fin. On fait valoir que tout le monde devrait se faire vacciner. Cette approche est plus qu’irresponsable, étant donné que certaines personnes ne peuvent ou ne veulent pas se faire vacciner et que même les personnes vaccinées peuvent propager le virus!

Après tous ces échecs et bien d’autres, en particulier leur incapacité à mettre en place un plan mondial coordonné et intégré pour lutter contre la COVID-19, les gouvernements présentent maintenant la vaccination obligatoire comme la solution à leur problème. Ils intensifient leur propagande pour suggérer qu’ils veulent nous faire vacciner pour notre propre sécurité, afin que nous ayons une chance de retrouver une vie «normale». Bien sûr, nous aimons tous et toutes partir en vacances, fréquenter les bars, les cinémas ou les fêtes. Mais ce n’est qu’un effet secondaire dans les calculs des classes dirigeantes. Leurs calculs sont basés sur la manière de rétablir des processus de production normaux et – ce qui est encore pire – sur la manière de le faire de façon à renforcer les intérêts nationaux face à une concurrence internationale croissante.

La santé n’est pas une responsabilité individuelle

Contrairement à Sebastian Kurz et à ses semblables, nous pensons que chaque personne a droit à la santé et qu’il est de la responsabilité de la société de fournir des soins de santé appropriés. En situation de pandémie, ces soins ne peuvent pas être simplement devenir une responsabilité individuelle. Assurer le droit à la santé nécessite une approche de la santé publique déterminée à mettre à disposition les ressources nécessaires pour informer, prévenir et traiter équitablement le virus. Étant donné la nature globale de la COVID-19, cela nécessite une coopération internationale.

Au lieu de cela, les gouvernements poursuivent leur approche hypocrite et cupide. Ils font pression sur le personnel de la santé pour qu’il se fasse vacciner, décrivant les personnes qui refusent comme irresponsables. Ce sont les mêmes élites politiques qui applaudissaient ces «héros» il y a un an, mais qui ne sont toujours pas prêtes à financer suffisamment l’achat d’équipement de protection individuelle (EPI), la sécurité et les salaires du personnel.

Le manque d’informations sérieuses, de mesures de prévention – comprenant l’approvisionnement suffisant en EPI et en vaccins – est une conséquence du fonctionnement, ou plutôt du mauvais fonctionnement, du capitalisme. Au cours des dernières décennies, les services essentiels comme la santé et l’éducation ont été de plus en plus privatisés. Cela les a laissés surchargés et à court de ressources.

En 1947, la ville de New York a pu organiser une campagne de vaccination de masse contre la variole, même si elle présentait certaines lacunes. Aujourd’hui, la ville ne dispose pas de l’infrastructure nécessaire pour distribuer des informations fiables, et encore moins pour mettre en œuvre un programme de vaccination en temps voulu. Où sont aujourd’hui les campagnes d’information publique, proposées en plusieurs langues pour donner des informations sérieuses et facilement compréhensibles sur le virus, la protection et la vaccination? Cette responsabilité aurait dû incomber à un service de santé publique, comprenant les médecins des compagnies, les comités de santé et de sécurité, les délégué⋅es syndicaux et, bien sûr, les syndicats eux-mêmes. Mais dans de nombreux pays, en dehors des conférences de presse gouvernementales, cette tâche a été laissée en grande partie aux médias privés. Y compris à des sources dangereuses comme Fox News et d’autres qui diffusent des informations erronées et des mensonges.

L’inaction de nombreux dirigeants et dirigeantes de syndicats n’a pas facilité la situation. Plusieurs ont considéré que la crise nécessitait une «unité nationale». Ces personnes ont contribué à faire tourner l’économie, au lieu de se battre pour davantage de sécurité avec, si nécessaire, la suspension de la production à plein salaire. Cela a aussi contribué à créer une approche sceptique de la vaccination.

En même temps, on ne fait pas confiance à l’industrie pharmaceutique. Les énormes compagnies ont prouvé à plusieurs reprises qu’elles étaient prêtes à marcher littéralement sur des cadavres pour faire du profit. Cette méfiance s’explique par le fait que ces entreprises sont privées et axées sur le profit. La solution consiste à organiser et à contrôler la recherche, la production et la distribution de médicaments et de vaccins. Pas grâce aux entreprises privées, mais par des institutions publiques contrôlées démocratiquement. L’argument selon lequel c’est le profit privé qui est le moteur de l’innovation s’est révélé faux après que l’un des premiers vaccins produits par AstraZeneca ait été développé à l’Université d’Oxford. Il existe de nombreux autres exemples. La santé publique serait mieux protégée et la confiance du public envers les vaccins serait bien plus grande s’ils étaient produits pour répondre à des besoins publics plutôt qu’à des profits privés. L’ensemble du secteur pharmaceutique devrait immédiatement devenir une propriété publique sous contrôle démocratique.

La classe dirigeante exploite toutes les opportunités

Mais comme si les échecs de l’an dernier ne suffisaient pas, des politiciens comme Macron veulent également utiliser la question de la vaccination obligatoire pour attaquer les droits des travailleurs et travailleuses par des moyens détournés. Cela implique notamment des réductions de salaire et même la suspension des contrats des travailleurs et travailleuses non vacciné·es.

Au fil des ans, les gouvernements français ont tenté de réduire les droits des travailleurs et travailleuses contre les licenciements. Certaines tentatives ont réussi, beaucoup ont été repoussées. Ainsi, alors que nous réclamons le droit à une vaccination gratuite et facilement accessible pour tous et toutes, nous constatons également que la classe dirigeante veut utiliser l’état d’esprit favorable à la vaccination pour servir son propre agenda.

Le plus grand syndicat français, la CGT, ainsi que des sections de Force ouvrière, soutiennent la vaccination. Ils sont toutefois contre la vaccination obligatoire et l’utilisation de mesures répressives, en particulier sur le lieu de travail, contre les travailleurs et travailleuses non vacciné·es. Ils rejettent à juste titre les tentatives visant à obliger les travailleurs et les travailleuses à se surveiller en vérifiant si leurs collègues ont été testé·es. Ils rejettent aussi les tentatives des patrons d’avoir accès aux données de santé de leurs employé·es. Les travailleurs et travailleuses savent que les patrons utiliseront ces informations pour licencier les personnes malades et se serviront des lois sur la vaccination obligatoire pour se débarrasser de ceux et celles dont ils ne pourraient pas se débarrasser autrement.

Le même danger s’applique aux divers instruments utilisés pour contrôler les déplacements des personnes sur la base de la «protection de la santé». La classe dirigeante n’a pas inventé le coronavirus pour introduire des mesures de contrôle plus restrictives. Mais elle utilise toutes les opportunités que lui offre le virus, surtout dans le contexte actuel de crise sociale, économique et climatique profonde. Elle sait qu’elle aura besoin de tous les moyens possibles pour combattre l’opposition croissante à son pouvoir. Déjà, des régimes autoritaires comme ceux de la Chine et de la Russie utilisent des systèmes de reconnaissance faciale légitimés par la lutte contre la COVID-19 afin d’identifier et d’arrêter des opposants politiques. Le régime du Myanmar a fait de la crise de la COVID-19 une arme pour attaquer les opposants et opposantes du régime militaire.

Si la vaccination doit être offerte à tous les travailleurs et toutes les travailleuses, elle nécessite une information, une organisation et un contrôle réalisés non pas par le patronat et ses laquais, mais par des organes démocratiquement élus par les travailleurs et travailleuses eux-mêmes.

Pour le contrôle ouvrier, pas celui du patronat

L’autre aspect de ce débat, bien sûr, est le droit des patients et des patientes à être soigné·es et celui des collègues à travailler dans un environnement sécuritaire. Une partie des travailleurs et des travailleuses, y compris ceux et celles du secteur de la santé, ne veulent pas être vacciné·es ou ne peuvent pas l’être pour d’autres raisons. Il devrait y avoir des tests de dépistage obligatoires ainsi qu’une réorganisation des responsabilités professionnelles afin qu’un environnement sécuritaire puisse être maintenu, géré et contrôlé par des comités de sécurité élus.

Les politiciennes et les politiciens arrogants d’extrême droite et issus de la bourgeoisie qui s’opposent à la vaccination ne reflètent pas les préoccupations des travailleurs et des travailleuses ordinaires. Leur attitude à l’égard des enfants, par exemple, est fondée sur l’idée qu’ils sont des biens, que les parents ont les pleins droits de «propriété» sur eux. Nous défendons plutôt les droits des enfants à la santé comme partie intégrante de la société.

Les élites dirigeantes ont une longue histoire de violation des droits et de l’intégrité physique des membres de la classe ouvrière, surtout de ceux et celles issus des secteurs les plus marginalisés et opprimés, par exemple par la stérilisation obligatoire. Cela alimente un scepticisme compréhensible et doit être pris en compte. En même temps, nous comprenons la pression de ceux et celles qui, préoccupé·es par leur propre sécurité et celle de leurs proches, soutiennent l’idée d’une vaccination obligatoire.

Ces tendances différentes et contradictoires ne peuvent être gérées de manière équilibrée si l’on tient compte que l’État, dans une société capitaliste, n’est pas seulement un représentant des intérêts de la classe dominante, mais qu’il est en fin de compte là pour maintenir son contrôle sur la société. Cela nous amène à conclure que les programmes de vaccination et de dépistage ne devraient pas être laissés entre les mains de la classe capitaliste. Ils devraient être décidés, gérés et contrôlés par des organes démocratiquement élus de la classe ouvrière.

Nous sommes convaincu·es, et de nombreux exemples viennent étayer notre point de vue, que les travailleurs et les travailleuses ordinaires sont plus que capables de comprendre et d’organiser de véritables alternatives. Des comités démocratiquement élus, composés de personnes qui travaillent et qui ont de l’expertise, pourraient élaborer des plans pour des tests de dépistage massifs et assurer la sécurité, la mise à disposition du personnel et des ressources nécessaires au secteur de la santé. Ils pourraient aussi gérer la diffusion d’information libre de préjugés non scientifiques et du discours du profit.

Si les travailleurs et les travailleuses étaient organisé·es, décidaient et organisaient démocratiquement la sécurité sur leur lieu de travail – avec des discussions complètes en assemblée concernant le système de santé au sens large – il y aurait davantage de confiance envers les mesures utilisées pour combattre le virus. Les gens n’auraient pas l’impression d’être utilisés comme des cobayes pour augmenter les profits de la Big Pharma si le secteur était nationalisé sous le contrôle démocratique des travailleurs et travailleuses. Et surtout, la confiance dans le déploiement des vaccins serait plus grande, puisque des vaccins sûrs seraient produits et distribués équitablement.


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